vendredi 29 mars 2024
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« En politique, il y a les diseurs
et il y a les faiseurs »

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Le vice-président du Conseil national et rapporteur pour la commission de l’économie nationale et des finances, Marc Burini, décrypte pour Monaco Hebdo les grands enjeux du budget primitif 2017 qui devrait être voté mi-décembre.

Le gouvernement présente un budget prévisionnel en excédent de 7,1 millions d’euros : vous êtes satisfait ?

On ne peut que se réjouir de ces chiffres. Les recettes prévisionnelles sont en hausse de 5,9 % par rapport au budget primitif 2016. De nos jours, les pays qui présentent un excédent budgétaire sont rares !

Quelles sont les principales grandes lignes de ce budget prévisionnel 2017 ?

Les recettes sont estimées à 1,210 milliard d’euros. Elles se composent à 76 % des contributions, c’est-à-dire les impôts et taxes au titre desquelles, la TVA à hauteur de 595 millions d’euros, l’impôt sur les bénéfices pour 125 millions d’euros, les droits de mutation pour 120 millions d’euros et les droits de douane pour 33 millions d’euros.

La ventilation du budget de l’Etat est-elle suffisamment diversifiée ?

Je prône comme toujours une diversification des recettes et une politique proactive permettant d’identifier et d’attirer de nouvelles activités à forte valeur ajoutée génératrices de revenus pour l’Etat. Nous pourrions aussi essayer d’optimiser certaines recettes, comme celles des services administratifs par exemple.

Et pourtant, le contexte international est extrêmement incertain ?

Nous dépendons évidemment de l’environnement international. Et Monaco s’est toujours développé en attirant des investisseurs étrangers. S’il est difficile de se préserver des aléas extérieurs, nous ne devons pas oublier que des vents mauvais peuvent se lever à tout moment et affecter nos finances publiques. Ce fut le cas pour les années 2009 à 2011. Ce constat doit donc amener le gouvernement à la fois à maîtriser ses dépenses publiques, optimiser et diversifier ses recettes et enfin à préserver notre épargne : je veux évidemment parler de notre fonds de réserve constitutionnel.

La gestion du fonds de réserve constitutionnel est-il enfin optimal ?

La gestion de notre épargne dispose désormais d’outils informatiques adaptés à son suivi et d’un fonctionnaire dédié à sa gestion depuis cet été. Cette évolution indispensable va dans le sens des préconisations du Conseil national depuis le début de cette mandature. Il me semble qu’aujourd’hui, eu égard aux bons résultats budgétaires, nous pourrions réfléchir avec le gouvernement sur le nombre d’années que la partie liquide du fonds devrait représenter en terme de dépenses ordinaires. Sanctuariser trois ans de dépenses ordinaires me semble le but à atteindre. C’est ce type d’objectif commun, d’avenir, qui favorisera une plus grande discipline budgétaire.

Quelles sont les principales nouveautés induites par les cinq grandes priorités fixées par le gouvernement (1) ?

Les cinq priorités figurant dans le programme gouvernemental d’action 2017 portent sur la création d’une ligne budgétaire pour le fonds « retraite et prévoyance », sur les efforts consacrés en matière de développement durable et d’environnement financés par le fonds vert national, sur la création de la réserve civile de la police monégasque, sur le lancement du concept « smart city » et sur le rayonnement de la Principauté à l’international.

Combien vont coûter la poursuite de ces cinq grandes priorités ?

Le fonds vert créé au budget primitif 2016 est porté de 5 à 21 millions d’euros. Une ligne de 5 millions est créée pour un fonds « retraite et prévoyance » et 3,3 millions d’euros pour « smart city ».

Vous êtes préoccupé par les recettes de TVA immobilière ?

Pas préoccupé. Mais je le répète, nous ne devons pas trop dépendre de ce secteur pour optimiser nos recettes. Et en ce domaine, la diversification de notre économie reste pour moi une priorité.

Pour financer la retraite des fonctionnaires, la création et le fonctionnement du fonds « retraites et prévoyance », c’est une bonne idée ?

Tout d’abord ce sont deux sujets totalement différents. La retraite ne concerne que le financement des retraites de la fonction publique et la dépendance concerne l’ensemble de la population résidente. Personnellement, si je pense qu’une large réflexion doit s’ouvrir sur ces sujets, en revanche, cette inscription budgétaire n’était pas nécessaire. Sauf à ouvrir deux lignes pour étude dont le montant aurait été bien plus modeste. A ce stade, je ne connais ni la forme juridique de ce « fonds », ni ses caractéristiques, son mode de gestion ou son but in fine. Nous avons demandé au gouvernement qu’une séance de travail soit consacrée à ce thème dès le début de l’année 2017.

