mercredi 24 avril 2024
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BetClic – Thierry Lévêque : « Faut-il subventionner une entreprise très rentable ? »

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Le journaliste indépendant, Thierry Lévêque, a publié sur le site d’information LesJours.fr(1) une enquête dans laquelle il s’interroge notamment sur une aide publique accordée à BetClic. La filiale de la Société des bains de mer (2) a touché une subvention de la région Nouvelle-Aquitaine de 1,2 million d’euros, alors qu’elle « prospère sur l’addiction et cible les jeunes de banlieue », indique cet article.

Pourquoi avoir enquêté sur BetClic ?

Cet article s’inscrit dans une série thématique publiée par LesJours.fr dont le thème est « l’argent du football à l’occasion de l’Euro 2021 ». J’ai abordé les primes des joueurs de l’équipe de France, le budget de la Fédération française de football (FFF), la problématique des stades… Du coup, je me suis intéressé aux paris sportifs, qui pèsent désormais plusieurs milliards d’euros sur le marché global. Alors que, lors de la libéralisation de ce marché, en 2010, ce marché représentait 140 millions par an. Ce marché a été multiplié par 15, et il s’est imposé comme un véritable secteur économique. L’Euro de football 2021 aurait d’ailleurs généré 600 millions. Du coup, les entreprises de ce secteur sont devenues des mastodontes, et BetClic s’est imposé comme le leader de ce marché.

Où est-ce que BetClic a installé son siège social ?

BetClic n’a pas installé son siège social en France. Pourtant, en 2017, lorsqu’ils sont venus à Bordeaux, ils ont indiqué qu’ils allaient y lancer un siège social. Sans doute jouent-ils sur les mots, puisqu’ils ont créé à Bordeaux des sociétés locales pour chapeauter leur application. En tout cas, le véritable siège de BetClic est à Malte. Or, à Malte, l’impôt sur les sociétés peut descendre à 5 %, contre 28 % en France.

« Dans une vidéo de remerciement, le patron de BetClic, Nicolas Béraud, évoque effectivement « d’autres aides » de la métropole. Donc, visiblement, BetClic n’a pas touché que la subvention de la région Nouvelle-Aquitaine pour s’installer à Bordeaux »

BetClic est installé à Malte, mais c’est tout à fait légal ?

Ce qui est intéressant dans cette situation, c’est que le cas de BetClic nous renvoie à des problématiques plus globales, qui ne sont pas des problématiques de légalité. Dans l’Union européenne (UE), on peut effectivement défiscaliser ses profits : on ouvre une boîte aux lettres à Malte, et on divise ainsi son impôt sur les sociétés par six ou sept.

Selon vos informations publiées sur le site Internet LesJours.fr, en s’installant à Bordeaux, BetClic a touché une subvention publique de 1,2 million d’euros : comment la région Nouvelle-Aquitaine justifie-t-elle le versement de cette subvention ?

La délibération votée le 9 juillet 2018 par la région Nouvelle-Aquitaine indique qu’il s’agit d’un projet de Recherche & développement (R&D) porté par BetClic [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR]. Il s’agit, pour l’essentiel, du développement de leur application. Et cela pose au moins deux questions. Est-ce que la collectivité publique doit verser 1,2 million d’euros pour ça ? Faut-il subventionner une entreprise très rentable, qui a donc les moyens financiers de se développer, et qui veut éviter de payer ses impôts en France, en installant son siège social à Malte ?

Dans ce même article, vous parlez « d’autres aides » que BetClic aurait pu toucher : de quoi s’agit-il ?

Dans une vidéo de remerciement, le patron de BetClic, Nicolas Béraud, évoque effectivement « d’autres aides » de la métropole. Donc, visiblement, BetClic n’a pas touché que la subvention de la région Nouvelle-Aquitaine pour s’installer à Bordeaux. D’ailleurs, à Bordeaux, les locaux de BetClic ne disposent pas de numéro de téléphone, pas plus que d’adresse de contact. Il s’agit donc d’un bureau, sans administration. Enfin, BetClic ne dépose pas ses comptes au tribunal de commerce de Bordeaux. Tout ça est assez peu transparent.

Mais des aides publiques versées à des entreprises privées, ce n’est pas illégal ?

Je n’ai jamais dit que des aides publiques versées à une entreprise privée, c’est illégal. Le problème n’est pas là. Je pense que c’est un problème d’opportunité. D’ailleurs, l’opposition locale a contesté le versement de cette subvention.

