vendredi 29 mars 2024
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Intérim
Une loi pour quoi faire ?

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Le contrat de travail temporaire est au cœur des discussions entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Objectif : aboutir à un projet de loi. Mais dans ces négociations, qui veut quoi ? Monaco Hebdo dresse un état des lieux.

A Monaco, le travail temporaire n’est pas soumis à une législation spécifique. C’est le droit commun qui régit son activité. Et son encadrement est un sujet récurrent à Monaco. « L’adoption d’un cadre juridique spécifique à l’intérim permettrait de venir compléter utilement nos dispositions », estime Didier Gamerdinger, conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé. « Nous sommes prêts à échanger avec Didier Gamerdinger. Nous souhaitons réaliser un travail constructif en participant au processus enclenché. Et notre attente, que nous soyons reçus en préalable en tête-à-tête avec le conseiller-ministre », explique Olivier Cardot, secrétaire général adjoint de l’Union des syndicats de Monaco (USM). « Nous considérons qu’entamer des concertations sur un projet de loi va dans le bon sens. Il est important de ne pas perdre de vue de mettre le salarié intérimaire au centre des discussions. Nous sommes pour le dialogue. Nous préférons la politique des petits pas », indique pour sa part Cédrick Lanari, président de la Fédération des syndicats des salariés de Monaco (F2SM). Joint à plusieurs reprises par la rédaction de Monaco Hebdo, Renaud Durand, président du syndicat des Entreprises de Prestations de Services et de Personnel Intérimaire (EPSPI) n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il nous a renvoyé à ses déclarations faites à nos confrères de Monaco-Matin le 9 janvier 2019. Il soulignait alors que « ce projet de loi n’est pas un problème. »

Historique

Les points de vue divergent, voire s’opposent entre les partenaires sociaux. Il faut dire que ce débat est animé depuis une bonne vingtaine d’années déjà. Il y a d’ailleurs eu une proposition de loi, la n° 157, en mai 2000 qui tentait alors de réglementer le travail temporaire. Elle émanait du Conseil national, alors présidé par Jean-Louis Campora de 1993 à 2003. Cette proposition de loi a été portée à l’ordre du jour en séance publique, le 2 mai 2000. Puis, en 2004, un projet de loi, provenant donc du gouvernement, a été mis à l’étude et soumis aux partenaires sociaux. Mais, dans un courrier daté du 5 octobre 2004, l’USM avait alors émis de fortes réserves : « Le projet de loi est très éloigné des souhaits de l’USM, qui entend limiter ce type d’emploi à des charges d’activités imprévisibles, momentanées et exceptionnelles. » Aujourd’hui, le débat autour de l’intérim est à nouveau sur la table et visiblement, le gouvernement entend bien finaliser ce dossier. A l’occasion d’un point presse le 11 février 2019, Didier Gamerdinger a indiqué « que le droit monégasque et la relation de travail doivent évoluer de manière positive avec le temps. » Avant d’ajouter : « Un travail de rédaction est en cours au sein du département des affaire sociales et de la santé. Il sera partagé ultérieurement avec les partenaires sociaux. »

Tendues

Le 21 décembre 2018, une première réunion s’est déroulée au ministère d’État entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Cette réunion a amorcé un processus d’échanges souhaité par le gouvernement. « Il est normal que les syndicats aient des revendications. Mais je tiens à préciser que les relations avec le gouvernement sont régulières et courtoises », insiste-t-on du côté du département des affaires sociales. Présents autour de la table : les représentants des syndicats patronaux et salariés, à l’exception de l’USM. « Le 6 décembre 2018, de manière collégiale, nous avons décidé de ne pas prendre part à la réunion, raconte Olivier Cardot. Nous sommes toujours ouverts au débat et à la négociation. Mais participer à un rendez-vous avec certaines organisations non reconnues n’était pas acceptable. » Dans la ligne de mire de l’USM, la F2SM, avec qui les relations restent donc tendues. Du côté du gouvernement, on insiste : le dialogue doit rester le maître-mot : « Je suis en dialogue permanent tant avec les représentants des salariés qu’avec ceux des employeurs. C’est mon rôle et j’y veille. » Mais cela ne s’annonce pas si simple que ça.

