vendredi 19 avril 2024
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Françoise Gamerdinger : « Je n’ai pas de leçons à donner »

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À Monaco, la vie culturelle et les spectacles sur scène continuent. Françoise Gamerdinger, directrice des affaires culturelles, nous explique pourquoi et comment, estimant au passage que d’autres gouvernements pourraient en faire autant.

Vous expliquiez dans une précédente interview (lire Monaco Hebdo n° 1125), que la culture permettait de répondre à un mal-être : comment la culture peut-elle répondre au mal-être provoqué par la pandémie ?

En étant présente et en montrant l’exemple. C’est ce que fait la principauté actuellement. Mais, malheureusement, ce n’est pas encore assez cité en exemple dans les autres pays. Je regrette que la ministre de la Culture française cite les initiatives espagnoles, mais pas celles de Monaco, je trouve ça bien dommage. J’apprécie beaucoup Roselyne Bachelot, mais j’aimerais bien lui faire un petit rappel. D’autant que nous faisons venir pas mal d’artistes français, qui sont très contents de jouer sur nos scènes, actuellement.

Comment s’annonce l’agenda culturel de 2021 à Monaco ?

Sans jouer les gros bras, nous démontrons que nous sommes capables d’assurer la présence culturelle avec de la bonne volonté et du bon sens, tout en respectant les mesures sanitaires. Pour 2021, un confinement peut encore survenir. Mais j’ai réuni les entités culturelles, et tout le monde est prêt à donner de sa personne, et à continuer coûte que coûte.

Continuer, malgré les restrictions ?

Le couvre-feu à 19h nous oblige à déprogrammer certains événements, comme les rencontres philosophiques, trop complexes à organiser compte tenu de la période, mais personne ne lâche. Nous allons essentiellement décaler plusieurs spectacles et les organiser « en matinée », c’est-à-dire l’après-midi, ainsi que le week-end, et la semaine.

Tout le monde accepte de jouer le jeu ?

Tout le monde joue le jeu, et même des pointures acceptent de jouer le jeu. Par exemple, Stéphane Bern a accepté de décaler son spectacle l’après-midi, le jeudi 14 janvier 2021, sans trop craindre d’éventuels effets sur le public. L’institut audiovisuel a aussi décalé ses programmations, même chose pour l’opéra, ou encore pour l’orchestre philharmonique, qui avait déjà anticipé et avancé ses concerts, afin que le public français puisse en profiter.

Au final, il y a donc peu d’événements annulés ?

L’agenda culturel est à peine impacté par les annulations, tout est quasiment maintenu. Nos trois musées restent aussi ouverts. En revanche, si nous avons proposé des tarifs attractifs en novembre et en décembre 2020 pour inciter le public monégasque à répondre présent, nous demandons maintenant aux personnes de payer leurs places à tarif normal, étant donné que le gouvernement a fait l’effort de maintenir les budgets.

Avant la pandémie, la culture représentait 6 % du budget de la principauté, qui est de près de 1,5 milliard d’euros pour 2021 : qu’en est-il aujourd’hui ?

Le budget de la culture est resté à 6 %. Il ne bouge pas, d’autant qu’il a été voté. Et nous restons sur des budgets artistiques qui n’ont pas bougé, cela concerne aussi les salaires de tout le monde culturel, les artistes et l’administratif. Nous avons simplement demandé à tout le monde de faire un effort de 5 % sur les frais administratifs courants. Après une année sans recettes, il faut rappeler que personne n’a perdu son salaire, et personne n’a été placé en chômage partiel. C’est à saluer. Cela marque l’importance de notre modèle culturel dans la politique du gouvernement et du prince Albert II. Nous avons également aidé les artistes plasticiens qui n’avaient pas pu vendre leurs œuvres à cause des événements. Et nous avons poursuivi les baux d’occupation des ateliers d’artistes qui arrivaient à échéance.

Monaco est un exemple à suivre pour les autres États et gouvernements ?

