mardi 23 avril 2024
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Sale temps pour l’industrie

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© Photo D.R.

Avec les plans sociaux en cours à Théramex et Mecaplast, la question de l’avenir de l’industrie monégasque se pose à nouveau avec acuité. Social et économique, le dossier Mecaplast est aujourd’hui devenu hautement politique.

Après Théramex, Mecaplast. A Fontvieille, où sont installées la plupart des entreprises industrielles de la place, l’inquiétude est palpable. La peur de la contagion des plans sociaux domine. « Après une série noire en 2008-2009, nous avons été en répit, il y a eu un sursaut. Mais aujourd’hui, on rentre dans une nouvelle spirale », soupire Jean-François Guidi, secrétaire général du syndicat des Chimiques plastiques, qui craint à terme une disparition de l’industrie à Monaco.
Le premier coup qui a sonné les salariés de l’industrie a été donné chez Théramex. Le 18 septembre, la direction a annoncé « le projet de centralisation en Europe des fonctions commerciales, marketing et administratives au sein du Groupe Teva ». Au total 84 suppressions de postes au siège monégasque (dans les fonctions commerciales et associées) avec des départs échelonnés entre janvier et l’été 2013. La raison avancée pour cette restructuration ? « L’activité Santé de la femme, domaine de spécialisation de Théramex, a vocation à rester une des aires thérapeutiques stratégiques de Teva mais le pilotage sera assuré par les autres unités du groupe Teva, en France ou en Europe. » Et les suppressions de postes sont loin d’être terminées : « Dans un second temps, à l’issue de la migration vers un nouvel environnement informatique, les fonctions Finance, Achats, Logistique, Informatique devraient être redéfinies pour s’adapter aux nouveaux besoins du Laboratoire, ce qui conduirait à la suppression de postes supplémentaires dans le second semestre 2013 », annonce le communiqué. Si le plan social a été validé, avec treize mutations internes proposées dans les structures européennes de Teva, la nouvelle a eu l’effet d’une bombe à Monaco. Une première.

Le choc Mecaplast
Quelques jours après, les rumeurs grondent à Mecaplast. L’industrie automobile française va mal. PSA vient d’annoncer 8 000 suppressions de poste. L’effet boule-de-neige est immédiat. Le groupe Mecaplast, l’un des leaders européens de l’équipement automobile, s’apprête à licencier, officiellement, 71 salariés de son antenne monégasque, et à créer 46 emplois. Selon Michel Canu, délégué du personnel, c’est le centre recherche et innovation qui est touché, avec 80 à 100 suppressions de postes à la clé. En effet, le plan social prévoit de redéployer certaines fonctions en interne or « rien ne dit que les profils correspondent et aboutissent réellement à un reclassement. C’est comme si on nous proposait de remplacer un chirurgien par un vétérinaire ! » Pour l’heure, les salariés de Mecaplast ne peuvent hélas que spéculer, personne de la direction ne leur ayant encore communiqué formellement le nombre de postes supprimés par catégorie de personnel. « Nous n’avons aucune visibilité, aucun plan à trois ans, tous les cas d’école sont donc envisagés », regrette Michel Canu, qui travaille depuis 12 ans dans la boîte. Les salariés craignent à terme une fermeture de l’entreprise ou une vente de l’entreprise créée en 1955 par Charles Manni. « Sur Monaco, on passe de 400 salariés il y a 18 mois à 200. C’est la masse critique. Comment l’entreprise va-t-elle concrètement fonctionner avec une usine en surcapacité et un service Recherche et Innovation qui disparaît ? » Les salariés devaient être peut-être fixés le mercredi 17 octobre avec une nouvelle rencontre avec le directeur des ressources humaines. Le directeur financier, François Sordet devait d’ailleurs lui aussi venir de Paris leur expliquer la situation financière du groupe. Car depuis le changement de direction en juin, les nouveaux dirigeants sont basés à Issy-les-Moulineaux et les employés ont l’impression que la direction répond aux abonnés absents. C’est d’ailleurs une autre source de déception : pour ce plan social, les salariés n’ont vu ni Thierry Manni le pdg ni Pierre Boulet, le CEO. Le seul interlocuteur a été le directeur des ressources humaines, « un Mecaplastien heureusement », Maurice De Raco. « Lors de la restructuration de Mecaprod, la famille Manni, qui possède aujourd’hui encore deux tiers du capital, avait traversé la route pour voir les employés. Ce n’est pas le cas cette fois-ci et c’est une grande frustration », lâche Michel Canu.

