jeudi 8 juin 2023
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Julien Jalouzet : « Je ne sais pas s’il est possible de passer devant le PSG »

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Alors que l’AS Monaco poursuit sa remontée au classement de Ligue 1 après sa victoire contre Montpellier à domicile vendredi 14 février (1-0),

le club grimpe aussi au classement européen des équipes les plus suivies sur les réseaux sociaux. En atteignant la barre symbolique des 10 millions de fans en novembre 2019, l’ASM a en effet intégré le top 20 européen. Une belle performance pour le club princier qui n’entend pas en rester là, comme l’explique à Monaco Hebdo Julien Jalouzet, responsable du service digital de l’ASM. Interview.

Vous venez du PSG, où vous étiez en charge de la stratégie social media du club : pourquoi avoir rejoint Monaco ?

Monaco est un club qui m’intéressait beaucoup d’un point de vue digital. Le stade Louis II est un petit stade qui n’est pas toujours rempli pour des raisons structurelles liées au bassin de population, à la proximité de Nice et de l’Italie. L’ASM est une très belle marque de football, un club avec un palmarès incroyable, qui a toujours « performé ». Je me suis dit qu’il y avait de belles opportunités en digital à Monaco pour ces raisons. Monaco pourrait être quasiment le club le plus digital au monde, puisqu’il y a très peu de fans du club qui sont à Monaco. Il fallait donc utiliser le digital. L’autre avantage, c’est que Monaco est une marque mondiale. Monaco est un nom qui parle dans le monde entier, comme Paris.

Quel état des lieux avez-vous fait lors de votre arrivée ?

J’avais vu qu’un très bon boulot avait été fait sur le digital depuis l’arrivée des nouveaux propriétaires. Il y avait déjà eu un axe fort, et l’idée était d’accélérer avec ma venue.

Quels sont les réseaux sociaux sur lesquels le club est présent ?

Nous sommes présents sur Facebook, Twitter, Instagram, TikTok qui est une nouvelle plateforme que nous avons lancée en février 2019. Nous sommes aussi sur des plateformes chinoises, comme Weibo ou Toutiao, et russe sur VKontakte, qui est le Facebook russe.

Quel est aujourd’hui le nombre d’abonnés et qui sont vos fans ?

Nous avons passé les 10 millions d’abonnés. Plus de 90 % de nos fans sont à l’étranger, plutôt des hommes entre 18 et 35 ans. Cela est assez variable selon les pays. Assez étonnamment, nos followers [fans qui suivent le club sur les réseaux sociaux – N.D.L.R.] en Chine sont un peu plus âgés que les autres, peut-être pour le côté historique. Mais d’une manière générale, il s’agit d’hommes âgés de 18-35 ans à l’étranger.

La France et Monaco ne représentent que 10 % de votre trafic, et pourtant, l’ASM est particulièrement suivie lors des rencontres à l’extérieur : pourquoi ce paradoxe ?

On a, en gros, un million de fans en France, ce qui est beaucoup. Mais cela signifie que notre potentiel est à l’international. Je ne le vois pas comme « on a peu de fans en France » parce qu’au Paris Saint-Germain (PSG), c’est la même chose. Le club qui aurait le plus de fans en France serait peut-être l’Olympique de Marseille (OM). Nous, notre développement est beaucoup plus fort à l’international. De par la marque Monaco, de par le palmarès du club et notamment la Champions League. Même si nous ne la jouons pas cette année, nous l’avons jouée beaucoup d’années et cela amène énormément de fans à l’international.

« Il y a un problème structurel sur la billetterie à Monaco, qui a un bassin de population trop petit. Et même si on avait 100 millions de fans sur les réseaux sociaux, ça ne changerait rien »

Vous utilisez beaucoup l’image de la principauté sur vos réseaux sociaux : cela attire beaucoup les fans internationaux ?

Tout à fait, et Instagram est un bon exemple. C’est un réseau très visuel, plus qualitatif que les autres en termes de contenus, à mon avis. On met beaucoup de photos de Monaco sur notre compte, des photos de la fête nationale, de la mer, des montagnes… Ce sont des choses qui marchent extrêmement bien. Beaucoup de gens nous suivent sur Instagram, car on s’appelle Monaco et ils veulent voir des belles photos de Monaco en plus du foot. Contrairement à l’OM, si on suit Marseille sur Instagram, c’est vraiment parce qu’on aime l’OM. Je ne pense pas que leurs followers [abonnés sur les réseaux Instagram ou Twitter — N.D.L.R.] soient passionnés par le fait de voir des photos de la ville de Marseille. En revanche, Monaco est une marque qui intéresse énormément de monde, qui fait rêver le monde entier, et les gens ont envie de nous suivre pour ça.

