mercredi 24 avril 2024
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Numérique à l’école
Gadget ou outil pédagogique ?

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Les écoles monégasques sont en pleine révolution numérique. Le gouvernement a défini un plan sur 5 ans pour équiper l’ensemble des établissements scolaires d’outils technologiques : tablettes, tableaux interactifs et autres vidéoprojecteurs. Coût de l’opération : 2,2 millions d’euros. Monaco Hebdo fait le point sur les atouts et les limites de ces supports numériques.

 

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) gagnent du terrain dans les écoles, collèges et lycées monégasques. Comme en France, Monaco se met à l’heure du 2.0 avec un plan quinquennal d’enseignement numérique dévoilé en septembre 2014. Sur 5 ans, l’Education nationale prévoit d’acquérir 1 000 tablettes numériques, 130 tableaux blancs interactifs pour le primaire, et 130 vidéo-projecteurs interactifs pour le secondaire. Sans oublier l’achat de licences et de logiciels.

 

2,2 millions

Coût total de cette révolution numérique : 2,2 millions d’euros sur cinq ans. Avec, dès 2015, une inscription budgétaire de 440 000 euros au budget primitif. Des mécènes ont également mis la main à la poche. Actuellement, les établissements scolaires monégasques sont équipés de façon plutôt limitée : seuls 12 vidéo-projecteurs interactifs, 20 tableaux blancs interactifs et 40 tablettes sont présents dans les écoles (1). L’Education nationale dit vouloir privilégier la qualité plutôt que la quantité : « Acheter du matériel ou équiper des salles sans l’avis des usagers ne serait ni utile ni efficace. La méthode choisie est donc claire : établir avec les établissements et les enseignants leurs besoins spécifiques. Le nombre d’équipements est moins important que l’usage qui en sera fait », explique Nicolas Rodier, chargé de mission vie scolaire et numérique. Pour lui, ces outils doivent absolument être associés à un « projet éducatif clair et pertinent » défini par les établissements.

 

Incontournable

Que pensent alors élèvent et parents de cette nouvelle éducation multimédia ? Du côté de l’association des parents d’élèves de Monaco (APEM), cette révolution numérique à l’école est plutôt vue d’un bon œil : « Les outils numériques sont incontournables aujourd’hui. Les élèves y ayant accès à l’école seront mieux préparés pour demain. Utilisés dans le cadre pédagogique et sous contrôle d’un enseignant, ces outils ne sont pas des gadgets », estime la présidente Ingrid de Bruyn, qui assure, pour le moment, n’avoir des retours que positifs de la part des parents. « Ils semblent en effet convaincus car ils savent que la maîtrise et l’utilisation de tablettes fait partie intégrante des acquis nécessaires pour évoluer dans notre société. »

 

Ludique

Autre constat : ces outils permettraient d’insuffler un regain de motivation chez les élèves qui se sentiraient plus impliqués et plus autonomes dans leur apprentissage. « Utiliser le support de l’image animée et du multimédia permet aussi un apprentissage beaucoup plus ludique des connaissances. Les élèves apprennent, tout en prenant du plaisir », estime Géraldine Rumiano, conseillère pédagogique à Monaco. Pas question pour autant d’utiliser de façon intensive ces tablettes et de passer au « tout-informatique » : « C’est évidemment essentiel de revenir sur du support papier, d’avoir encore une manipulation réelle et de garder une trace écrite de ce qui a été produit. » Autre atout, absent dans les manuels scolaires classiques : ces outils offrent des suppléments multimédia — de types vidéos, photos et autres documents — qui permettent d’enrichir et de dynamiser les cours. Mais aussi d’offrir une meilleure ouverture de l’école sur le monde et sur son époque.

 

Distraction

Pourtant, selon le rapport français Extate, publié en avril 2014 et réalisé auprès de 8 écoles primaires, les tablettes présenteraient aussi quelques faiblesses. Premièrement : la quantité d’applications disponibles est perçue par certains élèves comme « un facteur de distraction. » Pour certains, le travail à la main, accompli avec règle ou compas, permettrait « une meilleure mémorisation » qu’avec la tablette. Autre point négatif : les difficultés techniques et logistiques inhérentes aux outils eux-mêmes. Les profs, déclarent être parfois un peu dépassés ou insuffisamment formés à ces outils. Ils se plaignent aussi de « perdre du temps » auprès des élèves pour expliquer des fonctionnements parfois complexes.

