vendredi 29 mars 2024
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Franck Julien : « La direction de Monaco Telecom est dans le déni total »

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Franck Julien, président de la toute nouvelle commission pour le développement du numérique, explique à Monaco Hebdo ce que seront ses priorités pour ce début de mandat. Monaco Telecom, smart city, numérisation de l’administration ou blockchain, interview pas langue de bois, avec cet élu Primo ! qui affiche une grande détermination.

Quels sont les chantiers auxquels devra se confronter cette nouvelle commission ?

Le sujet de la smart city est actuellement très en vogue, mais la numérisation de l’administration est aussi un thème majeur. Une proposition de loi sur la blockchain a été adoptée par le Conseil national lors des derniers jours de la précédente mandature, il faudra veiller à ce que le gouvernement en fasse bon usage. Et enfin demeure le dossier de Monaco Telecom.

Monaco Telecom a récemment communiqué sur le fait d’avoir obtenu la première place mondiale sur le plan des performances mobiles : qu’en pensez-vous ?

L’opérateur de télécom monégasque fournit au grand public quatre services : la téléphonie fixe, l’internet fixe, la télévision et la téléphonie mobile. Ne trouvez-vous pas étrange que le seul service où, selon Monaco Telecom, il atteint des performances exceptionnelles soit le seul service où l’opérateur national est soumis à la concurrence ? Ce n’est forcément pas un hasard. Ne faudrait-il pas pour améliorer les performances des autres services, les soumettre eux aussi à plus de concurrence ?

Mais on dit souvent que le marché monégasque est trop étroit pour permettre à deux opérateurs de vivre correctement ?

L’opérateur monégasque est incroyablement rentable. Monaco Telecom est probablement l’opérateur télécom le plus rentable au monde. A titre de comparaison, les opérateurs tels qu’Orange, SFR ou autres, ont des marges nettes 3 à 5 fois inférieures en pourcentage à celle de Monaco Telecom. Néanmoins, il y a un discours récurrent qui consiste à dire que l’étroitesse du marché monégasque ne permettrait pas à plusieurs acteurs de s’épanouir. Mais dans un secteur qui évolue aussi rapidement que celui de la haute technologie, les vérités d’il y a 15 ans, 10 ans, 5 ans ne le sont plus forcément aujourd’hui. Les coûts d’infrastructure ont drastiquement baissé. Le marché monégasque doit s’ouvrir pour le bien des consommateurs, mais aussi pour permettre une saine stimulation et voir ainsi plus d’innovation sur le territoire de la principauté.

Une ouverture à la concurrence serait-elle forcément synonyme d’amélioration de la qualité ?

Amélioration de la qualité et baisse des tarifs, certainement. Cela inciterait assurément Monaco Telecom à ne plus abuser de sa position dominante monopolistique. Et le client final y trouverait son compte.

Vous avez des exemples concrets ?

Croyez-vous que si Monaco Telecom avait été en situation de concurrence, il se serait autorisé à pratiquer un tarif de 10 euros par facture papier, tarif que le directeur général de Monaco Telecom qualifie lui-même de prohibitif ? Et conformément à nos propos pendant la campagne électorale, nous continuons d’affirmer que cette mesure est particulièrement discriminatoire envers les personnes âgées qui sont attachées aux factures papier. L’explication de la direction générale de Monaco Telecom ne nous convainc pas : « Cette facturation ne concerne que les clients qui souscrivent à une offre qui inclut un accès à internet. Les clients qui n’ont qu’une ligne filaire continuent naturellement, de recevoir leur facture papier comme avant ». En effet, avoir une ligne internet ne signifie, ni avoir une imprimante, ni être un expert en numérique.

Les conséquences ?

