mercredi 24 avril 2024
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Eau potable : la « guerre »

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Entre pénurie, pollutions et graves inondations, l’organisation mondiale de météorologie (OMM), des Nations Unies, sonne l’alerte sur la « crise mondiale de l’eau ». Son dernier rapport, publié le 5 octobre 2021, révèle qu’un quart de la population mondiale est frappée par cette crise. Face aux bouleversements présents et à venir, Monaco a un rôle à jouer.

En principauté, l’eau potable est à portée de robinet. Difficile de s’imaginer que sa ressource tarit sérieusement, et pourtant. La « crise de l’eau », comme l’a encore récemment qualifiée en décembre dernier Maxx Dilley, directeur de l’agence météorologique des Nations Unies, est une réalité. Cette crise, qui guettait hier, est aujourd’hui ancrée comme un phénomène concret, contre lequel il faut lutter, et non plus se préparer. Selon cette organisation internationale, il s’agit là d’une réalité globale, tant internationale que locale. L’été 2021 l’a particulièrement illustré à l’échelle mondiale, entre pénuries et longs épisodes de sécheresse, mais aussi entre inondations et catastrophes naturelles liées aux dérèglements environnementaux.

17 pays en pénurie grave

La « guerre de l’eau » a déjà commencé. Notamment sur le bassin du Nil, où les tensions s’exacerbent entre les pays limitrophes, Égypte, Soudan et Éthiopie notamment, qui s’appuient sur la richesse de ce fleuve pour nourrir leurs populations. Mais ce n’est pas tout : selon la cellule de recherche américaine indépendante World Resources Institute (WRI), 17 pays — soit un quart de la population mondiale — sont actuellement en situation de pénurie hydrique grave, et menacés du « jour zéro », qui correspond à la date où plus aucune goutte d’eau douce ne sera accessible. Tous ces pays ne sont d’ailleurs pas forcément des pays pauvres ou en voie de développement (1). Un cran en-dessous, d’autres pays sont classés par WRI comme étant en « stress hydrique », comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, et la Belgique en Europe. Pendant l’été 2021, certains villages corses ont même dû contraindre les foyers à d’importantes restrictions en eau potable, tant le manque s’est fait subir sous les coups de longs épisodes de sécheresse. On était encore loin des situations rencontrées dans certains pays du Moyen-Orient, comme l’Iran, où des vagues de protestations ont réuni des dizaines de milliers de personnes réclamant le « retour de l’eau », dans la province du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays. Mais la tendance est marquée : « Cette situation sera encore aggravée par les grands bouleversements mondiaux, comme le Covid-19 ou le changement climatique », prévient même Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, ajoutant que « l’eau n’est pas seulement un vecteur de développement, mais aussi un droit humain fondamental ».

Selon la cellule de recherche américaine indépendante World Resources Institute (WRI), 17 pays — soit un quart de la population mondiale — sont actuellement en situation de pénurie hydrique grave et menacés du « jour zéro »

Deux milliards de personnes

Toutes les régions du monde ne sont pas égales face au manque d’eau douce et potable, et les zones les plus pauvres du globe demeurent tout de même les plus touchées. Selon le rapport 2021 de l’ONU sur les ressources mondiales en eau, intitulé La valeur de l’eau, plus d’un quart de la population mondiale vit dans des régions où l’eau risque de devenir rare. Concrètement, cela concerne 1,9 milliard de personnes, dont 73 % se trouvent en Asie. Et, toujours selon ce dernier rapport de l’ONU, le huitième depuis son lancement, ce nombre doit être multiplié par deux, si l’on prend en compte les personnes risquant de manquer d’eau un mois par an, au moins. Sans compter que, d’ici à 2050, la consommation en eau pourrait augmenter de 20 à 50 %. Le nombre d’habitants frappés par le manque d’eau passerait alors à 3,2 milliards, ou même 5,7 milliards selon les variations saisonnières. Des chiffres éloquents. Cette hausse pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le continent africain et le continent asiatique, mais pas seulement. Selon les Nations Unies, des pays comme l’Australie, l’Italie, l’Espagne et même les États-Unis pourraient également connaître de graves pénuries d’eau. En Californie, les nappes phréatiques sont déjà exploitées mais ne se remplissent pas aussi vite qu’elles sont vidées. Résultat : les sols commencent à s’affaisser.

