Ce mercredi 4 décembre 2019, les élus du Conseil national ont voté à l’unanimité le projet de loi n° 974, relatif aux contrats civils de solidarité.

Derrière cette terminologie, deux contrats distincts : le contrat de cohabitation destiné aux membres d’une même famille, et le fameux contrat de vie commune, qui reconnaît enfin l’union libre en principauté. La fin d’un long parcours parlementaire. 

Mercredi dernier, aux alentours de 20h45, les 22 conseillers nationaux présents [les élus Priorité Monaco (Primo !) Thomas Brezzo et Guillaume Rose étaient absents — N.D.L.R.] lors de la seconde séance publique législative de cette fin d’année, ont voté à l’unanimité, sous les applaudissements de l’assistance, le projet de loi n° 974 relatif aux contrats civils de solidarité. Si la terminologie a quelque peu changé, son contenu, lui, reconnaît enfin l’union libre en principauté pour tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. En effet, derrière le terme de contrats civils de solidarité se cachent deux contrats distincts : l’un consacré à la famille appelé contrat de cohabitation, l’autre consacré aux personnes vivant en union libre appelé contrat de vie commune.

Changement de terminologie

Initialement baptisé projet de loi relatif au contrat de vie commune, il portera finalement le nom de contrat civil de solidarité. Mais qu’importe, l’essentiel est ailleurs, et notamment dans le contenu de ce fameux projet de loi n° 974. Deux contrats distincts apparaissent clairement au sein de celui-ci. Tout d’abord, le contrat de cohabitation qui peut être « conclu par deux membres d’une famille vivant sous la forme d’une communauté de toit, dénommés cohabitants ». Ce contrat, que l’élu Primo ! Franck Lobono espère qu’il répondra à « d’autres attentes pour lesquelles nous n’avions pas été sollicités », satisfait en tout cas le gouvernement, et sans doute un peu l’archevêque de Monaco, Monseigneur Barsi, qui avait demandé à ce que le contrat de vie commune soit étendu aux membres d’une même famille souhaitant cohabiter et s’entraider matériellement.

S’il avait un temps craint, notamment en termes de logements, un « risque évident de regroupement familial » et « un appel d’air pour attirer des membres étrangers d’une famille monégasque à venir cohabiter en principauté pour bénéficier de tous les avantages que l’on connaît », craintes partagées par la majorité, Franck Lobono s’est dit rassuré par cette version de la loi. En effet, « le contrat de cohabitation ne pourra s’appliquer qu’à des membres d’une même famille vivant déjà sous le même toit dans leur besoin normal de logement », précise l’élu national. Le vote du projet de loi relatif aux contrats civils de solidarité, qui consacre le contrat de cohabitation, rend donc quelque peu caduque la proposition de loi sur le contrat de cohabitation familiale votée le 30 octobre 2019 en signe d’apaisement, suite au courrier adressé par Monseigneur Barsi (lire Monaco Hebdo n° 1127). « Vous savez que nous pensons que très peu de personnes seront intéressées, puisque le code civil répond déjà à ces préoccupations entre parents et enfants ou entre frères et sœurs », a d’ailleurs déclaré le président du Conseil national, Stéphane Valeri, à propos de ce contrat de cohabitation.

L’union libre enfin reconnue à Monaco

Mais c’est surtout le second contrat qui a retenu l’attention des conseillers nationaux lors de leurs différentes interventions. Et à voir les larges sourires s’afficher sur les visages de tous les acteurs de ce projet de loi, inutile de sortir de Saint-Cyr pour comprendre l’immense satisfaction et le soulagement que ce vote représente pour les membres du Conseil National et du gouvernement. À l’image de Pierre Van Klaveren, élu Primo !, pour qui « ce texte représente, à lui tout seul, toutes les raisons pour lesquelles je me suis engagé en politique : faire évoluer la société monégasque, réparer des inégalités, en prévenir d’autres et continuer à faire de Monaco le pays que nous chérissons tous et que beaucoup nous envient ». De son côté, le ministre d’État, Serge Telle, a salué un texte « à la fois innovant et fidèle à nos grands équilibres », qui « accompagne des évolutions de la société sans fragiliser ses principes ». Dans son intervention, si Jean-Louis Grinda s’est dit satisfait du vote de ce projet de loi, l’élu Union Monégasque (UM) n’a pas oublié de rappeler que la proposition de loi pour un « pacte de vie commune » avait été déposée par des membres UM en 2013 [groupe politique de Jean-Louis Grinda, Jean-François Robillon et Bernard Pasquier — N.D.L.R.]. Cette proposition, devenue depuis « contrat de vie commune », avait, à l’époque, posé la première pierre d’un « Pacs à la monégasque » : « Ce texte tenait à cœur de cette assemblée depuis de nombreuses années […] Je me réjouis que nous ayons pu trouver un accord ».

