jeudi 28 mars 2024
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Monacair licencie près de
la moitié de ses effectifs

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Spécialisée dans le transport aérien, Monacair s’apprête à licencier près de la moitié de ses salariés. A l’origine de cette décision, la pandémie de Covid-19 qui a plombé les comptes de cette entreprise assure la direction. De leur côté, les salariés oscillent entre colère et incompréhension.

Depuis plusieurs semaines les rumeurs se faisaient de plus en plus insistantes. Placés pour la plupart au chômage technique temporaire (CTTR) depuis mi-mars 2020 et le début du confinement lié au Covid-19, les 76 salariés de Monacair, dont 70 contrats à durée indéterminée (CDI), redoutaient un plan social. Le 9 juillet 2020, la direction de cette entreprise spécialisée dans le transport en hélicoptères a lâché une petite bombe, en révélant vouloir se séparer de 32 salariés. Même si cette annonce n’a donc pas surpris grand monde, c’est l’ampleur de ce plan social qui a sonné les employés de cette entreprise, qui assure notamment la charge de la ligne régulière entre Monaco et Nice. Les postes concernés par cette décision sont les pilotes, les postes d’agents au sol, de billetterie et de trafic et le personnel administratif. Au total, ce sont 25 des 37 personnels au sol qui sont licenciés, 5 des 25 pilotes et 2 des 6 personnels administratifs. Pour justifier cette décision radicale, la direction de cette entreprise met en avant la pandémie de Covid-19 qui paralyse une bonne partie de l’aéroport de Nice, comme l’a expliqué à Monaco Hebdo le président de Monacair, Damien Mazaudier (lire son interview par ailleurs) : « Nous dépendons principalement de cette clientèle [de l’aéroport de Nice, deuxième aéroport de France — N.D.L.R.]. […] Nous dépendons aussi beaucoup de l’annulation en cascade de grands événements qui se déroulent à Monaco. Il y a d’abord eu l’annulation des Masters de Monte-Carlo en avril 2020, puis du Grand Prix historique, puis du Grand Prix, du Monaco Yacht Show… Et il y a beaucoup d’incertitudes pour les événements de la rentrée. »

« Ecart »

Damien Mazaudier l’assure : tout a été fait pour éviter ce plan social. Les actionnaires de Monacair ont injecté 1,2 million d’euros et deux hélicoptères, sur les 6 qui assurent habituellement la ligne Monaco-Nice, ont été vendus. Les aides de l’Etat monégasque, et notamment le placement des salariés en CTTR, ont aussi été activées. Mais l’ensemble de ces mesures n’aura donc pas suffit à éviter le pire. « Devoir perdre un certain nombre de collaborateurs que l’on a en partie formé et que l’on apprécie, cela a, bien sûr, été difficile. C’est surtout difficile humainement », assure le président de Monacair. Avant d’ajouter : « Notre trésorerie s’est dégradée au fil du temps. Peu de temps après l’annonce du gouvernement sur les décotes de 10 %, puis de 20 %, concernant notamment le chômage partiel, et compte tenu de la faiblesse du trafic aérien, nous avons pris la décision d’annoncer ce plan social, en concertation avec les délégués et les représentants du personnel. » Dans un communiqué publié le 9 juillet 2020, Monacair cite « diverses études indépendantes réalisées par des experts du transport aérien » qui indiqueraient que « si le trafic reprenait pendant l’été 2020, il serait inférieur de plus de 75 % à ce qu’il était en 2019. La reprise s’annonce longue et le groupe pourrait n’avoir retrouvé que 50 % de l’activité à l’été 2021 ». Pour enfoncer le clou, Damien Mazaudier donne quelques chiffres : « Du 14 au 30 juin 2020, il y a bien eu 96 vols sur la ligne Monaco-Nice. Dans le détail, sur cette ligne on a effectué 62 vols privés, contre 367 en 2019 sur la même période, soit moins de 20 %. Sur la partie « ligne classique », on a fait 34 transferts entre Nice et Monaco, contre 843 l’an dernier. Au total, il y a donc eu 96 vols, contre plus de 1 300 en temps normal. L’écart est donc considérable. » Le président de Monacair estime les pertes de son entreprise à environ 500 000 euros par mois, ce qui a non seulement rendu inéluctable la mise en place d’un plan social, mais qui réduit aussi la marge de manœuvre pour l’enveloppe qui sera consacrée à ces 32 départs. Même si « rien n’est encore arrêté » assure ce dirigeant de Monacair, les délégués et représentants du personnel vont devoir négocier pour obtenir plus que le minimum légal qui leur est actuellement proposé, à savoir un mois de salaire pour quatre ans d’ancienneté et un peu moins d’un an de salaire pour 20 ans d’ancienneté.

