jeudi 28 mars 2024
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Franck Julien : « Le métavers est un excellent moyen pour Monaco d’étendre son territoire »

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Le président de la commission du Conseil national pour le développement du numérique, Franck Julien, estime que l’État monégasque a un rôle à jouer dans le métavers. La création d’un « jumeau numérique » de la principauté dans les mondes virtuels est l’une des pistes avancées par cet élu de la majorité Priorité Monaco (Primo !).

Quel regard général portez-vous sur le métavers ?

Dans le domaine du numérique, le concept de métavers est le sujet du moment, à la mode. Ce n’est pas pour rien que la maison mère de Facebook a décidé de s’appeler Meta [Facebook a été rebaptisé Meta depuis le 28 octobre 2021 — NDLR]. Pour le grand public, le concept a été exposé par le film de Steven Spielberg, Ready Player One (2018). Pour autant, la question est de savoir si ce sera un phénomène durable dans le temps, ou un feu de paille.

Qu’en pensez-vous ?

Pour ma part, je pense que cela prendra certainement plus de temps que certains ne l’annoncent. Mais le fait que des acteurs majeurs du numérique s’y intéressent et investissent massivement, joue en faveur du développement de ce concept. Il y a 20 ans, Second Life [un monde virtuel lancé en 2003 par l’entreprise américaine Linden Lab — NDLR] avait été précurseur. Mais avoir raison trop tôt, surtout lorsque les technologies ne sont pas encore prêtes, est une cause d’échec.

Aujourd’hui, en 2022, tout a changé ?

Aujourd’hui le contexte est différent : les puissances de calcul sont présentes, les crypto-actifs et tout particulièrement les NFT [“non-fungible token”, jeton non fongible — NDLR], peuvent faciliter la mise en œuvre de modèles économiques viables. La fibre optique et la 5G permettent des débits compatibles avec les besoins d’un métavers de qualité, et les casques de réalité virtuelle sont légion. La situation a vraiment changé par rapport au début de Second Life. Autre facteur qui favorisera le développement du métavers : la généralisation des outils de vidéoconférence dans le domaine professionnel, depuis la crise du Covid-19. À titre d’illustration, Microsoft a clairement annoncé sa volonté de faire évoluer son application Teams vers un métavers plus immersif.

Quel rôle l’État monégasque peut-il jouer Monaco dans le métavers ?

Une idée comme une autre serait de créer un « jumeau numérique » de la principauté dans un métavers. L’État pourrait alors y imposer des règles de fonctionnement qui seraient compatibles avec l’éthique qui lui semble correspondre à l’image de Monaco.

Quelle stratégie monégasque faut-il développer pour le métavers ?

Le préalable à la réponse à cette question est d’effectuer une étude sérieuse sur le sujet. Il faut analyser de manière sectorielle les apports du métavers pour la principauté, évaluer les risques et les opportunités, et définir des priorités. Mais force est de reconnaître que les secteurs d’activité potentiellement concernés sont très nombreux : tourisme, immobilier, e-commerce, promotion touristique, développement de notoriété, jeux vidéo, évolution du système éducatif, développement d’outils collaboratifs de nouvelle génération, visites virtuelles de musées, etc.

Certains estiment que le potentiel économique du métavers pourrait se chiffrer, à terme, en milliers de milliards de dollars (1) : Monaco ne pourra donc pas en être absent ?

Depuis quelques années, notamment avec le lancement du programme Extended Monaco, la principauté reconnaît au numérique la place centrale qu’il doit jouer dans le développement économique. En décembre 2021, Bill Gates a prédit que les réunions de travail se feront principalement via le métavers d’ici deux à trois ans. Si le métavers se développe comme le croient aujourd’hui des acteurs majeurs du numérique, immanquablement Monaco adoptera le métavers.

© Photo Conseil National.

« Une idée comme une autre serait de créer un « jumeau numérique » de la principauté dans un métavers. L’État pourrait alors y imposer des règles de fonctionnement qui seraient compatibles avec l’éthique qui lui semble correspondre à l’image de Monaco »

Facebook, Roblox, Epic Games ou Microsoft investissent déjà massivement dans le métavers, avec pour objectif d’y occuper des positions dominantes : Monaco doit-il aussi investir dans le métavers, sous peine de laisser le train du métavers passer ?

Bien évidemment, Monaco ne doit pas investir dans le développement en tant que tel des technologies liées au métavers. Ce n’est pas le rôle de l’État d’être un centre de recherche et développement. Pour autant, des partenariats stratégiques avec des acteurs du secteur privé peuvent être menés pour favoriser son développement.

Quelles applications seraient possibles pour le monde professionnel monégasque dans le métavers ?

Elles sont très nombreuses. Tout d’abord, les métavers de nouvelle génération permettront des visites virtuelles très immersives. L’e-commerce, les musées, le tourisme, et l’immobilier pourront développer des nouveaux usages, dont certains pourront être très lucratifs. Le monde de la culture, à travers la vente de NFT d’œuvres, soit nativement numériques soit numérisées, pourra lui aussi en tirer profit. Je ne serais pas étonné qu’à l’avenir la vente d’œuvres physiques s’accompagne par les droits d’exploitation de ces mêmes œuvres dans des métavers. Ou pour le dire différemment, le fait d’acheter un tableau, vous donnera aussi le droit de l’exposer dans votre galerie métavers personnel. Ce même principe pourra aussi être exploité dans l’immobilier.

Et le secteur du luxe (2) ?

