jeudi 25 avril 2024
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Organiser le télétravail : les pièges à éviter

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Les erreurs de management peuvent gâcher une expérience de télétravail. Monaco  Hebdo en parle avec le nouveau syndicat des ressources humaines de la fédération des entreprises monégasques (FEDEM), le SYRH.

En entretien d’embauche, le télétravail se négocie désormais comme le salaire. Il devient même un argument de choix pour les candidats. C’est, en partie, ce qui ressort des retours d’expériences transmis aux membres du SYRH, le nouveau syndicat des ressources humaines de la fédération des entreprises monégasques (FEDEM). Et alors que le nombre de salariés en télétravail monte en flèche depuis son instauration légale en 2017, atteignant 1 480 télétravailleurs au 2 novembre 2021 [à ce sujet, lire notre article Le télétravail progresse : un défi pour Monaco, publié dans ce dossier spécial — NDLR], les managers doivent désormais repenser la manière d’organiser le travail d’équipe. Que les salariés travaillent au bureau, à distance ou de manière hybride, les chefs d’équipe doivent éviter un certain nombre d’erreurs.

Trop contrôler ses équipes

Ce n’est pas nouveau, et encore moins une surprise, la relation de confiance est primordiale pour assurer le bon fonctionnement d’une organisation, privée ou publique. Cependant, pas facile pour certains managers d’accorder leur confiance aux collaborateurs lorsque ceux-ci évoluent à distance une partie de la semaine. La crainte étant de les voir perdre en productivité, notamment à cause de leurs obligations familiales et personnelles, ou de décrochages d’autre part, liés à de la procrastination en tout genre. « Il faut partir sur un principe de base, qui est très important : la confiance. Or, certains managers ont du mal à la donner, et même à l’avoir, confie Jean Tonelli, président du SYRH. Le télétravail implique de changer de paradigme. Et, pour un manager, la logique qui prévalait jusqu’à présent équivalait au « tes ouailles sous tes yeux », avec des réunions, des mini meetings, des pauses-café pour savoir qui faisait quoi… Avec le télétravail, c’est complètement différent. Il y a toute une formation managériale à redéployer. Globalement, les bons managers s’adaptent et tirent profit du télétravail. Et les moins bons ont du mal à s’y mettre. » Ainsi, ce rapport de confiance implique une nouvelle manière de penser l’organisation du travail, et le sens même du rapport au travail : « L’idée du télétravail, c’est de se réinventer et de repenser les choses. Pour faire revenir les gens au bureau, il faut trouver un intérêt supplémentaire à ce qui existait déjà, estime Anne-Sophie Malapert, secrétaire générale du SYRH. Le Covid-19 a obligé les entreprises à être dans la réaction, en mettant en place le travail à distance, dans l’urgence. Il faut maintenant prendre le temps de se réadapter. La période de prorogation du dispositif de travail à distance, jusqu’au 31 décembre 2021, peut le permettre aux entreprises. » Selon le SYRH, il devient donc primordial d’avoir recours à des formations spécifiques, en coaching ou en groupe, afin de mieux gérer le télétravail.

« Le Covid-19 a obligé les entreprises à être dans la réaction, en mettant en place le travail à distance, dans l’urgence. Il faut maintenant prendre le temps de se réadapter »

