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Nationalité monégasque par mariage : pourquoi le délai passe à 20 ans

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Le 24 novembre 2021, les élus du Conseil national ont voté un texte qui porte de 10 à 20 ans le délai permettant à un conjoint de Monégasque d’obtenir la nationalité. Objectif affiché : contribuer à préserver le modèle social monégasque.

Les conseillers nationaux ont voté, le 24 novembre 2021, le projet de loi n° 1038. Ce texte fait passer de 10 à 20 ans le temps nécessaire avant qu’une ou un Monégasque marié avec un étranger puisse lui transmettre sa nationalité. C’est dans une dimension historique que la rapporteur de ce texte, l’élue Priorité Monaco (Primo !) Brigitte Boccone-Pagès, a présenté la nécessité de cette modification de la loi : « La transmission de la nationalité par mariage avait été présentée lors de mon premier mandat entre 2003 et 2008, sous l’angle de la nécessaire égalité entre les femmes et les hommes en matière de transmission. Ce fut chose faite. Aujourd’hui, nous envoyons un signal à mettre en relief avec d’une part, un plan national logement historique, et, d’autre part, la nécessaire prise de conscience de notre communauté que ce que peut faire l’État monégasque pour ses nationaux n’est pas un puits sans fond. »

« Ce que peut faire l’État Monégasque pour ses nationaux n’est pas un puits sans fond »

Brigitte Boccone-Pagès. Rapporteur de ce texte et vice-présidente Primo ! du Conseil national

« Trop extrême »

Pour asseoir la démonstration que les finances de l’État monégasque ne sont pas « un puits sans fond », quelques chiffres ont été rappelés dans l’hémicycle. De 3 000 Monégasques en 1950, ils étaient 9 571 le 31 décembre 2020, selon les chiffres communiqués par l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee). En 70 ans, la population a donc été multipliée par plus de trois. Et, à ce rythme, il pourrait y avoir 14 700 Monégasques en 2070. Comment assumer 5 100 Monégasques supplémentaires d’ici 50 ans ? À cette question, le rapport de la commission répond que « le modèle social monégasque n’est malheureusement pas extensible ». Jugé « trop extrême », les élus ont assez rapidement écarté le scénario qui conduisait à la suppression de la transmission de la nationalité monégasque par mariage. « Après avoir consulté très largement les associations représentatives des Monégasques, et les représentants des formations politiques existantes en principauté, les élus ont convenu de la nécessité de prolonger la durée de mariage nécessaire pour l’acquisition de la nationalité par mariage. Ainsi, lors de ces consultations, une très grande majorité des entités consultées s’était accordée sur une prolongation de cette durée, le délai de vingt ans étant apparu comme celui faisant consensus, en dépit de propositions suggérant d’aller au-delà », a détaillé Brigitte Boccone-Pagès. Pour justifier cette durée de vingt ans, elle explique que cela correspond à « une génération », et que cela permet « d’assurer l’intégration pleine et entière des conjoints de nationalité étrangère dans la communauté nationale ».

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© Photo Conseil National.

« Futur »

Mais cela n’exclut pas quelques dissensions qui se sont exprimées dans l’hémicycle au moment du vote [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR]. Au total, sur les 21 élus présents, 16 ont voté pour, deux contre (les élus Primo ! Pierre Van Klaveren et Nathalie Amoratti-Blanc) et trois se sont abstenus (l’élu Primo ! Jean-Charles Emmerich, et les deux élus Horizon Monaco (HM) Béatrice Fresko-Rolfo et Jacques Rit). Alors, fallait-il en faire moins, fallait-il ne rien faire, ou fallait-il carrément supprimer la transmission de la nationalité par mariage ? Sur ce dernier scénario, sans concession donc, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a expliqué que « cette option plus radicale avait été écartée lors du vote de la proposition de loi du Conseil national. Cela aurait été une mesure extrême et brutale, conduisant à ne jamais plus permettre l’unité de la nationalité au sein des familles. Ce qui serait contraire à l’intégration souhaitable, à terme, des conjoints dans la communauté nationale. » De son côté, l’élu Primo !, Daniel Boeri, s’est exprimé sur ce texte, en partant de son vote négatif concernant l’extension en mer, fin juin 2016 : « Oui, cette extension [en mer — NDLR] est absolument nécessaire, et je parle au présent. Toutefois, elle laisse les Monégasques sur le bord de la route. Non, j’exagère : un sous-sol pour le Grimaldi Forum, et un mur de promenade pour protéger les nouveaux venus de la vue des Monégasques ! Porter l’acquisition de la nationalité par mariage à 20 ans tient compte, in fine, des conséquences de ce choix d’alors. Il fait apparaître, soudain, comment le manque de vision d’alors peut être préjudiciable aujourd’hui, sociologiquement évidemment. On ne peut revenir en arrière, mais […] ce projet de loi envisage, dès maintenant, le futur ; c’est une très bonne chose, qu’il conviendrait d’étendre à tous les domaines. » Pour convaincre les plus sceptiques [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR], Brigitte Boccone-Pagès a assuré que, si « le financement du modèle social pourrait très certainement être assuré grâce à une bonne gestion de nos finances publiques, le territoire de la principauté ne permet, en revanche, que des extensions limitées. Ainsi, si demain ce territoire s’étendra un peu plus sur la mer, force est de constater qu’il apparaîtra, à l’avenir, de plus en plus difficile d’envisager la construction de nouveaux logements domaniaux pour les Monégasques en principauté, d’autant que l’extension en mer en cours en sera, hélas, dépourvue ». En parallèle, les élus ont souhaité que des mesures « fortes » soient prévues pour les enfants de nationalité monégasque. Ainsi, « tout parent d’un enfant de nationalité monégasque né d’une union avec un ou une Monégasque, ou adopté dans le cadre de cette union », est prioritaire pour l’accès à un emploi privé et public, mais aussi pour l’accès au logement dans le secteur d’habitation protégé.

