jeudi 18 avril 2024
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Christophe Robino : « Je ferai tout pour maintenir le dialogue et la cohésion sociale »

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Pouvoir d’achat, inflation, difficultés de recrutement, retraites, sobriété énergétique… Les sujets de discussion, et de désaccord, entre le gouvernement et les partenaires sociaux ne manquent pas en principauté. Nommé conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé en avril 2022, Christophe Robino fait le point pour Monaco Hebdo sur les dossiers chauds d’une rentrée sociale où l’inquiétude prédomine.

Vous avez pris vos fonctions en avril 2022 : comment se déroulent vos débuts en tant que conseiller aux affaires sociales et à la santé ?

J’ai reçu un très bon accueil au département. J’y ai trouvé une équipe motivée et compétente. Le département est composé de directions importantes à la fois par leurs tailles, et surtout leurs missions. Je suis allé les rencontrer une par une. De nombreux dossiers sont en cours, tant sur le plan législatif que sur le plan politique. L’actualité sociale était déjà agitée, notamment au mois de mai, à l’occasion des Grands Prix, du fait des difficultés rencontrées dans les secteurs de l’hôtellerie, café et restauration. Comme partout ailleurs, ces secteurs ont souffert, et souffrent encore, du manque de salariés après la relance des activités économiques et la reprise des activités touristiques. Il a fallu très vite faire un état des lieux, reprendre les échanges avec les partenaires sociaux, les écouter et les accompagner. Et bien sûr, il a fallu continuer à gérer les mesures sanitaires compte tenu de la survenue de la 7a vague liée au variant Omicron.

Et sur le plan institutionnel ?

Sur le plan des rapports institutionnels, je garde de très bonnes relations avec le Conseil national et je compte bien entretenir ces bonnes relations pour faire avancer les dossiers que nous avons en commun, notamment dans le domaine social, comme l’aboutissement du dossier de la caisse monégasque de retraite complémentaire. Je suis extrêmement motivé. Il y a beaucoup à faire, et les mois à venir seront certainement très prenants, mais c’est en toute connaissance de cause que j’ai accepté cette mission. Et je ferai tout ce qu’il faudra pour maintenir le dialogue et la cohésion sociale.

« Afin de rendre encore plus attractif l’emploi en principauté, un groupe de travail transfrontalier mène actuellement une réflexion pour faciliter la création de logements à proximité de Monaco pour nos salariés »

D’une manière générale, comment jugez-vous le climat social pour cette rentrée 2022 ?

C’est évidemment un sujet d’attention. Le contexte économique international, la réapparition d’une inflation importante, les questions du transport, du stationnement et du logement des salariés sont autant de sujets sources de préoccupation pour les salariés. Le gouvernement est attentif, et avec le ministre d’État, mes collègues conseillers de gouvernement-ministres, ainsi qu’avec le délégué interministériel à l’attractivité et à la transition numérique [Frédéric Genta — NDLR], nous essayons de trouver des solutions pour répondre à ces attentes, et renforcer l’attractivité de la principauté.

Quels sont les principaux sujets d’inquiétude ?

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a évidemment des conséquences à Monaco, comme partout en Europe, que ce soit en termes de tensions potentielles sur la disponibilité des énergies, des matériaux de construction et des matières premières. Et, bien sûr, en termes d’inflation et de pouvoir d’achat. Ces éléments pèsent sur le climat social, déjà éprouvé par la crise sanitaire, et rendent d’autant plus nécessaire la poursuite des discussions engagées avec les partenaires sociaux.

« Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a évidemment des conséquences à Monaco, comme partout en Europe, que ce soit en termes de tensions potentielles sur la disponibilité des énergies, des matériaux de construction et des matières premières. Et, bien sûr, en termes d’inflation et de pouvoir d’achat »

Les pays voisins ont annoncé une série de mesures pour doper le pouvoir d’achat des foyers les plus modestes : la principauté doit-elle s’en inspirer ?