De la part d’un opérateur en situation monopolistique ce genre de marketing est non seulement insupportable pour ses clients, mais désastreux en termes d’image de marque. Lors de la campagne électorale, j’ai pu entendre à plusieurs reprises les commentaires suivants : « Ils ne savent plus quoi inventer pour nous faire payer plus cher. Monaco Telecom ne veut pas nous envoyer les factures, car ils ne veulent pas que l’on sache ce que l’on paye. » La direction de Monaco Telecom est dans le déni total. A tort ou à raison, ce genre d’attitude est interprété par les clients de Monaco Telecom comme une preuve du mépris de l’opérateur national envers ses clients. Il est évident qu’un opérateur en situation de monopole n’aurait jamais dû prendre une telle mesure. Et je ne comprends pas comment l’Etat a pu laisser passer une telle tarification. Plutôt que de revendiquer une tarification prohibitive, j’aurais apprécié que la direction de Monaco Telecom fasse son mea culpa et annonce la suppression de cette mesure discriminatoire et injuste.

Mais la dématérialisation des factures est une solution éco-responsable ?

Soyons sérieux : si l’éco-responsabilité était la préoccupation principale de Monaco Telecom, il aurait pu adopter des mesures incitatives, en attribuant, par exemple, des points fidélité supplémentaires ou en réduisant les factures de quelques centimes d’euros. Mais à 10 euros la facture papier, nous sommes dans le domaine de la mesure répressive, voire punitive. Et surtout, dans la profitabilité court terme.

D’autres exemples de comportement qui n’existerait pas en situation de concurrence ?

Certains clients de Monaco Telecom ont récemment reçu un courrier les informant que leur offre « Très Haut Débit » offrant un débit 60 Mbit/s allait être augmentée de 5 euros par mois, tout en les incitant à bénéficier de la nouvelle offre « Ultra Haut Débit » (jusqu’à 1 Gbit/s). L’objectif de l’opérateur est très clair. Il veut uniformiser son parc. N’importe quel opérateur en situation de concurrence aurait proposé une offre de bienvenue pour bénéficier de la nouvelle offre par exemple au prix de l’ancienne offre pendant quelques mois. Monaco Telecom préfère, une fois de plus, une mesure répressive en punissant les clients qui continuent d’utiliser des offres commerciales plus anciennes et dont les infrastructures ont été largement rentabilisées. Monaco Telecom ne considère pas avoir besoin de récompenser la fidélité, puisque celle-ci est obligatoire !

Quoi d’autre ?

Lors de la campagne électorale, on m’a, à plusieurs reprises, rapporté des situations où des Monégasques qui déménageaient d’appartements domaniaux vers d’autres appartements domaniaux voulaient profiter de l’occasion pour changer d’offres. Et bien Monaco Telecom n’a pas hésité à réclamer 180 euros pour changer les câbles coaxiaux du nouvel appartement, afin de le rendre compatible avec l’offre très haut débit. Pensez-vous qu’un opérateur en situation de concurrence irait réclamer une telle somme pour se raccorder à son infrastructure ? Et c’est d’autant plus choquant que l’Etat participe au financement de la modernisation du réseau de télédistribution.

Pourtant les enquêtes de satisfaction donnent d’excellents résultats !

Les enquêtes de satisfaction en question sont, soit réalisées par Monaco Telecom pour le compte de Monaco Telecom, soit réalisées par un prestataire externe payé par Monaco Telecom. Je n’accorde aucune crédibilité à ces enquêtes de satisfaction. Dans cette affaire, Monaco Telecom est juge et partie. Il ne peut pas y avoir une telle dichotomie entre les enquêtes de satisfaction de Monaco Telecom et le ressenti de la population. A ma connaissance, il n’y a qu’une seule autre entreprise qui soit tout aussi impopulaire que Monaco Telecom à Monaco. Il s’agit de la SNCF. Monaco Telecom est impopulaire chez les résidents monégasques et la SNCF est impopulaire chez les pendulaires qui viennent travailler à Monaco en train. A moyen terme et avec un tel niveau d’impopularité, je ne vois pas comment Monaco Telecom pourrait ne pas subir le même sort que la SNCF : à savoir être dans l’obligation de s’ouvrir à plus de concurrence.