Quels sont les réseaux sociaux qui fonctionnent le mieux pour l’ASM ?

Instagram fonctionne très bien. Actuellement, Facebook marche très bien sur la partie vidéo. Et sur Twitter, notre compte principal fonctionne bien, mais ce n’est pas celui qui marche le mieux. En revanche, pour les comptes Twitter locaux en anglais, en espagnol, en portugais et maintenant en arabe, les taux d’engagement sont excellents.

Proposer des contenus en langues étrangères répond à une demande ?

Faire de l’anglais était la première chose pour être international. Ensuite, il y a eu un gros “push” sur l’Amérique du Sud au moment où Monaco avait des joueurs comme Falcao, James… C’est la raison pour laquelle on a ouvert les comptes espagnols et portugais. Le portugais a principalement été créé pour toucher le Brésil et le Portugal, car on avait un coach portugais [Leonardo Jardim – N.D.L.R.] et des joueurs portugais [Adrien Silva, Gelson Martins, Bernardo Silva et Rony Lopes précédemment – N.D.L.R.]. La création des comptes en langue arable est aussi liée à l’arrivée et aux performances de Slimani. On commençait à avoir des commentaires en arabe de followers qui venaient d’Algérie. On s’est donc dit que c’était le bon moment pour leur proposer du contenu dédié [des comptes Twitter et Facebook en langue arabe ont été lancés en novembre dernier – N.D.L.R.]. La réflexion a été la même il y a un an quand on a ouvert des comptes en Russie au moment de l’arrivée de Golovin. Quand on a un bon joueur étranger, comme actuellement avec Slimani, c’est le bon moment pour capitaliser dessus. L’idée est de créer de l’engagement et du contenu pour ces personnes, très centré sur Slimani parce que c’est ce qu’elles veulent mais pas que.

Et que se passe-t-il le jour où le joueur quitte le club ?

On sait qu’un joueur ne reste pas éternellement dans un club. Mais le jour où ce joueur part, il faut qu’on ait assez bien travaillé pour que ces gens continuent de suivre l’AS Monaco, et se disent « certes, il n’y a plus Slimani, mais j’aime bien cette équipe ». C’est le gros challenge. Cela peut effectivement s’essouffler en cas de départ du joueur. Mais il y a peu de chance qu’on perde des fans, parce que les gens suivent. En revanche, sans doute que les taux d’engagement baisseront. Il peut donc, potentiellement, y avoir un essoufflement, mais l’objectif, c’est qu’ils restent engagés en faisant en sorte qu’ils restent attachés au-delà du joueur.

Le contenu partagé sur les pages en langues étrangères est identique à celui partagé sur les pages françaises, ou vous adaptez le contenu à la cible ?

On n’est pas parfait. Mon objectif, c’est le zéro traduction. C’est-à-dire qu’un contenu ne devrait jamais se retrouver sur les différentes langues. Aujourd’hui, on le fait un peu, on est sur du 50-50, et on a pour objectif d’être à 100 %. Je voudrais, par exemple, que tout ce qui est sur le compte arabe ne soit que sur le compte arabe. Même chose pour l’espagnol, pour le portugais… C’est un long processus, mais on avance.

« Je ne sais pas s’il est possible de passer devant le PSG, je pense qu’il faut toujours rester un peu modeste, en tout cas nous sur le digital »

Les personnes qui gèrent ces pages sont à Monaco ?

Non, on a des personnes qui vivent dans les pays concernés. La personne qui gère notre compte portugais est au Brésil. Celui qui gère le compte en espagnol est en Colombie. Celui qui gère le compte arabe est en Algérie. Eux nous font remonter des choses qui se passent dans leur pays pour qu’on en parle, qu’on fasse un visuel… et donc on crée ce contenu. Et ce contenu est introuvable sur nos comptes français. On pense qu’il est difficile pour une personne qui n’est pas dans le pays d’avoir la sensibilité, même si on trouve une personne bilingue.

Disposez-vous de données chiffrées concernant les plateformes russes et chinoises ?

Oui, en Chine on a un peu plus de 600 000 fans. Et en Russie, un peu plus de 60 000. La création de ces comptes est assez récente. Les réseaux chinois ont été ouverts à l’occasion du trophée des champions que Monaco a joué en août 2018. Et le réseau social russe a été ouvert au moment de l’arrivée de Golovin [le joueur a rejoint la principauté en juillet 2018 – N.D.L.R.].

Les propriétaires du club sont russes : l’ASM est-elle particulièrement suivie là-bas ?

