jeudi 28 mars 2024
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Jean-Michel Cucchi : « Le gouvernement doit livrer une nouvelle opération avant 2018 »

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Suite à la dernière commission d’attribution, le président de la commission Logement du conseil national tape du poing sur la table. Jean-Michel Cucchi menace de ne pas voter le budget primitif 2014 si le gouvernement n’accepte pas de livrer une centaine d’appartements avant 2018.

PENURIE
Monaco Hebdo : Au vu de la dernière commission d’attribution, est-on en pénurie de logements selon vous ?
Jean-Michel Cucchi : Sur les 437 dossiers de demandes, 188 appartements ont été attribués dont 83 de récupération. Et seulement 63 foyers sont logés dans un appartement domanial correspondant à leur besoin normal. Si ce n’est pas de la pénurie, ça… En gros, il y a donc 200 familles sur le carreau !

M.H. : Pourtant, la conclusion de l’étude de l’IMSEE sur les besoins en logements est ferme. Sa conclusion est qu’il n’y pas de risque de pénurie avant 2022 ?
J.-M.C. : Le problème, c’est que l’étude de l’IMSEE marche en théorie dans le monde de Oui-Oui. L’IMSEE s’est basée sur le nombre de logements, la population et l’évolution démographique. Dans l’absolu, avec la livraison de la Tour Odéon, on arrive à l’équilibre. Dans l’absolu, l’IMSEE a raison. Mais ses conclusions ne sont valides, par exemple, que si tous les appartements du parc domanial sont occupés par des Monégasques. Or, aujourd’hui, il y a des gens qui ont été déplacés, d’autres qui occupent des logements de fonction, etc… En tout, environ 200 logements, sur le parc de 3 000, sont attribués à d’autres personnes que les attributaires.

M.H. : Quel autre facteur n’est pas pris en compte par l’IMSEE dans son étude ?
J.-M.C. : Dans cette étude, les appartements correspondent forcément aux besoins des occupants. En partant du principe, par exemple, que chaque couple avec deux enfants, qui habite un 4 pièces, retourne systématiquement dans un 2 pièces quand les enfants s’en vont. Ce n’est pas du tout le cas. Autre source d’erreur : il n’y a pas d’appartements inoccupés pour cause de travaux, dégâts, etc. Pire, si l’IMSEE a pris en compte les naturalisations issues de la nouvelle loi, il y a eu à mon sens une mésestimation de l’évolution des familles recomposées. Le nombre de divorces augmente. Quelqu’un de 35 ans qui divorce a de fortes chances de se remettre en couple avec une personne qui, elle aussi, a déjà des enfants. Il faut en tenir compte. D’autant qu’avec la garde alternée, les besoins en logements vont mathématiquement croître… Sauf à ce que le couple s’en veuille au point d’aller contre l’intérêt des enfants, il s’arrangera pour optimiser sa demande de logement domanial. Il existe des astuces qui ont fait le tour de Monaco pour bénéficier d’un appartement plus grand…

M.H. : L’étude n’est donc pas à la page ?
J.-M.C. : Elle n’est pas à la page car elle ne prend pas en compte le fait qu’avec le contrat habitation-capitalisation, les gens ayant un appartement plus grand que ne l’exigent leurs besoins ne sont pas obligés de libérer l’appartement. De même, elle ignore ceux qui n’ont aucun intérêt à partir en raison du loyer. Si vous payez 1 200 euros pour un 4 pièces à Fontvieille depuis 15 ans, vous n’allez pas le lâcher pour prendre un 2 pièces au même prix qu’aux Jardins d’Apolline 2, par exemple ! Enfin, dans ses calculs, l’IMSEE n’a pas intégré le besoin d’une réserve foncière et d’appartements tampons pour pouvoir programmer des opérations. Or, les terrains disponibles disparaissent et les opérations à venir seront des destructions-reconstructions. Demain, vous voulez refaire l’Herculis. Où mettez-vous les locataires ? Nulle part. Dans un pays condamné à la croissance, où il est indispensable de trouver de l’espace pour construire des logements et des bureaux, il faut anticiper.

