mardi 23 avril 2024
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Jeux en ligne : tout le monde perd

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Nicolas Béraud. Président de BetClic Everest Group
« Il est structurellement impossible de dégager des bénéfices. » Nicolas Béraud. Président de BetClic Everest Group (BEG). © Photo Mangas Gaming.

Moins d’un an après l’ouverture du marché des jeux en ligne, les opérateurs perdent tous de l’argent. D’ailleurs, TF1 vient d’annoncer son retrait. Alors que la Société des bains de mer (SBM) continue.

Et pourtant, c’était bien parti. Depuis juin dernier, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) a délivré 48 agréments à 35 opérateurs : 25 pour le poker, 15 pour les paris sportifs et 8 pour les paris hippiques. Bref, assez vite, un véritable engouement s’est dessiné pour l’ouverture à la concurrence du marché des jeux en ligne. D’ailleurs, associée avec le businessman Stéphane Courbit depuis mai 2009, la Société des bains de mer (SBM) n’a pas hésité à foncer. Résultat, actionnaire à 50-50 de BetClic Everest Group (BEG), la SBM sait désormais qu’il faudra patienter plusieurs années avant d’espérer équilibrer les comptes. Alors que TF1 a carrément annoncé le 23 janvier sa décision d’arrêter les frais, en vendant sa filiale EurosportBet.fr. Car le Pdg de TF1, Nonce Paolini, n’y croit plus.

« Prévisible »

Une situation que le consultant et délégué général du salon des jeux en ligne Monaco iGaming Echanges, Francis Merlin, a analysé dans un document dont il a révélé l’essentiel à Monaco Hebdo. Selon cet expert, le nombre de joueurs en France serait très en dessous des attentes des opérateurs. Car si 2,4 millions de joueurs ont ouvert un compte sur Internet, seulement 1,4 million sont devenus des comptes définitifs. Mais le problème, c’est qu’ils ne seraient que 500 000 à jouer chaque semaine. C’est le poker qui s’en sortirait le mieux, avec 280 000 joueurs actifs, contre 130 000 joueurs pour les paris hippiques. Mais le grand perdant, ce sont les paris sportifs. Car d’après Merlin, ce type de paris n’aurait attiré que 150 000 joueurs. Du coup, ce marché ne pèserait que 650 millions d’euros : 250 millions pour les paris hippiques, 200 millions pour le poker et 200 millions pour les paris sportifs.

« Tout ça était prévisible », explique cet expert qui attribue cet échec à une taxation trop lourde pour permettre aux opérateurs de gagner de l’argent. Alors que le taux de redistribution aux joueurs est limité à 85 %. De plus, beaucoup d’opérateurs estiment que le nombre de jeux ouvert à la concurrence est trop limité. Car les jeux de casino, de bingo et certains paris sportifs n’ont pas été autorisés par l’Etat français. « C’est par peur de l’addiction ! estime Merlin. Or, il y a 30 millions de joueurs de casinos en France qui ne bénéficient d’aucune protection contre l’addiction. Surtout que le dispositif législatif contre l’addiction mis en place par la France est le plus protecteur au monde. »

Erreur

Mais le problème numéro 1, c’est la taxe que les opérateurs doivent reverser à l’Etat français. Une taxe jugée trop lourde pour dégager des bénéfices. Car si le poker est taxé à hauteur de 2 % sur les sommes jouées, pour les paris sportifs, la taxe monte à 8,5 %. Résultat, le poker tire son épingle du jeu. « C’est le poker qui marche le mieux. Or, on pensait qu’il serait en dernière position. Mais il y a un véritable engouement autour de ce jeu. Avec des émissions télé très regardées, notamment sur Canal+.  Et une clientèle assez jeune et “iPhonisée” », souligne Merlin.

Du coup, la bagarre est dure entre les opérateurs. Et BEG n’est que 3ème sur le poker, derrière PokerStar et Winamax. Il faut dire que côté pub, c’est carrément la guerre. Avec des investissements qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros. D’ailleurs, pour doper son audience, Winamax se paie Patrick Bruel. Alors que PokerStars a préféré Sébastien Chabal. Mais chez BEG, on a aussi misé sur du lourd. Avec Tony Parker pour BetClic ou Estelle Denis pour Everest Poker. Tout en s’affichant sur les maillots d’équipes de foot de Ligue 1, comme Lyon et Marseille. Et la Juventus de Turin en Italie. Une véritable erreur, pour Francis Merlin?: « Les opérateurs de jeux en ligne ont communiqué sur la notoriété. En faisant du sponsoring sur les maillots d’équipes de foot, par exemple. Mais ils ont oublié qu’en France, il n’y a pas de culture autour des paris sportifs. Et qu’il faudrait avant tout lever pas mal de peurs par rapport à ça. » Des « peurs » qui sont tenaces. Mais pas impossibles à faire oublier.