Dommages colatéraux en France
Seule certitude : la restructuration de Mecaplast ne s’arrêtera pas là. Alors que nous bouclions ces lignes, les huit sites français de Mecaplast se demandaient encore à quelle sauce ils allaient être mangés. Le groupe qui emploie 2 500 personnes en France, a déjà dû mettre en chômage technique les 275 salariés de l’usine de Vire, dans le Calvados jusqu’à la fin de l’année. Logique : « En début d’année, nous avions un prévisionnel de -5 % qui n’était déjà pas rose. On est aujourd’hui à -8 % !, expliquait Maurice de Raco dans les colonnes de Monaco-Matin. Notre client majeur PSA, qui représente 34 % de notre chiffre d’affaires est très touché. Fiat aussi. » Les salariés de Mecaplast restent donc suspendus aux délocalisations prévues par PSA et depuis quelques jours, aux rumeurs de fusion du constructeur automobile français avec Opel. « Ce qui coûte, c’est le flux logistique et la partie transports. Or, Opel est basé essentiellement en Allemagne et le site de Strasbourg de Mecaplast est assez éloigné. Une fusion pourrait alors pénaliser le groupe directement », s’inquiète Michel Canu.

Mecaplast, dossier politique
Préoccupante sur le plan économique, la situation de Mecaplast, cinquième employeur de la Principauté, est aussi devenue un sujet hautement politique. Dans son rapport sur le budget rectificatif 2012, le président de la commission des finances a demandé des comptes au gouvernement sur l’efficacité des aides allouées à Mecaplast : « Depuis 2008, l’État a participé à hauteur de 13 millions d’euros sur les 40 millions d’euros prévus au plan de sauvetage établi par le Comité interministériel de restructuration industrielle français. Le présent Budget rectificatif a vu un ajout de 19 millions d’euros. Par le libellé de cette nouvelle inscription budgétaire, il semblerait que la garantie à première demande prise à hauteur de 10 millions d’euros soit incluse dans ces 19 millions d’euros. Ce qui signifierait que la garantie a donc été actionnée. Cette dernière devient finalement une sorte de prêt consenti au débiteur, à ceci près que l’obligation de remboursement se trouve omise, ce qui la rapproche d’une subvention. » La question latente étant de savoir si ces aides ont servi à conserver des emplois en principauté… Après avoir rappelé que le gouvernement veille au respect de la légalité du plan social — la première mouture de la direction de Mecaplast a d’ailleurs été retoquée par la direction du travail (voir encadré) —, le ministre d’Etat Michel Roger a détaillé les aides de l’Etat monégasque à Mecaplast. « Une garantie de paiement à première demande a été consentie en 2008 sur un prêt accordé par la HSBC pour un montant de 10 millions d’euros. Un prêt de 3 millions d’euros remboursable en une seule fois a ensuite été accordé, à la suite de l’exercice par la Compagnie monégasque de banque en juillet 2009 de la garantie concédée par l’Etat en décembre 2008. Enfin, un prêt de 9,3 millions d’euros dans le cadre du dispositif d’aide (France et Monaco) a été consenti en octobre 2009 et dont le résiduel est à ce jour de 5,9 millions d’euros mais dont les intérêts ne sont plus honorés depuis le mois de juin 2012. » L’occasion aussi de rappeler que « toutes ces mesures ont été soumises et validées en leur temps à la Commission de placement des Fonds » où siègent des élus du conseil national…