Charte

En 2001, en l’absence de cadre légal spécifique, un code de déontologie a été paraphé par la majorité des sociétés d’intérim. La création de ce code remonte à 1991. « Nous sommes structurés depuis 1991 avec un code de déontologie régulièrement révisé. Il a encore évolué en 2016 », a indiqué Renaud Durand. Les principales évolutions ont été réalisées en juin 1994, mai 1996 et juin 2016. Les entreprises de travail temporaire signataires du code s’engagent à respecter les règles induites. Et le non-respect d’une de ces clauses peut engendrer l’exclusion de la société en tort. « Il y a 13 entreprises signataires de ce code. Celles qui ne le respecteraient pas se verraient exclues du syndicat », souligne le président du syndicat des EPSPI. « Le code de déontologie est une bonne charte. Mais pour avancer, il faut des règles et une loi est nécessaire à présent », réclame Cédrick Lanari. Les signataires du code de déontologie s’engagent à respecter la législation sociale monégasque en vigueur. C’est-à-dire que les entreprises de travail temporaire reconnaissent des droits aux salariés intérimaires. Ces derniers impliquent que lors de la signature du contrat, l’intérimaire est, de fait, considéré comme salarié de l’agence, et non celui de l’entreprise où il réalise sa mission. « Le code de déontologie qui le respecte ? Aucun n’employeur ne le respecte ! Je prends pour exemple la charte sociale européenne. Monaco l’a signée, mais ne la respecte pas », dénonce Olivier Cardot.

Chiffres

A Monaco, 49 693 salariés dans le secteur privé ont été comptabilisés en décembre 2017. Soit 1 774 salariés supplémentaires (+3,7 %) par rapport à l’année précédente. Le nombre d’intérimaires s’élevait alors très exactement à 2 922. Selon une moyenne trimestrielle, 5,84 % des travailleurs sont des intérimaires. « Je veux bien qu’on parle de précarité, mais la réalité de l’intérim aujourd’hui, c’est que nous avons parfois du mal à trouver des candidats pour remplir toutes les missions », estime Renaud Durand. La durée moyenne de 68 % des missions d’intérim est inférieure ou égale à trois mois. Et 3 % des missions durent plus de 2 ans. « L’intérim, c’est la flexibilité. C’est un modèle ultra-libéral », critique le secrétaire général adjoint de l’USM. En tout cas, selon l’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE), au troisième trimestre 2018, l’emploi salarié du secteur privé était en hausse de 3,8 % par rapport au troisième trimestre 2017. Et l’intérim contribue à cette évolution. « Avec 3 000 intérimaires et 13 entreprises de travail temporaire, l’intérim donne aux différents secteurs d’activité de la principauté une souplesse et une faculté d’adaptation au travail indispensables », ajoute-t-on au département des affaires sociales. Le travail temporaire offre aux petites et moyennes entreprises — qui constituent la grande majorité du tissu monégasque —, une flexibilité face à la volatilité des marchés.

« Hors-la-loi »

Bien évidemment, l’intérim n’est ni un contrat à durée déterminée (CDD), ni un contrat à durée indéterminé (CDI). Ce contrat de travail a ses règles bien particulières. Il peut aussi être appelé mission d’intérim ou contrat de travail temporaire (CTT). Le travail intérimaire consiste pour les entreprises de travail temporaire à recruter des salariés pour des entreprises clientes dites « utilisatrices », notamment pour remplacer un salarié en congés, faire face à une augmentation de l’activité ou à des travaux saisonniers. « L’intérim peut être une opportunité pour le salarié », juge le président de la F2SM. « S’il y a très peu de conflits avec les salariés, c’est parce que nous avons un dialogue permanent », avance le président du syndicat des EPSPI. Du côté de l’USM, la position est plus radicale : « Nous disons que le travail intérimaire est illégal. Car il y a aucun cadre. Il est donc hors-la-loi », juge le secrétaire général adjoint de l’USM.

« Equilibre »

En général, une entreprise a recours à un intérimaire via une agence d’intérim, notamment pour remplacer un salarié en congés, faire face à une augmentation de l’activité ou à des travaux saisonniers. L’intérimaire est salarié de l’entreprises de travail temporaire et non de l’entreprise dans laquelle il effectue sa mission. « Nous souhaitons un véritable encadrement de l’intérim. Mais aussi des contrats en CDD et CDI », lance Olivier Cardot. Les entreprises de travail temporaire sont soumises au respect de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 qui réglemente les conditions d’embauche et de licenciement en principauté. La relation contractuelle entre l’entreprise de travail temporaire et l’intérimaire passe par le permis de travail. Lorsqu’une mission prend fin, l’entreprise utilisatrice n’a pas l’obligation d’embaucher le salarié intérimaire. Et ce dernier est censé recevoir un certificat de travail adressé par l’entreprise de travail temporaire. « Je suis attentif à ne pas remettre en cause ce qui fonctionne. Et à ce que les équilibres subtils de la relation de travail à Monaco, qui favorisent le dynamisme économique du pays, ne soient pas bouleversés », souligne le département des affaires sociales. Concernant les heures supplémentaires, les entreprises de travail temporaire sont soumises aux dispositions de la loi n° 1067 du 28 décembre 1983 sur la durée du travail. Au-delà de 39 heures hebdomadaires, les heures effectuées sont majorées de 25 % pour les huit premières heures et de 50 % pour les suivantes.

