vendredi 19 avril 2024
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Les cartons jaunes de la “cour des comptes” monégasque

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Sabine-Anne Minazzoli et James Charrier
Le président de la commission supérieure des comptes James Charrier a présenté le rapport annuel avec le secrétaire général, Sabine-Anne Minazzoli. © Photo D.R.

La commission supérieure des comptes a publié son troisième rapport d’activité pour l’année 2010. Fonds de réserve constitutionnel, retraites, gestion du CHPG ou interventions publiques… La cour des comptes monégasque a épinglé une série de points faibles dans la gestion des deniers de l’Etat.

Si en France, la Cour des comptes a pour habitude de publier des rapports au vitriol, son équivalent monégasque, bien plus édulcoré, préfère généralement communiquer sur les « bons points » plutôt que tirer à boulets rouges sur les mauvais gestionnaires des deniers publics. Chargée de contrôler les budgets de l’Etat, de la commune et des établissements publics ou privés subventionnés par l’Etat, la commission supérieure des comptes (CSC) a publié son rapport annuel pour l’année 2010 — qui passe au crible les comptes de l’Etat 2008. Et a tiré toutefois la sonnette d’alarme sur quelques points. Premier avertissement formulé?: la gestion du fonds de réserve constitutionnel. « Nous assistons à une diminution progressive du montant des disponibilités du fonds de réserve, alerte le président de la CSP, James Charrier. Car celui-ci prend non seulement en charge les excédents des dépenses du budget général mais, régulièrement durant l’année, il est également amené à faire des avances de trésorerie au budget. On estime enfin que certaines immobilisations, et parmi les plus importantes, ne devraient pas être financées par le fonds de réserve mais par le budget général. Ce qui est le cas des travaux de la Zac Saint Antoine ou encore de la tour Odeon. La commission souhaite donc que ces opérations soient prises en charge par le budget général dans les meilleurs délais. » Un fonds de réserve dont le montant s’élevait au 31 décembre 2008 à 3,742 milliards d’euros selon le rapport (en diminution de 8,4 % par rapport au 31 décembre 2007). Pas question pour autant d’être totalement alarmiste. James Charrier souligne en effet que « la gestion prudente » du fonds de réserve a permis de limiter les conséquences négatives de la crise financière. « Nous sommes d’ailleurs indisposés par certaines campagnes de presse qui parlent d’un fonds mal géré ou non transparent. C’est une vue assez inexacte », rajoute le président.

« Des charges considérables »

Autre domaine pointé du doigt par la commission?: la gestion des retraites. « La Principauté pratique énormément le système des retraites anticipées. Certes, Monaco n’a pas de dette publique au sens habituel du terme. Mais il y a tout de même à prendre en considération la dette viagère. Si l’on cumule la durée de vie qui s’allonge avec les départs anticipés à la retraite qui se multiplient, les charges risquent d’être considérables. »

Les « interventions publiques » sont également dans le collimateur de la commission. Derrière ce terme très générique se cache une espèce de catégorie fourre-tout. « Il est difficile d’y voir clair », concède même le président. Il s’agit en réalité des subventions allouées par l’Etat aussi bien à la commune, qu’aux établissements publics du secteur social comme le Cap Fleuri, ou encore aux organismes culturels ou éducatifs comme la Fondation Prince Pierre, les ballets de Monte-Carlo ou encore le théâtre Princesse Grace. Une catégorie qui recoupe également les interventions économiques, comme les aides à l’industrie. « C’est une catégorie qui n’est pas du tout homogène avec un volume de dépenses qui progresse beaucoup et qui nous préoccupe. Il faut évaluer les retombées économiques de ces subventions », explique James Charrier. Le rapport indique en effet que « les interventions publiques » ont entraîné en 2008 une dépense de 176,74 millions d’euros (+1,3 % par rapport à 2007).

