vendredi 26 avril 2024
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L’or “responsable” : argument marketing ou vrai projet ?

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Après la mode responsable, la cuisine équitable, et la finance durable, le marché aurifère se tourne également vers le propre, pour redorer son image, pas toujours pure, mais aussi pour éradiquer les mauvaises pratiques de quelques petites exploitations. De véritables normes et certifications existent ainsi aujourd’hui pour garantir ce tournant. Monaco Hebdo en parle avec Selim Fendi, co-dirigeant d’Aurum Monaco, qui a fait le pari de produire de l’or responsable.

Après avoir été ternie par un certain nombre de scandales, comme la pollution au mercure, le travail d’enfants dans les mines, et d’autres conflits armés autour de l’orpaillage illégal, l’industrie aurifère opère désormais, dans l’ensemble, un virage sur l’or propre, dit « responsable », ou « éthique ». Selon cette idée, il s’agit de produire tout d’abord un or sans l’usage de mercure. En effet, pour extraire l’or, les gros acteurs du secteur utilisent la technique de cyanuration, qui est réglementée pour des raisons environnementales. Mais les petites exploitations artisanales, qualifiées de “small scales” dans le jargon aurifère, ont plutôt recours à la technique de lixiviation, qui consiste à extraire l’or à l’aide de solvant, le plus souvent du mercure, ce qui se traduit ensuite par des conséquences désastreuses sur l’environnement. L’or propre, éthique et responsable, garantirait ainsi des usages d’extraction respectueux de l’environnement, mais aussi un meilleur respect du droit du travail dans les exploitations, comme la garantie de salaires dignes, y compris dans les petites mines artisanales, et l’interdiction du travail des enfants. Tout cela grâce à un meilleur effort de traçabilité, assuré par les professionnels du secteur. Mais faut-il y croire, alors que l’argument « responsable » est brandi à tour de rôles par d’autres industries : « mode responsable », « cuisine équitable », « finance durable » ? Toutes les industries, ou presque, semblent s’y mettre, avec des résultats plus ou moins convaincants, et des engagements partiellement contraignants. L’or propre poursuit-il à son tour la tendance marketing écolo-responsable du moment, ou bien cette appellation est-elle réellement suivie d’effets sur le marché mondial ?

« On ne va pas tout transformer tout de suite. C’est un plan graduel sur lequel il faut consacrer au moins cinq à dix ans pour avoir des résultats. Il faut que les mentalités évoluent. Mais il faut aussi du temps et de l’argent. Et on ne peut pas acheter le temps »

Selim Fendi. Co-dirigeant de Aurum Monaco

Un engagement lent, mais réel

À Monaco, l’unique raffinerie de la principauté, lancée par Aurum Monaco en 2019, se consacre également à l’or propre. Et, sur la question de la crédibilité du caractère propre et responsable du marché de l’or, le directeur de cette entreprise, Selim Fendi, ne botte pas en touche : « Il y a une part de vrai. On ne va pas tout transformer tout de suite. C’est un plan graduel sur lequel il faut consacrer au moins cinq à dix ans pour avoir des résultats. Il faut que les mentalités évoluent. Mais il faut aussi du temps et de l’argent. Et on ne peut pas acheter le temps. » Avant de co-fonder Aurum Monaco, qui a une capacité de production de 75 kg d’or par jour en principauté, ce patron a en effet roulé sa bosse dans le marché de l’or, notamment en Suisse et aux Émirats arabes unis, deux places incontournables du secteur. Depuis sept ans que Selim Fendi s’intéresse à l’or propre, il a vu toutes les difficultés qui incombent aux professionnels, avant de se tourner vers une production responsable : « Les acteurs de la grande échelle ont les moyens de se transformer. Mais, quand on travaille avec les petits, comme nous le faisons, c’est plus difficile. Les petites échelles ont des soucis de logistique et des soucis financiers. Elles ne bénéficient pas de crédits, et leurs travailleurs n’ont pas eu suffisamment accès à l’éducation. Beaucoup sont analphabètes. On ne peut donc pas tout leur interdire d’un coup, sinon ils seront forcés d’arrêter de travailler, et ils rejoindront les villes, sans rien en retour. La première étape de l’or propre, c’est donc la prise de conscience. » L’autre frein au plein développement de l’or propre viendrait également du marché lui-même. La peur gagnerait en effet les professionnels du secteur qui, en voulant faire de l’or responsable, se détourneraient des petits orpailleurs, davantage susceptibles d’extraire le métal précieux moins proprement que les grands : « Dans notre industrie, beaucoup de gens se sont désengagés des petites exploitations par peur de se salir, car elles sont réputées trop dangereuses, au contraire des plus grandes. Mais cela aggrave le problème, car on laisse ces exploitants dans le drame en se détournant d’eux. Alors que leur or va tout de même se retrouver sur le marché, quoi qu’il arrive. »