En 70 ans, la population a donc été multipliée par plus de trois. Et, à ce rythme, il pourrait y avoir 14 700 Monégasques en 2070. Comment assumer 5 100 Monégasques supplémentaires d’ici 50 ans ?

« Rang de priorité »

Dans le projet de loi déposé par le gouvernement, les « étrangers, père ou mère d’un enfant de nationalité monégasque né d’un auteur direct monégasque ou adopté par ce dernier » doivent remplir deux conditions : l’existence d’attaches « sérieuses » avec la principauté et une durée de résidence fixée à 5 ans. La commission de législation du Conseil national a souhaité supprimer cette double condition, car « l’objectif recherché par la modification des dispositions relatives à l’emploi est, avant tout, de protéger les enfants de nationalité monégasque en facilitant la recherche d’emploi de leur parent de nationalité étrangère, permettant à ce dernier de bénéficier plus rapidement d’un salaire pour subvenir aux besoins de son enfant ». Le gouvernement monégasque, qui s’est « félicité » de l’adoption de ce texte de loi, a expliqué avoir accepté cet amendement du Conseil national, le conseiller-ministre pour l’intérieur, Patrice Cellario, précisant que « le rang de priorité ainsi défini sera consacré pour l’accès à un emploi privé ou public, le gouvernement n’ayant, en effet, dans son esprit, jamais entendu réserver un traitement différent pour l’accès à la fonction publique ». Dans son intervention, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, a rappelé que ce projet de loi provient d’une proposition de loi déposée par les élus, et qu’une consultation avait été organisée en amont, avec « les mouvements politiques Horizon Monaco (HM), Union Monégasque (UM) et Priorité Monaco (Primo !), l’amicale des aînés monégasques, l’union des femmes monégasques, le comité national des traditions monégasques, et l’association des jeunes de Monaco ». Avant de lancer : « À ce stade, soyons tous conscients de la chance, des droits et des avantages que confère la nationalité monégasque à celles et ceux qui en bénéficient aujourd’hui : logement domanial à loyer modéré, aide nationale au logement, priorité d’emploi, priorité à l’installation professionnelle, accès réservé pour certaines professions réglementées, bourses d’études très favorables, primes à la naissance, soutien aux plus fragiles d’entre nous… Et cette liste n’est, bien sûr, pas exhaustive. Ce modèle social exceptionnel, nous le savons bien, est envié partout en Europe et dans le monde. Il a été construit par la sagesse de nos princes, toujours soutenus par les élus des Monégasques, lors des mandatures successives du Conseil national. C’est un bien précieux qu’il nous faut préserver pour les générations futures. Il en va de notre responsabilité. »

Selon les calculs présentés par Stéphane Valeri, en 2070 il y aura « près de 1 500 Monégasques de moins » par rapport aux 14 700 nationaux estimés par l’Imsee. © Photo Conseil National.