Dans la presse, Monaco Telecom a désigné Primo !, d’une manière à peine voilée, comme étant à l’origine d’une agitation qui a entraîné des insultes à l’encontre de ses conseillers clientèle ?

La liste Priorité Monaco n’a été que le porte-parole des Monégasques dans ce dossier. Le mécontentement des usagers est bien réel. Ce n’est pas nous qui l’avons créé, mais le rapport qualité prix de l’opérateur, qui est jugé insatisfaisant.

Et pour les insultes ?

Si de tels agissements ont lieu, avant, pendant ou après une campagne électorale, je ne peux que les regretter. Il faut reconnaitre qu’à de très rares exceptions près, le personnel de Monaco Telecom fait preuve d’une grande sollicitude et d’une grande compétence. Et il ne doit pas être facile tous les jours d’être conseiller clientèle dans une entreprise impopulaire. Malgré cette tentative de victimisation, ne nous trompons pas. Les véritables victimes sont les clients de Monaco Telecom, qui subissent un monopole qu’ils n’ont jamais désiré. Avec les années, et la répétition de pratiques commerciales de plus en plus jugées comme abusives, il ne faut pas s’étonner des critiques qui fusent.

La situation s’est tendue par la suite ?

D’ailleurs, suite à la publication dans Monaco-Matin du lundi 19 février 2018, mon colistier, Roland Mouflard, nominativement cité par Monaco-Matin, avait précisé sur son compte Facebook ce qu’il entendait par « tarifications indécentes », et il a dû supprimer des commentaires d’usagers qu’il a jugés de nature injurieuse contre Monaco Telecom. Suite à cet article, d’autres commentaires peu flatteurs pour l’opérateur ont fleuri sur les réseaux sociaux et je peux vous assurer que parmi les personnes qui ont exprimé leur insatisfaction, j’ai clairement identifié des Monégasques de tous bords politiques, sympathisants des trois listes en présence. Autre preuve, sur l’application mobile développée par une liste, à la question « Pensez-vous que les prestations de Monaco Telecom soient à la hauteur des prix pratiqués ? », les sondés de l’application ont répondu par la négative à 91 % ! Contrairement à Monaco Telecom qui dispose du monopole d’une concession de services publics, Primo ! n’a pas le monopole de l’insatisfaction !

Quelles sont les pratiques commerciales que vous jugez abusives ?

Dans un contexte concurrentiel, les mêmes pratiques commerciales ne susciteraient aucune réaction hostile et ne seraient pas jugées abusives, car si le client n’était pas satisfait, il irait voir ailleurs. Ici, comme le monopole est un monopole subi, lorsque des pratiques sont jugées contraignantes, elles génèrent de la frustration. Juste un exemple : pour bénéficier de prix plus avantageux, sur la téléphonie mobile, ou moins indécents, au choix, l’opérateur oblige ses clients à changer de box. Or, la nouvelle box entraîne des régressions fonctionnelles et a connu de nombreux problèmes dont, selon l’aveu même de la direction de Monaco Telecom, certains ne sont toujours pas résolus. Comme le client n’a pas d’autres alternatives, il se sent piégé. Et cette frustration génère parfois de l’hostilité. Psychologiquement, c’est aussi simple que cela.

Pourquoi Monaco Telecom semble ne pas avoir conscience de la situation que vous décrivez ?

Le véritable problème réside dans la composition du comité exécutif de Monaco Telecom. Non seulement il n’y a plus de Monégasque, mais aucun de ses membres n’a, par exemple, d’attaches de longue date avec Monaco. J’ai connu une période où la moitié du comité directeur de Monaco Telecom était composée par des Monégasques. Et je ne pense pas que l’on puisse dire que le Monaco Telecom de l’époque fonctionnait moins bien.

Mais l’Etat monégasque reste actionnaire de Monaco Telecom !

Oui, mais, visiblement, le gouvernement ne joue pas pleinement son rôle. Il semble privilégier l’encaissement de dividendes.