Le fonds vert a été porté de 5 à 21 millions d’euros : concrètement, à quoi va servir ce fonds ?

Les objectifs sont très ambitieux. Suite à la COP21, je vous rappelle que Monaco s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % à horizon 2030, et de 50 % à horizon 2050. Je souhaiterais, là encore, appeler à une rationalisation des moyens et à une vision chiffrée à long terme des moyens qui nous permettront d’atteindre nos engagements internationaux.

Au chapitre sécurité, à quoi va réellement servir la réserve civile de la police monégasque qui sera créée en 2017 ?

Cette réserve civile composée de vacataires, retraités de la sureté publique, aura des missions administratives ou de terrains : écoles, manifestations publiques… Au-delà, je crois qu’afin de maintenir, voire d’améliorer, notre haut niveau de sécurité, une étude circonstanciée devrait définir les besoins en moyens et en hommes pour les 15 à 20 prochaines années. Sur ce point, gouvernement et Conseil national, partagent ce même souci d’excellence.

Monaco veut devenir une « smart city » : quelles mesures concrètes seront financées dès l’année prochaine ?

Le but est d’améliorer la mobilité, la qualité des services de la ville en utilisant les nouvelles technologies d’information. Pour ce faire, un entrepôt de données sera développé dès 2017, une rénovation du mobilier urbain, le développement du site « infochantier »… Là encore, au-delà des programmes sur trois ans, il faut une vision stratégique et un plan d’actions global à long terme mené de façon concertée avec la modernisation des services publics destinés aux usagers.

Pour le rayonnement de la Principauté à l’international, la mise en place d’un pôle média par le gouvernement pourrait passer par le rachat de Radio Monaco : vous êtes pour ?

Tout d’abord, à la grande satisfaction de la plupart des élus, le gouvernement a décidé de revoir sa politique de communication institutionnelle. Une réflexion est menée afin de créer deux entités distinctes : communication gouvernementale et information. Si le rachat de cette radio privée n’a pas été évoqué lors de nos échanges, une rencontre avec le gouvernement consacrée au pôle communication/information est prévue en début d’année prochaine. Les élus resteront vigilants tant sur les coûts induits par cette nouvelle approche que sur le périmètre de ses missions.

Comment se portent les monopoles exploités par l’Etat ?

La redevance de Monaco Telecom et de la Société Monégasque de l’Électricité et du gaz (SMEG) sont en progression, respectivement de 3,8 et 3,3 %. En revanche, en l’absence d’un véritable business plan de relance concernant l’activité des jeux de la Société des Bains de Mer (SBM), je reste très prudent sur la prévision de cette redevance qui s’élève à 33,8 millions d’euros en hausse de 4,8 %.

Les prévisions pour la Société des bains de mer (SBM) semblent inquiétantes ?

Si j’ai bien compris que cette entreprise développait son secteur immobilier, je n’ai toujours pas compris la stratégie — si elle existe — pour relancer les autres activités au premier rang desquelles, les jeux. Et si le bouclage financier permettant la réalisation de ses ambitieux projets d’investissements était assuré. Comme je l’ai déjà exprimé, quand on fait une restructuration ce sont tous les secteurs qui doivent être redressés, au risque d’aboutir à un jeu à somme nulle.

L’Etat joue suffisamment son rôle d’actionnaire majoritaire auprès de la SBM ?

Quant au rôle de l’actionnaire majoritaire, j’ai plutôt le sentiment aujourd’hui que l’Etat est un sleeping partner…

Comment améliorer la gestion des dépenses pour l’administration ?

Vaste sujet qui me tient à cœur… Je suis persuadé qu’il est temps d’avoir une vision et une visibilité concernant nos dépenses de fonctionnement et d’intervention qui augmentent de façon inquiétante : leur montant atteint aujourd’hui le montant total des dépenses du budget rectificatif 2009 ! Je suis persuadé que nous devons cibler et rationaliser nos objectifs afin d’endiguer la croissance exponentielle de ces dépenses. Nous devrons faire des choix car on ne peut pas tout faire sur tous les fronts. Nous ne devons pas dépenser tout ce que nous gagnons !

Pourquoi avoir versé une subvention de 6 millions d’euros au centre hospitalier Princesse Grace (CHPG) ?

