jeudi 25 avril 2024
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Patrick Michel : « Ce risque, nous avons les moyens de le prédire et de le prévenir »

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Fin novembre 2022, la mission DART de la NASA enverra une sonde spatiale sur un astéroïde qui sera situé à onze millions de kilomètres de la Terre au moment de l’impact. Objectif : tenter de dévier sa trajectoire. Astrophysicien, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur, Patrick Michel est l’un des responsables de cette mission, qui sera également suivie par la mission Hera de l’agence spatiale européenne (ESA). Il explique à Monaco Hebdo les enjeux de ce dossier, qui remonte aux années 1990.

Quelle est l’origine de cette mission DART ?

La mission DART est un projet de la NASA, dont l’objectif est de tester notre aptitude à dévier un astéroïde en provoquant l’impact à haute vitesse d’un projectile artificiel, la sonde DART, sur l’astéroïde. Cette mission sera suivie par la mission Hera de l’agence spatiale européenne (ESA), dont je suis responsable scientifique, qui va aller sur la scène du crime pour mesurer tout l’effet de l’impact. Mais tout a commencé en Europe, au début des années 2 000. L’ESA a alors décidé de vérifier quelles pouvaient être les missions spatiales qui pourraient être dédiées aux risques d’impacts d’astéroïdes.

Pourquoi l’ESA s’est intéressée à ce sujet ?

À l’époque, il y a eu une prise de conscience, suite à l’impact d’une comète avec Jupiter en 1994. C’était le premier impact que l’être humain avait pu observer par lui-même. Ce sujet a alors commencé à faire son chemin dans les canaux politiques. Du coup, les premières résolutions sont apparues en 1996, avec le Conseil européen, puis en 1998 avec le congrès américain, qui avait demandé à la NASA de faire l’inventaire de tous les objets supérieurs à 1 kilomètre qui croisent la Terre. Car 1 kilomètre, c’est le seuil de catastrophe à l’échelle de la Terre.

« La mission DART est un projet de la NASA, dont l’objectif est de tester notre aptitude à dévier un astéroïde en provoquant l’impact à haute vitesse d’un projectile artificiel, la sonde DART, sur l’astéroïde. Cette mission sera suivie par la mission Hera de l’agence spatiale européenne (ESA) »

Qu’a fait l’ESA ?

L’ESA s’intéressait aussi à ce problème, et avait sollicité six experts, dont je faisais partie, pour créer un comité chargé de recommander des missions spatiales pour faire face à ce problème. On avait recommandé une mission qui consistait à tester nos capacités à dévier un astéroïde en utilisant un projectile artificiel. Ce projet s’appelait Don Quichotte. Il comportait deux composantes : un projectile, appelé Hidalgo, et un orbiteur, appelé Sancho, qui devait observer l’impact et mesurer la déviation produite. On a travaillé sur l’étude de cette mission jusqu’en 2007, avec d’ailleurs une forte implication de l’observatoire de la Côte d’Azur. Mais, en l’absence de programme dédié à ce problème à l’ESA et de budgets, ce dossier est resté dans les cartons.

Il a fini par sortir des cartons ?

En parlant avec un collègue américain lors d’un congrès au California Institute of Technology (CalTech) à Pasadena, on a pensé que l’on devrait partager les efforts entre la NASA et l’ESA. À cette époque, la confiance entre les deux agences n’était pas au meilleur niveau. La NASA s’était retirée de projets de l’ESA, dont le programme Exomars. L’objectif était donc de monter deux missions, à peu près indépendantes. Si une agence était défaillante, cela ne remettait pas en cause l’ensemble du projet. On s’est dit qu’en envoyant un projectile sur un objet qui passe près de la Terre, sans pour autant représenter un risque, on pourrait mesurer quelques effets avec des observatoires terrestres. Ça ne répondrait pas à tout le problème. Mais ça permettrait de vérifier que l’on a bien tapé dedans, et d’avoir des informations sur comment on l’a perturbé.

C’est compliqué à réaliser ?

