mercredi 24 avril 2024
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Pourquoi la majorité HM a explosé

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Le vote du budget rectificatif 2015 a scellé l’explosion de la majorité Horizon Monaco. Une recomposition du paysage politique monégasque est probable.

 

Forcément, de l’extérieur, on n’y comprend plus grand-chose. En séance publique le 1er octobre, le président de la commission des Finances du Conseil national, l’élu de la majorité Horizon Monaco (HM), Marc Burini, a produit un rapport extrêmement critique vis-à-vis du gouvernement. Et il a logiquement appelé à ne pas voter pour le budget rectificatif 2015. Mais le 7 octobre, c’est le malaise. Alors que le rapport de Burini a été approuvé par 15 élus de la majorité sur 20, seulement 7 élus HM s’abstiennent. Un seul a voté contre : Jacques Rit. Pendant que 12 autres élus de la majorité votent pour ce budget. Parmi les abstentionnistes, plusieurs poids lourds de la majorité : le vice-président du Conseil national, Christophe Steiner, mais aussi Marc Burini, Thierry Poyet ou encore Jean-Charles Allavena. Le ministre d’Etat, Michel Roger, peut être satisfait : le budget rectificatif 2015 a été voté. Trois séances publiques finalement sans conséquences pour le gouvernement, alors que le rapport de Marc Burini laissait largement penser le contraire. En cause, un manque d’informations de la part du gouvernement dénoncé par cet élu et un fort mécontentement sur de gros dossiers, comme l’extension en mer ou un projet d’école à la Condamine. Bref, les élus de la majorité avaient donc décidé de critiquer le gouvernement sur sa méthode de communication et sur sa politique, pas sur un budget au beau fixe.

 

« Désaffectation »

Les politiques interrogés par Monaco Hebdo nous l’ont confirmé : on est passé d’un vote contre à un vote positif essentiellement grâce à deux promesses de Michel Roger. La première concerne le futur chantier de l’extension en mer. Un chantier à 2 milliards d’euros qui suppose le vote par le Conseil national d’une loi de désaffectation. Lors d’une commission plénière d’étude, le 21 juillet, soit 9 jours avant la signature de ce contrat, les élus ont « appris que le projet qui nous était présenté et objet du contrat était finalisé à 99 %. Et que le vote de la loi de désaffectation par notre assemblée figurait au titre de condition suspensive, sa date d’échéance étant fixée au 30 juin 2016 ». Forcément, Marc Burini et ses collègues n’ont pas apprécié la méthode : « Notre assemblée doit-elle se résoudre à n’être qu’une condition résolutoire ? Nous étions donc mis une fois de plus devant le fait accompli en apprenant qu’un contrat fixait l’ordre du jour de notre assemblée ». Pas question de passer en force sur ce dossier sensible. Du coup, le ministre d’Etat a décidé de calmer le jeu pour contenter les élus. Tout d’abord en soulignant que « le contrat qui a été conclu ne ferme pas la porte à certaines évolutions futures ». Et ensuite en précisant qu’« aucune disposition du contrat ne fixe l’ordre du jour de l’assemblée dans la mesure où le 30 juillet 2016 n’est qu’une date d’échéance du contrat signé, ce n’est pas un couperet. J’y ai veillé personnellement ». Donc, un contrat évolutif, avec des clauses évolutives…

Deuxième promesse décisive dans le vote de ce budget rectificatif 2015 : la construction d’une école dans l’immeuble le Stella, à la Condamine. Montant de la facture : 55,5 millions d’euros. Un projet de chantier dont les élus ont été avertis le 8 septembre dernier. Trop tard selon les élus, alors que le coût de ce projet est élevé. Sur le fond, pas de problème. Tout le monde reconnait l’intérêt de créer une école dans ce quartier. Mais là encore, c’est la « méthode Roger », dénoncée par certains élus, qui interpelle. Entre manque d’informations préalables et passage en force, le ras-le-bol était largement perceptible dans l’hémicycle. Là encore, le ministre d’Etat, Michel Roger, a su manœuvrer efficacement. En expliquant qu’à l’occasion d’une commission plénière d’études le 16 juillet, il avait expliqué que les 55,5 millions d’euros de ce chantier étaient pour les rachats de biens immobiliers au fonds de réserve constitutionnel (FRC). Pour le ministre, il ne s’agit donc pas « d’une nouvelle inscription à proprement parler, mais d’une proposition de transformer les rachats au FRC en un investissement public ». Enfin, lors de la deuxième séance de ce budget, Michel Roger a assuré aux conseillers nationaux dans une intervention écrite et donc préparée en amont être « conscient de la nécessité de perfectionner la communication à votre Assemblée de toutes les informations nécessaires dont il dispose afin de vous permettre de vous déterminer en toute connaissance de cause sur les dossiers qui vous sont soumis et sur les crédits que vous êtes appelés à voter ».