 

« Joujoux »

D’autres spécialistes jugent qu’il est encore trop tôt pour mesurer la réelle plus-value pédagogique de ces outils. Motif : un manque de recul. Alors que pour les ultra-sceptiques, ces supports ne seraient qu’un leurre permettant de ne pas aborder les vraies problématiques éducatives. « La priorité, c’est d’apprendre à lire, à écrire, à compter, et d’avoir une vraie culture… Pas d’engraisser des fournisseurs dont le lobbying est certainement efficace, les appétits démesurés, et l’intérêt… personnel. Alors qu’une vraie pédagogie prend en compte prioritairement l’intérêt de l’élève », indique au site du Figaro.fr Jean-Claude Brighelli, ancien enseignant en lettres modernes et auteur de La fabrique du crétin (2). Selon lui, partout où le numérique a été installé on constate « un tassement » des résultats. « Parce que l’outil informatique est justement cela — un outil. Jamais il ne remplacera un cerveau. Ce n’est pas la machine qui est intelligente, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire : c’est celui qui s’en sert. Et s’il n’a pas appris grand-chose… » Seule certitude : ces plans numériques dans les écoles vont offrir des contrats juteux aux entreprises du secteur. Le philosophe Bernard Stiegler, spécialiste des technologies numériques parle d’ailleurs de « joujoux de marketing. »

 

Dangers

Autre question qui se pose : dans un monde saturé de technologies, intégrer le numérique à l’école est-il forcément inéluctable ? « Partout dans le monde, les outils numériques sont une réalité. Donc impossible de les ignorer dans l’éducation », affirme Nicolas Rodier. Mais selon certains observateurs, l’Education nationale doit en profiter pour éduquer et responsabiliser les élèves sur les potentiels dangers du numérique, qui sera forcément omniprésent dans leur vie privée et professionnelle future. « Le nombre de poursuites en diffamation après des propos tenus sur internet montre qu’il y a un manque. Il faut enseigner aux enfants que Facebook est public, mais que les données personnelles et la vie privée doivent être protégées. La clé n’est pas d’apprendre à utiliser un ordinateur ou le logiciel Word. N’importe quel enfant y parviendra seul en dix minutes. Il s’agit d’abord d’apprendre aux enfants à vivre dans la société qui vient », explique dans les colonnes de Libération, Benjamin Bayart, président de la Fédération des fournisseurs d’accès à internet associatifs.

Bref, apprendre à ne pas devenir esclaves de ces machines, en comprenant leur fonctionnement et surtout, leurs dangers. Même analyse pour Laure de la Raudière, députée UMP d’Eure-et-Loir et coauteure d’un rapport sur l’économie numérique : « Une première piste est de transformer le cours de technologie au collège en cours d’informatique et de culture du numérique. » Une proposition que suivra Monaco ?

 

(1) Chiffres livrés en février 2015.
(2) La fabrique du Crétin : La mort programmée de l’école de Jean-Paul Brighelli (Jean-Claude Gawsewitch), 221 pages, 16,90 euros.

 

« Impossible de remplacer un professeur par une machine »

 

Isabelle Bonnal, directrice de l’Education nationale en Principauté, explique à Monaco Hebdo comment elle compte développer le plan numérique. Interview.

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L’origine de ce plan numérique ?

Aujourd’hui, la société numérique est une réalité. Donc, à l’image de ce qui se fait en France, lorsque j’ai pris mes fonctions en 2011, j’ai recommandé que Monaco ne reste pas sur le bord du chemin, d’autant que la Principauté dispose de moyens humains et financiers importants et que l’éducation y est une priorité. Voilà pourquoi j’ai proposé l’acquisition de tablettes, d’ordinateurs et de tableaux interactifs, tout en développant des réseaux de communication qui apportent de nouveaux services : cloud ou ressources en ligne… ainsi que le WiFi, disponible dans tous nos établissements.

 

Vous ne craignez pas les méfaits supposés des ondes WiFi sur les cerveaux des enfants ?