Dans le cadre de la loi promulguée le 16 août 2022 portant mesures d’urgences pour la protection du pouvoir d’achat, la France a pris des mesures visant à rattraper et à compenser les effets de l’inflation sur le niveau de vie et à renforcer la souveraineté énergétique. Différentes pistes ont été examinées et nous suivons avec intérêt les dispositions adoptées en France et en Europe. À titre d’exemple, nous avons déjà réajusté les prestations sociales versées par nos régimes de sécurité sociale (caisse de compensation des services sociaux (CCSS), service des prestations médicales de l’État (SPME)) et les services sociaux, de même que le point d’indice des fonctionnaires de l’État et de la commune, des agents et des praticiens hospitaliers. Les différentes aides et allocations sociales sont régulièrement augmentées au regard de l’évolution de l’inflation. Et nous étudions la possibilité de déconjugalisation de l’aide aux adultes handicapés.

D’autres pistes existent ?

Il faut aussi rappeler le soutien financier apporté par l’État, dans le cadre du plan de relance Covid, au dispositif Carlo qui offre à ses utilisateurs 5 % de “cash back” pour les achats qu’ils auront effectués chez les commerçants de Monaco, partenaires du dispositif. Cette aide neutralise une partie de l’inflation.

Le gouvernement a revalorisé les rémunérations des fonctionnaires de l’État et de la commune, ainsi que des personnels de l’hôpital public : en espérez-vous autant du secteur privé ?

Concernant les salariés du secteur privé, les possibilités d’intervention du gouvernement sont plus limitées, puisqu’il appartient aux employeurs, en fonction de leurs secteurs d’activités, d’engager des discussions avec les partenaires sociaux. Il convient néanmoins de rappeler que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) a été réévalué, en mai 2022 et en août 2022, en fonction de l’inflation et que, sur cette base, doivent être ajoutés les « 5 % monégasques ». En août 2022, le gouvernement a aussi donné la possibilité aux employeurs des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, de verser à leurs salariés une prime exceptionnelle exonérée de cotisations sociales. Ceci pour soutenir ces secteurs particulièrement éprouvés. Par ailleurs, nous continuons à accompagner les discussions entre les partenaires sociaux, signataires de la convention collective hôtelière de Monaco, afin d’adopter un avenant fixant les salaires minimums conventionnels et ainsi soutenir les plus petits revenus de ce secteur d’activité. Une telle mesure est indispensable à l’attractivité de Monaco.

Le Conseil national estime que ces revalorisations ne sont pas encore suffisantes face à l’inflation actuelle : l’État peut-il aller encore plus loin et envisager de nouvelles revalorisations ?

Encore une fois cette question ne relève pas de la seule compétence du département des affaires sociales et de la santé. Ce que je peux vous dire, c’est que nous suivons de près l’évolution de l’inflation et que nous prendrons les mesures nécessaires pour accompagner au mieux les fonctionnaires, les agents de l’État et de la commune ainsi que les personnels hospitaliers.

Faut-il subventionner une partie du coût des transports pour les salariés de la principauté ?

Le gouvernement participe activement et financièrement au développement des transports en commun, que ce soit par voie routière, par bus, ou par voie ferroviaire, au travers de la modernisation du service TER et de l’augmentation du nombre de rames, notamment sur les horaires tardifs. Des réflexions sont en cours, en lien avec le délégué en charge de l’attractivité et le département de l’équipement, de l’environnement et de l’urbanisme pour renforcer et faciliter les possibilités de déplacement en principauté : covoiturage, Klaxit, utilisation des véhicules électriques, autopartage via les services MobeeCity et MobeeLity/MobeeLity+. Il faut ajouter que de nombreux employeurs octroient à leurs salariés des primes de transport.

« Concernant le secteur de la santé, le vote du budget rectificatif 2022 devrait voir l’adoption des mesures du Ségur monégasque, qui incluent non seulement les soignants, mais également les non-soignants, et allant ainsi plus loin que les mesures françaises »

Certains syndicats ont appelé à augmenter les salaires, pour faire face à la hausse des prix : l’USM réclame notamment un salaire minimum interprofessionnel monégasque (SMIM) à 2 250 euros : êtes-vous favorable à une telle mesure ?

Il s’agit là d’une revendication récurrente de la part des représentants de l’USM, revendication également portée en France par la CGT et FO qui, cet été, militaient pour une augmentation du SMIC à 15 euros brut de l’heure, soit 2 000 euros, sur la base de 32 heures. C’est un sujet qui nécessite avant tout un dialogue entre partenaires sociaux, et qui pourrait se tenir dans le cadre du Conseil économique et social de Monaco (CESE). Il faut tenir compte des préoccupations des représentants des employeurs et il conviendra également d’évaluer les conséquences budgétaires sur les différentes allocations et aides publiques assises sur l’évolution du SMIC.

