vendredi 19 avril 2024
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Albert II
annonce ses choix

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Comme il le dit lui même, le chef d’Etat monégasque finit l’année 2012 sur « trois décisions importantes ». Dans cette interview exclusive, le prince Albert commente la nomination du nouveau conseiller pour les finances Jean Castellini. Et annonce que le choix du nouveau directeur de la sûreté publique ainsi que des changements à la Société des bains de mer interviendront ces jours prochains.

POLITIQUE EXTERIEURE
Monaco Hebdo : Monseigneur, vous avez rencontré le président Hollande à l’Elysée le 7 décembre. Une première impression ?

Prince Albert II : Cet entretien s’est déroulé dans un très bon climat. J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer de manière informelle Monsieur François Hollande au Stade de France pour la finale de la Coupe du Monde en 1998, opposant les Bleus au Brésil. Il était également venu au Stade Louis II en supporter de l’AS Monaco ; puis nous nous étions croisés à nouveau cet été à Londres lors des JO. Cependant, il s’agissait là effectivement de la première rencontre de travail.

M.H. : Comment qualifiez-vous les relations franco-monégasques aujourd’hui ?
P.A.II : Je peux vous assurer que les relations franco-monégasques sont excellentes, amicales, franches et directes. Il n’y a pas de sujet présentant de difficultés. La chaleur de nos entretiens l’a démontré. Le président Hollande a salué les efforts accomplis par la Principauté en matière de transparence fiscale. Nous avons également discuté de sujets traités chaque année par la commission franco-monégasque mais aussi par la commission locale avec le département voisin sur les questions d’accès, des déchets, des transports. Le Président de la République et moi-même avons réaffirmé notre attachement à la communauté de destin entre la France et Monaco, confirmée par le traité du 24 octobre 2002, dont cette année marque le dixième anniversaire.

M.H. : Concrètement, quel appui vous apporte la France dans le dialogue avec l’Union européenne ?
P.A.II : Il est encore trop tôt pour le dire. Il semble en tout cas évident que nous partageons une même approche de nos relations avec l’UE à savoir que Monaco doit garder ses spécificités. Il faut donc réfléchir à un accord avec l’Union européenne qui prenne en considération le respect de nos intérêts. Ces derniers sont différents dans de nombreux domaines que ceux d’autres petits pays tels que la Principauté d’Andorre et la République de Saint-Marin.

M.H. : Quelle est votre position sur une entrée dans l’Union européenne ?
P.A.II : Nous souhaitons, avec l’UE, progresser sur des dossiers concrets tels que par exemple les transports, les produits alimentaires et pharmaceutiques, l’accès des jeunes à l’enseignement supérieur dans les pays membres.
Il nous faut trouver un accord général qui tienne compte de nos spécificités dans ces domaines. Il est hors de question de faire partie de l’Union européenne. Monaco n’y a aucun intérêt.

M.H. : Autre débat européen qui fait l’actualité : la saisine de la commission de Venise par le rapporteur Anne Brasseur. Avez-vous réagi officiellement auprès du conseil de l’Europe et rappelé que Monaco ne deviendra pas une monarchie parlementaire ?
P.A.II : Le gouvernement s’est exprimé officiellement sur ce sujet à ma demande. Je n’ai rien de plus à ajouter. Mais sachez que j’ai rencontré par le plus grand des hasards le président de la Commission de Venise à Paris, M. Buquicchio, car j’ai décoré son épouse, l’ancienne commissaire européenne pour les droits de l’enfant, le 10 décembre dernier à l’Ambassade de Monaco et que j’ai eu l’occasion d’échanger avec lui sur ce sujet. J’ai également discuté avec Didier Chagnollaud, qui représente Monaco à la commission de Venise. Je pense qu’ils ont bien compris notre position. Les remises de décorations permettent parfois aussi de faire passer des messages importants…

M.H. : Le débat est-il pour autant clos ?
P.A.II : La commission de Venise devra remettre ses conclusions puisqu’elle a été saisie et nous réagirons en temps voulu si cela est nécessaire.

REMANIEMENT
M.H. : Vous avez choisi le successeur de Marco Piccinini ?