M.H. : Après Odéon, les prochaines livraisons sont annoncées par le gouvernement pour 2019 (Villa L’Engelin et Testimonio 2). Le calendrier est un peu optimiste ?
J.-M.C. : Le gouvernement s’est engagé à livrer la Villa L’Engelin fin 2018. Cela me paraît effectivement bizarre et complexe. Nous lui avons demandé un rétro-planning. J’attends. J’espère qu’on l’aura avant le budget.
M.H. : On part toujours sur une centaine d’appartements ?
J.-M.C. : Il était prévu de réaliser 15 étages, il en aura finalement 2 de plus puisque la construction sera à la limite de l’IGH (immeuble de grande hauteur). Pourquoi l’Etat ne s’octroierait pas des droits supplémentaires surtout que cela ne gêne personne à cet endroit ? Pour autant, je n’aime pas raisonner en nombre d’appartements. Il faut arrêter d’avoir une vision purement comptable du logement domanial. Cela ne sert à rien de faire 100 appartements si 25 sont mal foutus.

Jean-Michel Cucchi

M.H. : Que proposez-vous ?
J.-M.C. : Il faudrait revoir les 3 pièces par exemple. La chambre dédiée à l’enfant doit être suffisamment grande pour accueillir 2 jeunes enfants. Nous avons obtenu du gouvernement qu’on réfléchisse sur les plans des futurs immeubles et qu’on nous montre ces plans avant la construction.

M.H. : On doit s’attendre alors à ce que le logement soit un thème fort du budget 2014, examiné en décembre au conseil national ?
J.-M.C. : Vu la situation de pénurie, le logement sera bien évidemment un enjeu essentiel. Le gouvernement s’échinait à dire jusqu’à présent que j’agitais le chiffon rouge, que j’étais déconnecté de la réalité. Les chiffres des deux dernières commissions d’attribution de logements domaniaux parlent d’eux-mêmes. Et les choses ne vont pas s’améliorer, bien au contraire. A la tour Odéon, 17 appartements ont été enlevés à l’habitation pour être transformés en bureaux. C’est un minimum. Vu l’emplacement, il vaudrait d’ailleurs mieux vendre 20 à 30 appartements pour acheter ailleurs. Si on part sur 130 appartements occupés en 2015 à la tour Odéon et sur 70 nouveaux besoins en logements par an, cela fait 400 demandes à couvrir en 2018. En étant optimiste, à la livraison de Testimonio fin 2020, nous aurons toujours 250 familles ou Monégasques sur le carreau, quoi que vous fassiez. Ce n’est pas acceptable. Car une fois Testimonio 2 construit, il n’y a plus de terrain. Plus de réserve foncière.

M.H. : Faut-il espérer du côté de la Crémaillère ou de Herculis ? Des opérations dans ces quartiers étaient des promesses de campagne…
J.-M.C. : Pour l’heure, il n’y a rien de concret. D’autant que le problème d’Herculis, c’est qu’il faut dégager une réserve foncière… C’est pourquoi je vais demander au gouvernement de livrer une nouvelle opération, en dehors de la Villa Ida. Il doit trouver une solution quelle qu’elle soit (acquisition d’immeuble, maîtrise d’ouvrage déléguée) pour proposer une centaine d’appartements en plus avant 2018. C’est le minimum du minimum.

M.H. : Et si jamais le gouvernement ne propose pas de nouvelle opération ?
J.-M.C. : Cela remettra en cause le vote positif du budget par la nouvelle majorité. Nous sommes arrivés en 2013 et nous avons déjà obtenu la villa L’Engelin, relancé l’opération Testimonio 2 et proposé de nouveaux critères pour l’attribution de logements domaniaux. En 6 mois, c’est pas mal. Mais maintenant que l’on fait un point d’étape, on voit bien que malgré cela, ce n’est pas suffisant. Tout ça parce que pendant 3 ou 4 ans, on n’a rien fait. Si L’Engelin était livré en 2016, on aurait limité la pénurie.

M.H. : L’annonce d’une nouvelle opération sera-t-elle une condition du vote du budget ?
J.-M.C. : A titre personnel, si le principe d’une opération supplémentaire avant L’Engelin n’est pas accepté par le gouvernement, en tant que président de la commission Logement et vu la pénurie, je ne voterai pas le budget. En matière de logement, il faut travailler pour la législature suivante.