« Le gouvernement n’envisage pas, pour le moment, de réintégration anticipée [des personnels non vaccinés – NDLR], afin de protéger les établissements de santé de la principauté, comme c’est d’ailleurs le cas dans le pays voisin »

Comment rester attractif sur le marché de l’emploi, alors que le salaire n’est plus un élément suffisant pour convaincre, et qu’en France une étude de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail montre que 43 % des salariés envisagent de quitter leur emploi dans les deux ans pour un travail qui a plus de sens, avec un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?

Le département des affaires sociales et de la santé, et plus largement le gouvernement, entendent bien poursuivre la politique en faveur de l’amélioration de la qualité de vie au travail en facilitant les déplacements vers et depuis Monaco, en soutenant le développement du télétravail, en augmentant la capacité d’accueil en crèche, et, à terme, en encourageant les formations. Afin de rendre encore plus attractif l’emploi en principauté, un groupe de travail transfrontalier mène actuellement une réflexion pour faciliter la création de logements à proximité de Monaco pour nos salariés. Afin de répondre au mieux aux besoins des employeurs, la direction du travail et le service de l’emploi maintiendront les rencontres trimestrielles avec les représentants des syndicats patronaux/fédérations patronales lors des commissions de retour à l’emploi à l’occasion desquelles sont présentés de façon détaillée les profils des candidats ainsi que les besoins spécifiques des employeurs en matière de gestion des ressources humaines : besoins en recrutement, formation…

Quoi d’autre ?

Le service de l’emploi va également continuer de promouvoir le dispositif de l’alternance, particulièrement efficace en termes d’insertion professionnelle et pour lequel l’intérêt est croissant (+ 43 % de contrats signés entre 2020 et 2021). Un « portail employeur » et un « portail employé » vont être lancés en lien avec le service de l’emploi, pour pourvoir plus facilement les offres et répondre à la problématique de pénurie de main d’œuvre en principauté. De son côté, la commission d’insertion des diplômés (CID) poursuivra ses actions tendant à favoriser l’intégration dans le tissu économique des diplômés monégasques, ou ayant des attaches avec la principauté, grâce à un coaching bienveillant et individualisé de ces derniers. Le réseau d’entreprises partenaires de la CID continuera à se développer, grâce à la participation à des manifestations organisées par le Monaco Economic Board (MEB), la Jeune Chambre Économique de Monaco (JCI), le Business Network International Monaco (BNI), l’International University of Monaco (IUM), ou le salon Monaco Business.

Christophe Robino
« Mon objectif est, bien sûr, de travailler à toujours améliorer notre modèle économique et social. Et cela ne peut se faire que dans la concertation. » Christophe Robino. Conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé. © Photo Conseil National

Certains secteurs d’activité, notamment l’hôtellerie-restauration et l’hôpital peinent aujourd’hui à recruter du personnel : quelles sont les pistes envisagées par le gouvernement pour les aider à faire face à ces difficultés ?

De nombreuses réunions ont eu lieu, et se poursuivront, avec les partenaires sociaux de ces secteurs, notamment comme évoqué plus haut pour, d’une part, rendre les conditions de travail plus attractives et, d’autre part, amender la convention collective hôtelière de Monaco afin d’adopter des grilles réactualisées fixant les salaires minimums conventionnels. Ces travaux se poursuivront par la rédaction d’une charte visant à améliorer les conditions de travail de cet important secteur d’activité. Concernant le secteur de la santé, le vote du budget rectificatif 2022 devrait voir l’adoption des mesures du Ségur monégasque, qui incluent non seulement les soignants, mais également les non-soignants, et allant ainsi plus loin que les mesures françaises. De nombreuses mesures sont également mises en place par la direction du centre hospitalier princesse Grace (CHPG) pour améliorer le quotidien des employés, et ainsi maintenir l’attractivité des carrières hospitalières monégasques.

« Les chiffres communiqués par la direction du travail font état au 31 juillet 2022, de 668 demandeurs d’emploi prioritaires, inscrits au service de l’emploi. Soit une diminution globale de 22 % par rapport à la même période l’an dernier »

À l’hôpital, le personnel non vacciné contre le Covid est toujours écarté : une réintégration de ce personnel est-elle étudiée par le gouvernement ?

