Après la colère et la tension au mois d’octobre, les élus de la majorité ont voté sans faire de vagues le budget primitif 2020. Le changement de ton est radical.

On se souvient encore des remous causés par le vote du budget rectificatif 2019. C’était le 17 octobre 2019. Adopté par seulement 14 voix pour, 8 abstentions et un vote contre, ce budget avait été l’occasion pour la majorité Priorité Monaco (Primo !) de faire entendre sa voix en adoptant un ton musclé, qui suintait parfois la colère. Les sujets de discordes étaient multiples : baisse de la qualité de vie en principauté, retards et dérapages des chantiers, utilisation du fonds de réserve constitutionnel pour financer le budget de l’Etat, pas de lancement d’une caisse autonome de retraite pour les fonctionnaires… Bref, la suite s’annonçait mal. Dans nos colonnes, le président du Conseil national, Stéphane Valeri prévenait : « On peut toujours ne pas voter un budget. C’est une possibilité. Mais ne pas voter un budget constituerait un échec. » Du coup, dans un contexte où la tension était palpable, on voyait assez mal comment, en si peu de temps, des positions, aussi éloignées sur des sujets le plus souvent d’une grande complexité, allaient pouvoir se rejoindre. Et pourtant, seulement deux mois après et sans que les sujets de discorde n’aient subi des évolutions, tout a changé. Le 19 décembre, en fin de journée, les sourires étaient radieux et l’ambiance clairement détendue.

Un budget en déficit ou à l’équilibre ?

Le budget primitif 2020 a été adopté par 17 voix pour, 5 abstentions et un vote contre (1). Le fait majeur de cette soirée de vote, c’est l’échange un peu vif entre le président du Conseil national, Stéphane Valeri et l’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda. En effet, fidèle à ses convictions, Jean-Louis Grinda a voté contre ce budget qu’il estime être en déficit de 200 millions d’euros. Pour arriver à ce total, l’élu UM a évoqué la provision de 45 millions d’euros pour les travaux du centre hospitalier princesse Grace (CHPG), la vente pour 100 millions d’euros au fonds de réserve constitutionnel de 2 millions d’actions de la société des bains de mer (SBM) et enfin, les comptes spéciaux du trésor qui sont débiteurs à hauteur de 60 millions d’euros. « Ce que je dis ce soir, tout le monde le sait dans cet hémicycle. Tout le monde ! Mais par courtoisie, habitude, naïveté ou complaisance, beaucoup font semblant de croire en cet excédent. Permettez-moi pour ma part de ne pas faire semblant : je ne voterai pas ce budget primitif 2020 », a prévenu Grinda. Chose inhabituelle et surprenante, Stéphane Valeri a répondu à Jean-Louis Grinda, estimant que ces 200 millions annoncés par l’élu UM ne reflètent pas la réalité, notamment parce que « les comptes spéciaux du trésor ne font pas partie du budget » et qu’« une partie des dépenses inscrites et votées ne seront pas exécutées, ce qui représente environ 100 millions chaque année ». Quant aux 45 millions pour le CHPG, « c’est une provision, on ne va pas dépenser ces 45 millions », a ajouté Stéphane Valeri, avant de conclure : « Quand je vois vos chiffres et les miens, on est à l’équilibre, donc pas loin de ce que l’on va voter. En revanche, je suis d’accord pour les 100 millions d’actions pour la SBM. » Toujours de façon exceptionnelle, le conseiller national UM a pu reprendre la parole pour défendre ses positions : « Grâce à vous, le gouvernement va passer de meilleures fêtes de Noël encore, a répondu Jean-Louis Grinda. J’ai pris la précaution de préciser que les comptes spéciaux du trésor étaient hors budget, mais, un jour ou l’autre, il faudra sortir cet argent, c’est une réalité. » Quant aux dépenses non exécutées, chaque exercice étant différent, cet élu UM a appelé à « la prudence ». De la même façon, et c’est un peu plus surprenant, l’élu Primo ! José Badia s’est abstenu, en pointant l’absence d’une « information exacte et sincère » de la part du gouvernement, notamment « quand on demande au Conseil national de voter un programme triennal d’investissement dépassant le milliard et demi d’euros au-delà de 2023, sans mettre en correspondance l’évolution des recettes le permettant ». Autre élu Primo ! à s’être abstenu, Pierre Van Klaveren, qui a réclamé désormais des « actes sur la durée ». Demandant à son tour des « actes » pour transformer la prochaine fois son abstention en vote pour, sa collègue de la majorité Nathalie Amoratti-Blanc, a expliqué que « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». Puis, s’adressant plus directement au ministre d’Etat, Serge Telle : « J’ai toujours ce sentiment très désagréable que certains membres du gouvernement que vous dirigez Monsieur le ministre, considèrent le Conseil national, soit comme une institution composée d’adversaires, soit comme une sorte de frein déraisonnable. » Il est donc bien clair que certains élus de la majorité Primo! ne semblent pas croire aux promesses du gouvernement. 