Les études actuelles montrent que l’exposition prolongée aux ondes peu puissantes du WiFi ne présente aucun risque pour la santé. Toutefois, dans un souci d’information et de transparence, lors de l’installation du WiFi dans les établissements, ma direction demande systématiquement que des mesures d’ondes soient effectuées avant et après les travaux, comme au lycée Albert Ier. De plus, il existe aujourd’hui des technologies qui adaptent l’émission des ondes en fonction de l’activité des bornes WiFi, ce qui diminue l’exposition aux ondes.

 

Vous avez enseigné avec ces outils informatiques ?

J’ai 56 ans. J’ai été professeur de lettres et lorsque j’ai commencé à enseigner, les ordinateurs en étaient à leurs balbutiements. Néanmoins, j’ai utilisé dans mes cours le tableau interactif par exemple.

 

C’est la fin du stylo et du papier ?

Absolument pas. En aucun cas on remplacera le papier, les livres et le stylo par des tablettes. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) sont complémentaires des autres outils classiques. Ils sont simplement un « plus » pédagogique. Voilà pourquoi j’ai décidé de m’entourer et de faire appel notamment à un chargé de mission « vie scolaire et numérique » : Nicolas Rodier. Car la pédagogie doit absolument rester au centre de ce développement numérique. Il ne s’agit pas de rendre nos élèves totalement « addict » aux ordinateurs ou aux tablettes.

 

Un plan numérique a été décidé sur 5 ans : il débutera quand ?

Depuis cette année scolaire. Ce plan sur 5 ans dispose d’un budget de 2,2 millions d’euros.

 

A quoi va servir cet argent ?

A acheter 1 000 tablettes, 130 tableaux interactifs notamment pour le primaire, à changer tous les ordinateurs du collège Charles III, alors que 130 vidéoprojecteurs interactifs vont être acquis pour le secondaire. Il faudra aussi acheter des licences et des logiciels, sans oublier tout le câblage nécessaire.

 

En quoi consiste ce plan numérique, concrètement ?

Par exemple en cours d’histoire-géographie, on projette au tableau interactif des cartes géographiques. Avec leurs tablettes numériques, les enfants peuvent compléter ces cartes en situant un fleuve, une capitale… Au primaire, les tablettes peuvent aider à l’apprentissage de la lecture… Bref, c’est vraiment interactif. Concrètement, c’est donc offrir des outils permettant aux élèves de mieux apprendre et aux professeurs de mieux transmettre.

 

Combien d’élèves sont concernés par ce plan numérique et dans quelles classes ?

A terme, toutes les classes seront concernées. Ce qui représente près de 6 000 élèves.

 

Combien de professeurs sont concernés par ce plan numérique ?

Tous, c’est-à-dire 474 enseignants. 315 sont issus des cadres français et sont donc en position de détachement.

 

Ces professeurs ont été formés comment ?

Ils sont formés par le centre de formation pédagogique (CFP). A tour de rôle, les professeurs suivent des formations ici, à Monaco.

 

L’objectif, c’est que ces 474 enseignants soient formés d’ici quand ?

Il faut rester prudent. L’objectif est que d’ici 5 ans, tous nos professeurs aient pu être formés. Mais cela devrait être le cas avant. Sachant que la formation sera adaptée pour chaque matière, selon les besoins de chaque professeur. Bref, on fait du cousu main.

 

Des mécènes privés vous ont aussi aidés ?

Oui. Des mécènes privés ont proposé de financer quelques expérimentations. La Direction de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports (DENJS) les en remercie. Par exemple, l’association Children & Future nous a fait un don pour venir en aide aux enfants handicapés et en difficultés scolaires. En septembre 2014, on a donc lancé des expérimentations avec des tablettes numériques, notamment.

 

Le résultat ?

Les enfants ont pu bénéficier d’un meilleur confort. Ils se sont aussi beaucoup plus investis dans leur travail, ce qui leur a permis de faire des progrès considérables. Du coup, on a décidé d’étendre l’utilisation des tablettes à tous les enfants qui ont un handicap, ce qui concerne quatre classes de 12 élèves. Ces 48 enfants disposent tous d’une tablette.

 

Mais avec les tablettes, il y a aussi un risque de distraction pour les enfants ?

