vendredi 19 avril 2024
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Sites Internet illégaux : le ras-le-bol des agents immobiliers monégasques

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De plus en plus de sites Internet illégaux proposent des biens immobiliers situés à Monaco, que ce soit à la vente ou à la location. Face au manque à gagner que cela représente pour les agents immobiliers de la principauté, et également pour les caisses de l’Etat monégasque, la profession réclame un durcissement des contrôles pour tenter d’endiguer ces agissements.

Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais c’est un phénomène qui prend de l’ampleur. Depuis une bonne dizaine d’années, des sites Internet basés à l’étranger proposent des appartements à la vente et à la location situés à Monaco. Du coup, les agences immobilières installées en principauté se trouvent hors-circuit, pendant que l’Etat monégasque voit d’importantes recettes de TVA lui échapper. Avec un chiffre d’affaires d’un peu plus de 2 milliards d’euros pour les appartements revendus à Monaco en 2021, le manque à gagner pour les caisses de l’Etat est réel. « Ce phénomène existe depuis qu’Internet s’est développé. Quand je suis arrivé à Monaco, en 2006, on voyait déjà des agences immobilières italiennes, de Cuneo, qui proposaient sur leur site Internet des biens à la vente en principauté », se souvient Massimiliano Ibba, gérant de l’agence immobilière Thomas à Monaco. Et aujourd’hui, l’exaspération monte chez un certain nombre de professionnels monégasques de l’immobilier, lassés de voir ces sites Internet « pirates » continuer à proliférer, et à proposer des appartements à Monaco sans la moindre autorisation légale. Or, en principauté, pour pouvoir travailler dans le secteur de l’immobilier, des règles précises existent, comme le rappelle le conseiller-ministre pour les finances et l’économie, Jean Castellini : « A Monaco, seules les personnes ayant obtenu une autorisation ministérielle d’exercer en vertu de la loi n° 1252 du 12 juillet 2002 sur les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, peuvent procéder à la vente de biens immobiliers » [à ce sujet, lire l’interview de Jean Castellini publiée dans ce numéro — NDLR].

Massimiliano Ibba Agence Thomas
« La chambre immobilière est vigilante sur ce problème. A Monaco, les propriétaires devraient aussi être sensibilisés à ce sujet, afin de ne pas accepter de travailler avec des sites Internet qui ne sont pas installés à Monaco. Les acquéreurs devraient également être mieux informés, et refuser de payer les commissions ou les honoraires à ces sites illégaux. » Massimiliano Ibba. Gérant de l’agence Thomas. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

Aujourd’hui, l’exaspération monte chez un certain nombre de professionnels monégasques de l’immobilier, lassés de voir ces sites Internet « pirates » continuer à proliférer, et à proposer des appartements à Monaco sans la moindre autorisation légale

« Pirates  »

En complément, des sanctions sont prévues pour ceux qui se risqueraient à vendre des appartements en principauté sans y être autorisés. La loi n° 1252 du 12 juillet 2002 prévoit de trois à six mois de prison, éventuellement assortis d’une amende dont le montant peut osciller de 18 000 à 90 000 euros. Le montant maximum de cette amende « peut être porté jusqu’au montant du profit éventuellement réalisé », précise encore ce texte de loi. « Des contrôles sont effectués dans le cas où l’exercice illégal de la profession d’agent immobilier serait suspecté. Si l’infraction est constatée, les sanctions prévues par la loi sont mises en œuvre », assure Jean Castellini. Malgré cela, les sites Internet « pirates », continuent de pulluler. Il faut dire que la lutte n’est pas simple. « Le plus compliqué, c’est de parvenir à remonter jusqu’au propriétaire réel du site Internet. Car ils sont souvent cachés derrière des sociétés opaques, basées à l’étranger », souligne Massimiliano Ibba. Et ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter, à l’heure où le numérique s’est largement imposé dans le monde entier, modifiant ainsi les usages sociaux, y compris pour le secteur de l’immobilier.