P.A.II : Compte tenu de l’instabilité de l’environnement économique international, les responsabilités attachées à ce poste revêtent une grande importance. Je tiens d’abord à remercier Monsieur Marco Piccinini pour son investissement sans réserve, sa grande détermination et sa capacité de travail. Il a rempli l’objectif que nous avions convenu ensemble : assurer le retour à l’équilibre des comptes de l’Etat, plus vite que prévu d’ailleurs. Il n’a absolument pas failli dans sa mission mais a souhaité pour des raisons personnelles, qui lui sont propres, ne plus rester au gouvernement. J’ai choisi pour lui succéder Monsieur Jean Castellini dont les compétences sont reconnues en principauté. Monsieur Jean Castellini avait fait partie de mon cabinet et, lorsqu’il en est parti, nous sommes restés en très bon termes. Il avait à accomplir une mission importante en tant que secrétaire général de la CCAF. Il connaît parfaitement le système financier. Il a répondu tout de suite à ma sollicitation et s’est montré désireux de s’impliquer dans les affaires de l’Etat.

M.H. : On reste donc sur une configuration de gouvernement classique avec un conseiller pour les finances chargé des questions économiques internes et internationales ?
P.A.II : Il a effectivement été envisagé de séparer les missions nationales et internationales et qu’un autre membre du gouvernement que le conseiller pour les finances gère les questions économiques internationales et les négociations avec Bercy ou l’OCDE. J’ai finalement estimé qu’il valait mieux qu’une seule personne gère l’ensemble de ces problématiques.

M.H. : Quelle sera sa mission ?
P.A.II : Il conviendra de maintenir le cap que j’ai fixé : faire très attention aux dépenses et revenir à un équilibre budgétaire durable afin de renforcer le fonds de réserve constitutionnel, garant de notre indépendance économique et du maintien de notre modèle social. L’environnement international reste fragile et précaire en 2013. Les dirigeants de ce monde ont affiché leurs craintes pour l’avenir.

M.H. : Un autre remaniement est-il prévu en 2013 ?
P.A.II : Je ne vois pas ce qui justifierait un autre remaniement pour l’instant. Le ministre d’Etat a en général une mission de trois ans mais cette durée n’est pas inscrite. Ce n’est pas parce qu’il y aura un nouveau conseil national qu’il y aura un nouveau gouvernement. Un autre conseil national ne signifie pas un autre ministre d’Etat ! Cela ne fonctionne pas comme cela à Monaco.

M.H. : Vous évoquez les élections nationales. Vous avez demandé à ce que la campagne électorale soit digne. L’est-elle vraiment selon vous jusqu’à présent, au vu des derniers événements, que votre gouvernement a condamnés d’ailleurs ?
P.A.II : Je n’ai pas à commenter la vie politique. Tous ces incidents sont regrettables et j’ai eu l’occasion de le dire à M. Robillon. Je formule le vœu que cette campagne soit plus mesurée et que tous les candidats se montrent davantage de respect. C’est une question de dignité. Maintenant, la vraie campagne commence. Nous verrons ce que les listes proposent.

EXTENSION EN MER
M.H. : Vous avez annoncé en juin dernier que la piste du Larvotto était relancée pour l’extension en mer. Que disent aujourd’hui les études sur la faisabilité d’une telle extension du territoire au Larvotto et à Fontvieille ?
P.A.II : Le gouvernement poursuit et finalise ses études sur les deux sites susceptibles d’être retenus. On m’a rendu un rapport intermédiaire mais pas le définitif. Je ne peux donc pas m’exprimer sur ce sujet pour le moment. Les deux sites ont leurs avantages et leurs inconvénients. Le gros inconvénient de Fontvieille, c’est la profondeur des fonds. On atteint 40 mètres de fonds très vite ! C’est donc un défi majeur à relever. Je tiens à rappeler que quelque soit le site retenu, ce sera une extension de 4 à 5 hectares qui n’a rien à voir avec le projet abandonné lors de la crise économique et financière fin 2008.

M.H. : Quelles avaient été en 2010 les conclusions du groupe d’experts sur l’impact sur l’environnement d’une extension au Larvotto ?
P.A.II : La plupart des projets ne répondaient pas au cahier des charges élaboré par le groupe des experts environnementaux. Tous les projets avaient un impact sur l’environnement. De plus, ils n’utilisaient pas suffisamment des techniques et procédures de construction respectueuses de la réserve ou du tombant coralligène du Larvotto. Il est pourtant capital de minimiser les incidences sur la turbidité de l’eau et sur le courant Ligure. Si vous bloquez le courant Ligure, par exemple, cela provoque énormément de dépôts.

