mercredi 24 avril 2024
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Quel avenir pour
l’aviation civile monégasque ?

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Alors que Monacair est en train de licencier la moitié de ses effectifs et que Héli Air Monaco souffre aussi (lire Monaco Hebdo n° 1160 et n° 1162), l’aviation civile monégasque traverse une période très sombre. La crise sanitaire plombe durablement le ciel monégasque, pendant que le gouvernement cherche des solutions pour tenter de faire face.

Alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro « spécial été » le 5 août 2020, les négociations se poursuivaient entre la direction de Monacair et les délégués du personnel. Un plan social qui concerne 32 personnes sur un effectif de 76 salariés, dont 70 contrats à durée indéterminée (CDI), a été lancé le 9 juillet 2020 dans cette entreprise spécialisée dans le transport par hélicoptères. Chez son concurrent, la situation est difficile aussi. Interrogé par Monaco Hebdo, le patron d’Héli Air Monaco nous a avoué réfléchir à la possibilité de se séparer d’une « dizaine » de salariés sur les 35 que compte son entreprise, si la situation économique ne s’améliore pas nettement dans les semaines à venir. Toutes proportions gardées, la situation en principauté est à l’image de ce qu’il se passe ailleurs. Le groupe Air France-KLM a enregistré une perte de 4,4 milliards d’euros sur le premier semestre 2020. Un résultat logique, dans la mesure où, Covid-19 oblige, la fréquentation a baissé de 62 % par rapport au premier semestre 2019. Le groupe dirigé par le Canadien Ben Smith est à l’arrêt quasi-total depuis mars 2020, et la reprise est encore très faible, puisque seulement 8 % de l’activité habituelle a été réalisé au mois de juin 2020. Du coup, la compagnie franco-néerlandaise a décidé de réduire ses effectifs. Air France va se séparer de 7 600 salariés d’ici 2022. Une rupture conventionnelle collective sera mise en place pour les pilotes et les personnels navigants commerciaux, et un plan de départs volontaires sera mis sur pied pour les personnels au sol. Mais si le nombre de départs n’est pas suffisant, des licenciements pourraient être lancés. Pour éviter le pire, l’Etat français a proposé un prêt garanti par ses soins à hauteur de 4 milliards d’euros, ainsi que 3 milliards d’euros de prêts directs par le ministère des finances. Du côté néerlandais, un prêt de 3,4 milliards d’euros a été lancé par l’Etat pour KLM. Certains syndicats ont dénoncé le fait que des milliers d’emplois soient tout de même supprimés, alors que plusieurs milliards d’aides publiques ont été trouvés.

« Accord privé »

Une certitude, le retour à la normale va prendre beaucoup de temps. Pour le trafic moyen-courrier une reprise est espérée pour 2022-2023. Quant au long-courrier, il faudra sans doute patienter encore plus longtemps, estiment beaucoup d’experts. Air France-KLM prévoit d’assurer 45 % de son offre au troisième trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019, pour atteindre 65 % au quatrième trimestre 2020. Pour l’année 2021, si la montée en puissance devrait se poursuivre, l’offre sera toujours inférieure de 20 % à la normale. « La crise du Covid-19 a créé un choc économique dans de nombreux secteurs dont le secteur aérien, observe le gouvernement monégasque. La priorité actuelle pour le gouvernement est le respect par les compagnies des normes de sécurité, c’est un point fondamental et nous y veillerons. » Conscient que Héli Air Monaco et Monacair se trouvent dans une situation « particulièrement délicate », le gouvernement assure être « très attaché » à l’idée que « les compagnies monégasques puissent répondre présent à la reprise de l’activité sur l’héliport ». On se souvient que le 24 juillet 2020, Héli Air Monaco a annoncé avoir reçu l’autorisation du gouvernement monégasque pour reprendre les vols charters entre Monaco et Nice. En clair, il s’agit de vols privés, organisés en dehors des vols à horaires réguliers, qui est un marché détenu depuis 2015 par son concurrent, Monacair. Cela faisait très exactement 46 mois que le patron d’Héli Air Monaco, Jacques Crovetto, attendait ce moment. Et pour lui, c’est une décision logique qui vient d’être prise : « La ligne régulière est facturée 160 euros la place. En vol charter, on paie pour profiter de l’hélicoptère entier, ce qui coûte environ 650 euros, voire plus selon le type de matériel utilisé. Ce sont donc vraiment deux marchés très différents. J’ai plaidé cette cause pendant longtemps. On ne m’a pas écouté. Mais la situation a évolué, et le gouvernement a pris conscience que, désormais, tout nous échappe. » Du côté du gouvernement, on rappelle que, dans le secteur aéronautique, un retour au niveau d’activité de 2019 n’est pas attendu avant « plusieurs années ». Avant d’ajouter : « Pour autant, nous sommes aujourd’hui dans une période où, malgré tout, l’activité relative aux vols charter remonte. La période nous a donc semblé propice à la demande formulée par Héli Air Monaco. Cette décision ne remet pas en cause les échanges entre compagnies, puisque Monacair, seule compagnie habilitée à opérer la ligne régulière, a conclu un accord privé avec Héli Air Monaco sur l’activité charter. »