Evolution du cumul du montant et du nombre de transactions immobilières de 2012 à 2021

Transactions immobilières évolutions

« Ces sites Internet n’ont pas de frais de bureaux à assumer à Monaco, ils ne paient pas d’impôts en principauté. Ils n’ont pas de numéro de licence. Ils n’apportent strictement rien à Monaco, et aux finances de l’Etat »

Ekaterina Dorfman. Directrice de Caroli Real Estate Monaco

« Aujourd’hui, les clients utilisent principalement Internet pour faire leurs recherches. Ils font plus rarement appel à des agents immobiliers. Sur Internet, l’information circule très vite, et les clients veulent être au courant des biens immobiliers sur le marché de façon instantanée. Une fois qu’ils ont repéré un appartement sur Internet, les clients potentiels demandent à un agent immobilier de l’identifier », explique Ekaterina Dorfman, directrice de Caroli Real Estate Monaco. Sauf que lorsqu’on tape dans un moteur de recherche sur Internet les mots clés « Monaco, Monte-Carlo, immobilier, real estate », on n’est absolument pas certain d’arriver sur un site tenu par une agence immobilière qui a pignon sur rue à Monaco. « Les clients peuvent tomber sur des sites Internet frauduleux, qui sont très bien référencés, et souvent beaucoup mieux que les sites officiels des agences monégasques. Les gens qui sont derrière ces sites Internet investissent beaucoup d’argent dans le référencement », ajoute Katherine Dorfman. Qui se cache derrière ces sites Internet ? Difficile de le savoir. « Derrière ces sites Internet, on trouve souvent de grands groupes, avec de gros moyens financiers. Ils sont enregistrés en Suisse, à Londres, à Singapour, en Russie… », répond la directrice de Caroli Real Estate Monaco. « Ces derniers temps, la tendance est tournée vers des sites Internet basés dans des pays de l’Est. Cela s’explique parce qu’ils ont des attaches à Monaco, estime Massimiliano Ibba. Pour cela, ils font appel à des gens un peu “borderline”, du type apporteurs d’affaires, bref, des gens qui ne travaillent pas dans une agence immobilière monégasque. Ils travaillent un peu à la limite. »

Ekaterina Dorfman Caroli Real Estate
« Derrière ces sites Internet, on trouve souvent de grands groupes, avec de gros moyens financiers. Ils sont enregistrés en Suisse, à Londres, à Singapour, en Russie… » Ekaterina Dorfman. Directrice de Caroli Real Estate Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Tout bien immobilier acheté à Monaco doit l’être dans une agence immobilière installée physiquement en principauté, et avec un numéro de licence »

Ekaterina Dorfman. Directrice de Caroli Real Estate Monaco

« Distorsions de concurrence  »

Comment fonctionnent ces sites ? On peut résumer une transaction illégale ainsi : un client intéressé par un appartement se rend sur un site Internet illégal qui propose des biens immobiliers à Monaco. Il prend contact par le biais de ce site. Pour communiquer, de multiples choix sont proposés : téléphone, e-mail, WhatsApp… « Ensuite, un agent commercial lui répond, et lui propose d’organiser une visite en principauté. En amont, le propriétaire a donné son accord à ce site Internet, donc la visite de l’appartement à Monaco est possible. Dans le cas où la vente a lieu, des honoraires, une commission, ou un montant sera dû, et sera payé en dehors de la comptabilité du notaire. Ces commissions n’apparaissent pas comme des commissions de vente, car pour toucher une commission de vente, il faut être une agence monégasque autorisée à travailler en principauté », rappelle le gérant de l’agence Thomas. Les ventes peuvent ainsi se dérouler sans qu’aucune agence monégasque ne soit impliquée dans la vente. L’intermédiaire qui gère le site Internet « pirate », et qui a donc réussi à séduire un client, fournit alors tous les documents nécessaires à la vente chez le notaire. Dans d’autres cas, c’est parfois le propriétaire qui fournit les documents aux notaires. « Pour le notaire, il s’agit alors d’une vente entre particuliers », explique Massimiliano Ibba. Autre possibilité : ces sites Internet illégaux font appel à des agences immobilières installées à Monaco, et se présentent à elles comme des « apporteurs d’affaires », comme l’explique le président de la commission des finances et de l’économie nationale du Conseil national, Balthazar Seydoux : « Des agences immobilières étrangères peuvent conclure des accords avec des agences monégasques, afin de trouver des synergies entre leurs activités et clients respectifs. A ce sujet, il faut évaluer l’ampleur du phénomène et l’impact sur cette activité, en général. De plus, et comme sur l’ensemble des sujets qui concernent notre économie, il faut également évaluer si ce genre d’accord a un impact négatif sur l’activité des entreprises monégasques, en créant des distorsions de concurrence » [à ce sujet, lire l’interview de Balthazar Seydoux publiée dans ce numéro — NDLR].