En Russie, nous avons des très bons taux d’engagement. Golovin est une méga star en Russie, c’est Zidane là-bas. Ça va être la tête d’affiche de l’Euro, il vient de se faire sponsoriser par Gillette… Les gens sont donc en demande permanente de contenus. Après chaque match par exemple, on fait un résumé de trois minutes du match, qui n’est concentré que sur Golovin, et que l’on publie sur le réseau russe. En Russie, c’est ce qui marche le mieux. Des marques russes nous approchent comme Yandex, l’équivalent du YouTube russe. Ils souhaiteraient que l’on produise du contenu exclusif pour eux. Toutes les semaines, nous ferions un petit sujet de 7 à 10 minutes qui serait la semaine de Golovin.

L’idée de votre stratégie d’ouverture à l’international est donc aussi d’attirer et de développer des partenariats avec des sponsors locaux ?

Tout à fait. Nous avons l’objectif que le digital nous aide à monétiser, à gagner plus d’argent, puisque les manières de gagner de l’argent dans un club de foot, c’est les droits télé mais on n’a pas la main dessus. À Monaco, la billetterie c’est un peu compliqué. Il y a aussi le “merchandising” et les sponsors. Les partenariats avec les sponsors régionaux se font de plus en plus. Nous avons par exemple signé un partenaire en Russie qui s’appelle BetCity en septembre. C’est un parieur en ligne et comme nous avons une audience captive de fans de foot, cela les a intéressés.

Et sur le marché chinois ?

Nous avons déjà un sponsor en Chine qui est aussi un site de paris en ligne, Yabo. Et il y a clairement la volonté d’accélérer sur la Chine. C’est un pays clé pour le club car il y a de belles possibilités de sponsoring, il y a une population extrêmement vaste.

Qui décide de la stratégie social media du club ?

Elle est validée par la direction générale et elle est décidée en accord entre le département commercial et mon département. Lorsque nous voyons une opportunité de se développer au niveau digital en Russie, parce qu’on a Golovin, et qu’on voit bien que les Russes interagissent beaucoup avec nous sur nos réseaux, on avertit le département commercial qui valide.

Quel est le type de contenu le plus engageant sur les réseaux ?

Clairement, le contenu qui marche le mieux sur toutes les plateformes, c’est la vidéo, avec énormément de formats différents. Sur Twitter, par exemple, les gens regardent nos vidéos en moyenne pendant 9 secondes. Sur Facebook, c’est 27 secondes. On essaie d’analyser toutes ces données et de diffuser plein de vidéos dans différents formats, sur les différentes plateformes. Et nous avons renforcé notre partie vidéo.

La vidéo est aussi un contenu qui se monétise bien ?

Tout à fait, c’est celui que l’on peut le mieux proposer à des sponsors, qui engage le plus…

Quels investissements ont été engagés pour développer sa stratégie social media ?

Cela représente à peu près plusieurs centaines de milliers d’euros. Rien que la partie traduction est un gros poste de dépenses annuelles. Il y a donc un vrai effort qui est fait car il faut payer ces personnes au Brésil… C’est un gros investissement.

Et en termes de revenus, combien ça rapporte au club ?

Ça rapporte plusieurs millions d’euros via le sponsoring et le merchandising principalement. Comme on a beaucoup de fans, dès qu’on met une publication pour vendre le maillot, on en vend. Le sponsor maillot principal, c’est Fedcom. On le voit à la télé quand il y a les matches le week-end, dans les journaux quand il y a une photo de nous… mais on le voit tout le temps, grâce à nous, sur les réseaux sociaux. Nous fournissons aux sponsors nos rapports. Cela leur permet de comprendre la visibilité qu’on leur a donnée sur le mois précédent et les chiffres sont énormes. Pour notre recherche de sponsors, on le met en avant. Ce sont des revenus un peu indirects mais très élevés.

La “data” [les données – N.D.L.R.], c’est aussi quelque chose d’important pour les sponsors, pour les publicitaires : l’ASM vend-elle les données qu’elle collecte ?

Non, nous n’en vendons pas. Mais nous essayons de nous améliorer dans son exploitation. C’est un des postes [“data-analyst” – N.D.L.R.], dont on veut se doter. On travaille sur la connaissance du client et du fan. Il y a une vraie volonté de se renforcer avec un “data analyst”, pas pour vendre, mais pour mieux connaître qui sont nos fans, et pour être plus pertinent pour nos sponsors, pour le merchandising…

L’ASM compte plus de 10 millions de fans sur les réseaux sociaux mais elle affiche l’une des plus mauvaises affluences du championnat (1) : n’est-ce pas paradoxal ?

