vendredi 19 avril 2024
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Fiscalité : cap sur la transparence ?

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Négociations bilatérales avec la Grande-Bretagne et l’Italie, FATCA américain et peut-être un jour européen, nouveaux standards de l’OCDE prévus en 2014… Monaco doit négocier le virage de la transparence fiscale.

Autres temps, autres mœurs. Qui l’eût cru ? En Suisse, les banquiers cherchent des poux à leurs clients français et leur demandent de se mettre en règle avec le fisc. Tandis qu’à Monaco, avec la perspective du FATCA, certains établissements bancaires font barrage à une clientèle Outre-Atlantique gênante, dans l’espoir d’éviter tout problème avec le fisc américain… C’est indéniable : le monde change. G20, Union européenne, OCDE… Organisations internationales et dirigeants de ce monde n’ont plus qu’un mot à la bouche : la transparence fiscale. Pour rapatrier des capitaux, les Etats, victimes de la crise économique qui perdure, souhaitent désormais combattre efficacement la fraude et l’évasion fiscale. Ce qui passe par aller chercher l’argent là où il se trouve et demander aux territoires qui abritent les fonds de dénoncer les éventuels fraudeurs.

Passer la vitesse supérieure
Jusqu’à présent, et surtout depuis le sommet de Londres de 2009, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) prônait un standard de convention bilatérale basé sur l’échange d’informations sur demande. L’objectif est désormais de passer à la vitesse supérieure en basculant du cadre bilatéral au multilatéral. Et en érigeant l’échange automatique d’information en règle universelle en 2014. Même son de cloche à Bruxelles. Le 14 septembre, réunis en Lituanie, les ministres européens des Finances ont répété vouloir négocier avec les Etats tiers l’échange automatique d’informations. Avec la Suisse, les pourparlers ont d’ailleurs commencé.

La transparence en tendance
A la tête du département des finances, Jean Castellini est conscient de cette nouvelle donne, estimant d’ailleurs que c’est un “plus” : « Les investisseurs recherchent aujourd’hui la transparence, une place sûre et bien supervisée. Plus personne ne recherche l’optimisation et l’évasion fiscale. » A part Jérôme Cahuzac, bien sûr…
Pour autant, pas question pour Monaco de rentrer dans la danse en premier et de faire des effets d’annonce. Selon le conseiller pour les finances, qui s’est exprimé le 13 mars devant le Monaco Press Club, ce serait prématuré. « On ne sait pas comment cela va évoluer. Il faut être prudent et ne pas devancer l’appel. Oui, Monaco est favorable à plus de transparence et plus de coopération à condition qu’il y ait un mouvement international réel qui ne reste pas juste du niveau de la déclaration d’intention. » Or, selon Jean Castellini, la mise en place de l’échange automatique d’informations serait loin de voir le jour. Notamment au niveau européen. Aujourd’hui, Monaco prélève déjà l’impôt sur les revenus de l’épargne pour les pays de l’Union européenne, dans le cadre de ce qu’on appelle la « Directive épargne ». Soit 15 à 20 millions d’euros par an (en en conservant, un quart soit 4 millions d’euros en 2013). Et s’il est question de combler les trous de cette directive en l’élargissant à d’autres produits financiers (trusts, fondations, assurance vie, etc) et aux personnes morales, l’ancien banquier estime que, pour l’instant, « il n’y a pas de décision concrète au sein de l’Union pour imposer une approche coordonnée européenne aux Etats tiers. »

Quelle est la stratégie ?
Certes. Mais si l’on ne peut nier les désaccords au sein de l’UE, surtout avec les réserves de pays comme l’Autriche, il ne faudrait pas pour autant que Monaco reste sur le quai de la gare dans les négociations avec l’UE. « Quelle est la stratégie ? Quel est le plan ? », s’interrogent les élus de bords différents. Christophe Steiner ne porte pas l’idée d’un échange automatique d’informations dans son cœur. Pour lui, cette nouvelle règle qui « transforme les Etats en balances est lamentable ». S’il attend, comme Jean Castellini, de voir ce que les places financières vont faire, le vice-président du conseil national espère néanmoins que « le gouvernement élabore des scenarii rapidement. Un plan doit être adopté en amont et pas en aval. Pour une fois, ce serait bien d’échafauder un plan A, B et C ! » Histoire de pouvoir négocier au mieux avec l’Union européenne.