« Tout perdre  »

L’impact économique est donc fort, et c’est un point sur lequel insistent certains agents immobiliers de Monaco. Cet impact concerne non seulement les professionnels de l’immobilier installés en principauté, mais aussi les finances de l’Etat monégasque. « Ces sites Internet n’ont pas de frais de bureaux à assumer à Monaco, ils ne paient pas d’impôts en principauté. Ils n’ont pas de numéro de licence. Ils n’apportent strictement rien à Monaco, et aux finances de l’Etat », souligne Ekaterina Dorfman. Et ce manque à gagner peut même trouver d’autres prolongements, assure la directrice de Caroli Real Estate Monaco : « Une fois l’appartement vendu, les gens qui sont derrière ces sites Internet vont parfois plus loin, et peuvent mettre ensuite en avant des services complémentaires. Ils peuvent, par exemple, proposer les services d’architectes intérieurs de Dubaï, et pas de Monaco. A long terme, on risque de tout perdre. » Pas évident de chiffrer avec exactitude les sommes d’argent qui échappent à la principauté. En tout cas, quand on consulte ces sites « pirates », on constate assez vite que, le plus souvent, ce sont les biens immobiliers les plus chers qui sont proposés à la vente. Ces biens sont plutôt recherchés par une clientèle qui se trouve à l’étranger, donc à l’extérieur de Monaco, et qui est davantage susceptible de ne pas connaître les règles locales.

Les ventes peuvent ainsi se dérouler sans qu’aucune agence monégasque ne soit impliquée dans la vente. L’intermédiaire qui gère le site Internet « pirate », et qui a donc réussi à séduire un client, fournit alors tous les documents nécessaires à la vente chez le notaire

Pédagogie

C’est donc un message simple que souhaitent faire passer les agents immobiliers monégasques : « Tout bien immobilier acheté à Monaco doit l’être dans une agence immobilière installée physiquement en principauté, et avec un numéro de licence », lance Ekaterina Dorfman. C’est aussi de la pédagogie et davantage d’information que réclame Massimiliano Ibba : « La chambre immobilière est vigilante sur ce problème. A Monaco, les propriétaires devraient aussi être sensibilisés à ce sujet, afin de ne pas accepter de travailler avec des sites Internet qui ne sont pas installés à Monaco. Les acquéreurs devraient également être mieux informés, et refuser de payer les commissions ou les honoraires à ces sites illégaux. » En attendant, c’est l’application stricte de la loi que réclament les élus du Conseil national, par la voix de son vice-président, Balthazar Seydoux : « Si ces opérations [immobilières — NDLR] ne se font pas au travers d’une agence légalement autorisée à Monaco, il faut poursuivre et condamner les contrevenants. La loi le prévoit. » Reste à savoir si cela sera suffisant.

Opérations immobilières en France : le député LREM Cédric Roussel réclame davantage de fermeté

Dans une lettre adressée le 16 mai 2022 au président de la chambre immobilière monégasque, Alain Vivalda, le ministre d’Etat, Pierre Dartout, s’est fait le relais d’une demande venue du préfet des Alpes-Maritimes. Ce dernier a relayé à son tour une doléance émanant du député LREM de la troisième circonscription des Alpes-Maritimes, Cédric Roussel. Sa demande concerne le respect des règles légales sur les opérations immobilières, c’est-à-dire vente, gestion, et location, par les agents immobiliers de la principauté. Pierre Dartout a donc demandé à ce que les membres de la chambre immobilière monégasque se conforment « à la législation française en vigueur pour toute activité sur le territoire voisin, pour maintenir de bonnes relations avec les autorités et les professionnels français ». En réponse, Alain Vivalda a assuré le 20 mai 2022 qu’il ferait le nécessaire, tout en rappelant aussi que « de nombreux professionnels agents immobiliers installés sur le territoire français interviennent et opèrent en principauté de Monaco sans autorisation, ces intervenants ne se privant pas, non plus, de faire la publicité de biens immobiliers à vendre ou à louer à Monaco sur leurs sites Internet ». Pour être autorisé à travailler en France, un agent immobilier monégasque dispose de plusieurs solutions. Il peut posséder une agence en France, ou une carte professionnelle française. Autre possibilité : passer par un correspondant français qui le représentera sur le territoire français. Cela a aussi un coût, comme l’indique le gérant de l’agence Thomas, Massimiliano Ibba : « Lors de la vente ou de la location, ce correspondant aura droit à une partie de la rémunération, en moyenne 20 % de la rémunération de l’agence monégasque. »

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