Quel devrait être le rôle du gouvernement vis-à-vis de Monaco Telecom ?

La position de Primo ! est de toujours privilégier l’intérêt général. Nous sommes favorables à un gouvernement fort aux côtés d’un Conseil national. Or, sur le dossier de Monaco Telecom, le gouvernement a été faible. Pour être exact, je devrais dire que les gouvernements successifs ont été faibles et nous n’avons pas eu, dans la relation avec Monaco Telecom, un gouvernement visionnaire. Alors que nous aurions eu besoin d’un gouvernement stratège, nous avons eu des gouvernements qui ont privilégié les approches comptables. Si vous couplez cette situation avec un opérateur en situation monopolistique, on aboutit à une infrastructure réseau d’accès en retard par rapport à ce qu’elle devrait être, un opérateur avec un marketing arrogant. Et, forcément, des usagers mécontents.

Pourquoi jugez-vous que l’infrastructure du réseau monégasque est en retard ?

Il faut savoir que la fibre optique a des débits théoriquement illimités, ce qui n’est pas le cas du câble coaxial qui connaît des déperditions qui s’accentuent avec sa longueur. Une vraie offre 100 % fibre optique a donc une capacité d’évolution en termes de débits réels, bien supérieures à une offre mêlant fibre optique et coaxiale. De plus, les câbles coaxiaux sont sensibles aux perturbations extérieures qui peuvent se propager à l’ensemble des clients qui partagent un même amplificateur. Ce qui pose bien évidemment des problèmes de fiabilité.

Que fait Monaco Telecom pour son réseau ?

Un an plus tôt, Xavier Niel, lors du rachat de Monaco Telecom déclarait : « On est capable, vu la surface restreinte sur laquelle s’exerce Monaco Telecom d’inventer ou de mettre en place des offres qui soient en avance sur le reste du monde. […] Il faut, que d’une manière mondiale, on parle de Monaco, comme l’endroit où il faut aller, pour voir où en sont les télécoms les plus modernes possibles. » Et que fait Monaco Telecom pour déployer le très haut débit à Monaco ? Il utilise le réseau de la télédistribution qui est principalement basé sur le câble coaxial. Et il demande même à l’Etat de participer financièrement à la modernisation de celui-ci !

Des fautes ont été commises avant l’arrivée de Xavier Niel ?

L’actionnaire précédent, Cable & Wireless, aurait déjà dû déployer un réseau fibre optique. Le gouvernement aurait dû également imposer aux promoteurs immobiliers, dans toutes les constructions de déployer sur les réseaux verticaux la fibre optique.

Les conséquences, aujourd’hui ?

Au final, nous avons perdu plus de 10 ans. Cela coûtera probablement bien plus cher à l’arrivée. Notre infrastructure est loin d’être la plus moderne possible et nous ne sommes vraiment pas en avance sur le reste du monde… Quand on connaît la densité de la population au km², s’il y avait bien un endroit au monde où le déploiement de la fibre optique s’imposait naturellement : c’était bien à Monaco !

Que permettrait le déploiement de la fibre optique à Monaco ?

L’exemple que je vais prendre est d’autant plus cruel qu’il provient d’une entreprise qui a été achetée par Xavier Niel 8 mois après Monaco Telecom. Salt Telecom, ex-Orange Suisse, a annoncé le 20 mars 2018 le lancement d’une nouvelle box raccordée directement sur la fibre optique offrant un débit maximum de 10 Gb/s, qui utilisera l’Apple TV comme décodeur TV exclusif.

Et donc ?

Si on compare l’offre Triple Play de Salt Telecom avec celle disponible en Principauté, l’offre de Monaco Telecom c’est moins de performance (1 Gb/s conre 10 Gb/s), moins de services (plus de 300 chaînes de télévision sont disponibles sur l’offre Suisse), moins d’innovation (des chaînes en Ultra Haute Définition (UHD) sont disponibles en Suisse) et tout ceci pour un prix plus élevé ! L’offre de Salt est proposée pour 39,95 francs suisses par mois (34 euros) pour les clients mobiles de l’opérateur et 49,95 francs suisses par mois (43 euros) pour les autres, contre 49,90 euros à Monaco. Par manque de concurrence, Monaco Telecom se contente de la facilité. Les consommateurs monégasques méritent mieux.