« Abandonnés »

Si le gouvernement sort donc par le haut de ce budget rectificatif 2015, ce n’est pas le cas de la majorité HM. « La majorité a explosé ! », nous dit dans ce numéro l’élu d’opposition Union Monégasque (UM), Jean-François Robillon (voir son interview par ailleurs). Et il n’est pas le seul à le penser. Y compris dans la majorité HM, on reconnait que ce budget laissera des traces et qu’il n’est désormais plus possible de faire comme si de rien n’était. « Certains ont été lâchés », nous dit d’ailleurs l’élu HM, Jean-Charles Allavena, (voir son interview par ailleurs). Une allusion à peine voilée pour évoquer les cas de Marc Burini et Christophe Steiner qui sont restés fidèles à la ligne de départ consistant à ne pas voter pour ce budget rectificatif 2015. Ce qui a fait dire à Bernard Pasquier, autre élu UM, que « le président Nouvion [a sonné] le clairon de la retraite, abandonnant en rase campagne ceux des siens qui avaient donné la charge. Pas de prisonniers ! La fin justifie les moyens… ». Avant d’ajouter, pour décrire les 12 élus qui ont finalement décidé de voter ce budget rectificatif, « une compétition de course à plat ventre dans l’hémicycle ! ». Une « compétition » dans laquelle le grand gagnant pourrait bien être l’opposition dans les mois à venir. « Comme Messieurs Burini, Steiner et Rit doivent se sentir seuls ! Eux que la présidence a désignés pour défendre la ligne dure initiale, doivent avoir, au fond d’eux-mêmes, la sensation d’avoir été lâchés, floués, abandonnés en rase campagne », a ajouté Robillon. En tout cas, on peut aussi remarquer que chez Rassemblement & Enjeux (R&E), les poids lourds se sont abstenus. Assez révélateur du climat qui règne chez HM, la position de Jacques Rit a été très remarquée. Membre de la majorité HM le mieux élu en 2013 avec 2514 voix, devant Christophe Steiner, il a carrément voté contre ce budget rectificatif, en se disant « attaché » à ce que le rapport de Marc Burini conserve son « providentiel pouvoir catalytique ». Tout sauf anodin. « Je ne peux partager l’enthousiasme de certains de mes collègues en particulier sur l’extension en mer. Je ne vois pas ce que nous avons obtenu, à part nous rappeler les fondamentaux de nos prérogatives appliquées à ce projet de loi, a estimé pour sa part l’élue HM, Nathalie Amoratti-Blanc. Personnellement, je ne peux virer à 180°, je m’arrêterai à l’angle droit, […] je m’abstiendrai ». Et elle n’a pas été la seule. « Je comprends bien sûr ceux qui sont plus confortables de pouvoir enfin voter pour, en se réjouissant de quelques avancées non négligeables c’est vrai, mais si loin d’équilibrer l’intensité inouïe de certaines positions initiales », a lancé Thierry Poyet, avant de rester fidèle à son intention de départ et de s’abstenir.

 

« Ecarts »

Une certitude, aujourd’hui, les groupes politiques qui composent la majorité HM ne sont plus sur la même longueur d’onde. « Au bout de deux ans et demi, je ne vois plus comment on pourrait améliorer le fonctionnement de la majorité HM », indique Jean-Charles Allavena. Il suffit d’observer le vote des quatre élus de l’Union pour la Principauté (UP), l’une des quatre composantes de HM, avec Rassemblement & Enjeux (R&E), Synergie Monégasque (SM) et les indépendants. Alors que Jean-Michel Cucchi (HM/UP), Sophie Lavagna (HM/UP) et Christophe Robino (HM/UP) ont voté pour ce budget rectificatif, Thierry Crovetto s’est abstenu. Rapports institutionnels gouvernement-Conseil national, logement, école intégrée dans le projet Stella, restructuration du stade Louis II, proposition de loi sur les multi family offices, extension en mer… Autant de sujets sur lesquels Crovetto n’a pas été convaincu et qui l’ont poussé à s’abstenir. Interrogé par Monaco Hebdo, le président de l’UP, Patrick Rinaldi a jeté un regard global sur le vote des élus de la majorité : « Vu le rapport de la commission des Finances, c’est un résultat surprenant après des semaines de pédagogie en faveur d’un vote “contre”. Ce qui marque bien certains écarts entre les uns et les autres ». Tout en précisant que le vote de Cucchi, Lavagna et Robino n’est « pas de même nature » que les autres votes positifs exprimés par la majorité HM. Une précision extrêmement importante. Car elle permet de faire une lecture plus précise de ce que pourrait devenir le paysage politique monégasque. Avec d’un côté 10 abstentions et un vote contre, auxquels il faut ajouter la voix de Jean-Louis Grinda, retenu en Corée du Sud pour des raisons professionnelles, on arrive à 12 voix sur 24. Mais en ajoutant les trois voix de l’UP, dont le vote « n’est pas de même nature » que ceux du reste de la majorité, le rapport de force pourrait changer. Les discussions entre groupes politiques vont démarrer. Elles seront déterminantes pour la recomposition d’un paysage politique monégasque.

 

Budget rectificatif 2015 : qui a voté quoi ?

Pour (12 voix) : Christian Barilaro (HM/R&E), Claude Boisson (HM/SM), Béatrice Fresko-Rolfo (HM/R&E), Sophie Lavagna (HM/UP), Daniel Boéri (HM/IND), Caroline Rougaignon-Vernin (HM/R&E), Jean-Michel Cucchi (HM/UP), Christophe Robino (HM/UP), Alain Ficini (HM/R&E), Philippe Clérissi (HM/IND), Pierre Svara (HM/IND), Laurent Nouvion (HM/R&E)

Contre (1 voix) : Jacques Rit (HM/IND).

Abstention (10 voix) : Christophe Steiner (HM/R&E),

Marc Burini (HM/R & E), Thierry Poyet (HM/R & E), Thierry Crovetto (HM/UP), Jean-Charles Allavena (HM/R&E), Valérie Rossi (HM/R&E), Nathalie Amoratti-Blanc (HM/IND) Jean-François Robillon (UM/UDM), Eric Elena (REN), Bernard Pasquier (UM/IND).

Absent lors des séances, Jean-Louis Grinda (UM/IND) n’a pas pris part au vote.

HM : Horizon Monaco, UM : Union Monégasque, REN : Renaissance, SM : Synergie Monégasque, R&E : Rassemblement & Enjeux, UDM : Union Des Monégasques, IND : Indépendant.