jeudi 25 avril 2024
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Julien Fébreau : « La F1 et la MotoGP ont encore un potentiel de développement important »

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Depuis 2013, le journaliste Julien Fébreau est la voix de la Formule 1 sur Canal+. Pour Monaco Hebdo, il explique pourquoi les sports mécaniques séduisent des audiences de plus en plus larges, qui viennent parfois dépasser celles du football. Interview.

Depuis le début de la saison dernière qui a débuté fin mars 2021, les sports mécaniques séduisent un public de plus en plus large : comment expliquez-vous ce phénomène ?

Plusieurs éléments expliquent ce phénomène. La Formule 1 (F1) est un sport mondial qui a une répercussion et une visibilité très importante. Il faut savoir que la F1 est le troisième sport le plus suivi au monde, après les Jeux Olympiques (JO) et la Coupe du monde de football. C’est le sport mécanique le plus populaire au monde chaque année. Ce regain d’intérêt est aussi lié au scénario et à la qualité des courses auxquelles on a pu assister ces deux dernières années, et particulièrement en 2021. Du côté français, on a vécu la victoire de Pierre Gasly en 2020, lors du Grand Prix d’Italie, à Monza. Il y a donc un spectacle de qualité et une belle histoire à vivre et à raconter. La saison 2021 a été une saison hors normes, avec deux immenses champions qui se sont affrontés du premier au dernier Grand Prix. Quand on revoit, notamment sur la rétrospective de fin d’année, la première course de 2021, on se rend compte que tous les ingrédients étaient déjà là. La lutte que vont se livrer Lewis Hamilton et Max Verstappen était présente.

D’autres raisons expliquent le succès de la F1 ?

J’ai coutume de dire que, pour nous, la F1 c’est une série Canal. Une série avec des épisodes quasiment tous les week-ends, ou un week-end sur deux, et avec beaucoup de rebondissements. La F1 a cela de propre, qu’il s’y passe toujours quelque chose. Que ce soit sur la piste, ou en dehors. Que ce soit sportif, politique, “people”, technique… Il se passe toujours quelque chose en F1. La saison 2021 a été une série Canal avec 22 épisodes, et elle nous a offert un dénouement totalement fou. Du coup, au fil du temps, nos abonnés ont grandi. Ces deux dernières années, nos audiences ont bondi de 50 %. Il y avait 2,4 millions de personnes qui étaient au rendez-vous de l’ultime virage, au dernier Grand Prix de la saison 2021. On a su fédérer les gens autour d’un spectacle exceptionnel. Au travers de certains accidents, les gens ont aussi pris conscience que la F1 était un sport à risques, et donc dangereux. Donc, forcément, le public se prend de passion pour des pilotes, ont peur pour eux, tremblent pour eux, et vibrent avec eux. Tout ça contribue à l’engouement autour de ce sport. J’ose espérer que, depuis 2013, puisqu’on attaque notre dixième année en F1, on propose à nos abonnés une immersion qui fait que de plus en plus font passer le mot, et disent : « Il faut regarder la F1 sur Canal. »

« Ces deux dernières années, nos audiences ont bondi de 50 %. Il y avait 2,4 millions de personnes qui étaient au rendez-vous de l’ultime, virage au dernier Grand Prix de la saison 2021 »

Qu’a mis en place Canal+ pour davantage valoriser la F1 ?

Depuis le premier jour de diffusion, en 2013, nous avons toujours eu un leitmotiv, un mort d’ordre : l’immersion. On s’est dit : « Comment faire pour que les abonnés devant leurs écrans de télévision, ou sur MyCanal, se retrouvent plongés dans l’univers de la F1, comme s’ils nous accompagnaient sur le circuit ? ». C’est notre ligne directrice. Au-delà de la couverture la plus totale possible, du vendredi matin au dimanche soir, nous avons quasiment innové chaque année. Avec de nouveaux programmes, comme On Board, mais aussi avec des documentaires. Nous sommes partis à la découverte des personnages qui font la F1, principalement les pilotes, mais pas seulement. Nous avons retracé l’histoire de ce sport, avec notamment un documentaire sur Gilles Villeneuve. Autour des trois jours que constituent un Grand Prix, on a toujours essayé d’apporter un maximum d’offre à nos abonnés. On Board est venu compléter cette offre le mercredi, après les Grands Prix. Cette année, j’ai lancé un concept d’émission, dont le premier numéro s’est intitulé « Gasly inside ». Un pilote vient revivre lui-même son Grand Prix, et il raconte ce qu’il a vécu. On le fera avec d’autres pilotes.