Xavier Niel vous déçoit ?

Je viens juste de vous expliquer pourquoi.

Aujourd’hui, qu’attendez-vous du gouvernement monégasque ?

En premier lieu, qu’il me fasse mentir ! Qu’il démontre sa capacité à être fort, lorsque nécessaire. Nous souhaitons que le gouvernement obtienne a minima de son concédant l’annulation d’une mesure discriminatoire et injuste, à savoir la surfacturation de 10 euros pour les clients qui souhaitent recevoir la facture papier. Et que Monaco Telecom remplace cette mesure punitive par une mesure incitative. Ce n’est pas cela qui ruinera les finances de Monaco Telecom, mais cela démontrera la volonté de l’opérateur d’aller dans le bon sens. Mais l’exemple de la surfacturation papier n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il faut que le gouvernement sensibilise l’opérateur à des pratiques marketing incitatives, et non punitives.

Quelles autres décisions attendez-vous de la part du gouvernement monégasque ?

La nomination récente au sein du ministère d’Etat d’un délégué interministériel du numérique devrait inciter le gouvernement à repenser sa représentation au sein du conseil d’administration de Monaco Telecom. Y nommer un spécialiste du numérique permettrait d’ajouter une dimension stratégique dans les échanges entre l’Etat et Monaco Telecom qui, jusqu’à présent, a toujours fait défaut.

Et pour les usagers ?

Nous souhaitons que la parole des usagers soit mieux entendue par l’opérateur. Et à ce titre, nous souhaitons que le gouvernement accepte qu’un représentant du Conseil national puisse siéger au conseil d’administration de Monaco Telecom.

Et pour le monopole de Monaco Telecom ?

Nous souhaitons ouvrir au plus vite avec le gouvernement le débat sur la fin du monopole.

Mais Monaco Telecom est aussi une source importante de revenus pour l’Etat monégasque !

Vous avez tout à fait raison. C’est pour cela qu’il ne faut pas faire n’importe quoi et prendre le temps d’évaluer toutes les conséquences et imaginer quelles pourraient être les mesures et nouvelles règles à mettre en œuvre.

Quelles premières règles faudrait-il appliquer ?

La première serait la création d’une entité qui pourrait s’appeler Monaco Telecom Réseau d’Accès (MTRA) et qui, dans un premier temps, appartiendrait à 100 % à Monaco Telecom. Cela permettrait d’acter un premier pas et d’évaluer les futures équations économiques. C’est la même philosophie que celle qui a conduit en France à la création d’Enedis, qui est le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité ou de SNCF Réseau, née de la fusion de Réseau ferré de France, de la SNCF Infra et de la direction de la circulation ferroviaire.

Et si le monopole de Monaco Telecom est maintenu ?

À l’heure où les Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA), les géants du web, considèrent les opérateurs télécoms comme des commodités, ou comme de simples fournisseurs de tuyaux, à l’heure où la 5G offrira des services qui, par nature, iront à l’encontre de la neutralité du Net et permettront la virtualisation des réseaux, maintenir à Monaco une situation archaïque de monopole dans le secteur des télécoms pourra avoir, dans le futur, des effets pervers sur le développement économique de Monaco. Et notamment dans les secteurs liés au numérique. S’il était maintenu, ce monopole pourrait être un frein à l’installation à Monaco de futurs leaders du numérique, notamment dans les domaines de l’internet des objets, de la smart city, de la santé connectée… Les réseaux de télécommunications doivent être un espace de liberté. Liberté d’expression, liberté d’accès au savoir mais aussi liberté d’entreprendre et d’innover. Les infrastructures réseaux sont aujourd’hui une arme économique devant accompagner la croissance d’un pays et sa capacité à créer les emplois de demain.

