vendredi 19 avril 2024
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Guillaume Rose – Guy Antognelli : « On ne vise pas le tourisme de masse »

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A cause des grands travaux sur la place du Casino jusqu’en 2019, le tourisme pourrait être durement touché à Monaco. Guillaume Rose, directeur du tourisme et des congrès et Guy Antognelli, administrateur statistiques-prospective, expliquent à Monaco Hebdo comment ils comptent limiter l’impact, et dressent un bilan de l’année touristique 2014. A la demande de l’interviewé, cette interview a été relue avant parution.

 

Votre bilan de l’année touristique 2014 en Principauté ?

Guillaume Rose : Les résultats 2014 sont excellents. C’est une année de records. Tourisme de loisirs et tourisme d’affaires confondus, le taux d’occupation pour 2014 dans l’ensemble des hôtels de la principauté est de 65,48 %. Soit une progression de 0,8 % par rapport à 2013. Au total, nous avons enregistré 585 325 chambres louées. Il s’agit du plus haut taux d’occupation de l’histoire.

Guy Antognelli : Au mois d’août 2014, le taux d’occupation a aussi battu un record : il a été de 88,29 %. Il s’agit du plus haut taux d’occupation mensuel jamais atteint.

Il y a d’autres chiffres marquants ?

Guillaume Rose : Nous avons enregistré un autre record : le revenu par chambre disponible. Il s’agit de l’indice de rentabilité de l’hôtellerie. Il est à 189,33 euros, en progression de 43 % depuis 2009 qui était le point le plus bas, à cause de la crise financière. Autrement dit, les hôtels sont une fois et demie plus rentables qu’il y a 5 ans.

Quelles sont les nationalités les plus représentées ?

Guillaume Rose : Dans le « top 5 », on retrouve la France, puis le Royaume-Uni, l’Italie, les Etats-Unis et enfin la Russie.

Guy Antognelli : Les Français restent en tête de loin avec 150 000 nuitées par an. Les Anglais : 110 000. Les Italiens : 100 000. Les Américains : 83 000 et les Russes : 65 000. La Russie est entrée dans le « top 5 » il y a 3 ans.

Pourquoi vouloir attirer des Russes à Monaco ?

Guillaume Rose : Ce sont des clients évidents dans la mesure où Monte-Carlo a été construit pour les Russes et les Anglais. Ils apprécient le luxe, la vie nocturne, la culture et la gastronomie. C’est aussi une clientèle à fort pouvoir d’achat et de potentiels futurs résidents. Absolument partout aujourd’hui, il y a des personnels qui parlent russe à Monaco. La direction du tourisme et des congrès (DTC) a donc porté le gros de ses efforts sur le marché russe.

Et ça marche ?

Guy Antognelli : Les Russes continuent de venir à Monaco, quand la Côte d’Azur connaît une chute significative, avec une baisse de 14 % sur l’année 2014. Alors qu’à Monaco, on a enregistré une baisse de 6 % seulement. Ce qui est faible par rapport à la crise qui touche la Russie.

Guillaume Rose : Monaco résiste donc mieux. A titre comparatif, en décembre 2014, Dubaï, qui est l’un de nos concurrents, a enregistré – 50 % de Russes. Et la Thaïlande – 30 %. En décembre 2014, Monaco, a enregistré + 50 % de Russes par rapport à l’année dernière.

Pourquoi la France reste en tête ?

Guillaume Rose : La proximité géographique est évidemment un facteur. Pour la France, Monaco reste aussi une très grosse place pour le tourisme d’affaires. En revanche, si on regarde uniquement le tourisme de loisirs, la France est moins présente que l’Italie qui est en tête. Suivie de l’Angleterre.

Le touriste de luxe est toujours la cible prioritaire pour Monaco ?

Guillaume Rose : Le touriste que l’on souhaite attirer est évidemment celui qui a des moyens financiers importants. On ne vise pas le tourisme de masse car le pays est trop petit pour cela. Cela ne veut pas dire que l’on souhaite fermer nos frontières. On ne veut pas faire de Monaco un ghetto de riches. La phrase que je répète souvent est : « Monaco est à tout le monde, mais pas pour toutes les occasions. » Monaco doit rester un rêve. Et personne ne veut avoir de rêve « bon marché. »

Les excursionnistes d’un jour sont importants aussi pour Monaco ?