Avantages

Ce type de contrat présente, dans certains cas, des avantages du fait de son côté temporaire. « Certains salariés veulent rester en intérim. Surtout les travailleurs saisonniers. Il y a des missions plus intéressantes que d’autres », reconnait Olivier Cardot. En théorie, le CTT apporte à l’intérimaire une rémunération plus élevée. « A ma connaissance, l’intérimaire ne gagne pas le même salaire qu’un salarié permanent. Car il ne cotise pas aux congés payés de l’entreprise utilisatrice », avance le secrétaire général adjoint de l’USM. Les congés payés sont bien évidemment attribués sous la forme d’indemnités et pas en temps récupéré. Il existe aussi une indemnité de fin de mission relative à la précarité des contrats. Cette indemnité est propre au travail temporaire. « L’intérim est parfois synonyme de précarité. Mais il faut noter que pour certains types d’emplois, il est plus avantageux d’avoir un CTT », indique Cédrick Lanari. L’indemnité de fin de mission permet au salarié de toucher une prime de fin de contrat. Elle peut correspondre à 10 % du montant du salaire et elle peut être versée mensuellement ou en fin de mission. En vertu de l’article 11 de la loi n° 739 du 16 mars 1963 sur le salaire, cette indemnité est due à Monaco, sauf lorsque le salarié met fin à sa mission sans l’accord de son entreprise de travail temporaire. Cette disposition s’applique aussi quand l’intérimaire est embauché en CDI par l’entreprise utilisatrice.

Idyllique ?

Par ailleurs, dans une certaine mesure, les intérimaires peuvent choisir leurs périodes travaillées, ce qui leur permet d’allier vie personnelle et professionnelle. Mais, n’est-ce pas là un tableau idyllique où l’intérim serait uniquement vécu sans contraintes ni difficultés ? « Les jeunes peuvent être attirés par ce type de contrat. C’est un avantage aussi pour les entreprises de travail temporaire, sur le court terme. Mais tout cela n’est qu’un outil de secours. Il faut légiférer et encadrer l’intérim », insiste Olivier Cardot. « Il nous arrive de rechercher des candidats pour une mission en vue d’embauche, et ainsi d’avoir un rôle semblable à un cabinet de recrutement », estime Renaud Durand. Les CTT pourraient donc, dans certains cas, être une aide pour les jeunes, leur permettant de combler ou de compléter un manque d’expérience professionnelle. « 50 % des intérimaires veulent rester sous ce statut. C’est leur choix et nous devons le respecter. Mais le futur projet de loi doit prendre en compte la totalité des intérimaires », rappelle Cédrick Lanari. Le CTT peut aussi être une aide au développement du réseau professionnel de l’intérimaire.

Inconvénients

Chaque type de contrat a indéniablement son revers de médaille. Pour les détracteurs l’inconvénient majeur de ce système reste la précarité engendrée, et parfois subie. « Aujourd’hui on peut être intérimaire toute sa vie », soupire Olivier Cardot. L’incertitude de la durée du contrat peut aussi engendrer un phénomène de stress chez certains salariés intérimaires. A cela s’ajoute des CTT signés pour de courtes durées : un mois, voire une semaine, parfois moins. D’ailleurs, il faut rappeler qu’à Monaco 68 % des missions sont inférieures ou égales à trois mois. « L’intérim doit être une clé d’entrée dans l’entreprise utilisatrice pour une future embauche du salarié », espère le président de la F2SM. Les difficultés inhérentes liées aux CTT sont souvent manifestes. Notamment auprès des établissements bancaires. En effet, les salariés intérimaires ont souvent beaucoup de mal à obtenir un prêt bancaire. « Impossible de vivre décemment dans de telles conditions. Et d’obtenir un logement », ajoute Olivier Cardot. « Construire sa vie en étant intérimaire est dans certaine situation compliqué, voire difficile », a alerté Cédrick Lanari. De plus, les périodes d’emplois sont inégales durant l’année. Cela complique la recherche pour trouver des missions. Ces séquences d’inactivités peuvent être vecteur d’incompréhension, voire être mal perçues par les employeurs. « Au sein des entreprises, il arrive que des problèmes de mise à l’écart d’un intérimaire puissent survenir. Il existe une certaine forme de discrimination entre les salariés de l’entreprise utilisatrice et les intérimaires », raconte le secrétaire général adjoint de l’USM.