Oui, c’est paradoxal. Mais malheureusement, ça ne changera jamais. Il y a un problème structurel sur la billetterie à Monaco, qui a un bassin de population trop petit. Et même si on avait 100 millions de fans sur les réseaux sociaux, ça ne changerait rien.

Il est impossible d’utiliser la force de Monaco sur les réseaux sociaux pour attirer les fans au stade ?

Ce que l’on peut imaginer, c’est proposer des offres billetteries VIP et packagées pour nos fans à l’étranger. On propose, par exemple, à nos fans chinois un week-end à Monaco dans lequel il y a un match. Ce n’est pas ça qui va remplir le stade, mais c’est un des seuls liens entre les réseaux sociaux et la billetterie. Le problème de la billetterie est très compliqué à résoudre.

« L’objectif est d’atteindre les 15 millions de fans d’ici la fin de la saison et 20 millions à la fin de la saison prochaine »

N’est-ce pas un constat d’échec concernant la billetterie ?

Je ne dirais pas un constat d’échec, parce que cela voudrait dire que c’est faisable, alors que c’est structurellement infaisable. Même si on fait venir Messi ou Ronaldo, on ne remplira pas le stade. Je pense que la direction le savait. Peut-être qu’ils espéraient qu’avec l’arrivée de stars comme Falcao ou de James, cela allait augmenter le remplissage, ce qui a un peu été le cas. Mais remplir le stade à tous les matches, c’est impossible.

Vous proposez des offres billetteries à vos fans étrangers sur les réseaux sociaux : que proposez-vous à vos fans français ?

On est en discussion avec des institutions monégasques comme la Société des Bains de Mer (SBM) pour essayer de les intégrer à ce dispositif pour proposer des choses exceptionnelles comme des packages avec avion, hôtel… On arrivera à le faire d’ici la fin de la saison. Il faut quelques mois pour que ça se mette bien en place.

Avec les réseaux sociaux, l’ASM n’essaie-t-elle pas de gagner le match des fans sur un autre terrain que celui des tribunes ?

Tout à fait, c’est vraiment important pour nous. Quand les gens regardent nos matches à la télévision à domicile, ça donne vraiment l’impression qu’on n’intéresse pas les gens à cause du stade vide. Or, lors des matches à l’extérieur, on a de belles affluences dans la tribune monégasque, on remplit bien les parcages. Donc c’est bien un signe que l’on a des fans. Et ce qui se passe sur le digital et sur les réseaux sociaux le confirme également. On veut communiquer sur le fait que ce n’est pas parce qu’on a un stade vide que les gens n’aiment pas Monaco.

Vous venez de dépasser la barre des 10 millions de fans : quels sont vos prochains objectifs ?

L’objectif est d’atteindre les 15 millions d’ici la fin de la saison, et 20 millions à la fin de la saison prochaine. On reste ambitieux. Peut-être d’autres langues à venir, on pense qu’il y a pas mal de bassins notamment en Asie du Sud-Est, en Inde. On a envie de s’y attaquer et ça pourrait vouloir dire de nouvelles langues ou des nouveaux réseaux sociaux. L’idée c’est plus de langues sur le modèle de ce que font les grands clubs internationaux comme Manchester City, club très développé à l’international, qui utilise 14 langues. Et avec 14 langues, on couvre, je crois, 95 % de la population mondiale. On constate que dès qu’on ouvre une nouvelle langue, on gagne des fans. Ce qui est logique.

Le vice-président de l’AS Monaco, Oleg Petrov, a déclaré dans une interview à RMC Sport vouloir concurrencer le Paris Saint-Germain à l’avenir : l’ASM peut-elle vraiment, à terme, rivaliser avec le PSG sur les réseaux sociaux ?

À terme, oui, mais ça dépend de beaucoup de choses : des résultats sportifs, du travail effectué sur la marque. Le PSG fait un très bon travail de marketing. Ça dépend aussi des joueurs. Clairement, le fait d’avoir Neymar met un gros coup de “boost” sur le digital. Ce sera donc lié à tous ces éléments. Je ne sais pas s’il est possible de passer devant le PSG. Je pense qu’il faut toujours rester un peu modeste, en tout cas nous, sur le digital. Si on arrive à sécuriser notre deuxième place en France [troisième en réalité, voir par ailleurs — N.D.L.R.], ce serait très bien. Aujourd’hui, on est deuxième, mais Marseille n’est pas loin. On veut vraiment faire la différence. Et sportivement, aussi.

(1) Avec un taux de remplissage estimé à 33 % et une affluence moyenne 

de 6 649 spectateurs, l’AS Monaco occupe actuellement la dernière place du classement des tribunes en Ligue 1 (L1), d’après le site Transfermarkt.

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Monaco Hebdo