Un astéroïde qui passe près de la Terre évolue à plusieurs dizaines de kilomètres par seconde. Au mieux, les projectiles que l’on peut envoyer peuvent taper l’objet à une dizaine de kilomètres par seconde. Cela signifie que pour dévier un astéroïde, il faut le faire bien à l’avance, parce qu’on va le dévier très peu de sa trajectoire. Et pour mesurer cette déviation, il faut du temps.

Patrick Michel CNRS mission DART
« L’impact aura lieu le 26 septembre 2022 à 18h15, heure de Washington. L’objectif de la mission DART est donc de taper sur la petite lune d’un astéroïde double, pour perturber sa trajectoire autour de son corps principal. La petite lune fait 160 mètres de diamètre, et elle s’appelle Dimorphos. Le corps principal, Didymos, fait 800 mètres de diamètre. » Patrick Michel. Astrophysicien, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur. © Photo ESA

Comment ce problème a-t-il été résolu ?

Environ 15 % des astéroïdes sont des mini-systèmes « Terre-Lune ». Cibler l’un de ces astéroïdes doubles présente un avantage : la petite lune se déplace à très faible vitesse autour de son corps central, quelques dizaines de centimètres par seconde. Donc, quand on tape avec un projectile qui évolue à 10 kilomètres par seconde, la déviation est instantanée. Nous étions alors en 2011, et nous avons identifié un astéroïde double qui allait passer près de la Terre, fin septembre 2022. Mon collègue américain a discuté avec la NASA pour prendre en charge le projectile, que l’on a appelé DART.

« Il y a eu une prise de conscience, suite à l’impact d’une comète avec Jupiter en 1994. C’était le premier impact que l’être humain avait pu observer par lui-même. Ce sujet a alors commencé à faire son chemin dans les canaux politiques »

Et vous ?

De mon côté, j’ai discuté avec l’ESA pour lancer l’orbiteur, qui, à l’époque, s’appelait AIM pour « Asteroid Impact Mission ». Du coup, en combinant AIM et DART cela donnait AIDA, pour “Asteroid Impact & Deflection Assessment”. DART était chargé de l’impact, et AIM devait mesurer l’ensemble des propriétés de la cible et le résultat de l’impact. Mais, le problème, c’est qu’au niveau de l’ESA, il n’y avait toujours pas de programme dédié à cela.

Que s’est-il passé ?

Tous les trois ans, l’ESA réunit son conseil ministériel. Lors d’une réunion en 2016, une première version de la mission AIM a été proposée. Sur les 25 délégations que compte l’ESA, certaines étaient très intéressées, et d’autres un peu moins. Malheureusement, un partenaire important s’est retiré au dernier moment. Du coup, le directeur de l’ESA a été obligé de retirer le projet. Mais, comme beaucoup de délégations encourageaient ce sujet, il nous a demandé de retravailler dès 2017 sur une version optimisée de la mission, pour la proposer à nouveau au conseil ministériel en novembre 2019. C’est ce que nous avons fait. Et cette fois, elle a été validée. On a changé de nom, et cette mission est devenue Hera. C’est donc un combat de vingt ans qui a été mené.

Combien ça coûte ?

Le coût de la mission DART est estimé à 300 millions de dollars, et Hera c’est 390 millions d’euros. Pour environ 700 millions d’euros, et en ajoutant la mission qui fera l’inventaire de tous les astéroïdes plus grands que 140 mètres, appelée NEO Surveyor, qui représente environ 500 millions de dollars, on boucle le budget. Donc pour un peu plus d’un milliard d’euros, on réalise trois missions spatiales, qui nous permettrons de dire aux prochaines générations que l’on connaît tous les astéroïdes qui représentent un risque au minimum à l’échelle d’une région, et que l’on a testé au moins une méthode de déviation efficace. Ce ne sont donc pas des budgets énormes. Ces budgets sont investis pour une vingtaine d’années, et ils financent également des industries et de l’innovation.

Qui finance ?