Anne-Sophie Malapert. Secrétaire générale du SYRH

Manquer de souplesse

L’instauration du travail à distance ne doit pas être synonyme de rigidité. Selon Frédéric Salti, trésorier du SYRH, rien n’est irréversible en matière de télétravail, et il est possible de débuter par une phase de test, avant de signer un contrat de télétravail : « Aujourd’hui, le télétravail, c’est trois jours maximum par semaine, selon la loi. Mais il faut dire aux petites entreprises qu’elles peuvent mettre en place des contrats à un jour de télétravail par semaine, seulement si elles le souhaitent, pour commencer. Il faut y aller avec humilité, et un peu de souplesse, pour rassurer les entreprises, surtout les petites qui ne disposent pas d’un gros service en ressources humaines. On peut faire des périodes d’essai : on voit si ça marche, on met en œuvre, et on valide. » En France, où le télétravail progresse également, avec 3,6 jours télétravaillés par semaine, contre 1,6 fin 2019, les phases de test ne sont pas rares. Elles permettent aux entreprises de trouver le bon équilibre avant de se lancer, selon Anne-Sophie Malapert : « J’ai l’exemple d’une entreprise de la région qui expérimente le télétravail pendant six mois, pour voir si ça fonctionne ou pas. Tester permet de recréer une vie à partir de cette donnée supplémentaire qu’est le télétravail. Car le retour en arrière n’est plus possible. Le rapport au travail a changé et il faut faire avec. Il deviendra peut-être indispensable demain, et il ne faut pas en être choqué. » Souplesse d’organisation, et souplesse de perception. Là encore, la bonne gestion du télétravail dépendra, selon Jean Tonelli, de la capacité du chef d’équipe à s’adapter aux logiques nouvelles : « L’épanouissement au travail est lié à la compétence managériale. Un chef peut rendre le travail intéressant ou le pourrir. Or, l’évaluation des employés, fondée sur les résultats, implique que les managers dotent leurs équipes des compétences, des outils et des ressources dont ils ont besoin. Puis, qu’ils les laissent faire leur travail. Ce qui est essentiel, c’est avoir confiance dans le fait que les salariés connaîtront, ou chercheront, la meilleure manière d’atteindre leurs objectifs. »

Télétravail Monaco
© Photo DR

« Certains salariés arrivent à organiser leur travail comme ils le veulent, mais d’autres, en revanche, ont plus de mal, et ils s’y perdent »

Jean Tonelli. Président du SYRH

Proscrire les réunions physiques

Mal organisé, le télétravail isole et accroît le mal-être des salariés [à ce sujet, lire notre article Les mauvais points du télétravail, publié dans ce dossier spécial — NDLR]. L’une des principales erreurs managériales consisterait donc à proscrire tout esprit de groupe au sein d’une équipe, qui passe par les réunions physiques. Si pendant la pandémie de Covid-19 les visioconférences ont montré combien elles pouvaient être pratiques, elles ne doivent pas se substituer non plus entièrement aux réunions physiques classiques. « L’homme est un animal social. On peut toujours gérer un conflit à la machine à café », rappelle Jean Tonelli. D’autant que tous les salariés et les collaborateurs ne sont pas égaux en capacité de travail à distance, comme le mentionne Anne-Sophie Malapert : « On dénombre de plus en plus de personnes souffrant de douleurs cervicales depuis qu’elles sont en télétravail. C’est le cas lorsqu’elles n’ont pas le matériel adapté à leur portée, et qu’elles n’évoluent pas dans de bonnes conditions de travail. Sans compter les personnes qui vivent dans un petit espace. » Un mode de travail hybride, combinant travail à distance et au bureau, semble faire partie des solutions les mieux adaptées en entreprise en l’état actuel : « Les petites entreprises n’ont pas toujours les moyens de s’adapter pleinement au télétravail, il faut encore leur donner les moyens d’investir dans le matériel nécessaire. »

Ce point semble d’autant plus important que l’excès de réunions en visioconférence en est même devenu dangereux. Un nouveau phénomène, le télétravail au volant, vient en effet d’émerger depuis que le travail à distance s’est démocratisé. Selon une étude de la Société des autoroutes du nord et de l’est de la France (Sanef), publiée en novembre 2021, cet exploitant routier français dévoile que 10 % des télétravailleurs réguliers participent à une visioconférence alors qu’ils sont au volant. Cette étude a été réalisée auprès de 850 automobilistes, sondés par l’institut de sondages ViaVoice entre le 13 et 15 octobre 2021. Une tendance également révélée par une autre étude, menée cette fois par l’assureur néerlandais Interpolis, qui assure que 20 % des entreprises contactées pour l’étude avouent que leur personnel tient régulièrement des réunions par visioconférence en voiture. Pour rappel, l’usage du téléphone au volant multiplie par trois le risque d’accident. La distraction au volant est d’ailleurs la troisième cause d’accident sur les autoroutes.

