vendredi 29 mars 2024
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Annualisation du temps de travail « Il n’y aura pas de recul social » promet le gouvernement

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Alors que le climat social se tend en principauté, le gouvernement et les élus ont discuté du dépôt d’une loi permettant l’annualisation du temps de travail pendant une période limitée à 12 mois.

Combattu par l’Union des syndicats de Monaco, ce texte sera étudié avec attention par les conseillers nationaux, qui n’excluent pas de l’amender, si nécessaire.

En début d’après-midi, le 8 octobre 2020, à l’initiative de l’Union des Syndicats de Monaco (USM), environ 200 salariés se sont déplacés devant le ministère d’Etat pour protester contre le dépôt devant le Conseil national d’un projet de loi sur l’annualisation du temps de travail. Autour d’Olivier Cardot, secrétaire général adjoint de l’USM, et de Christophe Glasser, secrétaire général de l’USM, l’exaspération était palpable. L’annualisation du temps de travail permet à l’employeur d’adapter le temps de travail aux besoins de son activité. En France, le minimum est fixé à 32 heures, et le maximum à 40 heures, avec l’obligation de respecter 1 607 heures annuelles. Le gouvernement monégasque a répété que son texte était protecteur, avec une multitude de « garde-fous » et que le seul objectif était de parvenir à sauver un maximum d’emplois. Persuadés que si ce texte était voté il deviendrait permanent, Olivier Cardot et l’USM ont rejeté les supposés avantages de cette future loi. « L’annualisation du temps de travail a été votée en France il y a quelques années et on voit bien que cela n’a pas créé d’emplois », a indiqué Olivier Cardot à Monaco Hebdo, tout en promettant de poursuivre la lutte, notamment en organisant des actions pour faire entendre leur désaccord.

« Paix sociale »

Toujours le 8 octobre 2020, quelques heures plus tard, autour de 20h30, le président du Conseil national, Stéphane Valeri a pris la parole, et a rapidement cherché à prendre de la hauteur. Estimant que le climat social est impacté par le coronavirus, le président de l’assemblée pense que la situation exige de « l’ensemble des parties concernées doit faire preuve d’un esprit de responsabilité, à la hauteur des nouveaux enjeux et de cette situation particulière que nous connaissons. Ce devoir de responsabilité doit prendre une nouvelle dimension aujourd’hui, que ce soit ici au Conseil national, que ce soit au niveau du gouvernement, ou au niveau des partenaires sociaux ». Renvoyant patrons et syndicats dos à dos, Stéphane Valeri a jugé qu’un « certain patronat ne doit pas tenter de profiter de la crise pour imposer un recul social injustifié et inacceptable, qui entraînerait la fin de la paix sociale dans ce pays. De même, les syndicats de salariés ne doivent pas refuser par idéologie tout effort et toute adaptation légitime imposée par la situation. En effet, notre objectif doit être de sauver des emplois ». Jugeant que Monaco est « un modèle social », le président du Conseil national a insisté pour que le pays le reste : « Si certains veulent s’y attaquer, ils mettront fin à la paix sociale, et je crois que ni le gouvernement, ni le Conseil national ne le permettront ». Puis, s’adressant aux syndicats de salariés, Stéphane Valeri a insisté, demandant à ce qu’ils ne refusent pas, « par dogmatisme ou par idéologie, tout effort ou toute adaptation rendu légitime par une situation historique et grave ». Pour cela, le président de l’assemblée a appelé tout le monde à se rejoindre autour d’un objectif simple : la préservation de l’emploi à Monaco. Car « perdre un emploi et se retrouver au chômage, c’est perdre jusqu’à 40 % de ses revenus. Ce qui rend très difficile ensuite de faire face au prix des loyers dans la région et au coût de la vie en géneral », a ajouté Stéphane Valeri.

Stéphane Valeri, président du Conseil national © Photo Conseil National.

Stéphane Valeri a jugé qu’un « certain patronat ne doit pas tenter de profiter de la crise pour imposer un recul social injustifié et inacceptable. De même, les syndicats de salariés ne doivent pas refuser par idéologie tout effort »

« Aller vite »