Pression

« Il faut utiliser les modes de communication des jeunes. Notamment les réseaux sociaux pour communiquer sur la sécurité du jeu, enseigner ce qu’est le poker ou les paris sportifs. Bref, être pédagogue pour créer une véritable culture du jeu en ligne. Or, les opérateurs se sont battus pour être les premiers en termes de notoriété. Ce qui n’était pas le problème n° 1. Il aurait mieux valu se préoccuper de développer le marché. Les seuls à avoir compris ça, c’est le PMU », estime cet expert.

Une certitude, aujourd’hui chez BEG comme ailleurs, on fait pression pour changer les règles de ce marché. Juste une question de temps pour Francis Merlin : « Les Italiens ont fait la même bêtise que la France. Résultat, ils sont en train d’autoriser les jeux de casinos. Tout en baissant la taxation. Notamment sur le poker. En France, on sera obligé de faire pareil. »

En attendant, les opérateurs perdent de l’argent. D’après Le Figaro, BEG aurait déjà perdu 25 millions en 2010. Et ça n’est pas fini. Reste à savoir jusqu’à quand BEG, et donc la SBM, peuvent se permettre de perdre de l’argent. « Les opérateurs ont commis des erreurs. Car ils ont sous estimé les contraintes du marché. Bien sûr les grands groupes, comme BEG, peuvent se permettre de ne pas gagner d’argent pendant 2 ou 3 ans. Du coup, les plus gros s’en sortiront. Mais les autres disparaîtront », juge Merlin. Interrogé par L’Observateur de Monaco, le nouveau président de BEG n’est pas optimiste. En estimant qu’il est « structurellement impossible de dégager des bénéfices […]. Donc il faut changer les paramètres de ce marché si on veut éviter que cette ouverture soit un fiasco. » Tout en confirmant que BEG va réduire ses dépenses : « On ne peut pas continuer à jeter des millions par la fenêtre sans retour. »

Reste à savoir si ça suffira à rassurer les salariés de la SBM, inquiets pour leur avenir. D’ailleurs, pendant les débats budgétaires, le 12 décembre, les élus du conseil national ont à nouveau listé les problèmes auxquels la SBM est confrontée, en plus de la crise. Notamment en interne, au niveau social. Avec « des salariés excédés, prêts à faire exploser une bombe », selon la présidente de la commission des affaires sociales Union pour la principauté (UP), Brigitte Boccone-Pages. Alors que le dialogue social serait bloqué et que les négociations sur le statut unique n’avancent pas. Bref, dans les jeux en ligne, la SBM se prépare au pire. Merlin aussi : « Les opérateurs vont arrêter d’injecter des millions d’euros. Et ça aura de graves conséquences économiques. » A Monaco, on espère juste que la note ne sera pas trop salée.

Jean-Luc Biamonti président du conseil d'administration de la Société des bains de mer
Jean-Luc Biamonti président du conseil d’administration de la Société des bains de mer © Photo Monaco Hebdo.

“Le risque valait la peine d’être pris”

Le président du conseil d’administration de la Société des bains de mer (SBM), Jean-Luc Biamonti, explique pourquoi la SBM ne se retirera pas du marché des jeux en ligne.

Monaco Hebdo : Le bilan est bon pour BetClic et la SBM ?

Jean-Luc Biamonti : Selon nos informations, BetClic serait aujourd’hui le premier site français de paris sportifs, avec une part de marché de plus de 45 %. Et Everest poker détiendrait une part de marché de 20 %, avec un million de joueurs inscrits sur les deux sites. Alors que certains ne parviennent pas à obtenir une part de marché suffisante ou même ne sont pas encore en mesure d’opérer aujourd’hui, la performance de BetClic Everest Group est donc déjà satisfaisante.

M.H. : Mais tous les opérateurs perdent de l’argent ?

J.-L.B. : Ce résultat en apparence positif ne peut masquer la réalité économique dans laquelle se trouve en France ce secteur d’activité du fait des caractéristiques particulières introduites par la règlementation en termes d’offre et de fiscalité. Ces conditions pèsent inévitablement sur la rentabilité qui reste insuffisante aujourd’hui pour assurer une exploitation pérenne des jeux en ligne dans un contexte concurrentiel équilibré.

M.H. : Du coup, vous n’êtes pas surpris ?

J.-L.B. : Cette situation n’est pas une découverte. Mais nous espérons vraiment des aménagements. Notamment à l’occasion de la clause de revoyure, de façon similaire à ce qui a été réalisé dans d’autres Etats européens. L’élargissement de l’offre de jeux proposée, l’abaissement de la fiscalité ou le relèvement du taux de retour aux joueurs nous semblent constituer des mesures permettant aux opérateurs agréés de capter une part de l’activité réalisée par des sites qui n’ont pas d’agrément, et d’instaurer des conditions financières viables pour ces activités, sans financement extérieur. Pour être pérenne, une activité se doit d’être rentable par elle-même. Et, cela dans un environnement concurrentiel où chaque acteur opère avec les mêmes arguments.

