jeudi 18 avril 2024
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Guillaume Moreau : « Avec le métavers, des questions de responsabilité, d’éthique, et de santé se posent »

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Qu’est-ce que le métavers ? Quelles perspectives, mais aussi quelles problématiques, soulèvent ces mondes virtuels ? Visite guidée avec Guillaume Moreau, professeur d’informatique à l’IMT Atlantique, et chercheur au laboratoire des sciences et techniques de l’information, de la communication et de la connaissance (Lab-Sticc).

Qu’est-ce que le métavers ?

Par « réalité virtuelle », on entend être immergé dans une expérience créée par des artefacts techniques. C’est-à-dire un monde purement synthétique et numérique. Si on prend l’exemple d’un simulateur de vol, on est plongé dans un monde artificiel, puisqu’on est dans un avion qui n’en est pas un, qui vole dans un décor synthétique qui reproduit plus ou moins la réalité. Ce qui est important dans cette expérience, c’est que l’on y fait quelque chose.

C’est-à-dire ?

Dans la réalité virtuelle, il y a deux mots-clés : « immersion », parce que je me sens présent dedans. Et « interaction », parce que je fais quelque chose, et mes actions ont un effet immédiat. On peut opposer ça au cinéma, où, même si on est immergé dans le monde imaginaire du film, on ne peut pas agir sur ce qui se déroule à l’écran.

Il y a un métavers ou des métavers ?

Il existe déjà plusieurs métavers. Aujourd’hui, les mondes virtuels les plus répandus sont ceux des jeux vidéo. Le jeu vidéo Minecraft est une sorte de métavers : on interagit avec les autres, nos actions ont des effets, et on peut y jouer devant un écran ou en réalité virtuelle. Et enfin, il y a une dimension liée à la monétisation. Dans Minecraft, il y a potentiellement plusieurs univers virtuels, en fonction du niveau des joueurs, de leur volonté d’être ensemble ou les uns contre les autres…

Quelle est la vision du métavers portée par Meta, l’entreprise américaine de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook ?

La vision Facebook du métavers est à la fois plus large et plus restrictive. Elle est plus large parce que, a priori, elle concerne toutes les actions de la vie quotidienne. Et pas des applications dédiées, comme on pourrait avoir en chirurgie, en simulation de vol, ou en conception de sous-marins nucléaires. Donc, potentiellement, Facebook s’adresse à l’ensemble de la planète. Cette vision est aussi plus restrictive, puisqu’on parle d’immersion grâce à un casque que chacun aurait chez lui. Or, dans la réalité virtuelle on peut avoir des mécanismes d’immersion collective. La grosse nouveauté, que l’on a très peu dans les mondes virtuels aujourd’hui, c’est la monétisation. Facebook est là pour gagner de l’argent avec le métavers. Ce qui est légitime, car Facebook est une entreprise commerciale.

« Au début, il y aura probablement beaucoup de métavers. Puis, au bout d’un moment, les gros mangeront les petits, ou les meilleurs avaleront les moins bons. À un moment donné, il y aura un phénomène de concentration »

Ces différends métavers peuvent être interconnectés les uns aux autres ?

On peut imaginer que les différents métavers soient interconnectés. Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas. À ce jour, il n’existe pas de standard d’interaction défini. Des acteurs de poids, comme Microsoft ou Facebook, peuvent imposer des choix qui ne sont pas standards, mais qui, de fait, deviennent le standard. Au début, il y aura probablement beaucoup de métavers. Puis, au bout d’un moment, les gros mangeront les petits, ou les meilleurs avaleront les moins bons. À un moment donné, il y aura un phénomène de concentration.

Quelle est la différence entre la réalité virtuelle du métavers et la réalité augmentée ?

La théorie de Stanley Milgram (1933-1984) dit qu’entre la réalité purement réelle et la réalité totalement synthétique de la réalité virtuelle, il y a un continuum. Dans ce continuum, on trouve la réalité augmentée, où on mélange du réel et du virtuel. C’est, par exemple, quand on regarde un match de football à la télévision, et que l’on ajoute à l’écran la ligne de hors-jeu, la vitesse du ballon, le score… Bref, des informations de synthèse. On peut faire la même chose dans la rue. On voit la réalité dans laquelle nous sommes, et des informations de synthèse viennent s’ajouter à cette réalité. La réalité augmentée, c’est ça.