Cellule d’exécution
Dans le cadre de ses discussions avec l’UE sur un éventuel rapprochement, la Principauté gère pour l’heure le problème en interne. « Un groupe de travail, chapeauté par le directeur général des Relations extérieures, synthétise toutes les informations émanant des autres départements et chaque semaine établit un compte-rendu des avancées obtenues pour l’information du gouvernement et du prince », explique José Badia, conseiller pour les relations extérieures. « Depuis juillet, une cellule d’exécution composée de fonctionnaires s’active également, à ses côtés, à préparer les échanges de vue avec l’UE, dans le cadre notamment des réponses apportées aux questions. Et Gilles Tonelli, chef de notre délégation auprès de l’UE, est un acteur privilégié de ce dialogue », ajoute-t-il. Aucun cabinet de stratégie n’a donc été mandaté. Logique selon Christophe Steiner : « Faire appel à un cabinet spécialisé pour enterrer ensuite son rapport, comme ce fut le cas avec l’étude bain sur la place financière, c’est de l’argent foutu en l’air… »
En attendant de rentrer dans le vif du sujet avec l’UE, la Principauté a déjà reçu la visite, le 12 juillet, du “Monsieur Fiscalité” de l’UE, Algirdas Semeta. Le commissaire européen à la fiscalité avait alors rencontré Jean Castellini et le ministre d’Etat Michel Roger, augurant de l’importance du volet fiscal dans le cadre des futures négociations en 2014. Du côté monégasque, seule certitude : on attend d’avoir un retour en cas de concessions fiscales, surtout au cas où il adopterait l’échange automatique d’informations… « Si Monaco accepte l’évolution fixée par l’UE, il doit y avoir des contreparties au bénéfice de Monaco, notamment pour les produits financiers. Une des grandes injustices aujourd’hui, c’est l’absence de réciprocité. Aujourd’hui, vous pouvez acheter tous les produits financiers du monde à Monaco mais vous ne pouvez avoir des produits monégasques nulle part. C’est un frein à notre développement économique. » Reste à savoir s’il sera possible de le lever.

 

Monaco, bon élève pour l’OCDE

Le 31 juillet, l’OCDE a rendu son verdict sur Monaco. Son rapport d’évaluation (dit de phase II) a été rendu public. « Le jugement de l’OCDE est extraordinairement positif, estime Jean Castellini. En l’espace de quelques années, l’image de la Principauté a évolué de manière très significative. C’est comme si nous n’avions eu que des A et des B. Sur aucune des notations, nous n’avons été jugés “non compliant” ». L’OCDE attend tout de même que Monaco signe des accords avec des Etats « pertinents », avec lesquels la Principauté entretient des relations économiques. A savoir l’Italie, la Grande-Bretagne et la Pologne.

Comment ça marche ?

Concrètement, comment sont traitées les requêtes de renseignement fiscal ? Une ordonnance souveraine fixe la procédure à suivre. La demande est traitée par le conseiller de gouvernement pour les Finances. Une commission, composée des conseillers de gouvernement pour les Finances et les Relations extérieures, du directeur des services fiscaux ainsi que deux experts en fiscalité internationale, peut également être saisie pour décider de la recevabilité de cette demande. La personne qui fait l’objet de la demande de renseignement a la possibilité d’opérer un recours devant le tribunal administratif pour contester cette demande.

L’Italie en ligne de mire

Au ministère d’Etat, on prépare des accords fiscaux avec l’Italie et la Grande-Bretagne. Des conventions très attendues qui font jaser…

Ministere d'Etat

Avec son dernier accord fiscal avec l’Afrique du sud, Monaco approche la trentaine de pays signataires. « Dans quelques mois, le réseau devrait atteindre la quarantaine d’Etats », estime le conseiller pour les finances Jean-Castellini. Mais une convention en cours de rédaction est aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Ce sont en effet les négociations actuelles avec l’Italie qui intéressent vivement la communauté transalpine de Monaco. « Les réactions sont très contrastées. Pour certains résidents italiens, un tel accord est positif alors que pour d’autres, c’est la fin de Monaco », juge un entrepreneur. « Pour une minorité qui n’a pas profité du dernier Scudo fiscal pour déclarer tous ses biens, c’est une épée de Damoclès », ajoute le transalpin qui juge, « au contraire, que c’est dans la logique des choses ». A l’Association monégasque des activités financières, on garde son flegme pour cette clientèle importante pour la place bancaire (au total 92 milliards d’euros d’avoirs gérés), avec 15 à 20 % des avoirs. « Nous n’avons aucune information sur l’imminence d’un accord. Il n’y a donc pas d’inquiétude particulière à ce propos », souffle son secrétaire général Jean Dastakian.