« Il faut y aller avec humilité et un peu de souplesse, pour rassurer les entreprises, surtout les petites qui ne disposent pas d’un gros service en ressources humaines. On peut faire des périodes d’essai : on voit si ça marche, on met en œuvre et on valide »

Frédéric Salti. Trésorier du SYRH.

Empiéter sur le temps libre

L’autre danger du télétravail mal géré, c’est le surmenage. Se pose en effet la question du droit à la déconnexion, qui est même une obligation en France. Ce droit est intégré dans le code du travail, pour les entreprises de plus de onze salariés, au contraire de Monaco où il n’est pas gravé dans le marbre. Pour autant, même s’il est reconnu légalement en France, la notion même du droit à la déconnexion numérique a été pleinement remise en question pendant la crise sanitaire, durant laquelle près de 41 % des salariés de l’Hexagone étaient en télétravail. Au point que le juriste Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris-I-Panthéon-Sorbonne, parle d’effet « quiche lorraine », renvoyant à la question de la disponibilité en télétravail. Selon ce juriste, il faut en effet veiller à ce que le télétravail réponde à des heures de travail fixes, comme au bureau, de manière à ne pas empiéter sur le temps libre des collaborateurs et salariés. Période pendant laquelle il pourra cuisiner sa quiche lorraine, s’il en a envie, en toute quiétude. Mais le danger de se laisser absorber par son travail peut venir des salariés eux-mêmes, rappelle Jean Tonelli : « Certains salariés arrivent à organiser leur travail comme ils le veulent. Mais d’autres, en revanche, ont plus de mal, et ils s’y perdent. Ils veulent parfois faire deux choses à la fois, comme garder les enfants pendant leurs heures de travail, et le mal-être grandit, car ils ont la sensation de ne réussir aucune des deux tâches. » Au bout du compte, le risque est d’aboutir à une surcharge mentale. Pour l’éviter, bien en amont, le mot d’ordre reste le même pour le SYRH : le collectif. « Des méthodes il y en a beaucoup, mais il faut une prise de conscience globale et collective. Cette crise nous a permis d’accepter le changement et d’apprendre en marchant. Il faut maintenant aller à la rencontre des collaborateurs, et trouver les moyens pour que ça marche », résume Anne-Sophie Malapert. « Le changement pose problème quand il est imposé », conclut Jean Tonelli.

télétravail monaco SYRH
Frédéric Salti, trésorier, Anne-Sophie Malapert, secrétaire générale, et Jean Tonelli, président. © Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo.

C’est quoi le SYRH ?