Le Deuxième Monde a été lancé par Canal+ Multimédia en 1997, avant de fermer en 2001 : qu’est-ce qui n’a pas fonctionné avec ce monde virtuel ?

À l’époque, la technologie n’était pas au point. Ce qui a fondamentalement changé depuis 1997, c’est l’apparition de casques de réalité virtuelle performants, et à peu près grand public. Dans le monde professionnel, nous avions des casques de ce genre, mais, à l’époque, ils coûtaient entre 50 000 et 100 000 euros pièce. Aujourd’hui, on est parvenu à proposer la même chose pour 300 euros. De plus, les cartes graphiques ont évolué. Elles sont des dizaines de millions de fois plus puissantes qu’à la fin des années 1990, et cela, pour le même prix.

Qu’est-ce qui a été décisif pour expliquer les progrès des casques de réalité virtuelle ?

Les casques de réalité virtuelle ont évolué grâce au marché des téléphones portables. Parce que finalement, un casque Oculus Rift, c’est un écran de téléphone portable collé dans un masque de ski, avec un système optique qui permet de converger, et de voir à cette distance-là.

Après Le Deuxième Monde, un autre monde virtuel, Second Life, a été lancé par l’entreprise américaine Linden Lab en 2003 : ce monde virtuel existe toujours aujourd’hui, mais il est à la peine, parce que Linden Lab a eu raison trop tôt ?

C’est possible. Le problème de Second Life, c’est qu’il s’agit d’un environnement qui n’a pas d’objectifs. Ce monde virtuel a d’abord été conçu pour se promener, et rencontrer des gens, sans but particulier. En 2003, il n’y avait pas les réseaux sociaux, comme Facebook [Facebook a été lancé le 4 février 2004 — NDLR] ou Twitter [Twitter a été lancé le 21 mars 2006 — NDLR], par exemple. Du coup, ce besoin, ou cette envie, de rencontrer des gens dans un monde artificiel n’était peut-être pas aussi prégnant qu’il ne l’est aujourd’hui. Surtout, après deux ans de pandémie de Covid-19, avec plusieurs confinements.

« L’agence de la sécurité sanitaire en France, a réuni un groupe d’expert sur les conséquences sanitaires de la réalité virtuelle. Nous avons travaillé de façon pluridisciplinaire sur les conséquences physiologiques et comportementales »

Le métavers, c’est vraiment innovant ?

Le métavers est essentiellement innovant dans sa monétisation. La véritable innovation, c’est la généralisation du modèle économique du jeu vidéo, avec le développement de tout ce qui peut permettre de gagner de l’argent après l’achat du jeu. C’est la première fois que l’on voit différents acteurs tenter de gagner de l’argent dans des mondes virtuels. Auparavant, ces mondes étaient fermés. Quand Airbus fait de la réalité virtuelle pour concevoir un avion ou pour former les agents de maintenance, c’est pour gagner de l’argent sur la formation ou sur la conception, mais pas avec le grand public.

Et le casque de réalité virtuelle ?

Pour le casque de réalité virtuelle, l’innovation a été faite avant [en 1968 (1) — NDLR]. Toujours d’un point de vue technique, le métavers nécessite des réseaux et des serveurs de qualité.

Economie, politique, culture, sport, socialisation… On pourra vraiment tout faire et tout imaginer dans le métavers ?

Cette question est à cheval entre la technologie et la société. Il y a une question d’efficacité qui se pose. Par exemple, je ne vais pas utiliser le métavers pour aller jusqu’à la gare pour acheter mon billet de train, car il est plus simple de l’acheter sur le site Internet de la SNCF. L’interface du métavers n’a une utilité que dans certains cas.

Le métavers mise sur une immersion totale : quels effets pourraient avoir le métavers sur la santé mentale, et notamment sur les personnes qui présentent déjà une fragilité psychologique ou physiologique ?