On peut toujours être un exemple, mais on ne se permettra pas de donner des leçons. Ce qui est magnifique, c’est qu’on a la possibilité de faire vivre la culture, et aussi la volonté de le faire. Notre moteur, c’est la reconnaissance du public. C’est très émouvant de se dire qu’on peut poursuivre, alors que de nouvelles mesures tombent régulièrement, et menacent de tout stopper, à chaque fois. Cela donne presque plus de valeur à nos spectacles, tant ils paraissent fragiles.

Comment garantir la sécurité du public, alors que le taux d’incidence a atteint un seuil critique début janvier 2021 à Monaco, avec 410 contaminations pour 100 000 habitants ?

Les mesures sanitaires sont les mêmes depuis le début. On prend la température aux entrées de salles, on s’équipe de paillassons nettoyants, on impose le port du masque et la distanciation dans le public. Au théâtre, par exemple, je refuse même que maris et femmes soient assis l’un à côté de l’autre. Dans le milieu culturel, nous avons toujours été très stricts. Chaque entité doit écrire son processus d’accueil du public, et le remettre à la direction culturelle, en lien direct avec la Direction de l’action sanitaire (Dasa), qui préconise ensuite ce qu’il est bon de faire au niveau des salles et des artistes. Bien sûr, cela n’empêche pas que des musiciens soient positifs au Covid-19, comme cela a pu être le cas. Mais ils ne se sont pas contaminés lors des concerts.

Le facteur risque est donc moindre dans les salles de spectacle ?

Quand on voit les chiffres d’incidence actuels, on voit bien que les gens ne se contaminent pas lors de spectacles, mais pendant les fêtes, chez eux. J’ai donc envie de leur dire : venez aux spectacles, plutôt que de prendre un verre entre amis chez vous (rires) !

Vous incitez le public français à se rendre à Monaco ?

La culture ne fait pas de différences entre Français, Monégasques et résidents. En revanche, on n’incite pas le public français à enfreindre les règles de leur pays pour venir à nos spectacles, et c’est bien pour ça que nous adaptons notre programme. Rien n’empêche les Français de venir à Monaco l’après-midi, par exemple. Ou bien à venir le soir pour un spectacle, tout en séjournant dans l’un de nos hôtels. C’est d’ailleurs ce qu’a fait un couple originaire de Grasse vendredi soir, pour assister au spectacle de Gad Elmaleh. Ça leur a valu un petit clin d’œil de l’artiste sur scène, qui a plaisanté là-dessus.

Ne craignez-vous pas que cette volonté soit mal perçue du côté de Paris ?

Je ne crains jamais la jalousie ! Ce sont des mauvais esprits, mettons-les de côté (rires). On ne joue pas les gros bras. Mais, quand on réussit à faire quelque chose contre vents et marées, on est toujours critiqué. Rien n’empêche pourtant le gouvernement français de faire pareil que nous. Il est vrai que nous avons un petit territoire, et que nous allons tous dans le même sens, grâce à un gouvernement qui se coordonne. Ici, notre volonté n’est pas d’annuler les événements culturels. Nous faisons tout, auprès de chacun, pour que tout soit maintenu. La France pourrait s’organiser à tous les niveaux, et le faire aussi. Mais ce n’est pas mon pays. Je n’ai pas de leçons à donner.

À l’avenir, et alors que la pandémie de Covid-19 ne faiblit pas, les écrans vont-ils de plus en plus se substituer à la scène classique, par précaution sanitaire ?

Un spectacle vivant doit rester vivant, et ne pas devenir totalement numérique. Mais on a tellement besoin de culture qu’il était important de passer par ces formes de diffusion pour nourrir l’esprit, en cette période compliquée. D’autant que le numérique assure une diffusion internationale, et permet d’attirer un nouveau public pour venir voir nos spectacles en principauté. C’est aussi un moyen de diffuser la culture aux personnes empêchées, qu’elles soient handicapées ou hospitalisées. Pour les artistes aussi, c’était l’occasion de continuer à communiquer, en jouant face caméra et en étant diffusés. C’est donc un outil essentiel. Mais, bien sûr, il ne remplacera jamais la scène et l’émotion que l’on peut ressentir dans une salle.

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