M.H. : Ces points feront donc partie du cahier des charges fixé en amont ? Quels sont les autres ?
P.A.II : Bien évidemment, le site et le projet retenus devront répondre à des critères particulièrement exigeants en matière de respect de l’environnement. Je sais que c’est très difficile et rigoureux mais c’est la seule façon de répondre à des contraintes de développement durable. Par ailleurs, un élément important d’appréciation résidera dans l’intégration de cette extension en mer au tissu urbain. Je souhaite que l’extension qui sera réalisée, quelque soit le site retenu, soit exemplaire en matière énergétique. Nous devrons faire en sorte que les constructions qui y seront édifiées fassent appel le plus possible aux énergies renouvelables.
M.H. : Quel est aujourd’hui le projet urbanistique ou autre à Monaco qui vous tient le plus à cœur ?
P.A.II : Il y a bien entendu le nouveau CHPG mais à plus court terme, je peux citer le Yacht Club. Il constituera un formidable pôle d’animation pour la Principauté et un véritable vecteur d’attractivité pour Monaco. Je me réjouis de sa livraison dans environ 1 an. Ce bâtiment signé par Foster va être très beau et emblématique, avec des prestations uniques, des espaces commerciaux de qualité. Peut-être un peu surdimensionné (sourire) : c’est difficile de freiner les grands créatifs, comme Lord Foster… Il est certain qu’il faudra réfléchir à optimiser ces espaces immenses et gérer le Yacht Club différemment. Nous avons demandé à des experts de faire des propositions, notamment pour la partie restauration. Une certaine partie du bâtiment sera confiée à une gestion privée. Nous modulerons les espaces comme la salle de bal… Bref nous réfléchissons à ce que le Yacht Club soit exploité le plus ingénieusement possible.
Quant à la Tour Odéon, je ne suis pas allé sur le chantier depuis longtemps. Je pense qu’il sera prêt à temps en 2014. Je suis désolé de tous les désagréments qu’il aura causés aux riverains mais cet équipement était nécessaire et le résultat final sera à la hauteur de nos espérances. Ce sera la plus haute tour du bassin méditerranéen et c’est aujourd’hui l’un des chantiers les plus importants en Europe.

BUDGET
M.H. : Les résultats de 2012 sont bons, le budget 2012 devrait même retrouver l’équilibre à la clôture des comptes au prix de certaines coupes budgétaires concernant l’investissement, la culture et la coopération, qui ont impacté l’économie et ont suscité de nombreuses réactions. Quelle est votre position sur une politique de relance ?

P.A.II : Comme je l’ai indiqué, le retour à l’équilibre budgétaire est indispensable. L’installation d’un déficit structurel aurait des répercussions négatives et compromettantes sur la prospérité de Monaco. La rigueur du gouvernement dans la gestion des dépenses a porté ses fruits. Pour la Coopération, il est vrai que notre effort a marqué une pause compte tenu des contraintes budgétaires. J’attends de mon gouvernement qu’il me soumette des propositions visant à retrouver une croissance sur les crédits solidaires dès 2014.
Dans le domaine de la culture, le mécénat privé a bien compensé la réduction des subventions publiques. Mais bien évidemment, si le privé devait faire défaut, l’Etat prendra le relais. Même si nous ne reviendrons pas, s’agissant du budget de la culture, à la situation ante d’il y a 3 ans. Tout le monde est conscient qu’il faut faire des efforts même si les coupes ont été annoncées brusquement.
L’investissement public est une composante importante de notre dynamisme économique. Je suis à l’écoute des inquiétudes qui s’expriment et je veillerai, avec mon gouvernement, à assurer au secteur du bâtiment les perspectives de développement auxquelles il aspire tout en tenant compte des contraintes budgétaires. Dès que ce sera possible, nous reprendrons des projets mis de côté pour des raisons d’économie. Je pense à Testimonio, à la Darse nord ou à d’autres projets, moins importants en volume, mais qui vont devoir se faire dans les années à venir. Ils seront dans le prochain programme triennal.

M.H. : Au vu de la mauvaise conjoncture internationale et européenne, craignez-vous que Monaco soit davantage touché par la crise en 2013 ? Comment limiter les risques selon vous ?
P.A.II : J’ai demandé à mon gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour atténuer les effets de la crise. Il convient d’être prudent car ce serait une erreur de penser que la conjoncture internationale ne peut avoir des répercussions sur la Principauté. Il faut poursuivre les efforts dans l’optimisation de la gestion des dépenses, la mise en place d’actions pour renforcer les recettes de l’Etat comme par exemple la modernisation de notre droit économique… Je demeure confiant dans l’avenir. Je sais que nos capacités nous permettront de relever les défis qui se présentent à nous comme nous l’avons toujours fait.