Guillaume Rose : Nous ne dépensons pas d’argent et nous n’avons pas de politique spécifique pour attirer les excursionnistes à Monaco. Mais nous constatons qu’ils viennent malgré tout en Principauté. Ils sont évidemment importants car ils font vivre non seulement les boutiques du Rocher et de la Condamine, mais aussi les commerces de proximité.

Ils sont nombreux ?

Guillaume Rose : Il est très difficile, voire impossible, d’obtenir des chiffres fiables sur les excursionnistes, car Monaco n’a pas de frontières. Il y a 3 ans, nous avons réalisé une enquête. Des enquêteurs ont été postés à l’entrée de Monaco. Par extrapolation, on a calculé que 7 millions de personnes par an entraient à Monaco.

Vous avez mesuré l’impact des grands travaux sur la place du Casino pour le tourisme ?

Guillaume Rose : La fermeture de l’hôtel de Paris a une conséquence directe : elle ampute la capacité hôtelière totale de la Principauté de 7 %. Ce qui représente 67 000 nuitées/chambres par an en moins. Il est donc très important pour nous que la Société des Bains de Mer (SBM) réagisse en étant aussi transparente et collaborative que possible. Lorsqu’on sort de l’hôtel Hermitage, il ne faut pas que l’on se retrouve dans une friche… C’est dans notre intérêt. Et dans le leur aussi.

Guy Antognelli : L’hôtel de Paris n’est certes pas complètement fermé, mais il est toujours difficile de commercialiser un hôtel en travaux. Nous avons toutefois des signaux encourageants. En octobre, novembre et début décembre, alors que les chambres de l’hôtel de Paris étaient déjà fermées, nous avons enregistré globalement plus de nuitées sur ces trois derniers mois que l’année dernière.

Comment expliquer ça ?

Guy Antognelli : Cela démontre que la clientèle de l’hôtel de Paris s’est reportée sur les autres établissements hôteliers. On a sans doute perdu du potentiel. Car si l’hôtel de Paris était ouvert, on aurait augmenté nos chiffres de façon plus importante. Mais en valeur absolue, nous avons tout de même enregistré une augmentation par rapport à l’année dernière. Ce qui est encourageant.

Guillaume Rose : Il ne faut pas oublier qu’en dehors des infrastructures de luxe, l’autre atout de la Principauté c’est son ouverture sur le monde. On parle 35 langues à Monaco et on recense aujourd’hui 130 nationalités résidentes à Monaco.

Votre méthode pour attirer un maximum de touristes du monde entier à Monaco ?

Guillaume Rose : Nous disposons d’un réseau de 10 bureaux de représentation à l’étranger. Huit ont été lancés il y a de longues années : à New York, Londres, Milan, Hanovre, Moscou, New Delhi, Sydney et Tokyo. En janvier 2015, on a ouvert un bureau au Brésil, à Sao Paulo. Et un deuxième à Singapour.

Pourquoi Singapour ?

Guillaume Rose : Singapour nous permet de rayonner sur l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie, Hong Kong, Macao, Taïwan et bien sûr la Chine continentale. Car l’une de nos grandes orientations pour 2015-2018, c’est justement de mener une politique de développement très forte en Asie.

Le rôle de ces bureaux ?

Guillaume Rose : Ces bureaux ont vocation à viser deux types de cibles. La première : les professionnels du tourisme dans le monde. A savoir, les agences de voyage, les tours opérateurs et les « corporate », c’est-à-dire les grosses entreprises susceptibles d’organiser des évènements à Monaco.

La deuxième cible ?

Guillaume Rose : Ce sont les journalistes intéressés par un déplacement à Monaco. Que ce soit la presse spécialisée dans le tourisme, la presse écrite, ou encore la presse audiovisuelle.

Vous avez déjà eu des résultats ?