« Leonardo AW609 »

Mais si la crise sanitaire handicape lourdement ce secteur d’activité, le gouvernement entend bien ne pas baisser les bras et avance quelques projets : « Les difficultés actuelles ne doivent pas nous décourager de construire notre avenir. Il y a, tout d’abord, de très sérieux espoirs de voir dans quelques années des hélicoptères 100 % électriques, encore moins bruyants que ceux utilisés sur notre héliport. Pour les courts trajets, comme ceux vers Nice, c’est une excellente solution technologique, parfaitement adaptée à nos ambitions de respect de l’environnement. » Quant à la ligne Monaco-Nice, elle reste un outil de première importance, puisque pour c’est un moyen d’ouvrir la principauté sur le monde, et notamment à une clientèle très aisée. « Sur le plan de l’attractivité, l’hélicoptère est un atout et un outil précieux de fidélisation, notamment la ligne Monaco-Nice pour la clientèle des congrès, mais demain aussi dans des domaines plus variés », indique le gouvernement, sans plus de précisions sur les nouveaux secteurs qui pourraient être concernés par ce service. Il faudra en tout cas gagner en efficacité sur le mode de fonctionnement, notamment pour les vols à destination de l’Italie. Le patron d’Héli Air Monaco, Jacques Crovetto, pointait d’ailleurs ce problème du doigt, en expliquant que, comme Monaco n’a pas d’accord avec l’Italie, les règlements imposent aux compagnies monégasques de décoller d’un aéroport douanier, comme Monaco, pour se rendre ensuite impérativement vers un autre aéroport douanier. Or, le plus proche de la principauté, c’est celui d’Albenga. « Pour éviter ce problème, il faudrait que Monaco signe un accord avec l’Union européenne (UE) en matière d’aviation civile pour être considéré comme « européen » pour cette activité-là. Ou bien il faudrait faire évoluer l’accord-franco-monégasque », avançait Jacques Crovetto, dans Monaco Hebdo n° 1162. Du côté du gouvernement, on reconnaît que, « concernant les dessertes, il y a des progrès à négocier avec nos voisins italiens pour faciliter les liaisons avec ce pays », sans davantage rentrer dans le type de solution à mettre prioritairement en œuvre. « Le pavillon monégasque et la souveraineté monégasque sont en train de disparaître », estime pour sa part Jacques Crovetto, pour qui il y a désormais urgence. C’est en tout cas vers les avancées technologiques que sont tournés une partie des espoirs du gouvernement monégasque, qui estime qu’un « autre horizon s’ouvrira sous peu avec la livraison des premiers avions à décollage vertical, comme ceux du projet phare du groupe aérospatial italien Leonardo, l’AW609. Un avion qui peut décoller et atterrir verticalement, comme un hélicoptère, mais qui peut voler plus loin et plus vite. Ce qui pourrait changer la donne dans l’aviation civile, et être un précieux atout dans le futur pour relier la principauté à certaines grandes capitales européennes ». En attendant, avec plus de 90 % de la flotte mondiale d’avions qui est restée au sol depuis que la crise du Covid-19 a débuté, aujourd’hui les pertes sont abyssales. Or, en plus d’être lointaine, la reprise s’annonce également incertaine. Le secteur aéronautique vit sans doute l’une des plus crises les plus graves et profondes qu’il a traversé depuis une vingtaine d’années, et personne ne semble avoir de certitudes. Comme le reste de la planète, Monaco, qui reste très dépendant de l’aéroport de Nice, va devoir apprendre à vivre sans garanties sur l’avenir.

Covid-19 : Airbus et Boeing à la peine

Chez les constructeurs, le contexte est aussi très difficile. Le 29 juillet 2020 Boeing a annoncé des résultats catastrophique. Entre janvier et juin 2020, son chiffre d’affaires a dévissé de 26 % pour tomber à 28,7 milliards de dollars (24,4 milliards d’euros). Ce qui représente une perte d’un peu plus de 3 milliards de dollars sur cette période. Dans la foulée, l’avionneur européen Airbus a annoncé le 30 juillet 2020 une perte de 1,9 milliard d’euros pour le premier semestre 2020. Au second trimestre 2020, le nombre de livraisons d’avions commerciaux a été divisé par deux par rapport au second trimestre 2019. Sur le premier semestre 2020, le chiffre d’affaires d’Airbus était de 18,9 milliards d’euros, en baisse de 39 %. Airbus et Boeing vont donc lancer des plans sociaux pour réduire leurs effectifs. Par ricochet, les sous-traitants du secteur aéronautique sont touchés à leur tour. Par exemple, le motoriste Safran a indiqué le 30 juillet 2020 une baisse de 29 % de son chiffre d’affaires, à 8,767 milliards d’euros. Résultat, là encore, cela conduit à de la casse sociale, puisque Safran qui fait travailler 95 000 salariés répartis dans 27 pays, a déjà supprimé 12 % de ses emplois.

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