En plus des délégations de l’ESA, depuis 2012, la commission européenne s’intéresse à cette problématique. Elle finance des consortiums pour accompagner le développement des missions, du type DART ou Hera. D’ailleurs, je coordonne le consortium Near-Earth Object Modelling and Payload for Protection (NEO-MAPP), qui accompagne l’étude de Hera. Car toute l’équipe scientifique d’Hera est financée par la commission européenne. Ce sujet attire beaucoup de jeunes qui ont envie de travailler avec moi sur ce sujet. Il faut dire qu’une partie du financement sert aussi à prendre en charge des étudiants en thèse et des post-doctorants sur ce thème. D’ailleurs, dans le cadre de la protection de la planète, si Monaco est intéressé par le financement d’étudiants sur le risque d’impact, ça serait un moyen pour la principauté de s’impliquer, et de former les jeunes générations à des défis et des connaissances extraordinaires qui accompagnent ce sujet.

Et aux États-Unis, qui finance ?

Aux États-Unis, c’est le programme de défense planétaire de la NASA qui finance. L’approche américaine des missions spatiales est très différente de celle de l’Europe. La NASA finance aussi les ressources humaines nécessaires au développement, au déroulement, et à l’interprétation des données d’une mission, y compris les scientifiques et les jeunes chercheurs.

Les conséquences de cette validation tardive ?

Comme Hera n’a été approuvée qu’en 2019, nous n’avons pas pu tirer en même temps que DART. La mission Hera ne partira qu’en 2024, et elle arrivera le 28 décembre 2026 sur l’astéroïde, pour 6 mois d’exploration. Heureusement, pour ce que nous voulons mesurer, ça ne change rien, parce que le cratère de l’impact n’aura pas changé et les propriétés de la cible seront les mêmes. Quant à la déviation, on pourra toujours la mesurer quatre ans après.

« Un astéroïde qui passe près de la terre évolue à plusieurs dizaines de kilomètres par seconde. Au mieux, les projectiles que l’on peut envoyer peuvent taper l’objet à une dizaine de kilomètres par seconde. Cela signifie que pour dévier un astéroïde, il faut le faire bien à l’avance »

Vous avez des regrets ?

Pour le message envoyé, c’est un peu dommage. Dans le cadre d’un projet international qui répond à un problème international, c’était génial de pouvoir lancer les deux missions en même temps. Cela aurait aussi permis de ne pas dire que la NASA fait tout, alors que c’est l’impression que ça donne, même si l’idée est née en Europe.

Quel type de projectile sera lancé contre cet astéroïde ?

Le projectile n’est pas une bombe. C’est un satellite passif de 585 kilogrammes environ, qui arrivera à 6 kilomètres par seconde, soit 24 000 km/h. Donc, tout naturellement, il explosera. À cette vitesse-là, peu importe ce qu’on lance. Même un bout de caillou exploserait, du fait de la pression extrême et de l’onde de choc générée par l’impact.

Finalement, la mission DART a été lancée quand ?

La mission DART a été lancée le 24 novembre 2021 en Californie, depuis la base Vandenberg de l’US Air Force. J’ai pu y assister. Le lancement a été réalisée de nuit, sans nuage. Pour moi, c’était notre bébé qui était arraché de la Terre. Les lancements, c’est toujours magnifique.

Patrick Michel CNRS mission DART
« Le volet “réponse internationale”, en cas de menace réelle d’un astéroïde, doit être suffisamment coordonné pour que l’on sache qui va organiser la réponse, avec quelle technique, quels sont les aspects légaux, et comment communiquer avec le grand public. » Patrick Michel. Astrophysicien, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur. © Photo DR

L’impact aura lieu quand ?

L’impact aura lieu le 26 septembre 2022 à 18h15, heure de Washington. L’objectif de la mission DART est donc de taper sur la petite lune d’un astéroïde double, pour perturber sa trajectoire autour de son corps principal. La petite lune fait 160 mètres de diamètre, et elle s’appelle Dimorphos. Le corps principal, Didymos, fait 800 mètres de diamètre. On s’intéresse à des objets de cette taille, parce que ce sont ceux pour lesquels on peut commencer à faire quelque chose pour éviter une collision. C’est aussi la taille à partir de laquelle un objet qui tombe sur Terre fait des dégâts, au moins à l’échelle d’une grande région.