Il s’agit d’une subvention d’équilibre accordée pour combler les pertes de notre service public hospitalier. Cette subvention a augmenté notamment suite à une hausse des frais de personnel et une baisse de l’activité, due notamment aux travaux entrepris pour le nouvel hôpital.

Quelles conséquences aura la mise en application de la nouvelle tarification, la T2A ?

Le passage à la T2A – la tarification à l’activité – induira une adaptation et des solutions permettant de réduire les durées de séjour des patients, le dimensionnement des services, la recherche de nouvelles ressources. S’agissant de la santé et d’un hôpital public, la logique ne saurait être purement financière. Le passage à la nouvelle tarification ne pourra pas se faire au détriment de l’offre de soins de grande qualité que notre pays doit pourvoir.

L’Etat a décidé de miser sur des partenariats avec l’AS Monaco et l’ASM Basket pour doper son image : c’est aussi accepter le risque d’être associé à l’aléa sportif et donc, à d’éventuels mauvais résultats ?

Vous posez là le problème de la pérennité des investisseurs, laquelle est, me semble-t-il, liée au niveau de nos résultats. J’avoue ne pas savoir si des engagements ont été pris avec le gouvernement concernant la longévité de leur implication financière.

Les dépenses d’équipement et d’investissement représentent 33 % de ce budget : c’est conforme à vos attentes ?

Il ne faut pas être dogmatique sur un pourcentage de dépenses. Si le budget était de 3 milliards, rien ne me dit qu’il faudrait investir chaque année un milliard en dépenses d’équipements publics. Je crois que le plus important est de connaître nos besoins en investissements, que le budget reflète de façon sincère ces dépenses et surtout, qu’elles soient maîtrisées. Il faut dépenser selon ses besoins. Et non en fonction de pseudo-certitudes ne reposant sur aucun fondement économique.

Les travaux d’équipement pour le plan triennal 2017/2018/2019 pèsent 4,1 milliards d’euros : comment engager avec certitude une telle somme ?

Vous avez raison, voter le budget primitif c’est également voter ce plan triennal et des crédits d’engagement à hauteur de plus de 4 milliards d’euros. Je crois qu’il est temps d’avoir une nouvelle approche dans la gestion de ces investissements.

C’est pour ça vous avez réclamé un changement de méthode dans la gestion des dépenses d’équipement ?

J’ai proposé tout d’abord que nous puissions faire deux commissions par an consacrées aux grands travaux. Ensuite, qu’un phasage des travaux soit effectué et mis à jour périodiquement. Enfin, que ce phasage soit accompagné d’un phasage financier. L’idéal pour moi serait que nous puissions faire en face de ce prévisionnel de dépenses, un prévisionnel de recettes à moyen/long terme. Je crois que nous devons nous inscrire au-delà du programme triennal d’équipement public. Je suis convaincu qu’un jour nous devrons nécessairement effectuer des arbitrages dans l’affectation de nos dépenses publiques.

Où en est le projet informatique Optimo, supposé optimiser la gestion du parc domanial de l’Etat ?

Malheureusement, ce programme attendu et nécessaire a pris près de deux ans de retard. Je crois qu’il faut créer une aide à la mobilité pour les personnes dont l’appartement ne correspond plus à leurs besoins. Mais pour ces locataires bénéficiant souvent de loyers très bas avec des baux de 30 à 40 ans, un déménagement venant grever de façon substantielle leur pouvoir d’achat n’est pas envisageable, alors même qu’elles pourraient le souhaiter.

Que faire alors pour encourager la mobilité au sein du parc domanial ?

Une aide pourrait leur être accordée afin de couvrir le différentiel de loyer. Dans le même temps, le nouveau locataire aurait un nouveau bail plus conforme au prix des loyers domaniaux actuels. Je crois que cette piste mériterait d’être creusée.

Le président de la commission du logement, Jean-Michel Cucchi, a estimé dans Monaco Hebdo n° 994 que la pénurie était toujours d’actualité pour les appartements réservés aux Monégasques ?

Sur les trois opérations promises au budget primitif 2016, une opération manquait. Cette opération, nous l’avons obtenue. Elle sera, je l’espère, annoncée au cours de nos débats. Je crois beaucoup au futur de ces opérations de plus petite taille, plus rapides à réaliser, favorisant la mixité sociale et à même de redynamiser certains quartiers. Ici encore, je suis persuadé qu’il est indispensable de mener une politique prospective sur les 20 prochaines années portant sur le remembrement des quartiers anciens. Nous devons mener une étude urbanistique globale à l’échelle du pays.