Une commission pour l’industrie
Mais au-delà de Mecaplast, c’est bien l’avenir de l’industrie monégasque qui est posée par les élus. Avec la question claire et nette : le gouvernement veut-il encore un secteur industriel à Monaco ? Et dans quelle activité ? « S’agissant de Mecaplast, il est étonnant que ce soit le département Recherche et innovation qui soit touché alors que c’est le secteur d’activité que l’on recherche à Monaco, déplore Guillaume Rose, président de la commission des intérêts sociaux qui a reçu vendredi une délégation de salariés de la société. Il existe une crainte que Mecaplast ferme alors que cette entreprise a sa place à Monaco et que des cas de délocalisations dans le secteur industriel se multiplient ». Car aujourd’hui, le secteur industriel monégasque, qui concerne 2 700 emplois directs et pesait pourtant encore en 2011 un milliard d’euros de chiffre d’affaires global selon Monaco en chiffres, vit une nouvelle crise et sans doute pas la dernière. Patronat et syndicats tirent la sonnette d’alarme depuis des années. Lourdeurs administratives, contraintes de sécurité plombant l’activité (Biotherm aurait fermé sa production après s’être vu interdire l’utilisation de plus de 30 litres d’alcool pur dans l’usine !), primes de loyer plafonnées faisant parfois chuter la prime industrielle de 90 %, aide au chômage technique suspendue… En coulisses, les patrons pestent contre ces entraves à leur activité. Après l’industrie cosmétique, c’est au tour des industries pharmaceutiques et des équipementiers automobiles d’être impactées. Qui sera le prochain ? « L’industrie à Monaco telle qu’on l’a connue, avec des ateliers de fabrication, est condamnée à moyen terme. Bientôt, il ne restera plus que le siège social de ces entreprises, le commercial ou le marketing par exemple. Et peut-être quelques fabrications de produits de haute technologie sur des chaînes robotisées », avait déjà diagnostiqué en pleine crise en 2009 Danyel Bastelica, président du GIET.

Dumping social
« Il ne faut pas nous le cacher : l’industrie monégasque subira une concurrence croissante de la part de pays qui offrent une organisation du travail plus compétitive, puisque beaucoup moins respectueuse des droits des salariés auxquels la législation sociale monégasque est attachée », estime le ministre d’Etat. « Cette concurrence est principalement le résultat de l’ouverture du marché européen vers l’est durant les années 1990-2000 ainsi que de la négociation d’accords internationaux qui ont facilité l’ouverture du marché européen à la concurrence extra européenne. A moins de remettre en cause notre modèle social, les entreprises industrielles de la Principauté se trouvent quelque part désarmées par rapport à ces situation exogènes. » Pour le ministre et les élus, « il faut donc oser le pari de l’innovation ». C’est en partie déjà le cas. 41 projets ont été financés par le Fonds monégasque à l’Innovation mis en place en 1998, concernant 28 entreprises (l’Etat ayant doté ce fonds de plus de 4 millions d’euros depuis l’origine). Des projets liés aux secteurs du développement durable et des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais ce n’est évidemment pas suffisant.
Pour plancher sur l’avenir, Michel Roger a accepté la requête de la commission des finances de créer une Commission mixte sur l’Industrie, avec des représentants de l’Union des commerçants, de la Fédération patronale, de la chambre de développement économique, du Conseil économique et social, du gouvernement et du conseil national, sous la présidence du conseiller pour les Finances et l’Economie. « Un agenda de travail pourrait rapidement être arrêté », a promis le ministre d’Etat. L’urgence se fait en effet de plus en plus sentir…

Un plan social « plus digne »
Le 9 octobre, plus d’une centaine de salariés de Mecaplast débrayent au moment même où leurs délégués du personnel discutent du plan social à l’inspection du travail. Si les employés ne se font aucune illusion, ils défendent un plan social « digne », demandant une amélioration des conditions de départ. Et notamment une prime supra légale supérieure aux 1 500 euros par année d’ancienneté accordés par la direction en plus de l’indemnisation légale. Retoqué par le gouvernement la semaine dernière, le plan social doit être redéposé cette semaine. Après avoir rencontré les délégués du personnel, Stéphane Valeri, conseiller de gouvernement pour les Affaires sociales et la Santé, va à nouveau rencontrer dans les prochains jours le président administrateur délégué et le directeur général de cette société. « Il mettra encore, à cette occasion, l’accent sur la volonté du gouvernement de voir préserver le plus d’emplois possible à Monaco et de voir l’entreprise mettre en place une cellule de reclassement efficace pour tous les salariés », a annoncé le ministre d’Etat. D’autres mesures gouvernementales ont été entérinées : l’inscription au service de l’emploi des salariés licenciés quel que soit leur lieu de domicile et une aide financière de l’État pour financer le chômage partiel, afin d’éviter de nouveaux licenciements. « De telles mesures avaient déjà été mises en place pour les précédents plans sociaux », rappelle Jean-François Guidi, secrétaire général des Chimiques-Plastiques.