Comment DART observera l’impact ?

Avant l’impact, DART va déployer LICIACube, un petit satellite (Cubesat) italien. LICIACube va observer l’impact, et nous donner des informations sur les premières minutes après l’impact. Ce que l’on rate avec Hera, on le récupère avec LICIACube. En parallèle, une campagne d’observations sera réalisée depuis la Terre, notamment avec l’observatoire de la Côte d’Azur, pour mesurer la différence de période de révolution de la petite lune, avant et après l’impact, autour de son corps principal.

Qu’est-ce que DART ne fera pas ?

En revanche, avec DART, on ne saura pas quelle est la taille du cratère, ni quelle est la quantité précise de déviation, ni quelles sont les propriétés physiques de l’astéroïde qui sont à l’origine de sa réponse à l’impact. Pour ça, il faudra attendre Hera.

« Pour un peu plus d’un milliard d’euros, on réalise trois missions spatiales, qui nous permettrons de dire aux prochaines générations que l’on connaît tous les astéroïdes qui représentent un risque au minimum à l’échelle d’une région, et que l’on a testé au moins une méthode de déviation efficace »

Que fera Hera ?

En 2026, Hera va déployer deux petits satellites, des Cubesats, pour pouvoir entièrement caractériser cet astéroïde double, en particulier la petite lune, mesurer la taille du cratère, et surtout pour la première fois mesurer la structure interne de l’objet. Cela n’a jamais été fait. Avec un radar basses fréquences installé à bord de l’un des CubeSats, on va faire ce que l’on fait avec le corps humain : de la tomographie. On va explorer l’intérieur de l’astéroïde, et vérifier s’il s’agit d’une roche monolithique, si c’est un agrégat, s’il est poreux avec pleins de trous…

Pourquoi est-il important de sonder l’intérieur de cet astéroïde ?

Cela nous permettra de comprendre pourquoi on a fait le cratère que l’on mesurera, pourquoi on a dévié l’astéroïde de cette manière. C’est très important, car, pour l’instant, toute notre compréhension de la physique des impacts est validée par des expériences réalisées en laboratoires. On tire avec des canons à très haute vitesse sur des cibles de quelques centimètres de diamètre. C’est avec ces expériences que l’on valide nos modélisations numériques. Une fois qu’elles sont validées à petite échelle, on espère qu’elles resteront valides à plus grande échelle. Mais rien n’est moins sûr.

Quoi d’autre ?

On pourra répondre à de grandes questions scientifiques. Ces astéroïdes qui créent un risque de collision avec la Terre sont les restes des briques qui ont formé nos planètes. Ils sont les meilleurs traceurs de l’histoire du système solaire. Contrairement à la Terre qui a chauffé, et dont le matériau s’est transformé chimiquement, comme ils ont toujours été petits, ces astéroïdes ont gardé la mémoire de la composition initiale de la nébuleuse solaire dans lesquelles les planètes se sont formées. Si on veut remonter aux ingrédients qui ont permis aux planètes de se former, et donc à la vie d’apparaître sur Terre, il faut étudier ces astéroïdes.

Il existe d’autres volets d’étude dans cette mission ?

En étudiant ces astéroïdes, on va vérifier comment on pourrait les exploiter comme des ressources. Ça parait de la science-fiction, mais pas du tout. D’ailleurs, les États-Unis et le Luxembourg ont déjà adopté une législation afin de pouvoir exploiter les astéroïdes. Au centre de ressources spatiales international, qui se trouve au Luxembourg, des start-ups commencent à être intégrées. Elles s’intéressent au minage des astéroïdes, et des corps célestes en général. Dans le cadre de la préservation de la planète, l’idée serait de ne plus utiliser les ressources que nous avons sur la Terre, d’amener le minimum, et de trouver sur place le matériau qui nous permettra de fabriquer du carburant, pour aller explorer plus loin.

Les astéroïdes pourraient permettre cela ?