Guillaume Rose : A titre d’exemple, nous avons réussi à décrocher des reportages sur CNN, la NHK, ou encore la BBC.

Ces bureaux ont des quotas à remplir ?

Guillaume Rose : Absolument. Ils ont, par exemple, des quotas de nuitées à remplir, ainsi qu’un certain nombre de retombées médiatiques. Les quotas varient évidemment selon les destinations.

D’autres bureaux vont ouvrir en 2015 ?

Guillaume Rose : Pour le moment, aucune ouverture n’est prévue. Toutefois, on envisage de rouvrir un bureau aux Émirats Arabes Unis (EAU). Un premier avait été ouvert en 2009. Mais on l’a fermé en 2012 car, sur trois ans d’activité, les résultats n’étaient pas satisfaisants.

Quels sont les bureaux les plus efficaces ?

Guillaume Rose : Dans le « top 3 », je dirais que les bureaux russe, australien et américain ont été très efficaces. Le bureau italien a également obtenu de bons résultats, malgré une crise économique importante. En Italie, on a d’ailleurs réagi depuis un an et demi en lançant un programme d’ambassadeurs de la destination Monaco. C’est aussi la raison pour laquelle, la DTC a développé un partenariat très étroit avec l’exposition universelle de Milan.

Parmi les grands axes 2015-2018, pourquoi viser une amélioration de l’accueil ?

Guillaume Rose : On entre dans une période de grands travaux sur la place du Casino, où la cote de glamour de la principauté va baisser. On est donc contraint de proposer un « plus. ». Et ce « plus », c’est l’accueil. L’humain. L’idée, c’est d’inculquer à tous les acteurs concernés la culture de l’accueil. C’est ce qui doit prédominer (1).

Comment faire ?

Guillaume Rose : En formant les personnels de la Principauté à un accueil optimal des touristes. A titre d’exemple, depuis un an, nous formons les policiers monégasques sur ce sujet. A la sortie de l’école de police, ils viennent durant une journée à la DTC suivre une formation. Nous accueillons un stagiaire par jour. L’objectif est de les sensibiliser sur qui sont les touristes, quels sont leurs centres d’intérêt et surtout, quelles sont les activités à mener en Principauté.

Les policiers sont donc aussi des informateurs touristiques ?

Guillaume Rose : Bien entendu. Il faut qu’ils le soient. C’est très important qu’ils aient aussi ce rôle dans le sens où ce sont d’excellents relais. Il est à mon sens nécessaire que les policiers découvrent les problématiques de la population qui vit et traverse Monaco.

Comment cette formation a été accueillie par la police ?

Guillaume Rose : Les policiers et le directeur de la sûreté publique, Régis Asso, ont accueilli très favorablement cette formation. On souhaite la proposer également aux conducteurs de bus qui sont aussi très régulièrement en contact avec les touristes.

Qui sont les touristes les plus dépensiers à Monaco ?

Guy Antognelli : A Monaco, il n’y a pas de chiffres sur la dépense moyenne des touristes. On sait par extrapolation, que les Australiens sont les plus dépensiers au monde. A Monaco, ils sont classés n° 9. Les seuls chiffres dont nous allons disposer concernent les croisiéristes.

Une enquête a été menée ?

Guy Antognelli : L’enquête s’est étendue de juin à octobre 2014. L’objectif était de déterminer combien dépensent les croisiéristes en moyenne en Principauté. Pour cela, nous avons mis en place de nombreux enquêteurs au pied des bateaux. Ces derniers ont interrogé les passagers avant qu’ils n’embarquent à nouveau. Les résultats de l’enquête seront publiés fin février. Cette étude va aussi nous renseigner sur l’impact économique du secteur de la croisière sur Monaco.

Justement, comment se porte ce secteur ?

Guillaume Rose : En 2014, 205 000 croisiéristes sont venus à Monaco contre 258 000 en 2013. Il y a donc une légère baisse.

Comment l’expliquer ?