La loi 1509, rendant obligatoire la vaccination contre le Covid-19 pour certaines catégories de personnels, et notamment les soignants, est entrée en vigueur le 30 octobre 2021 pour une durée de 18 mois, ou bien jusqu’à ce que les mesures exceptionnelles de lutte contre l’épidémie de Covid-19 relatives à la mise en quarantaine ou à l’isolement des personnes prises par le ministre d’État en février 2020, soient levées. À l’heure actuelle, la situation sanitaire s’est très nettement améliorée, ce qui a permis un allègement substantiel des mesures sanitaires, et a permis une rentrée scolaire dans des conditions quasi normales. Pour autant, nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle vague dès l’automne 2022. Aussi, le gouvernement n’envisage pas, pour le moment, de réintégration anticipée afin de protéger les établissements de santé de la principauté, comme c’est d’ailleurs le cas dans le pays voisin.

Soixante-trois emplois sont menacés par la future délocalisation de l’entreprise WKW : le gouvernement suit-il de près la situation de cette entreprise ?

Dès le mois de mai 2022, les représentants du personnel et la direction de cette entreprise ont été reçus à de multiples reprises par le service de l’inspection du travail, afin de les accompagner dans les négociations. Ceci a abouti à la signature d’un accord le 20 juin 2022, permettant l’octroi de conditions de départ supra-légales au bénéfice des salariés de WKW. Le département des affaires sociales et de la santé a suivi ces négociations au jour le jour, et j’ai moi-même reçu des représentants des salariés de la société accompagnés par une représentante de l’USM.

Des aides étatiques sont-elles envisagées pour les salariés de cette entreprise ?

Les conditions de départ ayant été acceptées par les dirigeants de cette entreprise et les salariés, les démarches visant à reclasser les salariés en principauté ont débuté, par l’intermédiaire de commissions paritaires de l’emploi présidées par un représentant de l’inspection du travail. À ce jour, sur les 63 licenciements annoncés, 48 ont été notifiés. Les 15 autres devraient intervenir d’ici la fin de l’année 2022.

Combien y a-t-il de demandeurs d’emploi à Monaco ?

Les chiffres communiqués par la direction du travail, qui a été très impliquée pendant la période Covid, avec notamment la gestion du chômage total temporaire renforcé (CTTR) et la mise en place du télétravail et du travail à distance pour de nombreux employeurs, font état au 31 juillet 2022, de 668 demandeurs d’emploi prioritaires, inscrits au service de l’emploi, dont 84 demandeurs d’emploi de nationalité monégasque (- 8,7 % par rapport à l’an dernier), 449 résidents monégasques (- 18 %) et 135 habitants des communes limitrophes (- 38 %). Soit une diminution globale de 22 % par rapport à la même période l’an dernier. Nous constatons d’ailleurs, depuis le début de l’année 2022, une baisse de plus de 27 % des personnes inscrites à la recherche d’un emploi. Ce qui démontre le dynamisme du marché du travail en principauté, et la tendance positive qui s’est amorcée dès le deuxième semestre 2021. Une tendance confirmée par les autres indicateurs de l’emploi.

En France, Emmanuel Macron souhaite progressivement décaler l’âge de départ légal à la retraite jusqu’à 65 ans à l’horizon des années 2030 : quelle évolution Monaco pourrait engager à ce sujet ?

Comme vous le savez, l’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans en principauté, et n’a pas été remis en question par la réforme des retraites intervenue en 2012. Il convient également de préciser que la liquidation des pensions peut être anticipée sans abattement avant cet âge, et que les pensions sont susceptibles d’être majorées lorsque la liquidation intervient après le 65ème anniversaire. Au vu des résultats des différents régimes monégasques, il n’est pas envisagé de mesures allant dans ce sens.

Quels sont vos rapports avec les syndicats de la principauté et comment jugez-vous le dialogue social en principauté ?

J’aime à croire que les relations sont bonnes. Je reçois régulièrement les délégués des différentes fédérations d’employeurs et de salariés. Les échanges sont riches en matière et en couleur, toujours intéressants, et me permettent de mieux appréhender les préoccupations, sur le terrain des différents secteurs d’activités. Mon objectif est, bien sûr, de travailler à toujours améliorer notre modèle économique et social. Cela ne peut se faire que dans la concertation, et c’est bien sûr comme cela que je l’envisage.