« Monaco est un rendez-vous exceptionnel. Le lieu est quasiment anachronique. Les F1 ne peuvent pas se retrouver dans un endroit moins adapté à la course automobile. La principauté, ce sont des rues étroites. Et pourtant, le Grand Prix de Monaco, c’est l’événement de l’année. » Julien Fébreau. Journaliste pour Canal+. © 2021 Olivier Caenen, tous droits reserves

Il y aura des nouveautés pour cette saison 2022 ?

Cette saison, on va passer à la réalité augmentée sur le plateau, notamment avec notre magazine Formula One. Il y aura donc beaucoup plus d’effets visuels et d’éléments qui vont venir accompagner, habiller, et informer l’abonné, en trois dimensions notamment. On continue, bien sûr, la production de documentaires. Nous venons d’en sortir un sur Max Verstappen. D’autres sortiront pendant l’année.

Les réseaux sociaux jouent aussi un rôle de plus en plus prégnant ?

J’ai tenu à ce que l’on développe aussi les réseaux sociaux. Avant les Grands Prix, j’ai toujours une séance de questions-réponses en vidéo avec nos abonnés sur les réseaux sociaux de Canal. Sur Twitch, j’interviens en débriefing des Grands Prix. On essaie de faire en sorte que cette « série Canal » ne s’interrompe jamais. Et que, quel que soit le jour de la semaine ou du week-end, nos abonnés soient toujours en contact, s’ils le souhaitent, avec l’univers de la F1.

« Sur Canal, nous mesurons de manière très limpide un rajeunissement de nos abonnés sur la F1, mais aussi une féminisation de nos abonnés. Désormais, c’est presque ces dames qui demandent au mari, ou au copain, de se taire sur le canapé, pour pouvoir suivre tranquillement le Grand Prix »

Depuis le rachat de la F1 par Liberty Media, quelle a été leur stratégie pour développer la marque « F1 » auprès des jeunes ?

Développer la marque « F1 » auprès des jeunes est une motivation pour Liberty Media, si ce n’est même leur première motivation. En rachetant la F1, leur objectif était donc de se développer sur le digital, et sur les réseaux sociaux, afin de conquérir un nouveau public. Il y a eu un rajeunissement du public, parce que la F1 a su aller conquérir des territoires sur lesquels les précédents propriétaires de la F1 ne souhaitaient pas aller. Sur Canal, nous mesurons de manière très limpide un rajeunissement de nos abonnés sur la F1, mais aussi une féminisation de nos abonnés. Désormais, c’est presque ces dames qui demandent au mari, ou au copain, de se taire sur le canapé, pour pouvoir suivre tranquillement le Grand Prix.

Le 8 mars 2019, Netflix a diffusé la première saison de Formula 1 : Pilotes de leur destin, une série qui contribue à doper la popularité de cette discipline sportive. Une quatrième saison sera diffusée en 2022. © DR.

Les courses de F1 et de MotoGP dépassent parfois les audiences de matches de la Ligue 1 (L1) de football : ça vous surprend ?

Oui et non. À partir du moment où l’intérêt est fort, il est logique que les gens soient au rendez-vous. Notre grande chance sur Canal, c’est d’offrir une variété de droits sportifs à nos abonnés. Du coup, lorsque, par moments, la F1 est davantage plébiscitée, ça ne m’étonne pas. Car le scénario est tellement alléchant que les gens veulent connaître la suite. La F1 est comme une série que l’on « bingerai » [regarder à la suite tous les épisodes d’une série — NDLR] d’une traite. Sauf que là, c’est du direct. On fait du “live” pur et dur, donc on ne peut évidemment pas diffuser l’intégralité de la saison de F1 sur MyCanal.