© Photo Monacair

Les délégués et représentants du personnel vont devoir négocier pour obtenir plus que le minimum légal qui leur est actuellement proposé, à savoir un mois de salaire pour quatre ans d’ancienneté et un peu moins d’un an de salaire pour 20 ans d’ancienneté

« Contraintes »

Du côté des salariés de Monacair, c’est bien évidemment la consternation qui prédomine. Choqués, ils ont beaucoup de mal à suivre les agissements de leur direction et la logique poursuivie. « J’ai ressenti beaucoup de colère chez les salariés touchés par ce plan social qu’ils ne comprennent pas, raconte un salarié de Monacair de l’escale de Nice. En tout cas, désormais, il n’y aura donc absolument plus aucun personnel de Monacair pour faire embarquer ou débarquer le moindre hélicoptère qui se posera. Donc, si l’activité reprend, Monacair s’est placé dans l’impossibilité de pouvoir faire face. » Et visiblement, l’argument « crise sanitaire et Covid-19 » ne les a convaincus qu’à moitié. « Ce qui est sûr, c’est qu’avec le Covid-19, il y a trop de contraintes qui pèsent sur les vols en hélicoptère : il faudrait que le gouvernement monégasque considère les hélicoptères comme un taxi volant, afin d’aider à la reprise de la fréquentation sur la ligne Monaco-Nice », ajoute ce même salarié. En partie sonnés par cette décision qu’ils jugent brutale, les salariés concernés ont désormais un mois devant eux pour analyser les informations communiquées par la direction. De leur côté, les salariés de Monacair font aussi les comptes : « Six hélicoptères H 130 faisaient la ligne Monaco-Nice. La direction en a vendu deux, il en reste donc désormais quatre. Cette ligne régulière réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 7 millions d’euros. Nous allons saisir l’inspection du travail pour vérifier la justesse de ce qui est avancé par la direction de Monacair. » En attendant, les salariés de Monacair regardent dans la direction d’Héli Sécurité, une entreprise française, basée à Grimaud, dans le Var. En effet, en 2018, Héli Sécurité a été rachetée par Monacair, et certains salariés estiment que cette entreprise est désormais privilégiée par rapport à Monacair.

« Optimiser »