Le président de la commission pour les finances, Balthazar Seydoux, s’est notamment félicité pour sa part de la « concrétisation d’un plan national » pour le logement des Monégasques et de la prise en compte de l’urgence de préserver la qualité de vie en principauté.

Le président de la commission pour les finances, Balthazar Seydoux, s’est notamment félicité pour sa part de la « concrétisation d’un plan national » pour le logement des Monégasques et de la prise en compte de l’urgence de préserver la qualité de vie en principauté.

« Ce que je dis ce soir, tout le monde le sait dans cet hémicycle. Tout le monde ! Mais par courtoisie, habitude, naïveté ou complaisance, beaucoup font semblant de croire en cet excédent. Permettez-moi pour ma part de ne pas faire semblant : je ne voterai pas ce budget primitif 2020. » Jean-Louis Grinda. Elu UM.

« Nous allons donc voter ce budget 2020 à une large majorité. Ceci est avant tout la conséquence de la nette amélioration ces derniers mois, de la relation institutionnelle entre le gouvernement et le Conseil national. » Stéphane Valeri. Président du Conseil national.

Sourires

Pour le reste, ce sont très majoritairement des commentaires positifs qui ont accompagné les votes des 18 élus (1) qui ont validé ce budget primitif 2020. Le président de la commission pour les finances, Balthazar Seydoux, s’est notamment félicité pour sa part de la « concrétisation d’un plan national » pour le logement des Monégasques et de la prise en compte de l’urgence de préserver la qualité de vie en principauté. Tout en promettant de rester attentif pour la suite, cet élu a aussi expliqué que cette « vigilance ne viendra pas ce soir diminuer ma conviction profonde que les choses vont majoritairement dans le bon sens. » Les multiples promesses faites par le gouvernement ont convaincu la plupart des élus : pérennisation de la brigade de la circulation, rebaptisée unité de préservation du cadre de vie d’ici février 2020, réorganisation de la direction des travaux publics par pôles, renforcement des contrôles des opérateurs et des sous-traitants sur les chantiers, construction du grand Ida avec, notamment, 140 appartements domaniaux, dépôt d’un permis de construire d’un abri pour les animaux à Peille ou à Blausasc en 2020 pour une livraison en 2022… Autant d’avancées qui ont fait dire à Stéphane Valeri : « Ce soir ce qui prédomine, c’est bien sûr notre satisfaction globale devant les mesures déjà prises et les engagements obtenus du gouvernement, dans le cadre de ces débats budgétaires […]. Nous venons de basculer dans une nouvelle ère de ce mandat. » Du côté d’Horizon Monaco (HM), Béatrice Fresko-Rolfo et Jacques Rit ont tous les deux voté pour ce budget primitif 2020. « Les paroles et les chiffres vont-ils se transformer en actions réelles ? », s’est toutefois demandé Béatrice Fresko-Rolfo, tout en pointant « certains points » qui « restent en suspens : meilleure lisibilité des comptes publics, retraite des fonctionnaires, dépenses quasi-exponentielles des dépenses pour les chantiers publics… Il ne faudrait pas que les excédents budgétaires successifs nous fassent oublier que l’environnement économique proche n’est pas au beau fixe. Il serait fâcheux que nous appauvrissions les générations suivantes en minimisant l’importance de leur impact. » Bref, à seulement quelques jours de Noël et de la nouvelle année, les sourires l’ont très largement emporté, ce qui a fait dire au ministre d’Etat, Serge Telle qu’il n’est « pas nécessaire de parler fort pour être entendu ». Il n’empêche. Ce changement radical de ton entre ces deux institutions interpelle et débouche finalement sur davantage de questions que de réponses ou d’assurances pour le futur. Comment décrypter cette entente nouvelle ? Comment l’interpréter ? Cette entente entre gouvernement et Conseil national est-elle bien réelle ou est-elle simulée ? Et si elle est réelle, est-ce qu’elle sera durable ? Le début d’année 2020 devrait permettre d’y voir plus clair à ce sujet.