Le domaine du luxe est d’ores et déjà très à l’affût des usages qu’il pourra développer par les NFT et les métavers. Dans le domaine des jeux vidéo, de nouvelles générations de jeux massivement multijoueurs sortiront et créeront des opportunités incroyables pour ceux qui sauront les saisir.

En novembre 2021, plus de 100 millions de dollars ont été dépensés en une semaine pour des achats immobiliers sur les quatre principaux sites du métavers, à savoir The Sandbox, Decentraland, CryptoVoxels et Somnium Space : comment Monaco peut-il se positionner sur ce marché et ces différentes plateformes ?

Monaco peut se positionner soit en menant des partenariats stratégiques, soit en proposant un jumeau numérique en mode métavers, comme je l’indiquais précédemment. Mais, quoi qu’il en soit, il est de notre devoir de préparer un cadre législatif adéquat. Lors du débat sur le vote de la loi sur les activités financières, je suis longuement intervenu sur la nécessité de mettre un cadre aux activités liés au crypto-actifs. Et nous sommes en plein dans le sujet. Métavers et crypto-actifs sont étroitement liés sur certaines plateformes qui se servent des NFT pour l’acquisition d’objets virtuels et de jetons pour l’acquisition de « terrains numériques ».

Quelle est votre position ?

Pour cette raison, j’ai indiqué qu’en l’absence d’un dépôt par le gouvernement d’un projet de loi sur les prestataires de service sur crypto-actifs, qu’il s’est engagé à déposer au cours de ce premier trimestre 2022, je me servirai du projet de loi n° 995 relatif à la technologie blockchain pour proposer un cadre adéquat. Par ailleurs, d’autres sujets devront être abordés dans ce texte, notamment pour modifier la loi sur les offres de jetons qui est devenu, bien que voté récemment, obsolète. À titre d’illustration, la récente annonce de l’AS Monaco d’émettre un jeton « fan-club » nécessiterait, en l’état, un processus de labélisation qui semble peu adéquat.

« Monaco ne doit pas investir dans le développement en tant que tel des technologies liées au métavers. Ce n’est pas le rôle de l’État d’être un centre de recherche et développement. Pour autant, des partenariats stratégiques avec des acteurs du secteur privé peuvent être menés, pour favoriser son développement »

Dans le métavers, les terrains numériques sont des actifs financiers sur lesquels on peut construire, louer, ou vendre : est-ce le moyen pour Monaco de contourner l’étroitesse de son territoire de seulement 2 km2 ?

Tout comme le numérique d’une manière générale, le métavers est un excellent moyen pour Monaco d’étendre son territoire. Le prince souverain l’avait d’ailleurs indiqué lors du lancement du programme Extended Monaco. Je le cite : « Monaco dans un monde numérique, c’est l’opportunité d’entamer un nouveau cycle de prospérité, en dynamisant nos zones d’excellence économique, mais aussi en créant de nouveaux relais de croissance, notamment par la possibilité inédite qui nous est offerte de nous affranchir de nos limites territoriales. » Et de toute évidence, il est plus facile de construire une extension en mer dans un métavers, que sur les eaux territoriales monégasques…

Grâce à la blockchain, la propriété numérique est une réalité, et l’historique des propriétaires peut être consulté : ce sont aussi des droits de mutation virtuels qui échapperont nécessairement aux États en général, et à l’État monégasque en particulier ?

Il paraît difficile d’imposer des droits de mutation sur des biens virtuels. Sauf à ce que ces biens virtuels soient un jumeau numérique de la principauté dont l’exploitation serait déléguée à un prestataire privé, avec une sorte de délégation de service public. Dans ce cas, afin de compenser l’utilisation de la notoriété de Monaco, l’État pourrait imposer à ce prestataire de mettre en œuvre des droits de mutation.

À terme, plus globalement, à quoi pourrait ressembler le métavers monégasque ?

Pour moi, il est clair qu’il n’y aura pas un métavers monégasque, mais des métavers monégasques. Et, plus globalement, des métavers transnationaux, dont certains seront utilisés en principauté. En fonction des cas d’usage, il y aura forcément des spécialisations. Monaco, les entreprises monégasques, les particuliers, feront appel à des fournisseurs technologiques différents. Il m’est donc impossible de répondre à cette question.

Faut-il craindre que le métavers débouche sur l’isolement des individus dans un monde virtuel ?

C’est effectivement un risque. La crise du Covid-19, notamment lors des confinements, a eu des répercussions psychologiques plus ou moins importantes sur les individus. Bon nombre d’employés refusent le télétravail, ou souhaitent limiter le nombre de jours par semaine, indiquant que l’interaction directe avec les collègues de travail est importante. A contrario, certains disent qu’un des objectifs des métavers est de rendre l’expérience du travail à distance beaucoup plus immersive, et donc plus conviviale. Mais il semble primordial de protéger les adolescents qui semblent particulièrement sensibles aux addictions que peuvent entraîner les outils numériques.

Pour revenir au début de notre dossier sur le métavers à Monaco, cliquez ici

1) Bloomberg a récemment estimé que le métavers pourrait générer 800 milliards de dollars de revenus dès 2024.

2) La maison de couture de luxe française Balenciaga a proposé des looks virtuels sur le jeu Fortnite. Fin 2021, cette entreprise dirigée par Cédric Charbit a fait savoir qu’une réflexion avait débuté concernant le lancement d’une division centrée sur l’exploration du potentiel des mondes virtuels.