L’accord du G7 validé le 5 juin 2021 visant à introduire un impôt minimal mondial d’au moins 15 % va contraindre BetClic à payer davantage d’impôts ?

En toute logique, si l’accord du G7 s’applique de manière uniforme au sein de l’UE, la situation restera favorable pour BetClic. En effet, en France, l’impôt sur les sociétés est de 28 %, et BetClic ne paiera que 15 %. Donc ils n’auront toujours pas intérêt à installer leur siège social en France.

« En 2017, lorsque BetClic est venu à Bordeaux, ils ont indiqué qu’ils allaient y lancer un siège social. Sans doute jouent-ils sur les mots, puisqu’ils ont créé à Bordeaux des sociétés locales pour chapeauter leur application. En tout cas, le véritable siège de BetClic est à Malte. Or, à Malte, l’impôt sur les sociétés peut descendre à 5 %, contre 28 % en France »

Vous avez relevé d’autres incohérences ?

L’objet social de BetClic pose problème : les jeux en ligne sont une addiction, qui est aujourd’hui largement documentée médicalement. Il est établi que l’on peut être totalement « accro » aux jeux, tomber dans le surendettement, et, par ailleurs, dans une pathologie psychologique. Car l’addiction aux jeux est une véritable maladie. Du coup, on peut s’interroger sur l’opportunité de subventionner le développement des jeux d’argent, au vu de la casse sociale qu’ils sont actuellement en train de provoquer.

Mais BetClic a sans doute créé des emplois à Bordeaux ?

À Bordeaux, BetClic a relocalisé ses effectifs, venus parfois de Londres. Ils ont aussi débauché des salariés d’autres entreprises, sans que l’on sache si le solde de cet ensemble est vraiment ultra-positif pour la région de Bordeaux [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR].

BetClic a répondu à vos questions ?

J’ai adressé un courrier à l’un des directeurs de BetClic, auquel je n’ai jamais eu de réponse. J’ai aussi laissé plusieurs messages au patron de BetClic, Nicolas Béraud, qui ne m’a jamais rappelé.

« L’addiction aux jeux est une véritable maladie. Du coup, on peut s’interroger sur l’opportunité de subventionner le développement des jeux d’argent, au vu de la casse sociale qu’ils sont actuellement en train de provoquer »

BetClic n’est sans doute pas le seul opérateur à agir de la sorte ?

Il existe en France une quinzaine d’opérateurs de jeux en ligne qui sont agréés. Environ cinq ou six proposent des paris sportifs. Winamax, qui est dans les trois premiers, a installé son siège social à Paris. Et, bien évidemment, la Française des jeux, qui a été privatisée en novembre 2019, a aussi laissé son siège social en France.

1) L’article de Thierry Lévêque pour LesJours.fr est à lire par ici : https://lesjours.fr/obsessions/argent-football-euro-2021/ep4-paris-sportifs/.

2) Contactés par Monaco Hebdo,  ni la Société des bains de mer (SBM), ni BetClic n’ont répondu à nos questions avant le bouclage de ce numéro, le 27 juillet 2021.

Région Nouvelle-Aquitaine : « Une quarantaine de salariés BetClic mobilisés sur la région »

Dans sa délibération du 9 juillet 2018 qui attribue à BetClic la somme de 1,2 million d’euros, la région Nouvelle-Aquitaine indique que le projet recherche et développement (R&D) de BetClic a pour objectif de faire de cette entreprise un « champion européen, dans le Top 3 en Europe, dans son domaine ». Le projet développé à Bordeaux consiste à mettre en place « une solution de management du risque lors de la prise de paris des clients, et donc, en temps réel ». D’une durée de trois ans, ce projet est réalisé en partenariat avec le laboratoire bordelais Intégration des matériaux au système (IMS) « par le biais d’une thèse », et avec le Centre aquitain des technologies de l’informatique et de l’électronique (Catie). En ce qui concerne les retombées pour le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, cette délibération évoque « un programme collaboratif et de grande ampleur » qui « mobilisera une quarantaine de salariés BetClic sur la région (10 emplois sont déjà créés dès cette année pour le projet), en plus d’une équipe de chercheurs de toute la région (Bordeaux et Poitiers) et d’ingénieurs Catie. Au global, BetClic projette une cinquantaine d’emplois créés à horizon de trois ans, si le projet délivre les résultats attendus ».