Les astéroïdes sont riches en métaux rares et en minéraux hydratés, en oxygène et en hydrogène. Du coup, beaucoup d’études sont en cours pour voir comment exploiter le contenu de ces astéroïdes pour produire du carburant. Comme le disait Jean-Jacques Dordain, l’ancien directeur général de l’ESA : « C’est comme pour le risque d’impact. Il faut se préparer au minage des astéroïdes avant d’en avoir besoin. »

L’astéroïde visé pourrait tomber ensuite sur la Terre ?

Non. On a justement choisi un astéroïde dont la trajectoire est telle que, quoi qu’il arrive, on n’augmente pas le risque d’impact avec la Terre. On ne veut pas provoquer le risque qu’on cherche à éviter. C’est aussi pour ça que notre frappe vise la petite lune de cet astéroïde. Même en déviant la petite lune autour de son corps principal, comme la masse de cette petite lune est beaucoup plus petite que le corps principal, la trajectoire du système restera entièrement dominée par le corps principal. Donc peu importe ce que l’on fait sur cette petite lune. Cela ne déviera de presque rien l’ensemble du système.

Si cet astéroïde tombait sur Terre, quels seraient les risques ?

Pour la petite lune de 160 mètres de diamètre, l’impact avec la Terre aurait des répercussions à l’échelle d’une grande région au minimum, comme la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), par exemple. Et peut-être plus. Cela représente plusieurs milliers de bombes d’Hiroshima en termes d’énergie d’impact. La bonne nouvelle, c’est que la fréquence d’impact d’objet de cette taille est estimée à une fois toutes les dizaines de milliers d’années. Quant aux astéroïdes de 1 kilomètre de diamètre, leur impact avec notre planète va se produire, en moyenne, une fois tous les 500 000 ans.

« Avec DART, on ne saura pas quelle est la taille du cratère, ni quelle est la quantité précise de déviation, ni quelles sont les propriétés physiques de l’astéroïde qui sont à l’origine de sa réponse à l’impact. Pour ça, il faudra attendre Hera »

Même s’il n’existe pas de menace à court terme, les collisions avec des astéroïdes restent un sujet de préoccupation ?

C’est un sujet d’occupation. Il est pertinent de s’en occuper. Mais il n’est pas vraiment justifié de s’en préoccuper. Parce que, dans l’échelle des risques, il y a bien d’autres problèmes à régler sur Terre, comme, par exemple, pouvoir mieux prédire les tsunamis et les tremblements de terre. Mais l’un n’empêche pas l’autre.

Des astéroïdes menacent la Terre ?

Aujourd’hui, on connaît plus de 90 % des objets supérieurs à 1 kilomètre qui croisent la Terre. À ce jour, aucun ne nous menace sur le siècle à venir. En revanche, on ne connaît que 40 % des objets de plus de 140 mètres de diamètre. On cherche à en faire l’inventaire. La NASA est en train de travailler sur un téléscope spatial, dont le lancement est prévu en 2026, si le congrès américain approuve le budget final. Cela permettrait de faire cet inventaire en 10 ans. En 2036, on devrait donc avoir l’inventaire de tous les objets qui pourraient éventuellement nous menacer. À court terme, je pense qu’il n’y en a aucun. Mais nous cherchons à pouvoir au moins anticiper, si un objet nous arrivait dessus.

Patrick Michel CNRS mission DART
« Lorsque le film Armageddon est sorti en 1998, cela nous a nui. Car il a été encore plus difficile de convaincre les politiques que ce que nous défendions n’était pas de la science-fiction. Heureusement, au fil du temps, l’idée a fait son chemin. » Patrick Michel. Astrophysicien, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur. © Photo DR

Nous pouvons vraiment parvenir à anticiper cette menace ?

Ce risque, nous avons les moyens de le prédire et de le prévenir, avec des moyens que nous sommes en train de mettre en œuvre. Je m’intéresse à ce risque depuis plus de vingt ans. Il est important d’offrir aux prochaines générations un plan robuste, qui leur permettra de se protéger. Car on sait que sur le long terme, ce risque se concrétisera. D’ailleurs, on connaît les fréquences d’impacts. Pour être préparé à ce risque, il y a plusieurs étapes que l’on ne peut pas effectuer en un jour. Dans l’improvisation, on n’y arrivera pas. L’avantage, c’est qu’étant donné les probabilités, nous avons le temps de nous préparer. En fait, c’est le même problème qu’une pandémie.