Brigitte Boccone-Pagès, élue Primo !, s’est aussi félicitée de ce vote du projet de loi n° 974, qui était « un engagement pris par la majorité lors des dernières élections. Nous nous étions en effet engagés à reconnaître l’union libre pour mettre le droit en accord avec la société, sans bien entendu remettre en cause l’institution du mariage ». Le texte, qu’elle qualifie d’« équilibré » et « raisonnable », « permettra à tous les couples qui le souhaitent de bénéficier d’une existence légale, accompagnée de droits sociaux », a poursuivi l’élue de la majorité, qui a reconnu que « les débats furent animés, à cause d’approches parfois très différentes ».

Le rapporteur Pierre Van Klaveren. Elu Primo !

« Ce texte représente à lui tout seul toutes les raisons pour lesquelles je me suis engagé en politique »

Un vote au goût amer pour certains

Car si tous les élus nationaux ont été unanimes et ont salué le vote de ce projet de loi n° 974, qui constitue une « avancée remarquable pour l’adaptation de notre législation monégasque à l’évolution des mentalités et des réalités de notre société » selon le président du Conseil national Stéphane Valeri, ce vote garde pour certains un « goût amer ». Il faut dire que l’accouchement de ce projet de loi a été long et difficile, « un véritable chemin de croix » selon l’élue Primo !, Nathalie Amoratti-Blanc.

Les remous et les divergences après le courrier envoyé par Monseigneur Barsi ont laissé des traces au sein de la représentation nationale : « Nous y sommes enfin. Après une longue gestation, une période de travail douloureuse, voici la naissance de jumeaux au lieu de l’enfant unique promis. La lettre de l’archevêché nous ayant privés de tout recours à une péridurale, les stigmates de cette délivrance se trouvent encore sur nos visages », a déclaré Béatrice Fresko-Rolfo, élue Horizon Monaco (HM), qui a par la suite avoué avoir été « meurtrie par le procès d’intention tenu contre nous, alors qu’il n’y a eu aucune réaction après la proposition de loi sur ce sujet lors de la dernière mandature ». Même son de cloche chez Jean-Louis Grinda : « Je regrette certains excès dus à une lettre que nous aurions préféré ne pas recevoir et dont, à titre personnel, les extraits m’ont profondément choqué », a souligné l’élu UM.

Le poids du religieux dans les débats sur le contrat de vie commune a aussi été dénoncé par certains élus nationaux. Ainsi, Jean-Louis Grinda s’est dit « amèrement surpris de l’immixtion qui a été faite dans notre assemblée » alors que la présidente de la commission des droits de la femme et de la famille, Nathalie Amoratti-Blanc, a regretté « les commentaires et l’immixtion de la sphère religieuse dans ce processus législatif qui ne concerne que les deux partenaires que sont le Conseil national et le gouvernement princier […] Le civil oui, le religieux non ». Cette élue Primo ! a aussi fait part de son amertume « quand je repense à toute l’hypocrisie avec laquelle nous avons dû composer au sein de cette assemblée, dans un pays pourtant membre du Conseil de l’Europe, presque 20 ans après avoir basculé dans le XXIème siècle ».

De son côté, Stéphane Valeri est aussi revenu sur ce tumulte au cours de son intervention, en évoquant les différents signes d’apaisement envoyés par le Conseil national pour « éviter l’impasse […] et toute crise politique ». Le président du Conseil national a d’ailleurs tenu à remercier son homologue du gouvernement pour « cette reconnaissance claire par ce texte, de l’union libre » : « La concertation entre le gouvernement princier et le Conseil national permet de surmonter des positions parfois éloignées », s’est félicité Stéphane Valeri qui espérait toutefois « deux textes différents, mais comme nous sommes pragmatiques, nous nous étions déclarés prêts à accepter une seule loi, si celle-ci comportait deux volets séparés, avec des droits distincts pour les couples et pour les familles ».

Nathalie Amoratti-Blanc. Elue Primo !

« Le contenu et les avancées de ces dispositifs ne concernent que l’aspect civil […] La Constitution n’est touchée en rien à son article 9 »

Un contrat de vie commune, pas un mariage « bis »

Au cours de cette séance publique, tous les élus ont réaffirmé leur attachement et de ne pas porter atteinte à l’institution du mariage, « élément fondamental de l’unité familiale et de la société », a rappelé l’élu Primo ! Christophe Robino. Le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a en effet insisté sur le fait que le contrat de vie commune « sera très différent du mariage et ne portera en rien atteinte à cette institution ». Un avis partagé par le ministre d’État, Serge Telle : « Le texte offre enfin des droits aux individus dans leur diversité et respecte les institutions, en particulier celle du mariage […]. Ces droits et ces devoirs, tout en constituant une nouvelle réalité sociale, ne touchent pas à ce pilier de notre société qu’est l’institution du mariage ». Christophe Robino en a expliqué les principales différences : « Le contrat de vie commune est en premier lieu un contrat patrimonial établi devant notaire et non devant un officier d’état civil, sans retranscription sur les registres de l’état civil et donc sans conséquence sur l’état des personnes, la dévolution du nom de famille, la filiation, l’autorité parentale ou les règles relatives à l’adoption. Il [le contrat de vie commune — N.D.L.R.] ne crée pas non plus de véritables liens de famille comme en témoigne l’absence d’obligation alimentaire ».

