mercredi 24 avril 2024
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L’obligation vaccinale ne fait pas l’unanimité dans la majorité

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Voté mardi 14 septembre 2021, le projet de loi instaurant l’obligation vaccinale pour les personnels travaillant dans le soin et la santé n’a pas fait l’unanimité au Conseil national. C’est au sein même de la majorité Priorité Monaco (Primo !), que les désaccords se sont exprimés.

Marc Mourou (vote contre) © Photo Conseil National.

« Je regrette que ce débat imposé dans l’urgence amène à une fracture de notre petite communauté et déchaîne les passions, là où encore à Monaco nous avons la possibilité de faire du sur-mesure »

Marc Mourou. Élu Primo !

Dès le samedi 30 octobre 2021, l’obligation vaccinale entrera en vigueur pour les personnels travaillant dans les établissements de soins et de santé [à ce sujet, lire notre article Vaccination obligatoire à Monaco : les raisons d’une loi, pour 18 mois, publié dans ce numéro — NDLR]. Mais la mesure, votée mardi 14 septembre 2021 au Conseil national, a vu six élus ne pas donner leur approbation. Quatre d’entre eux ont même voté contre : Marc Mourou, Daniel Boeri, Pierre Van Klaveren et Marie-Noëlle Gibelli. Et deux se sont abstenus : Pierre Bardy et Karen Aliprendi-de Carvalho. Tous appartiennent pourtant à la majorité Priorité Monaco (Primo !), ce qui constitue une petite surprise. Surprise, même si le président du Conseil national — et de cette même majorité — Stéphane Valeri, avait laissé entendre en début de séance que l’union n’avait pas été totale sur cet épineux dossier. Trois manifestations ont en effet eu lieu dans les rues de Monaco la semaine précédant le vote, ainsi qu’un débrayage au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), quelques heures seulement avant le débat au Conseil national : « Les élus des Monégasques représentent l’ensemble de la communauté nationale. Il est donc logique et naturel que toutes les opinions y trouvent une expression, et puissent y être soutenues. Devant le caractère très exceptionnel de ce texte, il est même sain qu’un débat d’idées ait bel et bien lieu ce soir, entre les conseillères et les conseillers nationaux. »

Daniel Boeri (vote contre) © Photo Conseil National.

« Ce soir soudain, nous replongeons en l’an 496 ! Saint Rémi, au baptême de Clovis lui recommandait : « Brûle ce que tu as adoré ». Le présent projet de loi reprend le même principe, mais pire : il organise une discrimination »

Daniel Boeri. Élu Primo !

Du pour dans le contre

Et ce débat d’idées a bien eu lieu. La première voix dissonante est venue de Karen Aliprendi-de Carvalho, qui s’est abstenue de voter : « Je regrette que nous nous soyons penchés sur l’étude d’un texte de cette envergure sans avoir recueilli au préalable un avis écrit d’un conseil scientifique ou d’un organisme spécialisé. » Avant d’ajouter : « Je ne conçois pas que toutes les personnes qui ne sont pas en lien direct avec les patients, ou les personnes les plus vulnérables, y soient également soumises. Je pense aux comptables, aux secrétaires, aux électriciens, aux agents d’entretien, etc., qui seront également soumis à cette obligation, sans être pourtant au contact direct des patients ou personnes vulnérables, en fréquence constante, comme peut l’être le professionnel soignant. » De son côté, Pierre van Klaveren a voté contre ce projet de loi : « Non pas parce que je suis un anti-vaccin, un anti-passe, un anti-tout, ou rien. Non pas parce que je suis un égoïste, nombriliste, inconscient, ou autre qui fait passer sa liberté de décision avant la santé de tous, et des plus fragiles en particulier. Non, je ne voterai pas ce texte, simplement car je le trouve injuste et arbitraire. Je trouve injuste d’obliger une partie significative de notre population de résidents et de travailleurs à se faire vacciner, alors que d’autres ne subiront pas cette obligation. J’y vois là un manque total d’équité et d’égalité. Et c’est pour cette raison que je ne voterai pas ce projet de loi. » Le président de la commission de l’éducation, de la jeunesse et des sports, Marc Mourou, a lui aussi voté contre l’avis de sa propre majorité : « Comme je le pressentais, je regrette que ce débat imposé dans l’urgence amène à une fracture de notre petite communauté et déchaîne les passions, là où encore à Monaco nous avons la possibilité de faire du sur-mesure. […] Des personnes font leur travail, pour certains depuis des décennies, avec passion, sens du devoir, et avec une dimension humaine et sociale si importante, au contact des autres : est-ce vraiment la bonne réponse de les suspendre de 50 % de leur salaire le premier mois, puis de procéder à un éventuel licenciement, car à tort ou à raison, ils ne sont pas encore convaincus par cette vaccination Covid-19 ? » Cet élu a mis également en garde l’hémicycle sur les éventuels dommages collatéraux que pourrait provoquer l’obligation vaccinale, selon lui : « Mon sentiment est qu’il faut faire attention à ne pas faire plus de mal que de bien au final, avec ce texte. La pédagogie, l’écoute et la considération de chacun doivent rester les maîtres mots, tout en rappelant également que la santé mentale des personnels, comme du reste de la population, est devenue un véritable enjeu au fur et à mesure de cette pandémie. »