Le métavers a des conséquences sanitaires. D’ailleurs, l’agence de la sécurité sanitaire en France a réuni un groupe d’expert sur les conséquences sanitaires de la réalité virtuelle. Nous avons travaillé de façon pluridisciplinaire sur les conséquences physiologiques et comportementales. Aujourd’hui, des questions de responsabilité, d’éthique, et de santé se posent. Une prévalence de la myopie de l’ordre de 95 % chez les adolescents a été détectée en Chine. Les yeux se reposent quand on regarde loin. Or, avec la pandémie de Covid-19, on a formé une génération d’intérieur, avec des gens qui ont en permanence les yeux sur un écran. Et c’est mauvais pour la santé.

Le métavers pose aussi des questions d’ordre éthique ?

Du point de vue éthique et de la responsabilité, le métavers pose des questions. Si on achète quelque chose dans un monde virtuel et qu’on est victime d’un vol, que signifie la notion de vol dans cet univers ? La question de la responsabilité est donc posée.

Et du point de vue de l’éthique ?

Du point de vue de l’éthique, l’exposition à un monde virtuel permet de modifier le comportement des gens. Cet outil est d’ailleurs utilisé en médecine, notamment dans le traitement des phobies. Une exposition progressive à la chose dont on a peur est possible par la réalité virtuelle, car on contrôle à 100 % les conditions de l’expérience. Avec le métavers, on parvient donc à faire changer les comportements. Une autre expérience a montré qu’à moyen terme, on arrive à diminuer les préjugés racistes et sexistes. La question inverse, consiste à se demander si, avec un monde virtuel, on peut rendre quelqu’un raciste et sexiste.

Si on peut agir dans un sens, peut-on le faire dans l’autre sens ?

La réponse n’est pas évidente. J’imagine mal un comité d’éthique valider un projet qui consisterait à vérifier si on peut rendre quelqu’un raciste et sexiste. Il y a donc un flou artistique sur ce qu’il est possible ou pas de faire dans le métavers. Mais il faut rappeler que ni la littérature, ni le cinéma, et ni les jeux vidéo n’encouragent le passage à des actes violents, sauf chez des gens qui sont notoirement déséquilibrés. L’expérience montre que ce n’est pas parce que l’on tue la moitié de la planète dans un jeu vidéo qu’on va faire la même chose en réalité. Sauf si l’on est prédisposé au passage à l’acte, si on est sociopathe, par exemple.

« Du point de vue de l’éthique, l’exposition à un monde virtuel permet de modifier le comportement des gens. Cet outil est d’ailleurs utilisé en médecine, notamment dans le traitement des phobies »

Il y a aussi la problématique du harcèlement ?

La problématique du harcèlement vient du monde des jeux vidéo. Dans cet univers qui est presque exclusivement masculin, les filles se font parfois passer pour des garçons pour éviter d’être harcelées. Il arrive aussi que les forums de jeux vidéo soient problématiques. Inversement, on pourrait utiliser le métavers pour exposer des gens à des situations de harcèlement, pour leur faire prendre conscience de ce que c’est. Cela a été fait à Barcelone, où des hommes ont été incarnés dans des corps de femmes, ce qui leur a permis de vite comprendre que la situation du point de vue féminin peut rapidement devenir problématique.

Comme dans le métavers tout se passe en direct, il est quasi-impossible d’intervenir ?

L’avantage du monde virtuel, c’est qu’on peut toujours couper la connexion et sortir. Il n’y a pas de risque de viol physique. Mais on sait aussi que lorsqu’un adolescent subit une attaque en règle sur un réseau social, les conséquences peuvent être catastrophiques.

Comment est encadré le métavers d’un point de vue juridique ?

Que ce soit dans le métavers, dans les jeux vidéo, ou dans la réalité, les lois pour lutter contre le harcèlement existent déjà. La notion de preuve est presque plus facile à tracer dans le monde informatique que dans la rue, quand il n’y a pas de témoin. L’avantage de l’informatique, c’est que tout peut être enregistré.

Le risque d’addiction au métavers est réel ?

