jeudi 25 avril 2024
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Hervé Ordioni : « Monaco possède tous les atouts pour rebondir plus vite et plus fort que d’autres places bancaires »

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Face à l’épidémie de Covid-19, quel est l’état d’esprit dans le secteur bancaire en principauté ? Dans un entretien à Monaco Hebdo, Hervé Ordioni, directeur général de Edmond de Rothschild Monaco, affiche sa confiance, malgré l’incertitude qui pèse sur l’économie mondiale.

Comment ont réagi les banques à Monaco au début de la crise du coronavirus ?

La place bancaire s’est adaptée sur le plan opérationnel, en tenant compte des impératifs de sécurité sanitaire, et de toutes les mesures prises dans le cadre du confinement. Le travail à distance a été mis en place rapidement, et l’activité générale est restée soutenue pour accompagner l’ensemble de la clientèle. Je crois pouvoir dire que la faculté d’adaptation des établissements a été assez remarquable.

Pendant cette crise sanitaire, les entreprises et les fonds d’investissement ont-ils dû suspendre leurs négociations sur la plupart des opérations financières, comme les fusions-acquisitions, ou les levées de nouveaux financements par une entreprise, par exemple ?

Votre question ne concerne pas précisément Monaco. Oui, tous les “process” de levées de fonds, notamment dans le private equity [achat de titres par un investisseur dans une entreprise qui n’est pas cotée en bourse — N.D.L.R.] subissent deux effets. Le premier, c’est que le confinement a rendu les “road show” et les “pitchs” [série de réunions dans différentes villes pour discuter avec des investisseurs — N.D.L.R.] très complexes, malgré les mises en place de réunion en visioconférence.

Et le deuxième effet ?

Le deuxième effet, avec la volatilité des marchés financiers, a été de nature à ralentir la prise de décision, et donc de les reporter. Les investisseurs se concentrent en effet davantage sur la protection de l’existant, sur l’immédiat, en repoussant à plus tard les décisions d’investissements sur le long terme. La crise va avoir des conséquences sur certains types d’industries, et cette nouvelle donne nécessite de retravailler beaucoup de business plans. Beaucoup mais pas tous, car tous les secteurs ne seront pas affectés de la même manière.

Les clients monégasques ont réagi en misant sur les bons du Trésor et les valeurs sans risque ?

L’un des gros changements de la décennie qui débute, c’est que nous sommes passés d’un environnement de taux sans risque, à un environnement de risque sans taux. C’est assez simple à comprendre pour les placements monétaires et obligataires en euro, car, pour mémoire, le fameux taux sans risque monétaire est négatif de 0,5 %, et les obligations allemandes à 10 ans, qui constituent la référence sans risque, donnent un rendement négatif de 0,53 %. C’est dire le changement de paradigme !

La conséquence ?

C’est pour cette raison qu’on n’a pas vu de transferts du marché actions sur l’obligataire. Après la chute du 11 mars 2020, les marchés ont très fortement rebondi, en application de ce que les anglo-saxons appelle le “There is no alternative” (Tina). C’est pourquoi il y a eu des échanges très sereins et très constructifs, malgré le niveau général d’incertitude. Et l’analyse globale des chiffres de la place bancaire en atteste. A la suite de la très bonne performance des marchés en 2019, les clients avaient procédé à des allègements. Ils avaient donc réalisé des prises de bénéfices, et augmenté leurs placements, que ce soit en cash ou en or.

L’or reste une valeur refuge incontournable ?

Aujourd’hui plus que jamais, l’or constitue un actif de repli, défensif et non corrélé, indispensable désormais dans les portefeuilles. Le fait pour notre établissement d’avoir fortement renforcé l’activité “advisory” [activité de conseil — N.D.L.R.] fin 2019, couplée à une salle de marchés en principauté, dans nos murs, nous a permis une proximité avec nos clients et une réactivité inégalable, avec une capacité d’absorber jusqu’à six fois plus de volume de transactions. Par ailleurs, le confinement a conduit certains clients à être beaucoup plus actifs, et à accorder beaucoup plus de temps à la gestion de leurs actifs financiers.

Les banques monégasques sont-elles en danger alors que certains observateurs craignent une crise financière suite à l’épidémie de Covid-19 ?

On sait depuis la crise de 2008, que les Etats sont prêts à tout pour éviter un risque systémique bancaire, et que les 10 années qui ont suivi ont contribué à renforcer très significativement la solidité du système bancaire, qui, à ce stade, n’est en aucun cas atteint par la période récente. A moyen terme, il faudra être très attentif à l’évolution des crédits octroyés aux entreprises, car les risques de défaut peuvent être plus importants, malgré les garanties apportées par les pays eux-mêmes.

Quelles conséquences aura cette crise sanitaire pour les banques installées à Monaco ?

Il est évident que la législation récente sur le télétravail, qui a fait l’objet d’une extension exceptionnelle mise en place rapidement par le gouvernement et le Conseil national, a offert une réponse opérationnelle essentielle sur le plan de la gestion des ressources humaines, des nécessités liées au confinement tout en maintenant l’activité. Au plus fort de la crise, 80 % des 200 collaborateurs de la banque Edmond de Rothschild Monaco ont été équipés, à la fois sur le plan matériel, sur le plan des solutions et de la sécurité informatique indispensable, avec l’appui de nombreux opérateurs monégasques. Ceci confirme la qualité des infrastructures de la principauté et constitue un atout d’attractivité supplémentaire, démontré par l’exemple, pour les entreprises désireuses de s’installer à Monaco.