Formation

Les entreprises de travail temporaire signataires du code de déontologie s’engagent à faire évoluer le potentiel de leurs salariés intérimaires en leurs donnant accès à de la formation. « Il n’y a pas de droit à la formation à Monaco. Nous demandons donc une loi. Souvent les intérimaires se forment sur le tas », déplore Olivier Cardot. Justifier d’expériences professionnelles en intérim est souvent apprécié des employeurs. « Certaines entreprises investissent sur la formation. Par exemple, pour les habilitations, afin d’accompagner des candidats qui font un bout de chemin avec l’entreprise utilisatrice », assure Renaud Durand. Et un CTT peut éventuellement déboucher sur une embauche en CDI. « N’oublions pas les salariés. C’est une relation tripartie. Et les intérimaires d’aujourd’hui seront peut-être les employeurs de demain », avance Cédrick Lanari. Par ailleurs, concernant les indemnités liées au chômage, il faut savoir que les intérimaires paient leurs parts de cotisations et qu’ils ont droit aux mêmes prestations. Les cotisations sont payées sur la France et la part revenant à l’employeur est endossée par l’entreprise de travail temporaire.

CDI intérimaire

En France, pour tenter d’assurer la sécurité des salariés intérimaires, le CTT peut être transformé en CDI. C’est le cas si le salarié est amené à réaliser des missions successives. Le CDI est uniquement signé entre l’intérimaire et l’entreprise de travail temporaire. « Nous ne sommes pas contre ce type de dispositif. A l’unique condition qu’il puisse être encadré. Et, le cas échant, nous veillerons à la bonne application de cette loi », promet le secrétaire général adjoint de l’USM. Le CDI intérimaire est défini par l’article L.1 251-58-1 du Code du travail français et il est régi par l’article L.1 251-58-2 du même code. « Toutes ces initiatives qui tendent à assurer une stabilité financière au salarié sont de bonnes initiatives », estime le président de la F2SM. Le CDI intérimaire prévoit des périodes dites « d’intermission » pendant lesquelles le salarié intérimaire continue à percevoir sa rémunération. Ces temps d’intermissions sont assimilés à du temps de travail effectif. « Est-ce que le salarié en CDI intérimaire aura les mêmes dispositions que le salarié de l’entreprise utilisatrice ? », se demande Olivier Cardot. Pour chaque mission proposée à l’intérimaire, l’entreprise de travail temporaire a obligation de conclure un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, avec aussi une lettre de mission entre l’entreprise de travail temporaire et l’intérimaire. A noter que la durée maximale de mission de l’intérimaire avec l’entreprise de travail temporaire ne peut excéder 36 mois. Des congés de formation pour les salariés de 25 ans et moins sont possibles. « Dans ce cadre, nous émettons l’idée suivante : qu’une proposition soit faite à l’intérimaire au bout de 24 mois dans la même mission. Pour que, in fine, il décroche un contrat au sein de l’entreprise utilisatrice », propose Cédrick Lanari. « La question du CDI intérimaire mérite une réponse. Nous la poserons prochainement à Didier Gamerdinger », promet le secrétaire général adjoint de l’USM. Et le président de la F2SM ajoute : « Il serait souhaitable qu’une proposition soit reprise en ce sens. Et ce, dans le futur projet de loi que le gouvernement présentera au printemps 2019. » Une deuxième table ronde est donc programmée pour avancer sur les échanges autour d’un projet de loi. « Nous sommes prêts à participer à des négociations, et non à des concertations, insiste Olivier Cardot. La porte n’est pas fermée par le gouvernement. Il n’est pas offensé par notre position ». « Bien que des divergences de vues puissent émerger, l’approche est ouverte de ma part, dans le souci constant d’œuvrer à la prospérité du pays », glisse-t-on prudemment du côté du département des affaires sociales et de la santé. Car le chemin pourrait être encore long.

 

Suite du dossier :

« Le dialogue social est permanent »