Prenant à son tour la parole, le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, a immédiatement invoqué un « esprit de responsabilité dans le dialogue social » que le gouvernement monégasque souhaite incarner. Avant de répéter et de promettre : « Il n’y aura pas de recul social. Il n’y aura pas de dogmatisme. Il y aura des solutions pragmatiques, exceptionnelles très temporaires, avec les garanties indispensables pour répondre à une situation exceptionnelle », s’est engagé Didier Gamerdinger, qui s’est ensuite lancé dans un rappel de ce que le gouvernement a déjà mis en place pour faire face à l’impact économique de la crise sanitaire : « Il y a une contraction du marché du travail. C’est une réalité. A son pic, le chômage temporaire total renforcé (CTTR) a permis de préserver 22 000 emplois et cette disposition est prolongée jusqu’à fin mars 2021. L’Etat va continuer de payer une partie des charges patronales et nous allons élargir le nombre d’entreprises concernées, et notamment aux moyennes entreprises. » Mais visiblement, l’Etat est arrivé au bout de ce qu’il peut faire. Et, désormais, c’est vers les salariés que se porte l’effort à fournir. « Nous ne pouvons pas tout faire, tout seul. C’est ce que j’ai dit aux partenaires sociaux, lorsque je les ai réunis en septembre 2020. L’une des pistes, c’est l’aménagement concerté du temps de travail. Il n’y aura pas de recul, il y aura des garde-fous, il y aura des garanties. Rien ne se fera sans l’accord des salariés concernés. D’ailleurs, les salariés pourront revenir sur l’engagement qui aura été convenu s’ils se rendent compte que ça ne répond pas à leurs attentes », a ajouté le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé. Mais pas question de perdre de temps, il faudra que ce texte soit rapidement mis en place afin d’être déployé si nécessaire, estime le gouvernement. « Nous sommes extrêmement vigilants, mais nous souhaitons aller vite, car c’est maintenant qu’il faut sauver des emplois. Si nous adaptons un dispositif en mars 2021, ce sera trop tard », a ajouté Didier Gamerdinger.

Pierre Dartout. Ministre d’Etat © Photo Conseil National.

« A compter de sa publication, l’application de ce texte sera limitée à 12 mois. […] Il faut s’adapter et protéger l’emploi. Il ne s’agit pas de casser l’emploi. Nous devons être responsables et pragmatiques » Pierre Dartout. Ministre d’Etat

« Amender ce texte » ?

Pour répondre à l’USM, sans les nommer, le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé a évoqué « certains partenaires sociaux [qui] ne sont pas d’accord. Ils ont une vision différente. Ça leur appartient. C’est la vie », confirmant ainsi que le dialogue autour de ce projet de loi sur l’annualisation du temps de travail semble bel et bien au point mort entre ce syndicat et le gouvernement. Le message a, en tout cas, été bien reçu de la part du président du Conseil national, qui a promis que ce texte serait étudié « en priorité ». En priorité, mais pas n’importe comment. « Cela nécessitera du temps, a prévenu Stéphane Valeri, car le sujet est très sensible. Etudier ce texte en 4 ou 5 jours ne serait pas sérieux. Car nous allons recevoir toutes les parties concernées. Nous pourrons donner une position en 2 ou 3 semaines. La procédure d’urgence qui impose un retour du Conseil national au bout de 6 jours à compter du dépôt du texte par le gouvernement, est possible sur un sujet aussi grave. Mais elle serait très mal ressentie par les partenaires sociaux et par le Conseil national, car elle ne nous laisserait pas le temps nécessaire. » Cette inquiétude a immédiatement été balayée par le ministre d’Etat, Pierre Dartout : « Nous n’envisageons pas de faire étudier ce texte sous une procédure d’urgence. Mais nous sommes face à un enjeu qui nécessite des décisions rapides pour permettre cette négociation au sein des entreprises et des filières. Il faut trouver un équilibre entre la nécessité de prendre le temps pour étudier ce texte que nous allons vous communiquer, et la nécessité de répondre à une certaine urgence, parce qu’il s’agit de protéger l’emploi. Le mois d’octobre 2020 risque d’être difficile pour certaines entreprises, notamment pour le commerce. Il y a donc nécessité à s’adapter. D’ailleurs ce texte ne s’appellera pas « annualisation du temps de travail ». Il s’appellera « aménagement concerté ». » Pierre Dartout en a aussi profité pour rappeler que cette loi, quel que soit son nom, serait temporaire : « A compter de sa publication, l’application de ce texte sera limitée à 12 mois. Le tourisme d’affaires, le tourisme haut de gamme est en difficulté. Il faut donc s’adapter et protéger l’emploi. Il ne s’agit pas de casser l’emploi. Nous devons être responsables et pragmatiques. » Visiblement désireux, lui aussi, de rester « pragmatique », Stéphane Valeri a répété que le Conseil national travaillerait sur ce texte « avec la célérité nécessaire. Mais je n’exclus pas du tout que nous utilisions toutes nos prérogatives institutionnelles, et notamment la possibilité d’amender ce texte, si nous estimons que nous devons le faire ». Tout le monde est prévenu.