M.H. : Donc la SBM va continuer à investir de l’argent dans BetClic ?

J.-L.B. : Comme nous l’avons indiqué dans le cadre de notre dernière communication semestrielle, la SBM a engagé sous différentes formes (souscription à une augmentation de capital, avance en compte courant, prêt d’associé) un montant global de 170 millions d’euros. Pour le moment, nous n’avons pas prévu d’effectuer de nouveaux apports. Mais, en tant qu’actionnaire, la SBM apportera avec son partenaire le soutien financier éventuellement nécessaire à BetClic Everest Group (BEG) pour assurer son développement ou le financement des soldes restant à payer pour certaines acquisitions déjà effectuées. Solde dont le montant final dépendra de la performance des sociétés acquises.

M.H. : Mais TF1 vient d’annoncer son retrait des jeux en ligne ?

J.-L.B. : Les dirigeants de TF1 ont effectivement annoncé que leur groupe examinerait une offre de rachat de sa filiale de paris sportifs et hippiques Eurosportbet.com dont ils jugent les résultats insuffisants. Mais grâce à des parts de marché très supérieures à celles de cet opérateur, BEG bénéficie d’une position plus favorable. La forte croissance du secteur et sa rationalisation permanente rendent inéluctable la disparition d’acteurs qui ne parviennent pas à réaliser un niveau d’activité suffisant pour assurer la couverture des importantes dépenses d’exploitation.

M.H. : Vous pensez vraiment que BEG va s’imposer ?

J.-L.B. : Nous pensons que BEG a les arguments pour réussir dans le secteur des jeux en ligne et présente des opportunités de synergie importantes avec les métiers traditionnels de la SBM. Notamment en matière de jeux de table. Les dirigeants du Groupe SBM sont donc convaincus qu’il convient de poursuivre ce développement, et consentiront les efforts nécessaires pour s’assurer la réussite de cette entreprise. Mais le conseil d’administration de la SBM reste très vigilant à l’évolution des activités, tant sur le marché français que sur les autres marchés européens, de façon à adapter, le cas échéant, sa stratégie de développement dans ce domaine en fonction des évolutions qui seraient constatées.

M.H. : Vous comprenez l’inquiétude de vos salariés et des élus du conseil national ?

J.-L.B. : Cette inquiétude est légitime et inhérente à la prise de risques liée au métier d’entrepreneur. Le conseil d’administration et l’actionnaire majoritaire ont jugé que le risque valait la peine d’être pris au début de l’année 2009. Et le niveau de risques n’est objectivement pas plus important aujourd’hui qu’il n’était au moment où la SBM a pris sa participation dans BEG. Au contraire, le bilan est positif. Et les différents sites BetClic, Expekt, BetAtHome et Everest comptent parmi les opérateurs reconnus dans les différents pays où ils sont établis en Europe. Nous pensons avoir agi dans un bon timing. Si elle n’avait pas réalisé cet investissement en 2009, la SBM n’aurait probablement plus les mêmes possibilités de s’engager dans cette voie aujourd’hui. Mais le conseil d’administration de la SBM suit ce développement avec la plus grande attention.

Statut unique : c’est non

La semaine dernière, les employés de jeux des casinos ont voyé contre le projet de statut unique. A une large majorité.
Par Raphaël Brun et Milena Radoman.

Pour calmer les tensions liées aux différences de salaires entre les différentes catégories de salariés des jeux à la Société des bains de mer (SBM), un statut unique pour tous les croupiers était dans les tuyaux. Mais la direction devra reprendre le dossier à zéro puisque le projet de statut a été rejeté la semaine dernière par un vote des salariés en interne. Ce que « regrette » le directeur général de la SBM, Bernard Lambert : « Nous avions passé beaucoup de temps, d’explications et nous pensions très sincèrement être arrivés à une sorte de consensus profitable à tous. Nous sommes désolés de ne pas avoir convaincus l’ensemble des personnels concernés. » Avant d’ajouter?: « Je ne m’étendrai pas sur les points de blocage qui sont certainement très différents selon les personnes concernées. Mais le projet a été retiré à la suite de ce vote. Et nous continuons à travailler pour la satisfaction de l’ensemble de nos clients. Ce qui est la chose importante compte tenu de la concurrence extérieure et de la situation économique globale. »

Ce projet de statut, aujourd’hui avorté, prévoyait, après une période transitoire de 10 ans, l’avancement classique d’un employé de jeu : période probatoire de 18 mois, écoles de black-jack, poker, roulette anglaise, punto banco puis de craps… Avec des salaires pour le moins conséquents : on parlait de minima garantis allant de 26 000 euros annuels pour un employé de jeux stagiaire, à 81 000 euros pour un chef de table « tous jeux », et à 144 000 euros pour un directeur adjoint, pour 39 heures de travail hebdomadaire. Toute une grille qu’il faudra complètement renégocier avec un nouveau projet de statut. A condition que l’idée de réforme des jeux tienne toujours…