L’industrie en chute libre

Alors que le secteur pèse encore 1 milliard d’euros, l’industrie monégasque a connu une escalade de plans sociaux et de délocalisations ces dernières années.

Les Trente Glorieuses sont bel et bien terminées. A Monaco comme ailleurs en Europe, l’industrie semble aujourd’hui passée de mode. Il est loin le temps où en 1949, ce secteur représentait un tiers de l’activité commerciale de la Principauté avec 321 firmes, selon le manuel Histoire de Monaco de Thomas Fouilleron. Parfumerie, produits pharmaceutiques, matières plastiques, produits de beauté… A cette époque, de grands noms s’installent en principauté. Comme Lancaster par exemple. Ou encore les laboratoires Asepta (avec son « dentifrice des pieds »), Théramex, Borgwarner transmission systems, Silvatrim, Mecaplast… A l’origine de ces créations et implantations d’entreprises, il y a plusieurs facteurs. La convention franco-monégasque de 1952 sur la pharmacie favorise un essor du secteur, la décolonisation en France fait basculer de nouveaux investisseurs venant d’Algérie à Monaco et la création de 220 000 m2 de terrains constructibles gagnés sur la mer dans les années 60 à Fontvieille permet d’accueillir les entreprises du secteur industriel gourmandes en m2… Pour autant, « l’exiguïté, les contraintes environnementales d’une implantation dans un tissu urbain très dense, l’absence de marché local et d’un grand axe de communication, de même que les nouvelles conditions fiscales (après le renouvellement des accords franco-monégasques en 1963) entraînent rapidement une diminution des installations de sociétés en principauté », analyse Thomas Fouilleron. On passe très vite de 71 autorisations délivrées en 1960 à 14 en 1968 ! Et selon le groupement d’étude des industries de transformation (GEIT), le nombre d’entreprises industrielles dégringole de 156 en 1987 à 65 en 2005.

1990 : première délocalisation
En 1987, les laboratoires Welcome, installés en principauté depuis 1965, quittent Monaco pour Sophia-Antipolis. Juste avant que la conserverie d’anchois La Monégasque, créée en 1942 en principauté avec 7 salariés, avant de grimper jusqu’à près de 500 salariés, ne délocalise sa production au Maroc et en France en 1990. La toute première délocalisation à Monaco… Et pas la dernière ! Les années 90 sont très dures. Micro, une entreprise qui fabriquait des condensateurs et qui n’a pas résisté à la concurrence de produits asiatiques meilleurs marchés, ferme ses portes en 1992. Environ 300 salariés sont alors licenciés.

A qui le tour ?
Symboles de la crise économique et financière, les années 2008 et 2009 sont noires à Monaco. En septembre 2008, l’atelier de fabrication de bijoux Albanu annonce la fermeture de son site. Le géant de la cosmétique Sofamo-Biotherm délocalise dans le nord de la France avec 198 suppressions de postes. Fin 2008 toujours, Sacome-Conti, le fabriquant de machine à café industrielle licencie 8 salariés mais la société est sauvée grâce à un consortium d’investisseurs. Les délocalisations s’enchaînent. Surtout en Tunisie. C’est le cas de l’équipementier automobile Microtechnic et de Plascopar. Pour le syndicaliste Jean-François Guidi, il n’y a pas de hasard : « En décembre 2007, le ministre d’Etat Jean-Paul Proust est allé en Tunisie. Du coup, on pense qu’il y a eu des accords entre les deux pays. » Avant d’ajouter : « Pas sûr que ces accords tiennent toujours avec l’instabilité politique en Tunisie… »