vendredi 19 avril 2024
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Une bulle spéculative risque-t-elle d’éclater en 2021 ?

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À la crise sanitaire s’ajoute, peut-être, le risque d’une crise financière. Plusieurs indicateurs semblent en effet indiquer qu’une bulle spéculative est en train de se former sur les marchés, faisant craindre une brutale chute des prix.

À Monaco, le secteur bancaire prend le risque au sérieux, mais se veut rassurant.

Les marchés financiers ont-ils perdu la tête ? Depuis le début d’année 2021, des valeurs s’affolent en bourse et atteignent des niveaux record, sans que l’on comprenne toujours bien pourquoi. Tesla, par exemple, le fabricant de voitures électrique fondé par Elon Musk, désormais l’homme le plus riche du monde selon le magazine Forbes, a dépassé le seuil des 850 dollars US l’action [cet article a été rédigé le 8 février 2021 – NDLR], alors que sa valorisation a bondi de 743 % en 2020. Pourtant, en 2020 toujours, cette entreprise n’a vendu que 500 000 véhicules dans le monde. Certes, son activité ne se résume pas qu’à la vente de voitures, mais le ratio entre le nombre de vente et la valeur boursière pose question. Si bien que l’américain Michael Burry, l’investisseur qui avait gagné 800 millions de dollars en pariant sur l’éclatement de la bulle immobilière de 2008 – et qui a inspiré le cinéma avec le film The Big Short (2015) – prédit une implosion de la valeur Tesla. « Enjoy it while it last » [« profitez-en tant que ça dure » – NDLR] , prévient-il sur Twitter, non sans ironie. Même chose pour les crypto-monnaies, dont les valeurs décollent à des niveaux jamais atteints, sans véritable marché corroborant. Le Bitcoin a triplé l’an dernier (+220 %), et sa valeur fluctue entre 35 000 et 40 000 dollars US depuis la mi-janvier 2021. Plus récemment, le Dogecoin, une crypto-monnaie créée à l’origine comme une simple plaisanterie – son créateur en revendique lui-même l’inutilité – a même dépassé les 5 milliards de dollars de capitalisation. Tout cela aidé en grande partie par des tweets amusés d’Elon Musk. Qu’en penser ? Assiste-t-on à l’avènement de nouveaux mastodontes de l’économie ?  Tesla comme le nouvel Apple, le Bitcoin comme le nouvel or ? Peut-être. Mais, un autre scénario, plus sombre, voudrait aussi qu’il s’agisse de signaux annonçant la formation d’une ou plusieurs bulles spéculatives, qui pourraient éclater à tout moment, et se conclure par une crise financière en 2021. À Monaco, le secteur bancaire suit ces mouvements de près, sans toutefois s’inquiéter outre mesure.

© Photo Newday

« Nul ne sait quand une bulle éclatera. Notre conviction est que 2021 ne devrait pas être celle qui connaitra un tel évènement » Hervé Ordioni. Directeur général d’Edmond de Rothschild-Monaco.

Le risque de bulle est pris au sérieux

Pour Francesco Grosoli, administrateur délégué de la CMB Monaco, le risque de bulle est bien réel : «Les marchés actions sont aujourd’hui sur des niveaux qui peuvent laisser penser à une bulle spéculative. Ce sont en particulier les valeurs technologiques qui ont connu une envolée spectaculaire, suite à des changements profonds de nos manières de travailler et de consommer.» Mais pas de quoi s’emballer selon lui. La situation ne serait pas comparable à celle de la bulle Internet des années 2 000, souvent citée en comparaison par certains analystes financiers : «On ne peut pas vraiment parler de bulle. De plus les alternatives disponibles sur le marché sont peu nombreuses, compte tenu des taux d’intérêts faibles, voire négatifs.» Le risque est là toutefois, et, chez Edmond de Rothschild-Monaco aussi, on pense qu’une bulle spéculative est «probablement» en train de se former, notamment dans d’autres secteurs de l’économie : «Les valorisations des “pures players“ de la digitalisation et de l’économie verte sont sur des niveaux anormalement élevés par rapport à leurs chiffres d’affaires ou à leurs résultats, parfois négatifs», explique Hervé Ordioni, directeur général chez Edmond de Rothschild-Monaco. Les marchés financiers commencent en effet à reconnaître de plus en plus la crédibilité du potentiel de croissance du digital et de l’écologie. Toujours plus d’entreprises se positionnent donc autour de ces tendances et tentent de tirer profit de cet engouement. Parfois trop, car toutes ne le font pas sérieusement : «Comme dans tout secteur, certaines entreprises domineront les autres par la supériorité de leur “business model“ [modèle économique – NDLR]. Lorsque cela sera le cas, une plus grande sélectivité s’opérera sur les marchés, entraînant le dégonflement de la bulle de valorisation, soit par la disparition des plus faibles, soit par la croissance forte des profits des acteurs dominants.» Mais alors, à quand l’éclatement ? «Nul ne sait quand une bulle éclatera. Notre conviction est que 2021 ne devrait pas être l’année qui connaîtra un tel évènement. Au contraire, nous nous attendons à une année positive pour les marchés actions, notamment en raison du soutien budgétaire et monétaire des Etats sur ces thématiques.»

La faute aux taux zéro ?