Selon le psychiatre et psychanalyste français Serge Tisseron, qui est un expert des usages des jeux vidéo, il n’existe aucune preuve fondée d’addiction aux jeux vidéo. Les Chinois ont une vision très différente. Ils envoient les gens qui passent trop d’heures devant des jeux vidéo dans des camps de rééducation. En tout cas, aucune étude ne prouve qu’il y a une addiction. Mais si une addiction existe, elle n’est pas physique. Ce n’est pas comparable à une drogue qui a un effet métabolique, ou au tabac ou à l’alcool.

Les libertés individuelles sont aussi questionnées par le métavers ?

Pour la question des libertés individuelles, aujourd’hui le métavers est du même ordre qu’un réseau social ou qu’un jeu vidéo.

Et pour les données personnelles ?

Actuellement [cette interview a été réalisée le 9 février 2022 — NDLR], Facebook menace de se retirer du marché européen si on le force à respecter le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Facebook gagne de l’argent grâce au partage et à la revente de données personnelles que les utilisateurs acceptent de leur donner, souvent sans lire le contrat de licence. Comme on dit, « si c’est gratuit, c’est que c’est vous qui êtes le produit ». Facebook et Google ne s’en cachent d’ailleurs pas.

« Une prévalence de la myopie de l’ordre de 95 % chez les adolescents a été détectée en Chine. Les yeux se reposent quand on regarde loin. Or, avec la pandémie de Covid-19, on a formé une génération d’intérieur, avec des gens qui ont en permanence les yeux sur un écran. Et c’est mauvais pour la santé »

Et Apple ?

Apple a un modèle différent, car, au départ, leur métier consiste à vendre du matériel informatique et des logiciels. Quand un logiciel est commercialisé sur l’App Store, Apple empoche 30 % du prix de vente. Donc Apple peut utiliser un modèle économique partiellement différent. Entre les ventes d’iPhones, de Mac, et leur App Store, Apple peut se permettre de se présenter en défenseur de la protection des données personnelles. De là à dire qu’ils le font réellement, je ne suis pas capable de le dire.

Le métavers semble dès le départ très orienté vers une finalité commerciale, loin de l’esprit libertaire qui existait au début d’Internet : cela pourrait-il changer ?

L’esprit libertaire et le business ne sont pas incompatibles. Paradoxalement, Google est l’une des entreprises dont l’un des objectifs affirmés est de sauvegarder les libertés individuelles, en diminuant le poids des États. Google et Apple s’opposent régulièrement à la réquisition des données par les gouvernements. Apple refuse de décrypter un iPhone sur requête judiciaire. Du coup, la réponse est plus subtile. Ces grandes entreprises ont pour objet de limiter le poids des États, parce que cela a aussi une vertu commerciale pour eux. Car encourager les États à légiférer, c’est aussi encourager les États à embêter les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) avec des lois antitrust, ou avec la question du traitement des données personnelles.

En Europe, alors que les compétences sont là, pourquoi les investissements dans la blockchain, la technologie de base pour créer le métavers, sont beaucoup plus faibles que les États-Unis et la Chine ?

Ce n’est pas qu’une question d’argent. Ce n’est pas parce qu’on a l’argent que l’on a les bonnes idées. Google n’est pas né des investissements. Comme Apple, Google est né dans un garage, avec des investissements externes proches de zéro. En Europe, on essaie d’investir dans des entreprises qui deviennent des licornes [une entreprise privée dont la valorisation atteint ou dépasse le milliard de dollars — NDLR]. Mais en Europe, on n’a surtout pas le droit à l’échec.

Pourquoi ?

L’une des grandes différences entre la culture américaine et française, c’est le rebond après l’échec. Le créateur d’Amazon, Jeff Bezos, ou le chef d’entreprise Elon Musk, ont échoué plusieurs fois. En France, en cas de faillite, on est interdit de gestion pendant 10 ans. Ce qui a des vertus, bien sûr. Par rapport aux États-Unis, c’est un choix de société qui est différent. En France, on aide les gens qui sont en difficulté, alors qu’aux États-Unis, c’est plutôt le modèle « marche ou crève ». Notre modèle social est une fierté, mais, en revanche, on a moins cet esprit d’entreprise. En termes d’entrepreneuriat, se remettre d’un échec dans le système français est quasi-impossible.