Non double imposition
Pour calmer les esprits, Jean Castellini a profité d’une récente invitation au Monaco Press Club pour expliquer sa préoccupation de « protéger, avec cet accord, les résidents italiens qui ont fait le choix de s’installer, embaucher et développer des activités économiques à Monaco. Il s’agit d’éviter la double imposition des bénéfices qu’ils pourraient retirer de leur travail. Les négociations se poursuivent sans précipitation, en préservant les intérêts économiques de la principauté. » Autre garantie : « L’échange d’informations sur demande se fera de manière encadrée. Ce ne sera pas la loi de la jungle. » En clair, pas question de balancer en masse les noms de fraudeurs italiens… Logiquement, un tel accord devrait d’ailleurs aussi permettre à la Principauté de sortir de la liste noire italienne. Une aubaine pour les entrepreneurs italiens installés à Monaco freinés par les fourches caudines de l’administration italienne.
Deuxième accord décisif en phase de rédaction au département des Finances : la convention avec la Grande-Bretagne. Un accord modèle OCDE. Au conseil national, le vice-président Christophe Steiner rêve d’un accord de non double imposition similaire à celui qu’avait signé le Luxembourg. « Nous tendons à privilégier les accords de non double imposition. Certains pays l’acceptent d’autres pas », explique José Badia, conseiller pour les relations extérieures. Londres l’a-t-il entériné ? La réponse ne devrait pas tarder.

FATCA : le banc d’essai

C’est le dossier qui arrive en haut de la pile des banquiers. Avec FATCA, les Etats-Unis obligent les banquiers de la place à devenir des agents du fisc.

dollars

C’est l’un des sujets d’inquiétude numéro 1 chez pas mal de banquiers de la place. Comment Monaco va s’adapter à la toile d’araignée que tissent les Etats-Unis avec FATCA (Le Foreign Account Tax Compliance Act) ? « Les Américains ont mis en place un système très intelligent, qui oblige tous les intermédiaires financiers d’une chaine de paiement à être en conformité avec leur réglementation. S’ils ne sont pas conformes, FATCA impose l’application de retenues punitives […] », explique Sébastien Prat, senior manager au cabinet Deloitte. Car en plus de demander aux banques et sociétés de gestion de taxer leurs clients ressortissants américains, ce sont tous les maillons de la chaîne financière qui sont concernés, y compris les opérations sur les titres. Exemple : « Cela va devenir compliqué pour un banquier d’expliquer à son client que du fait qu’il n’applique pas FATCA, le client se verra prélever 30 % sur le prix de vente d’actions IBM ! » Car ce règlement du code fiscal américain va très loin : « Les banques étaient déjà des agents du fisc US dans le cas où elles investissaient sur le marché US. Ce qui est nouveau c’est l’extension à toutes les entités financières au sens large (OPC, titrisation, certaines holdings, assurances…) et l’extension des pénalités aux rachats/ventes de titres US », ajoute-t-il.

C’est déjà demain
Or, cette nouvelle réglementation est pour demain. Le calendrier prévoit un enregistrement des établissements auprès du fisc US en avril 2014 et un début des retenues à la source le 1er juillet 2014. D’ailleurs aujourd’hui, 9 pays ont déjà signé un accord (IGA) avec les Etats-Unis pour transposer cette taxation. Et 75 pays (Singapour, Caïmans, BVI, Luxembourg, et même le Moyen-Orient, etc.) risquent de le faire à terme. « On se retrouve le seul centre financier au monde à être exclu du cadre classique de la signature d’un accord », juge Sébastien Prat. Côté monégasque, la frilosité prime. Pour les autorités, il existe en effet toujours le risque d’ouvrir la boite de Pandore. Accepter un accord avec les Etats-Unis permettrait à l’Union européenne de taper illico presto à la porte de Monaco pour signer un Fatca européen… « Je comprends que nous ne pouvons pas ouvrir la porte aux Américains et la fermer aux Européens. Mais je crains que nous soyons contraints un jour de faire machine arrière… », analyse le consultant.
En attendant, c’est silence radio. « On ne nous a jamais parlé de FATCA ou d’un éventuel accord avec les Etats-Unis, soupire Christophe Steiner au Conseil national. Il faudrait éviter de devoir signer une convention en urgence, à la dernière minute ». D’autant que beaucoup d’établissements sont pour. Le consultant de Deloitte n’a rencontré à Monaco « aucune banque qui n’est pas favorable à un IGA. Elles auraient intérêt à ce que Monaco signe un IGA. Si Monaco ne le fait pas, les banques, qui devront s’être enregistrées auprès du fisc américain, vont appliquer directement la réglementation US et pas uniquement le droit local. Or cette réglementation US représente un pavé de 544 pages ! Un texte très difficilement compréhensible pour le commun des mortels […] », détaille-t-il.
Pour les banques de la place, il y a d’ailleurs un problème essentiel. En l’absence d’accord et de non conformité à FATCA, le risque plane pour la maison mère de ne plus avoir d’accès au marché américain. Pour l’heure, certains établissements ont choisi une solution de facilité : exclure leur clientèle américaine. Ce qui ne règle pas le problème selon Sébastien Prat : « Certaines banques, qui ont décidé de se séparer de leur clientèle US, ne sont pas sorties d’affaire et devront dans tous les cas se soumettre au système. »