Monaco frileuse ?

Cette crainte, qui s’accompagne de lenteurs, est également partagée par la place bancaire de Monaco, y compris par les autorités monégasques elles-mêmes selon Selim Fendi [lire notre encadré ci-contre — NDLR] : « Les banques ont extrêmement peur aujourd’hui et elles préfèrent se désengager. Il faut donc trouver des solutions alternatives pour se financer, raison pour laquelle nous avons décidé de transférer notre activité de “trading” à Londres. » En effet, en principauté, Aurum Monaco ne se consacre qu’au raffinage : « À Monaco, on jouit de la bonne réputation du pays à l’international, mais la principauté est encore très conservatrice. Et nous ne sommes pas aidés dans notre démarche, c’est même le contraire. Les banques nous voient comme des concurrents, car on vend de l’or, alors qu’il n’y a pas de compétition entre nous. Donc, selon moi, Monaco n’a pas vocation, à ce jour, à devenir une place des métaux précieux, comme Londres ou New York. » L’or est pourtant un actif intéressant, et les opportunités sont certaines pour la principauté assure le dirigeant d’Aurum Monaco : « La planète produit l’équivalent de 3 000 tonnes d’or brut par an, et la demande se situe entre 4 000 et 4 500 par an. On manque donc d’or physique pour y répondre. Les opportunités sont là, et je pense que Monaco en a bien conscience. Mais, le problème, c’est d’aller le chercher, cet or. Et, pour cela, il faut aller dans des pays difficiles, notamment d’Afrique. Et il faut s’exposer à des risques géopolitiques, des risques de sécurité, et de corruption. » Si l’or propre relève bien d’une question d’image, l’important semble donc de ne pas se risquer à ternir sa réputation, avant tout : « Notre bureau comptable, EY Monaco, a mis trois à quatre mois pour nous accepter comme client, par exemple. Et nous sommes, malgré tout, considérés comme client à risque. Mais c’est normal. Je peux comprendre. Nous voulons être le plus transparent possible, mais nous subissons toujours les préjugés, car nous faisons de l’or en Afrique. »

« À Monaco, on jouit de la bonne réputation du pays à l’international, mais la principauté est encore très conservatrice. Et nous ne sommes pas aidés dans notre démarche, c’est même le contraire. Les banques nous voient comme des concurrents, car on vend de l’or, alors qu’il n’y a pas de compétition entre nous »