Pour Nathalie Amoratti-Blanc, « le contenu et les avancées de ces dispositifs ne concernent que l’aspect civil […] La Constitution n’est touchée en rien à son article 9 [la religion catholique, apostolique et romaine est religion d’État — N.D.L.R.] ». « Ce projet de loi ne donne à aucun moment les mêmes droits qu’à un couple marié », a ajouté, pour sa part, l’élue Primo !, Karen Aliprendi de Carvalho, « Il a été étudié pour apporter un cadre juridique à des situations et pratiques courantes, mais surtout, pour protéger les droits des personnes qui s’aiment face aux aléas de la vie ». Sa collègue de la majorité, Michèle Dittlot a abondé dans ce sens, en précisant que « les raisons pour lesquelles certains couples ne se tournent pas vers l’institution du mariage sont diverses et ne concernent que les intéressés ». De son côté, le conseiller national Primo ! Daniel Boeri a rappelé que « le taux de divorce augmente partout, nous en sommes, en moyenne, à Monaco à 40 % », un taux qui « s’accélère selon les générations ». « Il s’agit d’une tendance naturelle très forte, la sociologie des temps », a commenté le doyen ravi de « mettre la loi en conformité avec la vie ». Daniel Boeri a toutefois regretté que la notion de communauté de toit n’ait pas été retenue : « Nous risquons de nous retrouver au pire temps des instants de l’histoire : celui de la discrimination. Sous couvert de liberté, nous risquons de stigmatiser le caractère de l’union libre ou de la libre union et ainsi la dénaturer […]. La communauté de toit présentait l’extrême avantage de contractualiser simplement la vie à deux, sans discrimination ».

Des droits pour les partenaires

Si les élus nationaux ont donc martelé que le contrat de vie commune ne portait en rien atteinte à l’institution du mariage, ils ont également longuement insisté sur le fait que le contrat de vie commune n’offrait pas les mêmes droits que ceux accordés aux couples mariés. Mais pour Stéphane Valeri, « il fallait que les droits reconnus aux couples, à tous les couples, de sexe différent ou de même sexe, soient réels et protègent véritablement le partenaire dans les situations les plus difficiles de la vie, et notamment la maladie par la couverture sociale du partenaire, ou lors du décès par des droits de successions plus favorables ou bien encore par la co-titularité du bail ». Ainsi, grâce au contrat de vie commune, le partenaire pourra désormais se voir octroyer une couverture maladie s’il n’en dispose pas et devenir ainsi l’ayant droit de son ou sa partenaire. Il pourra également être titulaire ou bénéficiaire d’un contrat habitation-capitalisation. Quant aux droits de mutation, ils seront réduits pour les mutations entre vifs et les mutations par décès.

Michèle Dittlot s’est réjouie que ce texte ouvre des droits aux partenaires d’un contrat de vie commune : « C’est là la principale avancée », a déclaré cette élue Primo !, en citant par exemple « la faculté d’être co-titulaire de plein droit d’un bail, la possibilité de bénéficier d’une fiscalité diminuée s’agissant des droits de succession ou encore d’être reconnu comme ayant droit de son partenaire en matière de couverture sociale ». Stéphane Valeri n’a, lui aussi, pas caché sa satisfaction de voir ce projet de loi faire « avancer notre pays encore plus sur la voie de la modernité » en offrant aux couples hétérosexuels et homosexuels la possibilité de « bénéficier de la reconnaissance de leur situation, à laquelle ils peuvent légitiment aspirer ».

La principauté enfin en conformité avec l’Union européenne

Le président du Conseil national a également souligné tout l’intérêt d’un tel vote pour l’image de la principauté : « C’est aussi une excellente nouvelle pour l’image internationale de Monaco, État moderne et toujours respectueux de ses institutions et de ses valeurs ». Alors que les négociations avec l’Union européenne (UE) sont en cours, il était en effet important pour l’État monégasque d’être en conformité avec les droits européens, comme l’a rappelé Nathalie Amoratti-Blanc dans son intervention : « Le droit à la jouissance et au respect de la vie familiale est consacré et garanti tant par la Constitution monégasque que par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ratifiée en décembre 2005 par la principauté ». « La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) reconnaît de longue date que la notion de famille ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage, mais peut englober d’autres liens « familiaux » de fait, comme ceux qui unissent un homme et une femme vivant en union libre », a insisté l’élue Primo !.  De son côté, le rapporteur Pierre Van Klaveren a aussi expliqué la nécessité pour la principauté de se montrer « respectueuse de ses engagements internationales », notamment vis-à-vis de la CEDH, qui, par l’arrêt Oliari et autres c/Italie du 21 juillet 2015, reconnaît l’obligation des États « d’offrir un cadre juridique permettant d’encadrer les relations patrimoniales des couples de même sexe ». Avec le vote du contrat de vie commune mercredi 4 décembre 2019, c’est donc désormais chose faite, et les élus nationaux peuvent s’en féliciter.

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