Pour comprendre ce qui se passe, il faut opérer un petit retour en arrière, et se tourner vers l’action des banques centrales. Depuis le début de la crise sanitaire, elles soutiennent en effet les gouvernements, en assurant des taux obligataires historiquement bas. Des taux sans risques, pour ainsi dire. Mais ce soutien sans failles pourrait, paradoxalement, expliquer en partie les bouleversements que l’on connait sur les marchés : «Le soutien des banque centrales, avec leurs politiques monétaires très accommodantes, ont surement crée des distorsions sur les marches obligataires. On observe par ailleurs une augmentation des entreprises « zombies » vouées  à disparaitre, mais qui survivent grâce aux niveaux des taux très bas et aux aides publiques», décrypte Francesco Grosoli. Les banques centrales ont-elles ainsi provoqué l’émergence de « faux prix » ? «Des faux prix, non. Des prix élevés par rapport à ce que nous avons connu par le passé, sans aucun doute, et des prix fortement influencés par les banques centrales, très certainement», répond Hervé Ordioni. «Les taux sans risque sont le prix à partir duquel dérivent les prix de tous les actifs : toute décision d’investissement se fait au regard de ces taux sans risque. Aujourd’hui, ces derniers sont à 0 % voire négatifs sur toutes les échéances. Cela signifie que tout investissement sur un actif risqué dont la rentabilité est supérieure à 0 % est rationnel. En ce sens, il n’y a pas de faux prix, mais cette situation entraîne des valorisations élevées sur les actions et les obligations d’Etat et d’entreprises. Ce qui est à craindre lorsque les taux sans risque ont touché un plancher, c’est qu’ils remontent. Possiblement à la suite d’un moindre interventionnisme des banquiers centraux. À l’image de ce qu’il s’est passé en 2018, cela entraînerait une détente sur les valorisations ou, dit plus clairement, une chute des prix.»

« Les marchés actions sont aujourd’hui sur des niveaux qui peuvent laisser penser à une bulle spéculative » Francesco Grosoli. Administrateur délégué de la CMB Monaco

Les banques centrales à la rescousse 

Pourtant, l’aide des banques centrales paraissait indispensable : «Lorsque les pouvoirs publics ont décidé du confinement de la population, des pans entiers de l’économie se sont arrêtés. Le filet de sécurité des banques centrales est dans ce cas indispensable pour éviter un assèchement de liquidités, au moment où les risques pesant sur les entreprises et les ménages sont les plus élevés», ajoute Hervé Ordioni chez Edmond de Rothshild. «Fournir de la liquidité aux banques au moment où l’économie en a le plus besoin est précisément ce que l’on attend des banques centrales. En ce sens, elles aident les établissements bancaires à continuer d’exercer leur métier en accompagnant leurs clients à la fois sur le front du crédit et du placement de l’épargne.» Un avis partagé par Francesco Grosoli, de la CMB Monaco : «Il était indispensable d’avoir une intervention rapide des banques centrales, les banques étant pendant cette pandémie un relais de transmission du crédit pour relancer l’économie.» Reste que leur intervention est quasiment devenue une norme qui va jusqu’à transformer le comportement des investisseurs. Un comportement qui est aujourd’hui propice aux dérèglements actuels : « Il est certain que la politique monétaire ultra accommodante des banques centrales des pays développés crée un aléa moral pour les investisseurs qui ont tendance à considérer que toute baisse significative des prix de marchés sera compensée par un interventionnisme plus fort encore des banques centrales », ajoute Hervé Ordioni. 

Les crypto-monnaies posent question  

Et s’il est bien un secteur qui a profité de la frénésie sur les marchés, c’est celui des crypto-monnaies. Les banques centrales vont-elles aussi devoir intervenir sur ce domaine ? Depuis la flambée des crypto-monnaies sur les marchés, certains se demandent si le Bitcoin, probablement la plus solide de ces monnaies, ne va pas concurrencer directement l’or comme valeur de réserve. Mais leur forte volatilité soulève aussi des doutes. «Le Bitcoin, basé sur la Blockchain, qui est une technologie très intéressante en matière de sécurisation des transaction,  a connu un important essor. La médiatisation et l’entrée en jeu d’importants institutionnels a certainement contribué à cette flambée des cours. Cependant une monnaie doit remplir trois fonctions : être un moyen de d’échange, être un pouvoir d’achat stable et être une unité que l’on puisse comparer avec d’autres actifs. La volatilité du Bitcoin ne lui permet pas aujourd’hui d’être considéré comme une valeur de réserve adoptée globalement», estime Francesco Grosoli. Pourtant, de grands institutionnels, comme des fonds de pension, commencent à étudier la possibilité d’intégrer des crypto-monnaies à leur allocation d’actifs, comme l’explique Hervé Ordioni : «Nous assistons à un véritable phénomène sur cette nouvelle classe d’actifs. Ce sont justement les institutions qui ont provoqué ce regain d’intérêt massif en fin d’année. Des entreprises éminentes de Wall Street, comme Square et Paypal par exemple, commencent même à intégrer le bitcoin à leur bilan. Déjà, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en France et la Commission de surveillance du secteur financier au Luxembourg ont agréé des plateformes de transactions. Ce qui est clairement un bon signe pour la protection des investisseurs. Notre regard se tourne maintenant vers les banques centrales, qui auront tout intérêt à réguler ce marché.» Si 2021 ne s’annonce peut-être pas comme une année de crise financière, nul doute qu’elle sera l’année de nouveaux grands changements.