Ce risque existe, bien sûr. Les élèves pourraient être tentés d’aller sur une autre application que celle qu’ils sont supposés utiliser avec le professeur. Voilà pourquoi des outils de contrôle ont été développés. Ceci permet par exemple de verrouiller complètement la tablette ou encore de la bloquer sur une application. L’achat des tablettes en Principauté intégrera ces outils de contrôle.

 

En France, certains élèves jugent que le travail à la main, avec une règle ou un compas, permet « une meilleure mémorisation » qu’avec une tablette ?

C’est très discutable. Mais de toute façon, les outils classiques doivent continuer à être utilisés. Nos élèves continueront à travailler avec leurs règles et leurs compas. Si c’est mieux avec une tablette, faisons-le. Si c’est moins bien, ne le faisons pas. Ce qui est intéressant pour nous, c’est de nous inspirer des études internationales pour nous adapter le mieux possible. Nous avons 12 établissements, donc on peut suivre cela de très près et être très réactifs.

 

Toujours en France, après un an d’expérience, des professeurs ont exprimé un besoin de formation et d’échanges de pratiques entre enseignants : vous craignez le même ressenti ?

En France, il y a beaucoup plus de professeurs à former, donc ils n’ont certainement pas été formés de la même manière que chez nous. Avec seulement 474 enseignants, c’est plus facile à gérer pour nous. Si un professeur est bien encadré, il ne se sentira pas isolé. La formation et l’accompagnement des professeurs aux usages du numérique sont une préoccupation permanente.

 

Et si un professeur a la phobie des nouvelles technologies ?

Les quelques professeurs réfractaires à ces nouvelles technologies ont été encadrés et ont travaillé en tête à tête avec le formateur. Nous avons voulu éviter de les mettre dans des formations de groupe qui pouvaient se révéler stressantes pour eux. Les plus intimidés par ces outils ont pu bénéficier de formations individualisées, ce qui n’existe pas en France. Par ailleurs, les deux principaux acteurs du marché, Apple et Microsoft, font désormais une proposition globale de services. Ils vendent non seulement le matériel, mais en plus, offrent le contenu et un accompagnement des utilisateurs pendant quelques mois, si nécessaire.

 

Quelle est la logique suivie pour l’achat du matériel ?

L’harmonisation pour avoir une cohérence. La priorité aujourd’hui, ce sont les infrastructures : câblage réseau, WiFi… C’est à partir de cela que nous pourrons doter largement les établissements d’outils numériques auxquels les professeurs continueront d’être associés. De plus, l’objectif est que chacun de nos 12 établissements ait un technicien référent en informatique et qu’un référent soit uniquement dédié au primaire. Pour le moment, il y en a un au lycée Albert Ier, un autre au lycée technique et un responsable général qui se déplace au cas par cas.

 

L’utilisation des NTIC modifie durablement les modes d’apprentissage ?

Les enfants écrivent toujours sur du papier. Ils ne seront pas notés que sur des exercices réalisés sur des tablettes. Quelques exercices se font sur tablette. Mais les contrôles sont toujours faits sur une feuille, avec un stylo. Le cahier de liaison, reste aussi un cahier en papier. Donc les modes d’apprentissage sont modifiés et adaptés aux nouvelles technologies.

 

Certains estiment que l’on n’a pas assez de recul pour juger de l’efficacité réelle de ces nouvelles technologies ?

C’est sans doute vrai. Il y a des études sérieuses, notamment au Canada et en France, mais il faut continuer à évaluer les effets des nouvelles technologies sur les apprentissages. Chez nous, après chaque projet qui dure environ 3 mois, on procède à son évaluation. Ensuite, un comité de pilotage se réunit pour faire un bilan. Objectif : décider si on poursuit ce projet, si on le stoppe ou si on le modifie.

 

Derrière ces outils, il y a aussi de grands groupes avec des intérêts financiers énormes qui véhiculent des discours idéologiques ?

Nous sommes libres et totalement indépendants. Nous ne sommes soumis à aucune forme de pression. Le prix d’un matériel n’est qu’un critère pour le choix. Ce qui m’intéresse, c’est l’intérêt pédagogique que peut avoir cet outil. Pour les marques, on est agnostique.

 

A terme, le développement du numérique à l’école pourrait provoquer la disparition des professeurs ?