Migrations et conflits

Après les conclusions plutôt préoccupantes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rendues pendant l’été 2021, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations Unies en a rajouté une couche, en dressant un constat accablant de la situation hydrique dans le monde. Selon elle, la situation n’a cessé de se détériorer depuis ses vingt dernières années. En effet, le stock d’eau à la surface des terres, et dans les sous-sols, comme la neige et la glace, a diminué d’un centimètre par an sur cette période : « Les pertes les plus importantes se produisent en Antarctique et au Groenland. Mais de nombreuses zones très peuplées situées à des latitudes plus basses connaissent des pertes significatives dans des endroits qui assurent habituellement un approvisionnement en eau, ce qui a des conséquences majeures pour la sécurité hydrique », écrit ainsi l’OMM. Problème : l’eau douce utilisable et disponible ne représenterait que 0,5 % de l’eau présente sur le globe selon l’organisation météorologique. Et la hausse depuis vingt ans des phénomènes climatiques extrêmes, en raison des bouleversements climatiques, ne ferait qu’aggraver les choses. En effet, selon le rapport annuel de la Banque mondiale en 2016, l’institution financière internationale estimait que la pénurie d’eau, exacerbée par le changement climatique, pourrait entraîner dans certaines régions du monde une baisse du PIB pouvant atteindre 6 %, déclenchant par la suite des mouvements migratoires et des conflits.

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D’ici à 2050, la consommation en eau pourrait augmenter de 20 à 50 %. Le nombre d’habitants frappés par le manque d’eau passerait alors à 3,2 milliards, ou même 5,7 milliards selon les variations saisonnières

La consommation d’eau accélère

La crise est amplifiée par le fait que la consommation mondiale d’eau est six fois plus importante qu’il y a un siècle, selon l’OMM, sachant qu’elle devrait encore augmenter de 20 à 50 %, d’ici à 2050. Cette hausse de la consommation s’expliquerait selon l’organisation des Nations Unies par trois raisons : la démographie, la prospérité des pays les mieux développés, et le changement climatique. La population mondiale augmente en effet, et devrait passer d’un peu moins de 8 milliards d’individus aujourd’hui à 10 milliards en 2050. Cet accroissement devrait concerner principalement l’Asie et l’Afrique, deux continents qui manquent déjà d’eau. En ce qui concerne le réchauffement climatique, les experts du GIEC ont récemment rappelé que les zones sèches deviendront plus sèches, et les zones humides plus humides. La répartition de l’eau, déjà inégale, risque alors de devenir encore plus irrégulière. Selon l’OMM, neuf pays possèdent 60 % des ressources disponibles. Or la Chine et l’Inde, ne disposent que de 11 % de l’eau douce terrestre alors que ces deux pays représentent 36 % de la population mondiale. Fortement dépendante des précipitations, comme la mousson d’Asie du sud-est, l’irrégularité des périodes de pluies risque de mettre à mal leur développement. Comme le rappelait la Banque mondiale dans son rapport, une augmentation moyenne de 1,5 °C des températures accroîtrait de 4 % la proportion de la population touchée par des pénuries d’eau. Avec une hausse de 2 °C des températures, les débits des cours d’eau pourraient diminuer de 10 à 30 % dans la région méditerranéenne.

Un problème de gestion

Le problème fondamental de la crise de l’eau ne tient pourtant pas à la ressource elle-même, mais à sa gestion. Selon l’OMM, le niveau d’eau disponible devrait rester raisonnablement stable et son accès ne devrait pas poser de problèmes techniques, au contraire. Il convient plutôt aux politiques de résister aux « pressions économiques et culturelles » qui perpétueraient un mauvais usage de l’eau. Et donc, d’augmenter les investissements durables sur la question, et mettant en place par exemple des « services climatologiques destinés au secteur de l’eau et des systèmes d’alerte précoce de bout en bout. » Les auteurs du dernier rapport de l’OMM jugent même que « la gestion, la surveillance, les prévisions et les alertes précoces dans le domaine de l’eau sont parcellaires et inadaptées, tandis que les financements alloués au niveau mondial à l’action climatique restent insuffisants » Dans ce contexte, il semble nécessaire que la mobilisation s’élargisse. Il n’appartient pas en effet qu’aux pouvoirs publics d’intervenir. Des entreprises privées, des acteurs financiers, et même des personnalités médiatiques et sportives se mobilisent pour améliorer l’accès à l’eau potable dans les régions les plus vulnérables du monde. Car les conclusions de l’OMM sont claires : « Il faut agir de toute urgence pour améliorer la gestion coopérative de l’eau, et adopter des politiques coordonnées sur l’eau et le climat. » Mais ça ne coule pas toujours de source.

1) Selon WRI, les 17 pays en pénurie hydrique grave sont le Qatar, Israël, le Liban, l’Iran, la Jordanie, la Libye, le Koweït, l’Arabie Saoudite, l’Érythrée, les Émirats Arabes Unis, Saint Marin, le Bahreïn, l’Inde, le Pakistan, le Turkmenistan, Oman, et le Botswana.

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