CHPG?: « perspectives défavorables »

Dans son rapport, la commission a également passé au peigne fin les comptes du CHPG. Et l’année 2008 a été marquée par une baisse particulièrement spectaculaire de son déficit. « Après 20 années de croissance quasiment ininterrompue, le déficit du CHPG qui avait atteint 6,81 millions d’euros en 2006 et s’élevait encore en 2007 à 6,67 millions d’euros est retombé à 1,68 million d’euros en 2008 », indique en effet noir sur blanc le rapport. Un enthousiasme d’emblée tempéré par le président de la commission. « Cette amélioration n’aura été qu’un répit. Les perspectives s’annoncent en effet défavorables, en particulier compte tenu du passage futur à la T2A. Ce qui pèse aussi lourdement sur le budget actuel est l’incertitude autour de la construction du nouvel hôpital. La position d’attente n’est jamais propice à une gestion dynamique. Il est préférable qu’une décision soit prise rapidement », rajoute le président de la CSC. Concernant la Fondation Prince Pierre, pour les exercices 2004 à 2009, la commission n’a pas émis de critique particulière, mais note toutefois « la faible part des recettes propres, l’importance des frais de publicité et, surtout, le coût élevé et difficilement maîtrisable du prix d’art contemporain. » La commission a par ailleurs suggéré au gouvernement d’engager une réflexion sur le statut juridique de l’établissement.

En revanche, il est fort à parier que la commission aura cette année un œil très vigilant sur la gestion des comptes de l’IM2S. La « cour des comptes » monégasque est en effet habilitée à contrôler les sociétés dans lesquelles l’Etat possède la majorité du capital. A l’exception des sociétés cotées en bourse comme la SBM.

“Nous n’avions aucune visibilité”
« Jusqu’en 2008, nous n’avions aucune implantation et aucune visibilité en principauté. Ce qui était gênant. J’avais d’ailleurs été passablement assailli par le Greco (Groupe d’états contre la corruption). Difficile de leur faire comprendre que l’on existait réellement et que nous étions indépendants », rappelle James Charrier. Car jusqu’à l’ordonnance souveraine du  2 juillet 2008, les rapports de la commission n’étaient pas obligatoirement rendus publics. « Ce n’était pas prévu par les textes d’origine de 1968. Nos travaux n’étaient pas pour autant confidentiels. Les élus les utilisaient dans leurs travaux et leur donnaient ainsi une certaine publicité. Mais il était important que nos rapports soient accessibles à tous », rajoute le président. A noter que la commission s’est à présent dotée d’un secrétaire général, Sabine-Anne Minazzoli.
Etablissements privés sous contrôle
La commission supérieure des comptes est autorisée à éplucher les comptes des organismes privés subventionnés par l’Etat (1). L’un des premiers établissements à avoir été passé au crible est l’Automobile club de Monaco. Sur la liste figure aussi l’Orchestre philharmonique de Monaco. Alors qu’actuellement, c’est le Grimaldi forum, la société d’exploitation des ports et la société immobilière domaniale qui sont sous contrôle. Ces trois derniers organismes ayant été contrôlés en tant que « sociétés d’Etat » et non en tant qu’organismes subventionnés. En revanche, les rapports sur les établissements privés ne sont pas rendus publics. Une pratique qui ne devrait pas changer. « Il y a certains éléments que l’on ne peut pas publier. Pour l’Automobile club de Monaco par exemple, on a communiqué la quasi-totalité du rapport au conseil national. Mais j’ai dit non, pour d’autres éléments. Car dans ce rapport, j’avais notamment examiné le contrat qui liait l’Automobile club avec Ecclestone. Et il y avait une clause de confidentialité. Si les analyses que j’avais pratiquées sur ce contrat avaient été ébruitées, ça aurait amené des difficultés invraisemblables et de vrais risques de contentieux », explique James Charrier.

(1) Les organismes privés sont contrôlés à la demande du prince ou à l’initiative de la commission, mais toujours avec l’accord du chef d’Etat.