Faut-il voir là un basculement en faveur d’Héli Sécurité, un basculement qui remonterait à une période antérieure à celle du Covid-19 ? « Pas du tout ! », répond Damien Mazaudier : « Héli Sécurité ne travaille pas sur la ligne régulière Monaco-Nice, mais on essaie de travailler intelligemment avec eux. Quand on amène un client à Saint-Tropez, et que eux ont un client qui doit venir à Monaco, on transporte leur client, ou le contraire. Héli Sécurité est une entreprise qui reste spécialisée dans les vols privés, que l’on appelle des vols charters. Les deux entreprises existent côte à côté. On essaie de travailler intelligemment afin d’optimiser, comme peut le faire Air France avec sa filiale Hop ! ou Transavia, ou d’autres encore, comme Lufthansa, Swiss Air, British Airways ou Iberia. » Selon Damien Mazaudier, aucun client n’est donc refusé, et son entreprise fait du « cas par cas » pour acheminer correctement les passagers sur la ligne Monaco-Nice, dont Monacair a remporté la gestion fin 2014, après un appel d’offres controversé. Ce dossier est d’ailleurs toujours devant la justice monégasque (lire Monaco Hebdo n° 1139). Souvent considérée comme relevant d’une mission de service public, même si elle a été confiée à une entreprise 100 % privée, la ligne Monaco-Nice continuera d’être exploitée par Monacair. C’est en tout cas ce qu’assure son président : « Avec seulement 5 % de l’activité par rapport à 2019, il a fallu redimensionner cette ligne. Mais Monacair continue de voler, même si notre activité est réduite. » En tout cas, plus globalement, le coup est rude pour l’aviation monégasque. C’est en tout cas le point de vue du PDG d’Héli Air Monaco, Jacques Crovetto, une entreprise créée en 1976 avec son frère Patrick : « C’est dramatique. Pour le pavillon monégasque, c’est une catastrophe ! L’aviation civile monégasque qui brillait il y a encore quelques années, c’est plus rien aujourd’hui. » On se souvient que gouvernement et Conseil national avaient décidé d’interdire les licenciements pour motif économique jusqu’au 18 juin 2020. Cette période étant terminée, on voit mal comment l’Etat pourrait s’opposer à ce plan social, dans la mesure où Monacair avance des pertes mensuelles de plusieurs centaines de milliers d’euros, sur fond de Covid-19, afin de justifier ce plan social. Désormais, les négociations entre les salariés et la direction peuvent commencer. « Sur le fondement moral de ce plan social, ce sera au gouvernement monégasque, qui est aussi donneur d’ordre pour cette ligne Monaco-Nice, de prendre position », estime un salarié de Monacair de l’escale de Nice. Entre une direction qui affiche une faible marge de manœuvre financière et des salariés bien décidés à ne pas se laisser faire, les discussions s’annoncent serrées.

Groupe Monacair : 37,1 millions de chiffre d’affaires en 2019

Dans le communiqué daté du 9 juillet 2020 et qui annonce donc la suppression de 32 postes chez Monacair, la direction rappelle que depuis sa création en 1988 par Stefano Casiraghi, cette entreprise n’a cessée de se développer, pour devenir aujourd’hui le « leader du transport de passagers par hélicoptère en France et à Monaco ». En 2019, le groupe Monacair a réalisé un chiffre d’affaires de 37,1 millions d’euros, en croissance de 29 % par rapport à 2018, et de 80 % par rapport à 2017. Une situation favorable qui lui a permis d’acheter une flotte de 14 hélicoptères, « en réinvestissant l’intégralité de ses bénéfices et en n’ayant reversé aucun dividende », assure Monacair. Du côté de ses effectifs, cette entreprise s’appuie, « en moyenne », sur 185 salariés en équivalent temps plein et indique avoir transporté « plus de 100 000 passagers pour environ 30 000 vols » grâce à une flotte de 32 hélicoptères, dont 14 sont sa propriété. Pour l’essentiel, Monacair assure son chiffre d’affaires sur quatre marchés : le management d’hélicoptères pour le compte de particuliers et d’entreprises, le transport de passagers à la demande via des vols privés, le transport de passagers sur la ligne régulière entre Nice et Monaco, et enfin la maintenance d’hélicoptères pour son propre compte et pour des tiers. Se présentant comme le « leader dans le management d’hélicoptères privés », Monacair est capable d’assurer « la gestion, la navigabilité, l’exploitation et la maintenance des hélicoptères », et indique s’être notamment spécialisé « dans le déploiement de moyens et gros hélicoptères sur des yachts positionnés dans le monde entier ». Autre spécificité affichée par Monacair : être « l’un des rares » à posséder des centres de maintenance agréés par Airbus, Leonardo et Bell hélicoptères. Basé pour l’essentiel en principauté, Monacair dispose aussi de plusieurs implantations en France, à Archamps en Haute-Savoie, à Grimaud dans le Var, et dispose de hangars d’environ 5 000 m2, principalement sur l’héliport de Monaco, les aéroports d’Annecy en Haute-Savoie, du Castellet dans le Var et de Cannes dans les Alpes-Maritimes. Enfin, le groupe Monacair possède aussi les marques Héli Sécurité, Monacair Maintenance Center, Skycam et Rotor Team.

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