GRAND IDA
M.H. : S’agissant de la Villa Ida, le gouvernement a envisagé 5 scénarios, en fonction de l’emprise dégagée. Le dossier avance ?
J.-M.C. : Pour moi, le seul scénario acceptable est le numéro 5, à savoir le plus grand remembrement. Aujourd’hui, quelque soit le scénario, le gouvernement trouve, lui, que l’opération n’est pas rentable. Pourtant, cette opération, destinée en partie à loger les enfants du pays, est pilote et modèle. Il faut donc faire ce remembrement par principe. De plus, il faut construire des parkings et une école, indispensables dans ce quartier. Et même s’il n’y a que 40 logements pour les enfants du pays et 40 pour les Monégasques, il devient évident qu’on en aura besoin, au vu de la pénurie. La Villa Ida est indispensable.

M.H. : Tous les propriétaires riverains de la Villa Ida, réunis dans un collectif, sont-ils tous d’accord pour vendre dans le cadre de cette opération ?
J.-M.C. : On recevra à nouveau les représentants du collectif avant le budget. A ma connaissance, il n’y aurait que 2 personnes opposées au projet dans l’emprise du scénario 5 envisagé par le gouvernement (soit 188 logements et 2 800 m2 de locaux tertiaires, N.D.L.R.). Je sais que le collectif voit d’ailleurs avec un architecte pour démarrer des études.
M.H. : Le gouvernement dit qu’il ne veut pas mettre un centime pourtant dans cette opération Ida. Comment faire dans le cadre d’un tel remembrement ?
J.-M.C. : C’est de la vision à court terme. Il faudra qu’il change d’avis. Il faut de toute façon construire une école. Et puis ça coûterait encore plus cher à l’Etat s’il n’investit pas…

CHERTE DES LOYERS
M.H. : L’Etat a versé 9,6 millions d’euros au titre de l’aide nationale au logement d’ANL en 2012. Compte tenu de l’augmentation des loyers, ça ne peut que croître. Ce sera le cas par exemple pour les loyers et surtout les charges de Odéon, tour de 50 étages ?
J.-M.C. : On s’est mis d’accord avec le gouvernement pour réfléchir ensemble à comment traiter le cas Odéon afin de réduire les charges au maximum. Personnellement, j’ai une idée. Pour des bureaux, le prix du m2 n’est pas le même. Pour les appartements transformés en bureau à la Tour Odéon, on pourrait mettre le différentiel dans un pot commun, afin de réduire les charges des locataires.

M.H. : Quels seront les loyers pratiqués à Canton et Tamaris ?
J.-M.C. : On n’a pas encore les prix. Mais a priori, Canton sera à peu près aligné sur Apolline 2, entre 10 et 15 euros le m2. Pour Tamaris, on a demandé au gouvernement de faire un effort compte tenu des nuisances à venir du chantier de l’hôpital.

M.H. : La commission d’attribution dont vous faites partie attribue sans connaître le montant des loyers ?
J.-M.C. : Vous mettez le doigt sur l’un des principaux problèmes pour lequel on va avoir du mal à accélérer la mobilité. Parce que l’Etat n’a pas joué son rôle, on se retrouve aujourd’hui avec des loyers trop hétérogènes. Selon les opérations, le m2 moyen va, a priori, de 5 à 15 euros. Après, tout dépend des étages. Les loyers dans les nouvelles opérations sont trop chers. Cela se répercute pour le CHC, calculé en fonction du loyer moyen de l’immeuble. Si vous êtes dans un immeuble super bien où personne ne part, le prix moyen est bas. Dans un immeuble moins bien, où il y a eu beaucoup de renouvellements, le prix est plus élevé. Vous écopez alors de la double peine… C’est mal fait. Il faut modifier le système.

M.H. : Comment ?
J.-M.C. : En tant que géniteur et partisan du CHC, j’estime qu’un maximum de gens doit y avoir accès. Il faut donc construire des immeubles où les Monégasques peuvent acheter. Plutôt que d’avoir de grosses prestations (portes laquées, dressing, etc), beaucoup de Monégasques préfèreraient certainement un 3 pièces moins luxueux et moins grand (de 100 m2 au lieu de 120 m2) qu’ils aient les moyens d’acheter.