Cela se prononce « Sire ». Le nouveau syndicat des professionnels en ressources humaines, rattaché à la fédération des entreprises monégasques (FEDEM), regroupe des entreprises monégasques du secteur, comme la formation, le coaching, le conseil en RH/SIRH, le droit social, la paie, le recrutement hors intérim, les psychologues et les professionnels de la fonction RH. Parmi les actions à venir, ce syndicat projette de réaliser une édition annuelle de son annuaire officiel, de créer sa propre marque, d’organiser des conférences thématiques, et de créer un pôle de synergies entre les professionnels du secteur, mais aussi avec d’autres groupes ou acteurs économiques dont l’activité présente un intérêt pour ses membres. « Nous nous sommes aperçus que la place monégasque était attractive, et que beaucoup de gens venaient faire du démarchage dans notre secteur d’activité. Or, on s’apercevait que nous n’avions pas la plus grande visibilité. Il était donc temps de se regrouper pour se faire connaître, promouvoir notre cœur de métier, assez large, avec tous nos consultants », explique Jean Tonelli, le président du SYRH. Fort de six membres permanents actuellement [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le mardi 23 novembre 2021 – NDLR], cette association entend bien s’étoffer : « L’idée est de se réunir pour pouvoir discuter avec les institutions monégasques et les instances officielles. Nous allons donc prendre notre bâton de pèlerin pour solliciter toutes les entreprises du même secteur et leur présenter notre projet. Nous voulons les convaincre que nous serons plus forts à plusieurs, et plus représentatifs », ajoute Frédéric Salti, le trésorier du SYRH. « Autant ne pas aller chercher ailleurs ce qui existe ici. Nous voulons valoriser nos professions auprès des petites entreprises qui ne font pas beaucoup de formations et coaching, et qui ne savent donc pas à qui s’adresser. Nous voulons les aider à les accompagner dans leur développement et leur stratégie entreprise. » Enfin, ce nouveau syndicat devrait permettre d’apporter un gage de crédibilité et d’authenticité aux professionnels du secteur qui choisiraient de les rejoindre, comme l’explique Anne-Sophie Malapert, sa secrétaire générale : « Nous voulons rallier des personnes qui partagent notre éthique, qui adhéreront à notre charte de déontologie et l’appliqueront. Il n’existe pas de législation qui encadre réellement la profession. Notre syndicat permettra donc d’apporter une certaine légitimité, avec des personnes compétentes, qui ont suivi des formations adéquates. »

Pour ou contre le télétravail Ce qu’en pensent les syndicats de salariés

USM : « Nous militons pour le droit à la déconnexion »

Pour. Cedrick Lanari, président de la fédération des syndicats de salariés de Monaco (F2SM) : « Nous sommes pour le télétravail, mais il faut assouplir la loi, sans faire n’importe quoi. La loi n’est pas encore adaptée aux réalités du terrain. C’est d’ailleurs pour cette raison que le télétravail ne décollait pas avant la pandémie de Covid-19. Le sujet avait d’ailleurs déjà été abordé maintes fois avec les dirigeants d’entreprises de la principauté. Il faut en effet que les salariés et les employeurs puissent se mettre d’accord pour choisir les jours qui leur conviennent, et, surtout, les changer selon les actualités. Il faut pouvoir adapter le télétravail à la vie de tous les jours, et ne pas en faire un outil de management. Il ne doit ni devenir un outil de punition, ni un outil de promotion. Le télétravail doit toujours rester volontaire, et faire l’objet d’une mise au point régulière. Il y a vraiment une carte à jouer avec le télétravail, en termes d’écologie, de trafic routier, de qualité de vie et de gestion des locaux. Mais attention à trouver le bon équilibre. Nous sommes pour une table ronde, afin de repenser la loi. »

Contre. Olivier Cardot, secrétaire général de l’Union des syndicats de Monaco : « Le télétravail, on en discute depuis 2013 avec les commissions mixtes, et même lors des débats au sein du Conseil économique et social (CES) en 2010. Nous y sommes toujours opposés aujourd’hui. C’est notre position officielle. Nous pensons que le télétravail n’est pas un gain de liberté. Nous militons en effet pour le droit à la déconnexion, de manière à faire en sorte que la sphère familiale soit un lieu protégé par la loi. Le travail ne doit pas interférer avec la sphère intime. Or, la tentation est grande de ne pas déconnecter. Certains salariés sont à l’aise avec le télétravail, mais certains subissent l’omniprésence de l’employeur à la maison. Se pose aussi la question des contrôles : l’inspection n’est pas compétente pour intervenir sur le territoire français, lorsque les salariés français travaillent à domicile. Quid, ainsi, des accidents de travail ? Globalement, il y a trop de zones d’ombre. Nous y étions favorables pendant le confinement, car il préservait l’emploi et il évitait la baisse des salaires. Mais il faut être vigilant sur les incidences que le télétravail peut provoquer à long terme. »

F2SM : « Nous sommes pour une table ronde, afin de repenser la loi »