Sinon, que pensez-vous de la stratégie du gouvernement pour développer sa smart city ?

Surprenante ! Les phases décrites par le gouvernement sont exactement le contraire de ce que le bon sens voudrait qu’il soit fait ! Le gouvernement préconise un phasage, où la cible première serait les touristes, puis les pendulaires, puis enfin les résidents. L’approche du Conseil national, tout comme il me semble de la mairie, est exactement l’inverse. La priorité doit être mise sur les résidents, puis les pendulaires. Le choix de commencer un projet de smart city par la cible des touristes serait à ma connaissance une approche tout à fait inédite, sans équivalence ailleurs. De plus, la justification économique utilisée par le gouvernement me semble, pour le moins, très discutable. Mais le Conseil national se veut constructif. Nous avons d’ailleurs décidé au sein de la commission pour le développement du numérique, de créer un groupe de travail consacré à la smart city. Nous comptons donc être force de proposition.

Quoi d’autre ?

Autre lacune pour le moins surprenante dans le dispositif présenté par le gouvernement : je n’ai vu nulle part l’intégration des capteurs de pollution sonore. Il s’agit pourtant tout simplement de faire appliquer le loi n° 1 456 portant sur le code de l’environnement. Dans ce texte, il est précisé dans son article L.131-1 : « Toute personne dispose d’un droit d’accès aux données pertinentes relatives à l’environnement détenues par l’administration. » Il serait incompréhensible que la mise en œuvre de la cartographie sonore de la Principauté n’utilise pas les dispositifs prévus dans le cadre de la smart city.

Quelle est votre approche sur ce sujet ?

Pragmatique, comme toujours avec le groupe majoritaire. Avant de parler de smart city ou de ville intelligente de demain, il faut d’abord faire fonctionner intelligemment ce qui existe aujourd’hui.

Comment ?

Juste un exemple. En tant que résident, vivant au quotidien à Monaco, il me serait agréable que lorsque je sors du parking de Carrefour, que le système qui lit ma plaque d’immatriculation, ouvre automatiquement la barrière si je suis resté moins d’une heure, sans que j’ai à mettre dans la borne mon ticket de parking. Ce serait un bon moyen pour fluidifier la circulation à la sortie du parking. Pour avoir cette brillante idée, je n’ai pas eu besoin d’interroger des élèves d’une école d’ingénieur parisienne. Il a suffi que j’aille à Cagnes-sur-Mer, à Polygone Riviera, car là-bas, c’est comme cela que cela marche. Globalement, Monaco accuse un retard en termes d’infrastructures, notamment en matière de signalétique. Mais ce n’est pas le seul domaine. La précédente mandature a dû se contenter comme réponse de « on étudie » et de « on verra ». Une chose est sûre, on ne se contentera pas de ce genre de réponse.

Quelles doivent être les priorités ?

Il ne suffit pas de parler de smart city, même si cela fait intelligent et permet de se donner une image tendance. On peut tenter de noyer le poisson, en utilisant un jargon incompréhensible. Je pourrais vous parler d’internet des objets, de smart grid, d’open data, de plateforme de collecte d’informations, de big data, etc. Je pourrais aussi vous parler de concepts futuristes pour vous faire rêver, voiture autonome, voitures qui communiquent avec les infrastructures urbaines, intelligence artificielle qui régule les flux urbains, etc. Bref, il peut être tentant de faire croire que c’est compliqué pour justifier l’inaction.

A quoi doit prioritairement servir la smart city ?

Pour le gouvernement, dans un premier temps, tous les projets de smart city devraient avoir pour unique objectif de résoudre simplement des problèmes simples de la vie quotidienne pour améliorer la qualité de vie des résidents monégasques.

Comme quoi ?