« Ce modèle social […] a été construit par la sagesse de nos princes, toujours soutenus par les élus des Monégasques, lors des mandatures successives du Conseil national. C’est un bien précieux qu’il nous faut préserver pour les générations futures. Il en va de notre responsabilité »

Stéphane Valeri. Président du Conseil national

1er juillet 2022

On se souvient qu’en 2017, l’élu Jean-Michel Cucchi avait alors posé la question : « Peut-on continuer ainsi, tout en assurant les mêmes droits aux générations futures ? ». À cette première interrogation, Stéphane Valeri en a ajouté une seconde : « Comment loger sur un peu plus de 2 km2 à la fois toujours plus de nationaux et toujours plus de résidents étrangers, indispensables au développement de notre économie et des recettes budgétaires de l’État ? ». Impossible de laisser la situation en l’état, ont estimé les élus. « Qui aurait le courage de dire à ses petits-enfants en 2070, qu’ils ne pourraient plus se loger dans leur propre pays, parce qu’en 2021 nous n’aurions pas pris nos responsabilités ? Ne rien changer n’était pas une posture soutenable dans la durée », a estimé le président du Conseil national, pour qui cette nouvelle période de vingt ans s’explique ainsi : « Vingt ans, c’est, symboliquement, le temps d’une génération, pour s’intégrer pleinement à notre communauté, partager notre identité, notre culture, et notre attachement au prince souverain et à la famille princière. » Selon les calculs présentés par Stéphane Valeri, en 2070 il y aura « près de 1 500 Monégasques de moins » par rapport aux 14 700 nationaux estimés par l’Imsee. « La loi que nous allons voter ne concerne, au fond, que les conjoints étrangers qui vont divorcer après 10 ans de mariage. Les couples unis par l’amour, et qui choisissent d’évoluer durablement dans l’institution du mariage, ne sont pas concernés, puisqu’au bout de 20 ans, le conjoint étranger deviendra toujours monégasque. Entre-temps, les conjoints bénéficient déjà du droit au logement de leur époux ou épouse monégasque. Et, bien sûr, notamment, d’une priorité pour accéder aux emplois publics et privés », a ajouté le président du Conseil national. Afin de prendre en considération l’impact de la pandémie de Covid-19 et les mariages qui ont dû être reportés, le Conseil national a souhaité que ce nouveau texte ne s’applique qu’à partir du 1er juillet 2022. Cette demande a été acceptée par le gouvernement.

Ils ont voté contre

© Photo Conseil National.

Nathalie Amoratti-Blanc (Primo !)

«Si je comprends parfaitement que des avantages administratifs en matière d’emploi, de logement, de droits sociaux puissent faire l’objet de débats limitatifs, ce n’est malheureusement pas un allongement de la durée du mariage à 20 ans pour permettre l’acquisition de la nationalité qui résoudra cette problématique. Selon l’étude de l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee), nous avons 9 500 Monégasques aujourd’hui, et une projection à l’horizon 2070 de 14 700 Monégasques. Ce qui demeure une progression tout ce qu’il y a de plus normal, au regard de chiffres qui sont stables, depuis des dizaines d’années. Le changement de législation, suite à la loi de 2011 concernant l’acquisition de la nationalité après 10 ans de mariage, n’a pas eu, en dépit de ce qui a été annoncé, un effet d’accroissement excessif de la population [à ce sujet, lire notre article Dix ans de mariage et une nationalité, publié dans Monaco Hebdo n° 771 — NDLR]. Ce n’est donc pas cela qui est en cause concernant l’augmentation du nombre de Monégasques prévue en 2070. Il n’y a pas eu, non plus, d’augmentation du nombre de mariages blancs. […] L’Imsee a montré que le taux de divorces augmente après 6 ou 7 ans de mariage. En adoptant cette loi, Monaco ne gagnera que très peu, par rapport à un pied du mur qui sera très vite face à lui. Ou alors, il faut assumer, et aller plus loin, en supprimant purement et simplement l’acquisition de la nationalité monégasque par le mariage. Ce serait la seule solution si on veut réellement diminuer de façon notable le nombre de nationaux. Cette décision me paraît impossible, sur le plan humain. Ou alors, il faut trouver d’autres solutions […], c’est ce qu’il s’est produit lors des dernières décennies, avec une bonne gestion des dépenses publiques, et des projets toujours plus innovants en matière d’extension de notre territoire. »

© Photo Conseil National.

Pierre Van Klaveren (Primo !)