Karen Aliprendi-de Carvalho (abstention) © Photo Conseil National.

« Je pense aux comptables, aux secrétaires, aux électriciens, aux agents d’entretien, etc., qui seront également soumis à cette obligation, sans être pourtant au contact direct des patients ou personnes vulnérables, en fréquence constante, comme peut l’être le professionnel soignant »

Karen Aliprendi-de Carvalho. Élue Primo !

Entre nuances et lyrisme

Le président de la commission de la culture et du patrimoine, Daniel Boeri n’a pas manqué de références historiques et de citations empreintes de lyrisme pour marquer son opposition au projet de loi : « Ce soir soudain, nous replongeons en l’an 496 ! Saint Rémi, au baptême de Clovis lui recommandait : « Brûle ce que tu as adoré ». Le présent projet de loi reprend le même principe, mais pire : il organise une discrimination. » Loin pourtant de soutenir les manifestants qui ont défilé dans la semaine contre la politique vaccinale et le passe sanitaire, qu’il distingue en partie comme un « enchevêtrement de complotistes de tout poil qui s’ennuient le samedi », le doyen de l’hémicycle a ensuite conclu son discours en ces termes : « Tout en réaffirmant que la meilleure manière de sortir de cette crise sanitaire est la vaccination, ou à défaut, le passe sanitaire, je voterai contre ce projet loi, parce qu’il oublie le bien commun et organise la discrimination. » Enfin, Pierre Bardy a expliqué son abstention, avec quelques nuances : « La médecine nous décrit les relations de cause à effet entre une maladie et des traitements. Mais les choix qui doivent être faits pour lutter contre une pandémie doivent être politiques, économiques et philosophiques […]. Décider de rendre obligatoire une vaccination nécessite, outre d’avoir des connaissances étayées sur l’efficacité et la sûreté des vaccins, de faire la balance entre plusieurs droits fondamentaux : la liberté de choix, la préservation des personnes, le droit à la santé — mais aussi des considérations impérieuses de santé publique qui sont nécessaires pour justifier de telles obligations. » Puis, il résume : « Ce texte, ce sont surtout des sanctions, des sanctions lourdes de conséquences pour ceux qui ne viendraient pas à respecter cette obligation en principauté. Au risque de voir disparaître ceux pour qui travailler aux contacts des plus fragiles est une vocation. Au risque de déstabiliser l’organisation des services. » Faut-il tirer quelconque leçon de ce débat, pour autant ? Si des voix contraires se sont exprimées, elles n’ont pas non plus donné l’impression qu’un véritable bloc d’opposition s’était formé au contact de ce texte de loi, ni de la majorité en elle-même. Finalement, parmi les « contre » et les abstentions, chaque élu avait ses propres arguments, et les a fait entendre, sans émettre l’hypothèse d’une fronde ou d’une prise de distance vis-à-vis de la majorité. En résumé, il y avait 21 élus présents dans l’hémicycle. Quinze ont voté pour, quatre ont voté contre et deux se sont abstenus. Et c’est tout ce qu’il faut retenir. Michèle Dittlot, Jean-Charles Emmerich et Guillaume Rose étaient absents.

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