M.H. : D’aucuns estiment que certains refus de logements attribués s’assimilent à des caprices d’enfants gâtés ?
J.-M.C. : Cette expression m’énerve. Si certains refusent un appartement parce que le quartier ou l’étage ne leur convient pas, ou parce que les charges sont trop élevées, ce sont des « enfants gâtés » ?
Aujourd’hui, tous les refus sont examinés par la commission. Pour la majorité d’entre eux, une pénalité est appliquée. Mais cela n’implique pas pour autant que ces refus sont injustifiés. Il y a des gens qui refusent car ils ne pourront signer un jour un CHC ou qui ne veulent pas s’endetter pour se loger. Si l’administration a accepté le dossier, c’est d’ailleurs qu’elle trouvait leurs besoins justifiés. Et puis à partir du moment où le refus est sanctionné par une pénalité, les gens ont encore le droit de refuser ! On est dans un pays de liberté. On ne va pas aller les chercher, une baïonnette dans le dos (sourire)…

M.H. : Quand sera mise en route la nouvelle grille des critères et dans quel sens ?
J.-M.C. : Pour le prochain appel à candidatures, soit avant la fin du premier semestre 2014. Jusqu’à présent, on favorisait ceux qui patientaient depuis longtemps. Aujourd’hui, il faut changer la pondération du besoin urgent par rapport à l’ancienneté. De même, il y a un critère que je n’accepte pas : ce sont les 8 points de pénalité pour les gens qui ont un bien dans les communes limitrophes. Je la comprends pour une personne qui possède une villa de 8 pièces à Saint-Jean Cap-Ferrat mais pour celui qui a gardé un studio d’étudiant à Nice ou qui a hérité de la maison de sa grand-mère dans l’arrière-pays, c’est injuste.

M.H. : Certains Monégasques gardent un logement domanial mais vivent en réalité en France. Compte tenu de cette pénurie, comptez-vous contrôler le logement effectif dans les domaniaux ? C’était une piste esquissée par Laurent Nouvion.
J.-M.C. : Que faudrait-il faire ? Mettre ces Monégasques dehors du parc domanial ? Ils seraient domiciliés fiscalement en France alors ? Tant qu’on n’aura pas trouvé une solution pour que les Monégasques aient leur domicile fiscal à Monaco, c’est impossible. Il ne faut pas faire d’amalgame. Le pourcentage de gens qui habitent à l’année en France est minime. Et puis, la majorité de ceux qui vivent en dehors de Monaco une partie de l’année ne pourraient pas acheter à Monaco. Avec une villa à La Turbie, on n’achète pas un 4 pièces en principauté… Si on les sort du parc domanial, ils vont prendre une adresse dans le libre, toucheront l’ANL et on n’aura rien résolu.

Le logement en chiffres

Parc domanial
L’Etat est actuellement propriétaire de 3 011 logements à Monaco (dont 279 dans le secteur ancien). Un parc immobilier auquel il faut ajouter les 68 logements de Ilot Canton – Hélios et les 42 des Tamaris. Par le biais de la Société immobilière domaniale, il possède également 572 logements dans les communes limitrophes. 29 appartements supplémentaires seront livrés à Roquebrune-Cap-Martin (opération La Plage) au premier semestre 2014. La SID est propriétaire d’un immeuble à Beausoleil (52 logements pour le CHPG) et d’un autre (29 logements pour la SBM) à Cap d’Ail. Contre une subvention d’un million d’euros, l’Etat monégasque a acquis des droits réservés sur 30 ans pour 25 autres logements à Cap d’Ail.
Besoins
Selon l’étude l’IMSEE sur les besoins en logement des Monégasques à 2022, environ 500 nouveaux appartements seraient nécessaires. Pour le gouvernement, ces besoins sont comblés par la livraison des Tamaris, Jardins d’Apolline, Ilot Canton et Tour Odéon.
Attribution
Lors de la dernière commission d’attribution du 21 novembre, 14 demandes concernaient des F1 pour 4 appartements disponibles, 221 des F2 (pour 87 logements), 105 des F3 (pour 41 disponibles), 79 des F4 (pour 49 logements) et 18 des F5 (pour 7 appartements).
Aides au logement
Au 31 décembre 2012, 1 012 allocataires ont bénéficié de l’ANL, pour un budget de 9,6 millions d’euros. Tandis que dans le secteur protégé, 391 personnes touchaient l’Aide différentielle au loyer. Coût pour l’Etat : 2,2 millions d’euros en 2012.
Secteur protégé
Le secteur protégé est occupé à 17 % par des Monégasques, à 44,5 % par des Français, à 20,2 % par des Italiens, à 10,4 % par des autres européens et 7,9 % par des non européens.