Selim Fendi. Co-dirigeant de Aurum Monaco

Des garanties

Si la tendance ne changera probablement pas radicalement du jour au lendemain, l’or propre demeure tout de même une réalité à l’heure actuelle, car il est garanti à travers toute une série de certifications et de labels à l’échelle internationale. Les investisseurs rencontrent ainsi de plus en plus la mention “Good delivery” sur les barres d’or aujourd’hui [Monaco Hebdo bouclait ce numéro 1216 le mardi 2 novembre 2021 — NDLR]. Il s’agit d’une certification délivrée par la London Bullion Market Association (LBMA), qui garantit les bonnes pratiques de fabrication et d’approvisionnement responsable et éthique de l’or, distribué sur le marché. Elle entend ainsi privilégier un or respectueux des droits de l’homme, mais aussi un or dont la traçabilité est suivie de la mine à la frappe. Et un or, enfin, qui ne serait pas le fruit de trafics, ni la conséquence de conflits armés. Cette certification s’adresse aux fabricants qui existent depuis cinq ans au moins, pour une production de 10 tonnes d’or par an minimum, et qui disposent d’un capital d’au moins 15 millions de livres sterling, soit 17,8 millions d’euros. Les experts de la LBMA analysent également les lingots des fabricants pour y détecter la présence d’autres métaux que l’or, ce qui indiquerait que le métal provient d’une mine, et non pas d’une source approuvée par l’association. Ne l’obtient donc pas qui veut, d’autant que cette certification ne s’applique qu’aux très gros lingots, qui pèsent entre 10,9 kilos et 13,4 kilos. L’étalon LBMA comme on l’appelle, concerne donc davantage les investisseurs institutionnels, et les investisseurs qui ont opté pour la détention groupée de lingots. Mais c’est un bon début. Surtout que ce label se base sur le guide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui s’intéresse aussi à l’approvisionnement responsable en minerais qui proviennent de zones à haut risque ou de conflit. Il s’agit d’une sorte de cahier des charges à tenir pour tout importateur d’or, allant de la mine jusqu’à la raffinerie. « Son objectif est de préciser la manière dont les entreprises peuvent respecter les droits humains, et de fournir des orientations pratiques visant à éviter toute implication dans des conflits », rappelle l’OCDE au sujet de ce guide. Il a été élaboré avec les pays-membres de l’OCDE et onze pays africains membres de la conférence internationale sur la région des grands lacs, mais aussi des acteurs de l’industrie aurifère, de la société civile, et du groupe d’experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo.

La balle dans le camp des clients

Parmi les autres instances de garantie et de contrôle, la certification du Responsible Jewelry Concil (RJC) devient elle aussi un critère de poids sur le marché aurifère [à ce sujet, lire notre interview de sa directrice, Iris Van der Veken, dans ce dossier spécial — NDLR]. Le RJC s’engage en effet à certifier les bonnes pratiques des entreprises du marché de l’or, et du diamant, en suivant leur chaîne d’approvisionnement, de la mine jusqu’à la distribution. Aujourd’hui, 310 entreprises sont certifiées par le RJC. L’ensemble des secteurs de la bijouterie, de la joaillerie et de l’horlogerie, qui représentent 50 % de la production d’or, sont concernés par la certification. Le risque étant, pour celles qui ne le sont pas, de se retrouver un jour écartées du marché. En principauté, Aurum Monaco est membre de la Task Force du RJC, un groupe de travail constitué de 26 de ses membres pour référencer les avancées de l’industrie en matière de développement durable : « Monaco permet de parler d’or responsable, car il s’agit d’une place qui attire les regards. Les consommateurs peuvent faire évoluer les consciences », estime Selim Fendi. Ce sont d’ailleurs les clients qui jugeront, au bout du compte, si la certification responsable de l’or qu’ils achètent est pour eux une préoccupation, ou non.

L’or, « une activité particulièrement sensible », selon le département des finances

Questionné sur la capacité d’accueillir de nouveaux professionnels de l’or en principauté, en plus d’Aurum Monaco, le gouvernement princier, par l’intermédiaire du département des finances, a livré son point de vue à Monaco Hebdo : « L’éventuelle demande d’exercice d’une activité liée à l’or ne peut dépendre que d’une initiative privée. À l’identique de toute création de société, le requérant devra obtenir une autorisation d’exercer de la part de l’administration. S’agissant d’une activité particulièrement sensible, la société devra, d’une part, se conformer à l’ensemble des dispositions en vigueur en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la corruption. Et, d’autre part, présenter toutes les garanties de solvabilité. Il ne saurait être toléré le moindre risque. Une attention particulière sera également portée à l’impact environnemental qu’une telle activité est susceptible d’occasionner, dans la lignée des engagements de la principauté en matière de développement durable. »

Pour lire la suite de notre dossier  » la ruée vers l’or propre », cliquez ici.