mercredi 24 avril 2024
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Russie : Monaco entre en guerre économique

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Cinq jours après l’invasion russe en Ukraine menée par Vladimir Poutine, le prince Albert II a officiellement adopté des procédures de gel de fonds russes et de sanctions économiques, comme la plupart des États européens. Sa décision était attendue sur la scène internationale pour contribuer à mettre fin au combat armé.

Monaco devait prendre position. Non pas qu’il y ait un axe du bien, et un axe du mal, comme l’avait, en son temps, caricaturé le président américain Georges W. Bush avant d’envahir l’Irak de Saddam Hussein, en mars 2003, mais l’absence de positionnement de la principauté dans cette guerre ukrainienne risquait d’être mal interprétée sur la scène internationale, et notamment l’opinion publique, qui est entrée en ébullition depuis le début de ce conflit. Le 21 février 2022, lors d’une allocution télévisée, Vladimir Poutine, a reconnu l’indépendance des deux républiques séparatistes du Donbass et, de ce fait, déclaré la guerre à l’Ukraine, en mettant fin aux accords de paix de Minsk II, signés en 2014. Selon le président russe, l’Ukraine serait l’otage de l’Occident et des pays de l’organisation du traité atlantique nord (OTAN), l’union internationale de défense militaire, qui réunit 30 pays essentiellement européens, en plus des États-Unis. Depuis la chute de l’URSS, l’OTAN s’est en effet élargie à l’Est de l’Europe, et l’Ukraine cherche à la rejoindre depuis les révolutions orange qui, dès 2004, visaient à s’émanciper de l’influence du Kremlin, au profit du « bloc occidental ». Une menace permanente aux yeux de Poutine, qui a décidé de faire feu pour la contrer.

Le 21 février 2022, lors d’une allocution télévisée, Vladimir Poutine, a reconnu l’indépendance des deux républiques séparatistes du Donbass et, de ce fait, déclaré la guerre à l’Ukraine, en mettant fin aux accords de paix de Minsk II, signés en 2014

« Ligne rouge » et « génocide »

« L’ensemble du bloc occidental est l’empire du mensonge », a affirmé le président russe lors de son allocution télévisée, revenant sur les déstabilisations provoquées, selon lui, par les récentes interventions militaires de l’OTAN, notamment à Belgrade et à Benghazi. À ses yeux, la Russie est la nouvelle cible, et l’OTAN, alors en pourparlers pour intégrer l’Ukraine, menacerait d’affaiblir sa fédération, comme s’était laissée affaiblir l’URSS avant de disparaître : « Nous ne ferons pas la même erreur deux fois, a-t-il ajouté. Nous ne pouvons plus nous contenter de regarder ce qu’il se passe, alors qu’une anti-Russie, colonisée par les forces armées des pays de l’OTAN, s’est formée. C’est une question de vie ou de mort pour notre pays, car ils ont franchi la ligne rouge », faisant allusion au fait que le gouvernement ukrainien « revendique l’arme nucléaire », selon lui. Poutine fait également état d’un « génocide » perpétré, toujours selon lui, contre les populations russes et russophones dans les provinces séparatistes de Lougansk et Donetsk, où plus de 2 600 civils seraient morts, et 5 500 personnes auraient été blessées sous les persécutions ukrainiennes, au cours des huit dernières années, selon le comité d’enquête de la fédération de Russie, un organe d’État : « On ne nous a pas laissé d’autres solutions pour protéger notre peuple. Les républiques populaires du Donbass ont demandé de l’aide à la Russie. » En brandissant l’article 51-7 de la charte des Nations Unies, qui concerne le droit à la légitime défense, Vladimir Poutine a légitimé l’invasion armée de l’Ukraine par ses troupes, visant la « démilitarisation et la dénazification » du pays. Toujours lors de cette allocution, Vladimir Poutine a assuré qu’il n’avait pas l’intention d’occuper durablement le pays. L’objectif semble en effet de mener un coup d’État, pour changer l’exécutif ukrainien par la force, au profit d’un pouvoir pro-russe, comme en Géorgie en 2008, pour annexer les provinces rebelles d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie.