SOCIETE DES BAINS DE MER
M.H. : La SBM va mal, sur le plan social et économique. Une liste d’employés de la SBM se présente même aux élections pour dénoncer l’inaction de la direction. Comment relancer la société à court terme ? Une nouvelle équipe dirigeante est-elle nommée ?
P.A.II : J’avais trois décisions importantes à prendre d’ici à la fin de l’année : la nomination du conseiller pour les finances, le choix du nouveau directeur de la sureté publique – je vois les candidats cette semaine – et enfin la stratégie à adopter pour la SBM.
Je suis persuadé que la SBM dispose des atouts pour retrouver sa compétitivité. Encore faut-il que toutes les parties concernées remplissent leur rôle dans l’intérêt de celle-ci et plus largement du pays.
L’actionnaire majoritaire saura prendre ses responsabilités et les mesures nécessaires. Une nouvelle mission sera donnée à la gouvernance et de cette impulsion découleront des changements au sein de l’organigramme. Les décisions seront prises dans les jours à venir. Il ne s’agit pas forcément d’un changement de personnes mais, je le répète, de missions au sein de la gouvernance de la SBM. Il est par ailleurs certain que le plan Renaissance qui passe à l’étape suivante sera impacté. Il faut absolument que la SBM reparte sur une autre impulsion. C’est au cœur de nos préoccupations.

M.H. : Comment voyez-vous le malaise social qui règne dans cette société particulière ?
P.A.II : J’ai consulté beaucoup de personnes, j’ai eu des retours très directs. Ma vision de la situation est très claire. Il faut un peu de patience mais, dans les jours prochains, il y aura des annonces. Je le répète, la deuxième phase du plan Renaissance sera mise en place rapidement pour la relance de la société.

M.H. : En Pologne, vous avez visité les camps de déportation des juifs. La commission d’indemnisation des victimes de spoliation devait vous faire état d’un bilan des juifs déportés de Monaco pendant la seconde guerre mondiale. Qu’en est-il ?
P.A.II : C’est la première fois que je me suis rendu dans un camp de cette importance. C’est très émouvant et hélas indescriptible. Il n’y a pas de mot pour décrire le niveau de barbarie et de planification d’extermination des juifs, tziganes et handicapés. A Monaco, la Commission d’assistance aux victimes de spoliations a pour mission de faire des propositions au gouvernement, après avoir entendu les demandeurs, sur les mesures d’indemnisation qui seraient à mettre en œuvre à la suite d’une arrestation suivie de déportation d’une personne ayant séjourné à Monaco durant la Deuxième Guerre Mondiale. Je rappelle que, jusqu’à présent, le gouvernement a systématiquement suivi les recommandations de la commission, signe de la justesse et de l’équilibre des propositions qu’elle formule. Environ dix cas ont été présentés et 4 ou 5 ont déjà été traités par la Commission.

M.H. : Revenir sur cette période a-t-il représenté un choix difficile ?
P.A.II : Il faut regarder l’histoire droit dans les yeux. Il m’a semblé juste d’essayer de mieux comprendre ce qui s’est passé à Monaco durant cette période particulièrement sombre. C’est pourquoi j’ai demandé que soit constitué un groupe d’experts qui a pour mission de nous éclairer sur ces années et nous aider à établir la liste plus précise des malheureux arrêtés à Monaco ou dans la région puis déportés alors qu’il avaient leur résidence habituelle ou avaient trouvé refuge à Monaco. Ce groupe d’experts comporte en son sein des membres de la Commission d’assistance aux victimes de spoliation, compte-tenu de leur connaissance de cette question, mais également des historiens et des spécialistes de la recherche engagée. Ces experts poursuivent actuellement leur travail, ils n’ont pas encore rendu leurs conclusions.

ASM-FC
M.H. : L’ASM est leader du championnat mais a failli en coupe de France et coupe de la ligue. Comment voyez-vous les résultats du club depuis qu’il a été repris par Dmitry Rybolovlev ?
P.A.II : Les résultats sont assurément meilleurs qu’ils ne l’étaient… La dynamique insufflée est encourageante. Nous espérons monter en L1. Je me suis d’ailleurs rendu à l’entraînement cette semaine pour leur faire part de quelques mots d’encouragements.

M.H. : Peut-on croire à l’arrivée de Beckham pour Noël ?
P.A.II : Noël avec Beckham ou sans Beckham (sourire) ? Plus sérieusement, nous avons évoqué cette éventualité avec Messieurs Rybolovlev et Karlsen lors de ma venue au centre d’entraînement de La Turbie. Je ne peux malheureusement rien vous annoncer, l’ASM le fera en temps voulu selon les démarches qu’elle a entrepris. Côté mercato, je ne sais pas si d’autres acquisitions sont prévues cet hiver. De belles choses seront par contre envisagées pour l’année prochaine, si nous montons…