1) Les élus Priorité Monaco (Primo !) suivants se sont abstenus : Pierre Van Klaveren, Fabrice Notari, Nathalie Amoratti-Blanc, Thomas Brezzo et José Badia. L’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda, a voté contre. Enfin, l’élue Primo ! Karen Aliprendi de Carvalho a quitté l’hémicycle avant le vote. Donc, même si elle avait indiqué vouloir voter en faveur de ce budget, son vote n’a pas été comptabilisé.

Les principales annonces du gouvernement

Logement :

• 174,5 millions d’euros consacrés au logement en 2020 avec le plan national pour le logement. « 280 logements auront été attribués entre 2019 et fin 2020 », a promis Serge Telle, en ajoutant que « 900 logements neufs seront livrés d’ici à la fin de 2023 ».

Numérique :

• Augmentation des crédits pour la délégation interministérielle à la transition numérique par rapport à 2019 : de 26 à 45 millions d’euros.

Mobilité :

• Visite prévue à Dunkerque ou au Luxembourg pour évaluer la gratuité des bus.

• Essai de gratuité sur la ligne de bus n° 4 pendant six mois, à partir d’avril 2020.

• Les tests en cours sur l’électrification du réseau de bus se heurtent pour l’instant à des problèmes techniques concernant l’installation de bornes de recharge. Le ministre d’Etat s’engage cependant à moderniser la flotte « bien avant 2030 ».

• Mise en place d’un Pass Sud Azur, en partenariat avec le département des Alpes-Maritimes. Ce ticket unique permettant de se déplacer dans tous les transports (train, bus, tramway) sera lancé en janvier 2020 dans les Alpes-Maritimes, puis en septembre 2020 à Monaco.

• L’Etat monégasque va investir 11,5 millions pour améliorer le trafic ferroviaire. Une « double-rame supplémentaire par sens aux heures de pointe » doit être ajoutée cette semaine. L’argent investi servira également à « moderniser » les rames achetées par la principauté il y a dix ans, mais aussi la gare monégasque. L’objectif est d’arriver à la circulation de six trains par heure.

• 950 000 euros dans le budget pour la navette maritime entre Nice et Monaco.

Cadre de vie :

• Création d’une unité spécifique au sein de la direction de la Sûreté publique, chargée de fluidifier les déplacements et de contrôler le bruit des véhicules avec le test d’un radar anti-bruit l’année prochaine.

• Renforcement des contrôles des terrasses pour que cesse la musique après 22 heures. Baisse du volume sonore autorisé de 85 décibels à 75 décibels. « Le gouvernement entend appliquer une tolérance zéro par rapport aux nuisances sonores ».

• Pour les travaux de la villa Le Mas et du palais Honoria, « nous favoriserons l’exécution de nuit des travaux non bruyants ». En sus, un dispositif de bâches acoustiques sera installé.

• Transition du site infochantiers.mc vers un site plus global yourmonaco.mc, au premier trimestre 2020. Celui-ci détaillera des informations sur le « cadre de vie, l’aménagement du territoire et les transitions énergétiques et environnementales ».

A ceci s’ajoute le développement de l’application UrbanReport afin que les usagers puissent dénoncer un problème ou émettre un avis sur les chantiers… ou autre.

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