mardi 23 avril 2024
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Métavers :
quelles opportunités pour Monaco ?

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C’est un nouveau monde, pas toujours clair, sauf pour une chose : les sommes en jeu sont colossales. Le marché du métavers, cet univers technologique virtuel, présenté comme un nouvel Internet, offre un potentiel d’un trillion de dollars, selon le fonds Grayscale Trust, géant américain de l’investissement en cryptomonnaies. À Monaco, les opportunités pourraient être sérieuses, à condition de ne pas rater certaines marches.

Non, ce n’est pas de la sciences-fiction. Pas plus qu’un fantasme, éloigné des réalités économiques, technologiques et politiques du moment. Le métavers — de l’anglais “métaverse”, contraction de “meta universe” — est déjà une réalité, bien plus simple et concrète qu’il n’y paraît. Certains experts parlent d’un « nouvel Internet », comme Carmen Franko, co-fondatrice du salon Meta Entertainment World, organisé à Monaco les 23 et 24 mai 2022 [à ce sujet, lire notre interview dans ce dossier spécial — NDLR]. Pourtant, le métavers ne ressemble à rien de ce que nous connaissons, en apparence. On n’accède d’ailleurs à ces plateformes qu’à l’aide d’équipements de réalité augmentée et virtuelle, comme des casques et des lunettes connectées. Mais, malgré son côté futuriste de prime abord, cet espace virtuel n’a rien d’abstrait. Il est même le prolongement d’une vieille philosophie anglo-saxonne, terreau du libéralisme politique : le métavers combine à la fois les notions d’existence, de liberté, et de propriété individuelle, théorisées par John Locke (1632-1704) sur l’invention de la « conscience humaine ». Il ne s’agit pas d’un endroit en soi, mais d’un « espace-temps », où les personnes réinventent la manière dont ils veulent organiser leurs vies, exprimer leurs libertés, et gérer leurs propriétés. Le métavers est finalement le prolongement d’une idée qui avait déjà germé, depuis bien longtemps.

Il ne s’agit pas d’un endroit en soi, mais d’un « espace-temps », où les personnes réinventent la manière dont ils veulent organiser leurs vies, exprimer leurs libertés, et gérer leurs propriétés

Des limites à franchir

Ainsi, tout ce qui existe déjà matériellement aujourd’hui a vocation à être transposé dans cet univers virtuel, dont les impacts sont bien réels. L’investisseur américain Andrew Steinwold, co-gérant du fonds Fermion, spécialiste de l’économie digitale, a bien schématisé ce que représente ce nouveau marché : la cryptomonnaie sera l’argent du métavers, les NFT [jetons non fongibles — NDLR] y seront toutes les « choses » dont on pourra se servir, et ses entreprises seront les « organisations autonomes décentralisées », dites DAO en anglais. Ce n’est pas plus compliqué, et les opportunités d’investissement s’en voient démultipliées. Même l’AS Monaco s’y met : depuis le début d’année 2022 et jusqu’à la fin de saison, pour chaque rencontre à domicile, des casques de réalité virtuelle Oculus seront distribués à tous les supporters et aux partenaires du club avant le match, pour leur proposer une « expérience immersive » dans les coulisses du stade Louis-II. Le métavers est donc l’affaire de limites à franchir. Ces limites qui contraignent les libertés du monde moderne : l’individu s’affranchit des barrières de la physique pour affirmer et interpréter son identité selon ses envies. Et, surtout, l’argent digital dont il dispose sur cette plateforme a une valeur qui ne fluctue pas au gré des politiques nationales ou fédérales des gouvernements. Il en sera de même pour les contrats, qui peuvent y être digitalisés et certifiés à partir de la blockchain, afin de ne plus reposer uniquement que sur une interprétation humaine des griefs. Et tous ces nouveaux outils : NFT, cryptomonnaies, DAO, sont des moyens pour franchir ces limites actuelles. Demeure juste une question : sur quel plateforme y aura-t-il le plus de monde, demain ? Sur Horizon Worlds, créé par Meta, anciennement Facebook ? Sandbox, Decentraland, VeVeVerse, ou d’autres encore ? Peut-être tous ceux-là à la fois, car aucun d’entre eux n’est à l’origine de cet univers en réalité, et la concurrence est rude.

cartographie métavers sandbox

Mark Zuckerberg n’a rien inventé. L’équivalent du métavers existe déjà depuis plus de 20 ans. Le terme était même déjà apparu en 1992 dans le roman de science-fiction Snow Crash, de Neal Stephenson