« En rachetant la F1, l’objectif de Liberty Media était de se développer sur le digital, et sur les réseaux sociaux, afin de conquérir un nouveau public. Il y a eu un rajeunissement du public, parce que la F1 a su aller conquérir des territoires sur lesquels les précédents propriétaires de la F1 ne souhaitaient pas aller »

Lors du Grand Prix de F1 de Monaco, le 23 mai 2021, 1,35 million de téléspectateurs, en moyenne, ont suivi cette course : Monaco est-il un succès d’audience quasi-assuré ?

Monaco est un rendez-vous exceptionnel. Le lieu est quasiment anachronique. Les F1 ne peuvent pas se retrouver dans un endroit moins adapté à la course automobile. La principauté, ce sont des rues étroites. Et pourtant, le Grand Prix de Monaco, c’est l’événement de l’année. Tout le monde, et même les personnes qui ne s’intéressent pas au sport automobile, connaissent au moins de nom, le Grand Prix de Monaco. C’est presque un rendez-vous français. C’est en tout cas un rendez-vous francophone du calendrier de F1. On sait que Monaco est toujours l’objet d’une attention particulière. Si les pilotes ne devaient gagner qu’un seul Grand Prix dans une saison, je pense qu’à 90 ou 95 %, ils répondraient « le Grand Prix de Monaco ». On sait que Monaco c’est l’événement incontournable de la saison de F1, comme les 24 heures du Mans sont le rendez-vous incontournable de l’endurance. Il y a des événements marquants dans une année. Le Grand Prix de Monaco est l’événement de l’année. Il est donc logique qu’il réunisse autant de personnes.

Julien Fébreau Formule 1 Canal +
« Cette saison, on va passer à la réalité augmentée sur le plateau, notamment avec notre magazine Formula One. Il y aura donc beaucoup plus d’effets visuels et d’éléments qui vont venir accompagner, habiller, et informer l’abonné, en trois dimensions notamment. » Julien Fébreau. Journaliste pour Canal+. © Photo Augustin Detienne/Canal+

Le 8 mars 2019, Netflix a diffusé la première saison de Formula 1 : Pilotes de leur destin : quel rôle a joué cette série documentaire dans le développement de la F1 ?

Je pars du principe que tout ce qui permet à des gens de se passionner ou de s’intéresser à la F1 est une bonne chose. Donc c’est très bien que Netflix ait choisi de se pencher sur cette discipline sportive et de donner un accès à la F1, avec un style qui leur est propre et que je ne me permettrai pas de juger. Ce style n’est pas le nôtre, sur Canal+. Notre éditorialisation est différente. Mais si ça contribue au cercle vertueux de générations qui vont se passionner pour ce sport, c’est formidable. Il faut donc saluer le travail qui a été fait.

Certains fans de F1 estiment que cette série Netflix, Formula 1 : Pilotes de leur destin, est parfois trop scénarisée : quel regard portez-vous sur cette série ?

Je vais garder mon commentaire pour moi. Je ne suis pas la meilleure personne pour parler, parce que je suis trop impliqué. La F1, c’est mon quotidien. Je ne pense pas être la première cible de ce programme. Je me garderai donc bien d’émettre un jugement sur ce qui a été fait.

Canal+ diffusera en 2022 combien de courses en clair ?

Je crois que seul le Grand Prix de France est tenu d’être diffusé en clair. Je ne sais pas encore quels seront les Grands Prix diffusés en clair cette saison, ni sur quelle chaîne du groupe Canal+ ils seront diffusés.

« Il n’y a pas de raison que les sports mécaniques ne puissent pas attirer un public plus large. Déjà parce que le public se rajeunit. Il y a de plus en plus de jeunes qui nous rejoignent sur Canal, et ce public est amené à grandir »

Diffuser des Grands Prix en clair, c’est un avantage ou un inconvénient pour une chaîne cryptée comme Canal+ ?