Tout automobiliste résidant à Monaco s’est un jour retrouvé coincé dans un embouteillage sur la dorsale. Une simple signalisation à chaque accès à cette dorsale indiquant le temps de traversée dans les sens est-ouest et ouest-est permettrait aux automobilistes d’éviter ce piège et de choisir un itinéraire alternatif si nécessaire. Sauver dans sa journée une demi-heure d’embouteillage, cela améliore vraiment la qualité de vie.

Et pour les parkings ?

Certains parkings à Monaco ont été conçus comme de véritables souricières. Indiquer les endroits où il y a des places de libres dans ce genre de parking, améliore, là aussi, la qualité de vie. Toute personne qui est allée chercher ses enfants au moment de la sortie des classes de l’école des Révoires, et qui a tenté d’utiliser le parking du Jardin Exotique, comprendra de quoi je parle.

La circulation rapide de l’information est primordiale ?

Les individus ne sont pas exclusivement soit des piétons soit des utilisateurs de bus, de vélos ou des automobilistes. Au cours d’une même journée, on peut passer de l’un à l’autre. Voire même, au moment de se déplacer, on peut hésiter sur le moyen de transport à privilégier. Pour les déplacements de Monaco à Monaco, à quoi sert-il de prendre sa voiture pour faire plus vite, si, lorsqu’on arrive à destination, tous les parkings sont saturés ? Avoir l’information aurait peut-être incité la personne à se déplacer à pied !

Qui devront être les acteurs de la smart city ?

En dehors des services de l’Etat, je ne comprendrais pas que les entreprises monégasques ne soient pas largement associées à ces projets. Je connais au moins une dizaine d’entreprises monégasques qui ont des compétences dans les technologies à mettre en œuvre. Parmi elles, certaines ont même, par l’intermédiaire de leur maison mère, participé à des projets de smart city dans de grandes agglomérations françaises. Il serait donc incompréhensible que l’écosystème monégasque ne soit pas sollicité par le gouvernement pour la mise en œuvre des projets de smart city.

Pourquoi ?

Il faut absolument cesser avec cette mentalité qui consiste à croire que tout ce qui vient de l’étranger est toujours plus performant et qu’être monégasque est synonyme d’incompétence. Il ne faut pas, bien entendu, réinventer la roue localement. Mais en matière de numérique, nous avons de la matière grise. Il faut donner l’opportunité aux acteurs de se développer, leur donner une vitrine mondiale à travers les projets qui seront réalisés à Monaco. Ce qui leur donnera ensuite l’opportunité d’exporter leur savoir-faire. Ce ne sont pas les consultants parisiens qui pourront comprendre nos spécificités et nous inventer notre ville intelligente de demain et résoudre nos problèmes du quotidien. C’est à nous de le faire !

Où en est la proposition de loi sur la Blockchain, votée en décembre 2017 ?

Je tiens tout d’abord à rendre hommage à l’excellent travail produit par Thierry Poyet, qui a porté cette proposition de loi jusqu’à son vote, le 21 décembre 2017 par le Conseil national. Le gouvernement doit nous indiquer, au plus tard le 21 juin 2018, s’il entend, ou non, transformer la proposition de loi en projet de loi. Et, pour le cas où il la transformerait, il aurait jusqu’au 21 juin 2019 pour déposer un projet de loi. On voit ici que les délais sont très longs, eu égard au rythme auquel évolue ce domaine.

Vraiment ?

Depuis la proposition de loi sur la blockchain votée au mois de décembre, la France a, par exemple, ratifié le 13 avril 2018 la déclaration de partenariat Européen sur la blockchain. Le Conseil européen a annoncé qu’il investira 300 millions d’euros dans des projets soutenant l’utilisation de la blockchain dans les domaines techniques et sociétaux via son programme Horizon 2020. Il prévoit aussi d’investir dans l’e-santé.

Dans ce contexte, que peut faire Monaco ?

Monaco peut avoir une carte à jouer. L’adoption du texte de loi tel que soumis par le Conseil national au gouvernement permettrait à Monaco d’avoir d’excellents arguments dans la guerre de marketing territorial que se livrent les différents pays.