Non. Impossible de remplacer un professeur par une machine. Peut-être le rôle de l’enseignant changera-t-il un peu. Mais tellement de choses entrent en jeu : l’humanité, la sensibilité, la personnalité… Enseigner, c’est l’art de transmettre. Pour cela, le professeur est irremplaçable.

 

Certains professeurs se sentent en danger par rapport à ces machines ?

Non. Mais ils ont compris qu’ils devaient évoluer et demeurer « à la page. » Il faut vivre avec son temps. Je fais toute confiance aux enseignants de la Principauté pour que ces nouvelles approches pédagogiques en lien avec le numérique trouvent rapidement leur place au sein de la classe.

 

Tablettes numériques

« Les réactions sont plus nuancées »

 

Nadine Lanari, présidente de l’association du personnel monégasque des établissements scolaires, raconte les premières réactions des enseignants face au numérique.

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Le numérique à l’école, c’est un effet de mode ?

Le rôle de l’école est de préparer au mieux les adultes de demain. Aussi, l’acquisition d’une culture numérique et la maîtrise de ses outils sont aujourd’hui nécessaires à une insertion dans la société réussie. Depuis quelques années, la plupart des enseignants de tous niveaux utilisent les outils numériques mis à leur disposition par l’Education Nationale Monégasque (ENM), comme les tableaux blancs interactifs, les ordinateurs, les vidéo-projecteurs… Et plus récemment, les tablettes.

 

La pédagogie évolue au rythme des nouvelles technologies ?

La façon d’enseigner a changé. Les cours sont sans cesse remaniés, enrichis. Les connaissances et les références augmentées, le flot d’informations sélectionné, trié, commenté pour étoffer les connaissances de nos élèves.

 

Quel est l’outil numérique le plus apprécié par les professeurs ?

A l’unanimité et quel que soit le niveau, le vidéoprojecteur est l’outil le plus apprécié par les enseignants.

 

Pourquoi ?

Parce qu’il permet de tout visualiser d’une façon agrandie : cours, manuel numérique (e-manuel), corrections, recherches internet « en temps réel », travaux des élèves…

 

Et le tableau blanc interactif ?

Les professeurs qui utilisent le tableau blanc interactif apprécient son interactivité et le fait qu’il aide à rendre le cours plus vivant.

 

Et les tablettes ?

Pour les tablettes, le bilan est plus contrasté.

 

Pourquoi ?

Elles sont particulièrement appréciées à l’école maternelle et élémentaire, surtout dans le cadre d’une utilisation ciblée. Notamment pour des élèves en « remédiation » par petits groupes de travail, notamment en phonologie afin d’acquérir toutes les compétences nécessaires à l’apprentissage de la lecture. En grande section et cours préparatoire, ces élèves obtiennent des résultats très encourageants.

 

D’autres types d’élèves obtiennent de bons résultats avec les tablettes ?

Oui, il y a aussi les élèves en intégration avec des logiciels adaptés en fonction des handicaps, qu’ils soient moteurs ou cognitifs. Enfin, il y a les enfants en difficulté, bénéficiant de Projet d’Accueil Individualisé (PAI), de psychologie de l’insertion et de l’intervention sociales (P2IS) ou autre, par exemple une hospitalisation plus ou moins longue. C’est une bouée de sauvetage.

 

Vous rencontrez aussi quelques difficultés ?

Par contre, les réactions sont plus nuancées en ce qui concerne l’utilisation des tablettes par les plus grands, c’est-à-dire au collège et au lycée. Parce que beaucoup d’enseignants ont peur du manque d’attention des élèves et mettent en avant la nécessité d’encadrer strictement leur utilisation.

 

Votre premier bilan ?

D’une façon générale, les professeurs sont largement favorables à tous ces nouveaux outils, et soulignent leur réel atout pédagogique pour l’enseignement. Plus ludiques, et variés, ils permettent de capter l’attention des élèves. Ils sont devenus incontournables et sont loin d’être des gadgets.

 

L’interactivité est un vrai atout ?

Grâce à l’interactivité, ces outils numériques éveillent la curiosité des élèves et augmentent leur motivation. Ils rendent les cours plus vivants et ils correspondent aux attentes de la nouvelle génération « interconnectée. » Par ailleurs, le numérique est un formidable moteur pour l’égalité des chances et semble réduire les décrochages scolaires.