Nous avons offert des Grands Prix en clair à plusieurs reprises. Cela ouvre une fenêtre plus large. Je trouve ça positif. Bien sûr, Canal+ reste une chaîne cryptée. Ce n’est donc pas sa vocation de diffuser l’intégralité des Grands Prix en clair. De temps en temps, on peut se permettre de le faire. Ce qui permet à un plus grand nombre de personnes de découvrir le travail qui est fait sur Canal pour couvrir la F1. C’est une bonne façon de montrer notre savoir-faire.

Canal+ a signé une prolongation du contrat de diffusion de la F1 jusqu’en 2024, alors que les droits pour la MotoGP ont été prolongés jusqu’en 2026 : les sports mécaniques ont encore une marge de progression en termes d’audience ?

Il n’y a pas de raison que les sports mécaniques ne puissent pas attirer un public plus large. Déjà parce que le public se rajeunit. Il y a de plus en plus de jeunes qui nous rejoignent sur Canal, et ce public est amené à grandir. Par le bouche-à-oreille des réseaux sociaux, je vois que les jeunes communiquent et se disent : « Qu’est-ce que tu fais ce week-end ? Tu regardes le Grand Prix sur Canal ? ». Je suis donc confiant. On l’a toujours mesuré sur nos audiences. Nous avons toujours eu des plateaux très solides en termes d’audience et d’abonnés. Au fil des années, ce plateau a pris de la hauteur. Mais on a toujours eu un socle très solide d’abonnés selon les Grands Prix, aussi bien en MotoGP qu’en F1. Ce socle est amené à prendre encore du volume. Ce qui, mathématiquement, conduira à des pointes d’audience encore plus élevées, par moments, sur les Grands Prix. Je suis donc persuadé que la F1 et la MotoGP ont encore un potentiel de développement important.

« Charles Leclerc est l’un des favoris pour le titre de champion du monde. Ferrari a très bien réussi ses essais hivernaux »

Quels seront les principaux enjeux de cette nouvelle saison de F1 ?

Cette saison, on vit une révolution techniquement et sportivement parlant que la F1 n’a pas connu depuis 40 ans. Ça rebat les cartes, ça repositionne certaines écuries vers le sommet, là où elles ne pouvaient plus espérer se rendre jusqu’en 2021, avec les précédents règlements. Potentiellement, trois écuries peuvent se battre pour les titres de champion du monde, pilote et constructeur : Ferrari, Red Bull et Mercedes. Si c’est vraiment le cas, on va vivre une saison au moins aussi intense que 2021. En termes d’émotion et d’intensité, la saison 2022 peut nous faire vivre la même chose que l’an dernier.

Que peut espérer le Monégasque Charles Leclerc ?

À l’heure où l’on parle [cette interview a été réalisée le 15 mars 2022 — NDLR], Charles Leclerc est l’un des favoris pour le titre de champion du monde. Ferrari a très bien réussi ses essais hivernaux. Comme ses adversaires, Ferrari n’a pas tout montré. Donc Ferrari a encore des choses à dévoiler. C’est la quatrième saison de Charles Leclerc chez Ferrari. Il arrive à un moment de sa carrière où il a une véritable maîtrise de son environnement au sein de la Scuderia Ferrari. Il a aussi une connaissance du fonctionnement de cette écurie, de la manière dont il faut interagir avec les gens de son équipe, et avec les médias italiens. Tout simplement, Charles Leclerc mûrit, il grandit. Il gagne en expérience. C’est donc quelqu’un qui est proche d’arriver à maturité. Et il se peut que les planètes soient en train de s’aligner à ce moment précis, entre sa maturité, son expérience, et la qualité de sa monoplace. Donc je ne vois pas pourquoi il ne serait pas postulant au titre mondial cette année. Tout cela augure d’une grande saison pour lui, et pour Ferrari.

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