«Je pourrais vous refaire la démonstration arithmétique de l’impact, plus que relatif, du vote de cette loi sur notre modèle social. Mais plutôt que de vous refaire l’histoire, j’encourage celles et ceux que cela pourrait intéresser à relire mon intervention lors du vote de la proposition de loi en décembre 2019. Et surtout de vérifier les chiffres auprès de l’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee) notamment. […] Il m’est totalement inconcevable de conditionner une nationalité à un nombre d’années de mariage. Serons-nous de meilleurs maris ou femmes parce que nous sommes restés mariés 20 ans au lieu de 10 ? Serons-nous plus à même d’être des Monégasques respectueux de notre culture et histoire au bout de 20 ans, plutôt que 10 ans de mariage ? Ou pire, pensez-vous que tous les divorces entre Monégasques et étrangers soient du seul fait des étrangers appâtés par l’obtention de notre nationalité ? Je ne crois pas, non. Et je ne crois pas que l’amour puisse se mesurer en années. Car, qu’on le veuille ou non, en parlant mariage, on parle forcément d’amour. Je suis convaincu que nous aurions dû nous faire confiance quant à notre capacité à continuer à trouver des solutions à nos problématiques. N’est-ce pas ce que nous faisons tous depuis toujours ? […] Je terminerai en vous disant ceci : « Parfois, la meilleure chose à faire avec les compromis, c’est de ne pas en faire ». »

Ils se sont abstenus 

© Photo Conseil National.

Béatrice Fresko-Rolfo (HM)

«Cet allongement à 20 ans, j’y suis favorable. En revanche, ce texte sur lequel nous nous penchons ce soir est pour moi bien trop complexe, et je m’abstiendrai pour deux raisons. La première raison, mineure, car j’aurais pu passer outre, concerne la date d’entrée en vigueur de la loi. Fixer un délai d’application lié à la publication de la loi aurait été, à mon sens, plus logique. Il faut du courage pour voter cette loi, autant aller jusqu’au bout. La seconde est bien plus importante pour moi. Dans ce projet de loi, sont listées les personnes prioritaires pour l’accès à l’emploi et leur rang. Les Monégasques ayant une priorité absolue, viennent ensuite au premier rang, et permettez-moi de simplifier, les conjoints de Monégasques et enfants de Monégasques. Dans un deuxième rang, nous avons les partenaires de vie commune d’un ou d’une Monégasque. Puis, au troisième rang, nous trouvons les pères et mères d’enfant monégasque, vivant, ou ne vivant pas, en principauté, qu’ils contribuent ou non à l’entretien de l’enfant. Plus bas, au quatrième rang, se trouvent les étrangers vivant sur le territoire monégasque, dont font partie les enfants du pays. Si le fait de mettre au troisième rang les pères et mères, qui ne vivent pas sur Monaco, mais qui contribuent effectivement à l’éducation par une aide matérielle est tout à fait fondé, je trouve injustifiable que ceux qui ne participent pas, ou plus, à cet effort matériel, aient un rang de priorité supérieur à des personnes vivant sur le sol monégasque, et qui participent tous les jours à la vie économique du pays. Pour simplifier, avant nos amis les enfants du pays. J’aurais donc souhaité, et je m’en étais ouvert à la commission, qu’une distinction soit faite. »

© Photo Conseil National.

Jacques Rit (HM)

«[À propos des mesures d’accompagnement modifiant les rangs de priorité dans les textes législatifs qui traitent de l’embauche et du licenciement — NDLR] Initialement, le texte proposé par le gouvernement prévoyait deux conditions effectivement discutables. L’une portait sur une notion éminemment subjective « d’attaches sérieuses avec la principauté ». L’autre sur une durée de résidence de cinq ans, au moins, sur le territoire monégasque, condition nécessairement liée aux capacités financières de la personne concernée. La commission a, sensément, jugé ces conditions inopportunes. Mais leur remplacement par une absence de condition me paraît tout aussi inopportun. Et je déplore que la contre-proposition du gouvernement, qui était d’exiger que la personne étrangère concernée assure l’entretien et l’éducation de son enfant monégasque, n’ait pas été retenue par la commission. Ainsi, la loi rend également éligible à une position prioritaire des personnes qui, éventuellement, n’assument pas leurs obligations d’entretien et d’éducation à l’égard de leur descendance, et ont parfois coupé tout lien avec la principauté. […] Le vote du projet de loi n° 1038 va, pour un temps, ralentir l’augmentation du nombre de nationaux. L’Institut monégasque de la statistique et des études économiques (Imsee) indique un taux de natalité dans la population monégasque de l’ordre de 11,3 pour 1 000, ce qui est une valeur modérée, conforme à celle à laquelle on peut s’attendre dans un pays développé très prospère. Mais il reste légitime de poursuivre une réflexion sur les limites, à long terme, de l’expansion démographique monégasque, dans un contexte de réserves foncières qui, nous le constatons, se tarissent rapidement. »

Jean-Charles Emmerich (Primo !)

Cet élu ne s’est pas exprimé pour justifier son vote.

Pour lire notre interview de Brigitte Boccone-Pagès : « C’est une solution médiane », cliquez ici.