Pas si nouveau

Mais Mark Zuckerberg n’a rien inventé. L’équivalent du métavers existe déjà depuis plus de 20 ans. Le terme était même déjà apparu en 1992 dans le roman de science-fiction Snow Crash, de Neal Stephenson. Lorsque le créateur de Facebook a officialisé la création de son Meta, en octobre 2021, c’est presqu’avec un wagon de retard sur les innovations qui avaient déjà émergé sur ce vaste marché. Le business des jeux vidéos, par exemple, précurseur en matière de technologie virtuelle, fait mieux que les réseaux sociaux en termes de fréquentation, avec 2,7 milliards de comptes joueurs en ligne, tous pays confondus. C’est bien plus que les 1,9 milliard d’utilisateurs quotidiens pour Facebook, et les 1,2 milliard pour Instagram à échelle du globe. C’est bien là que le gros de la clientèle potentielle semble reposer. Et la tendance ne fait que se confirmer : 68 % des jeunes garçons américains âgés de 6 à 8 ans jouent en ligne à Minecraft, le jeu de construction à tendance pédagogique. Alors que la plateforme de streaming vidéo en direct, Twitch, a doublé son audience, en cumulant 2,8 millions d’utilisateurs quotidien dans le monde, contre 1,2 million en 2019. En matières d’outils, enfin, l’entreprise de jeux vidéos Epic Games, créateur notamment de Unreal Engine et Fortnite, s’est déjà positionnée avant Mark Zuckerberg pour « construire » le métavers, annonçant en 2019 que cette technologie faisait partie des ses priorités premières. Même en France, dès 1997, Canal+ Multimédia avait lancé Le Deuxième Monde, un univers virtuel qui permettait de faire évoluer son avatar dans une reconstitution de Paris en 3D. Ce projet avait été lancé par le directeur des nouveaux programmes de Canal+ de l’époque, Alain Le Diberder. L’expérience a pris fin en 2001. Dans la foulée, un autre monde virtuel a été lancé : Second Life. Sorti en 2003, ce jeu, qui est un métavers en trois dimensions, permettait à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un espace virtuel, crée par eux-mêmes. Tout cela dix ans avant l’Oculus VR de Facebook, acquis en 2014 pour préparer le terrain de Meta.

Un trillion de dollars

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’afflux de capitaux que le métavers attire, et génère. En novembre 2021, un terrain virtuel a été racheté pour plus de 2 millions de dollars : l’entreprise Metaverse Group, une filiale de l’entreprise de finance décentralisée Tokens.com, qui se décrit comme une agence immobilière du métavers, a acheté 116 parcelles dans le monde virtuel Decentraland, pour 618 000 Mana, une cryptomonnaie utilisée sur cette plateforme. Compte tenu de l’évolution du cours de cette monnaie, la valeur des parcelles pourrait atteindre 3 millions de dollars aujourd’hui [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le mardi 15 février 2022 — NDLR]. En décembre 2021, un centre commercial a également été vendu pour une somme folle : 4,3 millions de dollars, par l’entreprise Republic Realm, dans le métavers The Sandbox. L’idée étant, pour ces entreprises, de faire des plus-values futures, comme dans le secteur immobilier classique. Mais aussi d’attirer des fonds publicitaires, en ouvrant de nouveaux marchés aux professionnels du secteur. Car ces terres ne sont pas illimitées : tout comme le Bitcoin, elles reposent sur la blockchain, et sont des ressources rares. Si bien que le fonds d’investissement Grayscale Trust, spécialisé dans la cryptomonnaie, estime que le marché du métavers représente un potentiel global d’un trillion de dollars. Mille milliards de dollars, 755 milliards d’euros… Aucun marché n’en promet autant. Mais est-ce seulement crédible ?

En décembre 2021, un centre commercial a également été vendu pour une somme folle : 4,3 millions de dollars, par l’entreprise Republic Realm, dans le métavers The Sandbox

Régulation

Comme le rappelle le chercheur Michel Beaudoin-Lafon, professeur d’informatique et membre de l’Institut universitaire de France, « l’impact du métavers est réel sur notre santé et sur notre portefeuille » [à ce sujert, lire son interview dans ce dossier spécial — NDLR]. Face au risque de bulle spéculative, de manipulations et d’arnaques, mais aussi de troubles pour la santé, tant physiques que mentaux, des questions se posent, et elles méritent que les pouvoirs publics se penchent sur la question. À Monaco, Frédéric Genta, délégué interministériel chargé de la transition numérique pour le gouvernement monégasque, va dans ce sens. Il estime que le métavers peut apporter de véritables possibilités de développement pour la principauté. Même chose pour le président de la commission du Conseil national pour le développement du numérique, Franck Julien, qui estime que l’État a un rôle à jouer dans le métavers, notamment en créant un « jumeau numérique » de la principauté [à ce sujet, lire son interview dans ce dossier spécial — NDR]. Il paraît nécessaire également de légiférer, pour tenter d’encadrer et de réguler l’utilisation de cette technologie, tant les enjeux financiers sont grands. Ce devrait être le cas en 2022. La principauté est consciente du potentiel économique du métavers. Il ne faudra pas pour autant occulter les problématiques sociétales et de santé publique.

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