56 millions d’euros pour l’Unité de Valorisation Energétique des déchets (UVET), c’est légitime pour ce projet de nouvelle usine d’incinération ?

Je n’ai pas encore arrêté mon opinion sur cette question. Même si la dernière réunion gouvernementale laissait entendre que la solution consistait à maintenir l’usine en Principauté, il me semble que le ministre d’Etat reste encore ouvert au dialogue. J’aimerais connaître la durée de vie de l’usine actuelle, afin de savoir quelle est l’urgence pour nous prononcer.

Le maintien du pouvoir d’achat des fonctionnaires est encore un sujet ?

Bien sûr. A ce titre, nous avons demandé à ce que la prime de fin d’année soit reconduite. Nous allons suivre de très près l’inflation sur le premier semestre 2017 afin de demander au gouvernement d’appliquer, le cas échéant, une majoration du point d’indice dès le budget rectificatif. Enfin, j’espère que le gouvernement nous annoncera, comme demandé, de sanctuariser le 13ème mois, en l’officialisant.

La pétition de l’USM pour le maintien des retraités actuels et futurs dans le giron des caisses sociales de Monaco a déjà recueilli plus de 8000 signatures : quel est votre position sur ce dossier ?

Il me semble que les coûts de cette revendication pèseraient lourdement sur les charges patronales. En tout état de cause, l’impossibilité pour les retraités pensionnaires de la Caisse Autonome de Retraite (CAR) de rester affiliés à la Caisse de Compensation des Services Sociaux (CCSS) dépend de la convention franco-monégasque de sécurité sociale du 28 février 1952.

Que prévoit cette convention franco-monégasque ?

Cette dernière prévoit la compétence de l’institution du lieu de résidence pour les prestations en nature dues au titre de la maladie, les retraités qui résident en France relèvent donc de la législation française. Comme vous le savez, le Conseil national n’est pas constitutionnellement compétent pour se prononcer sur la modification des conventions internationales en vigueur. Cette prérogative relève exclusivement du Prince et du gouvernement.

Dans une interview accordée à Monaco Hebdo(2), Laurent Nouvion estime que les 11 textes votés récemment sont à mettre au crédit de son équipe qui aurait bouclé l’essentiel du travail en amont ?

Oui, il dit effectivement toujours beaucoup de choses. Le problème est que l’essentiel n’était jamais bouclé… Vous savez en politique il y a les diseurs et il y a les faiseurs. Il faut rester humble, mais je pense que si au cours des 8 derniers mois nous sommes parvenus à voter des textes importants pour Monaco : télétravail, sécurité nationale, art dentaire, urbanisation en mer… Cela ne doit rien au hasard.

Vraiment ?

A partir du moment où des décisions politiques sont prises de façon claire, nous pouvons avancer sur les grands dossiers. Nous sommes au travail pour trouver des solutions pragmatiques, et non pas pour s’enliser dans des blocages stériles. Une fois les décisions prises en concertation, les présidents de commissions peuvent travailler en toute sérénité, car ils ont un cap. Et les équipes du Conseil national sont motivées. Un cercle vertueux peut donc s’enclencher. À ce tire, le projet de loi sur le multi family office est un cas d’école.

Pourquoi ?

Trois commissions ont eu lieu après le 27 avril 2016 : le 10 mai 2016, le 27 septembre 2016 et le 5 octobre 2016. Il est donc difficile de considérer que l’étude et la finalisation du texte ont été permises par l’ancienne présidence. D’autant que le projet de loi différait de manière très substantielle de la proposition de loi et qu’il aura fallu faire preuve de persuasion et de courage politique pour rétablir l’esprit de la proposition initiale. Avec Thierry Crovetto – rapporteur du texte – et Christophe Steiner, c’est grâce au dialogue avec le gouvernement, et particulièrement avec le conseiller-ministre pour l’Economie et les Finances, Jean Castellini, que nous sommes parvenus à un accord. Vous savez, je ne suis l’obligé de personne, sauf des Monégasques que je me dois de représenter dignement dans l’intérêt général. Les vaines polémiques doivent faire place au travail. Une vertu à laquelle j’ai la faiblesse d’être attaché…

(1) Les cinq grandes priorités fixées par le gouvernement sont les retraites, l’environnement, la sécurité des biens et des personnes, le numérique et le rayonnement de la Principauté.
(2) Lire Monaco Hebdo n° 995.