 

La façon d’enseigner est donc durablement modifiée ?

Le contenu des cours reste le même. Car les enseignants sont tenus de suivre scrupuleusement les programmes d’enseignement français. Toutefois, comme chaque enseignant a ses propres méthodes de travail, le contenu des cours, la didactique et la pédagogie peuvent fluctuer d’une personne à l’autre.

 

Les principaux atouts du numérique à l’école ?

Une plus grande interactivité en cours (pédagogie active, différenciée), prise de notes sur tablette ou ordinateur, personnalisation de l’apprentissage, jeux sérieux, séquence vidéo pour illustrer le cours, travail collaboratif, échanges avec les élèves par email (envoi de devoirs, complément de cours), associer les parents par exemple avec le logiciel Pronote (1)… D’une façon générale, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) aident les enseignants à améliorer leurs pratiques éducatives, permettent une meilleure organisation du travail et facilitent l’échange avec leurs élèves.

 

Donc aujourd’hui, impossible de faire l’impasse sur le numérique à l’école ?

L’évolution numérique à l’école apparaît inéluctable. Nous sommes par exemple nombreux aujourd’hui à ne plus pouvoir nous passer du vidéo-projecteur. Même s’il ne faut toutefois pas perdre de vue que l’écrit garde toujours sa place dans l’enseignement.

 

Pourquoi ?

Parce que l’élève n’échappe pas miraculeusement, grâce au numérique, aux prérequis de l’apprentissage traditionnel livresque. Au contraire, les documents numériques supposent de bonnes connaissances, des compétences et un fort investissement. Notre nouvelle préoccupation est d’inventer une pédagogie de la culture numérique, un accompagnement dans l’utilisation des médias modernes afin de développer chez l’élève un esprit critique pour qu’il devienne un adulte responsable. Savoir exploiter judicieusement les possibilités qu’offrent internet, le Pack Office et d’autres logiciels spécialisés est une nécessité qui relève, à ce titre, des savoirs scolaires requis pour la validation du Brevet Informatique et Internet (B2I) à 3 niveaux : école, collège et lycée.

 

Les élèves font vraiment preuve de davantage de motivation ?

Oui, tout à fait ! Le tableau noir leur paraîtrait bien fade en comparaison. Tout comme nous rechignerions à regarder la télé en noir et blanc après avoir connu la couleur ! Les élèves participent activement, sont très doués. Et avec naturel, ils s’en servent pour développer leur créativité.

 

Les enseignants ont été formés à ces NTIC ?

Certaines formations sont systématiques, notamment pour le tableau blanc interactif et pour Pronote.

 

Où en est le planning de formation ?

A ce jour, des formations régulières sont prévues au centre de formation pédagogique des enseignants du premier degré de la Direction de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports (DENJS) et concernent les enseignants du primaire. Les professeurs du secondaire sont, quant à eux, souvent contraints de s’auto-former pour faire face aux besoins pédagogiques et à l’évolution croissante des logiciels enseignés. L’apprentissage des technologies pédagogiques est alors une affaire de volonté personnelle.

 

Il y a aussi des projets pédagogiques ?

En parallèle, des projets pédagogiques sont mis en place, chaque année, dans des classes pilotes, que ce soit en cours élémentaire, au collège, lycée, afin de tester et d’évaluer l’efficience des nouveautés, avec des enseignants volontaires et/ou des experts dans le domaine des nouvelles technologies. Le but étant d’affiner les pistes pédagogiques, de rechercher, d’étudier et de mutualiser à l’ensemble des équipes, l’efficacité des nouveaux produits : matériels informatiques, logiciels, manuels numériques…

 

Ce que vous souhaitez pour le futur ?

Les enseignants souhaitent que les besoins en numérique soient satisfaits : parc informatique, logiciels pédagogiques, évaluation, surveillance, travail collaboratif, organisation… On espère aussi une une formation ciblée et adaptée, une maintenance du matériel et une plate-forme de référencement des ressources pédagogiques numériques.

 

(1) Pronote est un logiciel qui réunit emploi du temps et vie scolaire : notes, absences, sanctions, orientation, cahiers de textes, exercices, agendas de l’établissement, infirmerie, socle commun, brevet informatique et internet (B2i), suivi pluriannuel, dossier scolaire, fiche brevet, attestations ASSR…)

 

« Loin d’être un gadget »

 

Quels sont les atouts et les limites des outils numériques dans les écoles ? Les explications de Nicolas Rodier, chargé de mission « vie scolaire et numérique » pour les établissements scolaires monégasques.