Guy Antognelli : Il y a plusieurs raisons. La première, c’est que de nombreuses compagnies commencent à développer d’autres marchés. Notamment en Asie et au Moyen-Orient. Ces compagnies ont donc positionné des unités dans ces secteurs et moins en Méditerranée.

D’autres raisons ?

Guy Antognelli : Il y a également une autre raison fondamentale : les compagnies les plus luxueuses sont aussi celles qui ont les passagers les plus fidèles. Lorsque ces passagers ont effectué plusieurs fois la même croisière, sur un même bateau, pour encore les attirer, il faut leur proposer d’autres routes. Et donc, d’autres destinations.

Le résultat ?

Guy Antognelli : Après avoir effectué pendant 5 ans une escale à Monaco, logiquement pendant un ou deux ans, les bateaux vont s’arrêter ensuite à Saint-Tropez ou à Cannes. Les autorités portuaires nous ont d’ailleurs indiqué que Monaco s’est retrouvé à la conjonction de plusieurs compagnies qui ont été dans le mouvement pour modifier leur route.

C’est inquiétant pour Monaco ?

Guy Antognelli : Au contraire. L’ouverture de nouveaux marchés est plutôt une chance. Car à titre d’exemple, une fois que les Chinois auront traversé les côtes chinoises, ensuite, ils effectueront potentiellement, l’Australie, les Caraïbes, puis la Méditerranée. Cela ouvre donc de nouvelles perspectives.

Guillaume Rose : Ce qui nous inquiéterait, serait de perdre les croisiéristes de luxe, classés dans les segments « luxe » et « premium. » Ce qui n’est absolument pas le cas. Sur ces 205 000 croisiéristes en 2014, 33 % des passagers naviguent sur des bateaux de luxe et 60 % dans le segment « premium. » On a donc au total 93 % de passagers sur les deux segments supérieurs. Ce qui est très encourageant.

Comment est mesuré l’impact économique du tourisme ?

Guillaume Rose : L’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE) ne dispose pas encore des outils permettant de calculer précisément l’impact économique global du tourisme à Monaco. L’IMSEE ne communique que le poids économique de l’hôtellerie-restauration. Les entrées des musées, les dépenses dans les commerces de proximité, ou encore les revenus du casino ne sont pas comptabilisés.

Guy Antognelli : L’un des chantiers pour l’avenir sera donc de quantifier précisément l’apport économique de l’industrie touristique à Monaco.

Quels sont vos principaux marchés dans le tourisme d’affaires ?

Guillaume Rose : Il y en a essentiellement trois : le médical, la finance et les hautes technologies. D’octobre à mars, pendant la période creuse, notre politique s’oriente d’ailleurs essentiellement sur le tourisme d’affaires. A ce propos, le conseiller aux finances et à l’économie, Jean Castellini, et le conseiller aux affaires sociales et à la santé, Stéphane Valeri, se sont alliés pour cosigner une lettre expliquant quelle était la nature du tissu à la fois économique et sanitaire de la Principauté.

L’objectif de cette lettre ?

Guillaume Rose : Montrer que nous sommes un pays de recherches et de colloques très importants en termes de santé. L’objectif est évidemment d’attirer un maximum de congrès médicaux.

Le gouvernement nous a confirmé qu’il envisageait de remplacer le bâtiment du tourisme par une enseigne commerciale haut de gamme ?

Guillaume Rose : Des discussions sont en cours pour récupérer cet espace. Ce choix semble intéressant du point de vue du shopping car il s’inscrit dans la logique du quartier du Carré d’Or. Mais cela permettrait aussi de relancer le boulevard des Moulins à l’une de ses extrémités. Toutefois, deux impératifs s’imposent de fait : prévoir un pôle de renseignements central pour les touristes et reloger le personnel, soit 52 personnes.

Où reloger le personnel ?

Guillaume Rose : Plusieurs solutions sont actuellement envisagées. Rien n’est encore arrêté.

 

(1) Guillaume Rose rappelle aussi que depuis 2012, le plan accueil

“Monaco Welcome” qui allie secteurs privé et public, s’inscrit dans le renforcement de la politique d’attractivité mise en place par le gouvernement.