Il manque une mobilisation politique, à travers des commandes publiques ?

L’État français a créé des fonds souverains. La banque publique d’investissement fait aussi un gros travail, avec un budget conséquent, pour soutenir des projets de start-ups. On arrive à une espèce de bulle, que l’on a connu aux États-Unis, où le travail des start-ups est de lever des fonds, et pas de gagner de l’argent. Ce qui crée des objets totalement artificiels. Même si, bien sûr, il y a des exceptions.

Quelle place occupe la France aujourd’hui dans ce secteur des mondes virtuels ?

En France, un ensemble de chercheurs académiques travaille sur la réalité virtuelle au sens large, notamment sur ce que l’on comprend lorsqu’on est immergé dans un monde virtuel, en termes de perception. Des chercheurs développent des thérapies via la réalité virtuelle. D’autres chercheurs s’intéressent au fait de reproduire des êtres humains dans la réalité virtuelle, pendant que d’autres travaillent sur comment améliorer les performances des sportifs. Cette communauté académique française est importante, et elle est reconnue dans le monde entier.

Et au niveau industriel ?

Notre activité industrielle n’est pas négligeable, avec des intégrateurs de réalité virtuelle. Il y a des acteurs majeurs, comme Dassault System qui produit le logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO) le plus utilisé au monde, avec son module de réalité virtuelle. Là où on est moins fort, c’est dans le monde industriel de développement des usages de la réalité virtuelle.

« Une autre expérience a montré qu’à moyen terme, on arrive à diminuer les préjugés racistes et sexistes. La question inverse, consiste à se demander si, avec un monde virtuel, on peut rendre quelqu’un raciste et sexiste »

Le métavers, c’est la bonne réponse face aux pandémies ?

J’espère bien que non. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, le métavers est presque uniquement visuel et sonore. Les autres sens sont très peu sollicités. Aujourd’hui, la difficulté pour faire totalement croire en un monde virtuel, c’est que l’on n’a pas la combinaison de tous les sens. Des travaux sont en cours pour développer la technologie haptique, pour exploiter le sens du toucher. C’est plus ou moins maîtrisé, on arrive à faire certaines choses. En revanche, le retour d’effort qui consiste, par exemple, à faire sentir que l’on frappe dans une balle au tennis représente un sacré défi technique.

Pourquoi ?

Parce qu’en face de vous, il faut créer un robot qui va reproduire physiologiquement les mêmes sensations qu’au tennis. Pour un coup droit, le robot doit renvoyer l’énergie que l’on met pour simuler l’impression que l’on frappe dans une balle. On arrive donc aux limites de la physique. Car un robot qui a de la force, possède une inertie. Donc, plus le robot sera costaud, et plus il mettra du temps à réagir. Et on ne sait pas faire un robot suffisamment puissant et rapide. Il y a une contradiction physique. Ensuite, il faut être capable de concevoir le matériel capable de faire tout ça. Enfin, il reste un problème éthique et sécuritaire.

Lequel ?

Si on utilise un robot capable d’appliquer une force de 400 newtons, c’est-à-dire à peu près 40 kg, la loi impose de faire cela dans une cage, et à proximité d’un humain. Car en cas d’erreur de calcul, si le robot envoie non pas 400 newtons mais 4 000 newtons, et que cela arrive dans le visage de l’utilisateur plutôt que dans la raquette, cela peut être désastreux. Du coup, aujourd’hui, le retour d’effort existe sur des « petits efforts », et avec de petits matériels. Autre problème à régler : on sait l’appliquer en un point, et pas sur tout le corps.

C’est un gros défi technique ?

Pour avoir la sensation de toucher quelque chose de rigide, il faut que le système réagisse au plus tard en 1/1000ème de seconde. Il faut donc calculer la position de la main, la force de réaction pour chaque point de contact, et tout ça à 1 000 hertz, c’est-à-dire 1 000 fois par seconde. Alors qu’on calcule 24 à 25 images par seconde pour faire de l’immersion visuelle, il s’agit donc de choses plus complexes, qu’il faut calculer au moins 1 000 fois par seconde. Le défi technique est hallucinant.

« Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, le métavers est presque uniquement visuel et sonore. Les autres sens sont très peu sollicités. Aujourd’hui, la difficulté pour faire totalement croire en un monde virtuel, c’est que l’on n’a pas la combinaison de tous les sens. Des travaux sont en cours pour développer la technologie haptique, pour exploiter le sens du toucher »

Actuellement, on sait concevoir un robot capable de réagir 1 000 fois par seconde ?

Aujourd’hui, un robot équipé d’un moteur électrique ne peut pas réagir 1 000 fois par seconde par point de contact. Demain, on aura sans doute la puissance de calcul nécessaire. Mais la conception du robot, c’est un autre sujet. Pour être solide et puissant, un robot est lourd. S’il est lourd, il a donc de l’inertie. Et on ne sait pas faire un système à la fois puissant et léger. Ou alors, il faudra qu’un jour on soit capable d’imiter des fibres et des systèmes musculaires. Mais tant qu’on fonctionnera avec la robotique traditionnelle et des moteurs électriques, on n’y arrivera pas.

Comme certains experts, pensez-vous que le métavers sera un « enjeu de souveraineté et de civilisation » ?

Le métavers est un enjeu de civilisation et de société au même titre que les réseaux sociaux. Le métavers est une généralisation de la notion de réseau social : des gens interagissent à distance avec d’autres personnes qu’ils ne connaissent pas. Mais, au lieu de s’envoyer du texte et de l’image, on généralise le principe. Du coup, on retrouve les mêmes problèmes que sur les réseaux sociaux. Par exemple, sur les réseaux sociaux, le fait scientifique devient une opinion comme une autre. Il a le même poids que la parole de quelqu’un qui est suffisamment convaincu par ce qu’il raconte. L’un des enjeux de société est là. Cela existe déjà, mais le métavers risque de ne pas arranger les choses.

Désormais, l’acceptation de la technologie par les populations est assez forte pour imaginer l’implantation d’une puce installée en chacun de nous ?

C’est un débat biaisé. Certains pensent que le vaccin contre le Covid-19 permet d’injecter en chacun de nous une puce 5G. Ce qui n’empêche pas ces gens-là d’avoir une montre connectée et un smartphone, donc de la technologie placée au-dessus de la peau. Mais cette technologie en sait bien plus sur eux qu’une puce que l’on mettrait sous leur peau. Il faut penser d’abord au secteur de la santé, et à ce que la technologie sous la peau peut permettre de faire : dispositifs de stimulation de la moelle épinière, prothèses installées derrière la rétine…

Face au métavers, la réalité augmentée pourrait s’imposer, finalement ?

Concernant les usages, la réalité augmentée pourrait s’imposer devant le métavers. Mais sur la technologie, c’est moins évident. Car la réalité augmentée représente des challenges techniques monstrueux. D’ailleurs, même Google a retiré ses Google Glass, qui étaient un début de réalité augmentée. Car à chaque instant, il faut savoir très rapidement où l’on est, au millimètre près, dans quelle direction on regarde, et cela à moins d’un degré près. Et il y a aussi des problématiques liées à l’affichage. Mais le domaine d’application de la réalité augmentée est beaucoup plus intéressant que le métavers, parce qu’on peut l’imaginer dedans ou dehors.

Un exemple ?

Pendant l’été 2021, on a fait une manipulation clinique. Nous avons mis des casques de réalité augmentée sur des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. L’objectif était de les aider à se déplacer en ville. C’est une chose qu’ils ne peuvent plus faire, car la première chose que ces malades perdent, c’est la capacité d’orientation spatiale. Donc, la réalité augmentée permet d’envisager des sujets très intéressants du point de vue des usages et des applications, qui me paraissent moins dangereux que le métavers, notamment vis-à-vis d’une éventuelle désocialisation, par exemple. Parce qu’avec la réalité augmentée, on reste, en partie, dans le réel.

Pour lire la suite de notre dossier sur le métavers à Monaco, cliquez ici

1) Le premier casque de réalité virtuelle a été inventé en 1968 par Ivan Sutherland, un informaticien américain. Il s’agit de l’Ultimate Display, qui est aussi appelé l’« épée de Damoclès ».