Guerre en Ukraine sanctions Monaco
Vladimir Poutine © Photo DR

« Nous ne pouvons plus nous contenter de regarder ce qu’il se passe alors qu’une anti Russie, colonisée par les forces armées des pays de l’OTAN, s’est formée. C’est une question de vie ou de mort pour notre pays, car ils ont franchi la ligne rouge »

Vladimir Poutine. Président de la Fédération de Russie

Coup d’État et menace nucléaire

« Il y a nécessité de protéger la Russie contre ceux qui ont pris en otage l’Ukraine, pour l’utiliser contre nous », a affirmé Poutine. « La justice et la vérité sont de notre côté. » Le Kremlin dispose déjà d’une liste de politiques pro-russes pour prendre la place de Volodymyr Zelensky, élu démocratiquement le 20 mai 2019, avec 73,2 % des suffrages. Viktor Medvedchuk, l’oligarque ukrainien, le politicien et patron de chaîne Yevhen Murayev, ou encore Iouri Boïko, l’ancien vice-premier ministre de l’Ukraine, feraient partie des favoris pour prendre la tête du pays. Mais, pour renverser le pouvoir ukrainien, les troupes russes doivent à tout prix contrôler Kiev, et la tâche n’est pas aisée. Alors que les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans ne peuvent plus quitter le pays et sont appelés à la mobilisation armée par le gouvernement, les pertes civiles se font déjà ressentir et la communauté internationale a réagit. Anticipant les représailles, le chef d’État russe avait prévenu, lors de son allocution, que la réponse de son pays serait « immédiate » et mènerait à des conséquences inédites pour tous ceux qui « seraient tentés de s’ingérer » dans cette guerre. La Russie est en effet considérée comme la deuxième plus grande puissance nucléaire mondiale derrière les États-Unis, et compte sur un important moyen de dissuasion pour mener son opération à bien en Ukraine. Le pays dispose d’un important arsenal de 6 255 ogives nucléaires, selon l’institut de recherche international pour la paix de Stockholm (Spiri). Huit milliards de dollars ont été dépensés en 2020 pour entretenir cette force nucléaire, selon la campagne internationale pour abolir l’arme nucléaire (ICAN), l’organisme qui avait reçu le Prix Nobel de la paix en 2017. Ainsi, lorsque Vladimir Poutine a annoncé passer en « régime spécial d’alerte », dimanche 27 février 2022, la menace nucléaire a été directement brandie, plaçant ce conflit dans une nouvelle dimension. Au lendemain de cette déclaration, la principauté de Monaco a officiellement condamné « fermement » l’invasion de l’Ukraine et adopté des sanctions économiques.

Guerre en Ukraine sanctions Monaco
Cette sculpture est située sur le territoire du musée de l’histoire de l’Ukraine dans la Seconde Guerre mondiale. © Photo DR

En brandissant l’article 51-7 de la charte des Nations Unies, qui concerne le droit à la légitime défense, Vladimir Poutine a légitimé l’invasion armée de l’Ukraine par ses troupes, visant la « démilitarisation et la dénazification » du pays