« Les astéroïdes sont riches en métaux rares et en minéraux hydratés, en oxygène et en hydrogène. Du coup, beaucoup d’études sont en cours pour voir comment exploiter le contenu de ces astéroïdes pour produire du carburant »

Pourquoi ?

Il s’agit de risques à très faible probabilité, mais à hautes conséquences, et qui sont multi-paramètres, notamment scientifiques, technologiques, et politiques. Le prince Albert II est très sensible à la préservation de la planète, et donc à offrir aux prochaines générations une planète habitable et vivable. Dans cette optique, il faut aussi se protéger de la menace céleste. Car c’est elle qui a éteint la dernière espèce qui nous a précédé : les dinosaures.

Comment organiser une réponse internationale si un astéroïde menace la Terre ?

Le volet « réponse internationale », en cas de menace réelle d’un astéroïde, doit être suffisamment coordonné pour que l’on sache qui va organiser la réponse, avec quelle technique, quels sont les aspects légaux, et comment communiquer avec le grand public. La communication est importante. L’objectif est d’éviter de voir ce que l’on a vu pendant la pandémie de Covid-19, avec des experts qui se contredisent sur les plateaux de télévision, et qui créent ainsi une grande confusion chez le public.

Dans un tel scénario catastrophe, il existe une entité internationale qui fait autorité sur la marche à suivre ?

À l’ONU, nous avons réussi à mettre en place deux groupes de travail, l’un regroupant les experts scientifiques du sujet, l’autre regroupant les agences spatiales telles que la NASA, l’ESA, et le Centre national d’études spatiales (CNES). Ces groupes sont chargés d’organiser ensemble une réponse internationale coordonnée, avec des protocoles bien établis. Cela prend du temps, et au bout du compte, en réalité, chaque pays fera ce qu’il voudra. Il n’y a pas d’autorité internationale sur ce sujet. Mais en proposant un plan solide, on espère que le jour où un astéroïde menacera la Terre, le monde entier sera convaincu que c’est ce plan qu’il faut suivre, d’autant plus qu’il aura été élaboré par les principaux acteurs et agences spatiales du domaine. Cela n’a pas été fait pour la pandémie de Covid-19, et c’est regrettable.

« Aujourd’hui, on connaît plus de 90 % des objets supérieurs à 1 kilomètre qui croisent la Terre. À ce jour, aucun ne nous menace sur le siècle à venir. En revanche, on ne connaît que 40 % des objets de plus de 140 mètres de diamètre. On cherche à en faire l’inventaire »

Cette mission fait penser à Armageddon, le film de Michael Bay, sorti sur les écrans en 1998 ?

Lorsque le film Armageddon est sorti en 1998, cela nous a nui. Car il a été encore plus difficile de convaincre les politiques que ce que nous défendions n’était pas de la science-fiction. Heureusement, au fil du temps, l’idée a fait son chemin.

En revanche, le monde du spectacle vous a parfois aidé ?

Je travaille également avec Brian May, le guitariste de Queen, qui est aussi un astrophysicien. Il est à l’origine de « l’Asteroid Day », le jour des astéroïdes. Cette journée a été validée par l’ONU, et elle a lieu chaque année, le 30 juin. Cette date correspond à l’explosion d’un astéroïde qui a eu lieu le 30 juin 1908, au-dessus de la Sibérie, et qui a pulvérisé 2 000 kilomètres carrés de forêt. On l’appelle l’événement de la Toungouska. En 2015, Brian May a décidé de contacter un certain nombre d’experts, dont je fais partie, pour lancer ce mouvement. Et tous les ans, nous effectuons plusieurs heures de direct sur Internet avec des experts, des astronautes, et des industriels pour sensibliser le public et les jeunes à ce sujet et à la science des astéroïdes. Mais aussi aux restes des briques qui ont formé nos planètes, et qui ont peut-être contribué à l’émergence de la vie sur Terre, avant de la menacer.

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