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Certains observateurs considèrent les outils numériques comme des « machines à jeux » : quelle est votre analyse ?

Penser que les outils numériques seraient uniquement ludiques est une vision inexacte des choses. Aujourd’hui, on peut bien sûr jouer avec son smartphone. Mais un smartphone sert surtout à communiquer et facilite de plus en plus la vie quotidienne avec ses applications. Qu’il s’agisse du GPS, de la recherche d’informations sur internet, ou encore de la gestion de ses comptes bancaires. On le voit, le numérique, ce n’est pas que du superflu. Pour l’éducation, c’est la même chose.

 

C’est-à-dire ?

Ce n’est pas le rôle de l’école de proposer des jeux vidéo, d’utiliser les réseaux sociaux… Cela n’aurait aucun sens. Sa mission, c’est l’acquisition de compétences et de connaissances par les élèves. Les outils numériques sont donc au service de cet objectif : favoriser les apprentissages. Chaque outil a un usage pédagogique précis. Il ne s’agit pas d’occuper les élèves ou de les amuser, mais bien de leur permettre de mieux apprendre.

 

Les outils numériques ne sont donc pas des gadgets ?

Loin d’être un gadget, le numérique à l’école est une nouvelle façon de faire mieux réussir les élèves. Il offre des conditions nouvelles d’apprentissage.

 

Des exemples ?

Prenons un exemple très simple : le calcul mental. Dans une classe de 6ème au collège Charles III, nous expérimentons des tablettes avec les élèves en mathématiques. De façon classique, l’enseignant pose un certain nombre d’opérations auxquelles les élèves doivent répondre. Grâce à une application numérique simple à utiliser, l’enseignant peut générer des opérations différentes pour chaque élève.

 

Les avantages ?

Cela évite la copie entre camarades de classe. De plus, cela oblige chaque élève à répondre, tout en permettant au professeur de voir vraiment le niveau de chaque élève. Très clairement, la tablette permet ici un réel progrès.

 

Certains craignent aussi la perte de contrôle de l’écriture manuelle ?

Cette inquiétude serait légitime si on ne demandait plus aux élèves d’écrire. Or, ce n’est pas le cas. L’utilisation des outils numériques complète les méthodes pédagogiques existantes. Les élèves devront encore s’exprimer par écrit, rédiger leurs réponses aux exercices…

 

L’écriture manuelle reste essentielle ?

L’écriture manuelle est, bien sûr, un travail indispensable pour maîtriser la langue et la faire vivre. De plus, elle est toujours exigée aux examens et aux concours. Culture numérique et écriture sont parfaitement complémentaires.

 

L’enseignement numérique dans les écoles est vraiment devenu incontournable ?

Le numérique éducatif est aujourd’hui un fait. L’Unesco, dont la Principauté est membre, a lancé depuis 2011 la semaine de l’apprentissage mobile. Cette manifestation montre que, partout dans le monde, les outils numériques sont une réalité dans l’éducation que l’on ne peut plus ignorer.

 

Des études scientifiques ont été menées sur les avantages et les inconvénients de ces outils ?

Nous disposons aujourd’hui d’un recul suffisant pour dresser un premier bilan du numérique éducatif qui constitue un champ de recherche universitaire important. Les recherches et les études montrent que les élèves utilisant le numérique en classe comprennent plus vite et mieux ce qu’ils lisent. Ils sont plus impliqués dans leur travail scolaire. Ils apprennent plus rapidement.

 

Et les résultats scolaires s’améliorent vraiment ?

Ils sont souvent meilleurs. Et les élèves maîtrisent mieux les connaissances acquises. En outre, les outils numériques personnalisent davantage l’enseignement. Toutefois, ces études montrent que le type de matériel choisi est moins important que l’usage que l’on en fait.

 

Comment élèves et parents ont accueilli ces outils numériques à Monaco ?

A ce stade, les élèves y adhèrent très rapidement. L’effet motivant est indéniable. Du côté des parents, les réactions semblent assez positives. Mais il faut attendre encore quelques mois pour savoir ce qu’il en sera vraiment au final.