Monaco intervient

Par sa déclaration, par communiqué, du 28 février 2022 au soir, le prince Albert II a rallié de nombreux États européens pour frapper économiquement la Russie [à ce sujet, lire notre article Guerre en Ukraine : le prince Albert condamne « fermement » l’invasion de l’Ukraine, publié dans ce dossier spécial — NDLR]. Tout comme la Suisse le même jour, qui s’est engagée à reprendre « l’intégralité » des sanctions économiques de l’Union européenne (UE) contre la Russie, en gelant des avoirs, Monaco promet également d’avoir adopté et mis en œuvre, « sans délai », des procédures de gel de fonds et de sanctions économiques, « conformément à ses engagements internationaux ». Suivant immédiatement la réaction du palais princier, quelques minutes plus tard, les élus du Conseil national ont exprimé leur « soutien au peuple ukrainien », et ils ont annoncé leur participation financière en soutien aux victimes du conflit, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge monégasque. Le gouvernement monégasque soutient également les frappes économiques : « Monaco faisant partie de la zone euro, ses banques sont intégrées dans les systèmes de paiement européens. Dans ce cadre, la principauté s’est engagée à adopter des mesures de gel des fonds identiques à celles prises par l’UE dans le cadre de la politique européenne de sécurité commune. » Dans une interview accordée dans ce numéro à Monaco Hebdo, le gouvernement du ministre d’État Pierre Dartout rappelle que la Russie représente 0,07 % des importations, et 0,44 % des exportations de Monaco. En frappant le gouvernement russe et ses soutiens, les chefs d’État européens et occidentaux, dont le prince Albert II, espèrent ainsi contraindre Vladimir Poutine à revenir en arrière, et à stopper son offensive, sous le poids de l’épuisement. En ce sens, la guerre qui fait front en Ukraine bouleverse les cartes diplomatiques et les relations internationales. Les yeux sont maintenant rivés sur la Chine qui, n’étant pas à proprement parler l’alliée de la Russie, de par son soutien à l’Inde, demeure toutefois un partenaire stratégique du Kremlin, capable de peser sur ce conflit, selon les décisions qu’elle prendra, ou non. Reçu par le président Xi Jinping le 6 février 2022 au palais du peuple, lors des Jeux olympiques (JO) de Pékin, le prince Albert II avait vanté le « message fort de paix et de solidarité envoyé au monde » de son homologue chinois [à ce sujet, lire notre article Le prince Albert II reçu par Xi Jinping, publié dans Monaco Hebdo n° 1230 — NDLR]. Plus que jamais, c’est bien un message de paix qu’attendent les civils ukrainiens embourbés dans cette lutte armée.

Vladimir Zelensky, président de l’Ukraine, pendant la célébration du jour de l’indépendance sur la place de l’Indépendance, en août 2019. © Photo DR

Par sa déclaration du 28 février 2022 au soir, le prince Albert II s’est rallié à de nombreux États européens pour frapper économiquement la Russie

Gel des avoirs russes : pas de sanctions pour les présidents russes des clubs de foot et de basket monégasques, pour le moment

Alors que la principauté s’engage dans des procédures de gel de fonds et de sanctions économiques, 362 personnes russes et biélorusses seraient visées par les mesures économiques de l’Union européennes (UE). À Monaco, les oligarques Dmitri Rybolovlev, le président de l’AS Monaco, et Alexei Fedorycsev, le président de l’ASM Basket, n’étaient pas concernés, alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 1er mars 2022. Concernant Rybolovlev, des sources proches du club de football assurent qu’il ne mène plus aucune activité en Russie depuis son départ du pays en 2010, et la revente quasi forcée de ses parts dans l’entreprise Uralkali à Igor Setchine, le vice-président de Vladimir Poutine, la même année. L’homme d’affaires ne serait pas l’un des soutiens du Kremlin. Quant à Fedoryscev, également patron de Fedcom, qui est aussi sponsor de l’EuroLigue, il ne serait plus Russe, mais il aurait un passeport hongrois, selon le conseil d’administration du club de basketball, qui affirme également que son président n’aurait plus d’activités, ni de liens, avec la Russie de Poutine. Mais la fortune, et l’origine, des deux hommes d’affaires est encore source d’amalgame : à l’occasion de la 26ème journée de Ligue 1 (L1) de football, les joueurs du Stade de Reims, qui affrontaient Monaco au stade Louis II, ont retardé le début du match pour protester contre l’invasion en Ukraine de la Russie. À travers cette action, c’est le président du club, Dmitry Rybolovlev, qui était implicitement visé, car Russe. Les joueurs de l’ASM Basket n’ont pas subi d’action similaire de leur côté, mais la vigilance reste de mise.