Quels sont les atouts du secteur bancaire monégasque face à cette crise sanitaire ?

Je mettrais en avant le professionnalisme et le sens des responsabilités de l’ensemble des collaborateurs de la place bancaire monégasque. Les établissements ont démontré leur capacité d’adaptation et leur flexibilité dans un environnement totalement nouveau, en réponse à une menace exogène forte et inédite. C’est un atout de plus pour notre secteur en principauté.

Par rapport à la crise de 2008, le risque ne vient pas des prêteurs : cette fois, l’enjeu est situé du côté de la capacité des acteurs économiques à rembourser ?

Oui, et c’est un souci partagé tant par l’Association monégasque des activités financières (Amaf) que par la direction du budget et du Trésor, au travers du fonds d’intervention d’urgence ou du fonds de garantie. Les acteurs économiques de la place bancaire reçoivent actuellement un soutien sans précédent pour passer cette phase délicate, et s’assurer qu’ils soient en mesure de résister à l’absence de revenus, pour reprendre le moment venu une activité normale, dans les meilleurs délais. C’est fondamental pour protéger le tissu économique, et donc social, de la principauté.

© Photo Newday

« Je suis favorable au maintien d’un haut niveau d’investissement public, très apprécié des investisseurs et des nouveaux résidents »

Depuis cette crise de 2008, les banques ont-elles tiré des leçons et accumulé suffisamment de fonds propres pour encaisser le choc de cette crise sanitaire ?

Il n’y a pas de choc à proprement parler pour les établissements bancaires. Même si les conséquences d’une crise économique pourront, par rebond, avoir un effet sur leur rentabilité.

Quels efforts vous a demandé le gouvernement monégasque et ces efforts sont-ils acceptables ?

Sur le plan sanitaire, les mesures encadrées par le gouvernement ont tout naturellement été mises en place pour la sécurité des personnels et des clients. Sur le plan économique, nous avons reçu des messages très clairs : l’Amaf est un partenaire de la direction du budget et du Trésor quant à la remontée de l’ensemble des dossiers de crédit. Des procédures allégées avec le temps, et grâce au concours précieux de l’ordre des experts-comptables, ont été mises en place afin de répondre, dans des délais extrêmement courts, à des besoins évidemment urgents.

En ce qui concerne le fonds de garantie de prêts bancaires sans coût pour l’emprunteur lancé par l’Etat monégasque, le Conseil national a demandé à toutes les banques de simplifier les procédures au maximum, d’accélérer le traitement des dossiers et de libérer les sommes au plus vite : quelle est la réponse des banques à cette réclamation des élus ?

La réponse globale des banques monégasques a été apportée à ces questions légitimes de manière parfaitement concomitante. Je n’ai pas souvenir d’avoir vécu des déblocages de crédits aussi rapides. Je suis arrivé il y a 25 ans en principauté, et je n’avais jamais vu une telle mobilisation, concertée et solidaire, des autorités et des acteurs privés de la place bancaire.

La durée de remboursement des prêts, fixée actuellement à un an, est jugé trop courte par le Conseil national, qui réclame un délai rallongé à 5 ans : est-ce possible ?

Là encore, on voit bien la réactivité des responsables de ces dossiers, et le bon fonctionnement des institutions de notre pays, puisque la durée de remboursement de ces crédits a rapidement été portée à 3 ans. De plus, toutes les situations exceptionnelles feront l’objet d’une étude appropriée. Il y a, bien sûr, le souci de n’oublier personne dans un dispositif global, et, effectivement, de limiter autant que possible les problèmes de continuation d’activité.

Une crise peut parfois avoir quelques effets positifs : en voyez-vous pour les banques monégasques face à cette épidémie de Covid-19 ?

Oui, comme je l’ai déjà indiqué, jamais les banquiers n’ont été aussi proches de leurs clients, malgré la distanciation sociale. Paradoxalement, cette même distanciation a ressoudé bon nombre de collaborateurs, avec cette façon inédite, et parfois durable, de travailler ensemble. De son côté, jamais l’Amaf n’avait été aussi active en terme de collaboration avec le gouvernement et le Conseil national, que ce soit pour faire évoluer des textes législatifs, ou pour servir de relai opérationnel pour déployer le fonds de garantie.

Qu’est-ce qui va changer pour les banques monégasques lorsque « l’après coronavirus » sera là ?

Il est clair qu’en matière de travail à distance, et dans la façon de travailler au sens large, il y a aura un avant et un après. Comme en 2008, mais pour d’autres raisons, Monaco possède tous les atouts pour rebondir plus vite et plus fort que d’autres places bancaires dans le monde. Ce rebond devra faire l’objet d’une implication constante et d’un développement économique diversifié qui tiendra compte du fait que nous pourrions un jour connaître à nouveau ce type d’épisode. Le principe de l’économie diversifiée prendra donc une nouvelle dimension, et tout son sens. L’année 2021 verra la livraison de nouvelles infrastructures. À titre personnel, je suis favorable au maintien d’un haut niveau d’investissement public, très apprécié des investisseurs et des nouveaux résidents. Prenons comme exemple la livraison récente de la nouvelle place du casino, puis en 2021 de la plage du Larvotto, l’évolution du chantier de l’extension en mer, sans oublier le nouveau centre commercial de Fontvieille.

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