 

Les enfants s’investissent davantage ?

Absolument. Ils s’investissent davantage dans leurs apprentissages et le professeur sait immédiatement où en sont ses élèves. Les outils numériques ont donc beaucoup d’avantages pédagogiques.

 

Le numérique n’a aucun défaut alors ?

Cela n’est pas magique. Leur utilisation n’est efficace que si le professeur l’intègre à sa progression pédagogique. D’où la nécessité que chaque outil numérique soit toujours pensé dans le cadre d’un projet pédagogique et/ou éducatif clair et pertinent.

 

Quels sont les premiers retours constatés ?

Depuis la rentrée 2014, de nombreuses expérimentations sont effectivement menées. Des bilans d’étape sont réalisés régulièrement. Le bilan final sera rédigé au mois de mai 2015. Mais des points positifs sont déjà notables.

 

Lesquels ?

Prenons l’exemple des tablettes à l’école primaire. On constate que la tablette apporte un meilleur confort de lecture aux élèves que l’écran d’ordinateur. Les élèves sont plus autonomes et impliqués dans leur travail. Les professeurs peuvent donc beaucoup plus facilement différencier leur pédagogie en fonction des besoins des élèves et de leur rythme d’apprentissage. La coopération entre élèves est meilleure grâce aux tablettes. Mais parfois, il arrive que nous constations que la valeur ajoutée de l’outil numérique est trop faible pour que son utilisation soit poursuivie.

 

En quoi ces outils sont adaptés aux élèves en difficulté ?

Le numérique n’est pas réservé aux seuls élèves ayant des difficultés. Ce serait d’ailleurs une erreur. Les élèves à haut potentiel peuvent eux aussi nourrir leur curiosité par les outils numériques, et cette dimension ne doit pas être oubliée. Cependant, le numérique permet de diversifier les situations d’apprentissage. A ce titre, il est tout à fait indiqué pour les élèves en difficulté.

 

Un exemple ?

Des expérimentations ont été lancées et elles ont donné des résultats encourageants. En classe de 7ème (CM2), un élève dyslexique a pu bénéficier d’une tablette pour faciliter la prise de notes autonome et réaliser des évaluations orales. Selon cet élève, sa vie « a changé » : il pouvait mieux suivre les cours, être aussi actif que les autres en classe et se motiver.

 

Il a donc progressé ?

Ses progrès ont été considérables. Bien sûr, l’outil ne fait pas tout. Et pour chaque élève, il est important de bien choisir le matériel et de savoir ce que l’on peut en attendre. La formation et l’investissement du professeur sont aussi essentiels.

 

Les outils numériques sont aussi un moyen d’alléger les cartables ?

C’est une vraie question. Le numérique est sans doute une solution pour diminuer le poids des cartables des élèves. Ce changement ne se fera pas du jour au lendemain. Mais cet enjeu fait partie de notre réflexion dans le déploiement du numérique à l’école.

 

Tous les professeurs à Monaco ont été formés à ces outils ?

Une formation générale de tous les enseignants ne correspondrait pas aux besoins du terrain. Les formations tiennent et tiendront compte de l’outil utilisé et du champ disciplinaire concerné.

 

Qui forme les professeurs ?

Les professeurs doivent pouvoir être accompagnés de deux manières. Du point de vue technique, ils doivent être formés à l’outil numérique qu’ils utiliseront. Du point de vue pédagogique, ils doivent être formés à la manière d’utiliser ces équipements dans la matière qu’ils enseignent. Le centre de formation pédagogique a déjà commencé ce travail pour l’école primaire. Une offre similaire sera prochainement proposée pour le collège et le lycée.

 

Comment s’assurer que les élèves n’iront pas surfer sur des réseaux sociaux ou d’autres sites, hors du programme strictement scolaire ?

Le réseau et les terminaux font bien évidemment l’objet d’une surveillance constante des autorités. L’accès à internet est contrôlé et sécurisé. Les élèves ne peuvent pas se rendre sur des sites non autorisés, comme les réseaux sociaux ou les sites de jeux en ligne. De plus, le fait que le département de l’Intérieur assure la tutelle de la sûreté publique et de l’Education nationale, permet une réactivité immédiate en cas de problème.