samedi 20 avril 2024
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Julien Jalouzet : « Le esport est devenu un outil stratégique pour l’AS Monaco »

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Du gazon à la console. Comme d’autres clubs de football tels que le FC Barcelone, le Paris Saint-Germain, Manchester City ou encore le Bayern Munich, l’AS Monaco a décidé d’investir dans le sport électronique en lançant, en 2017, sa propre structure esport. Julien Jalouzet, responsable du pôle digital, explique la stratégie du club de la principauté. Interview.

Pourquoi l’AS Monaco a-t-elle décidé de se lancer dans le esport ?

L’AS Monaco s’est lancée dans le esport il y a quatre ans. Comme tous les clubs, elle a fait ses débuts dans le esport sur des jeux de football. On s’est dit que c’était une opportunité qu’il ne fallait pas laisser passer. C’était donc plutôt un choix d’opportunité avec une volonté de découverte, d’appréhender un univers qui nous semblait porteur. De se positionner dessus dès le début pour voir ce que ça va donner.

Où en est l’ASM esports aujourd’hui [cette interview a été réalisée le 7 février 2020 — N.D.L.R.] ?

Maintenant on essaie de faire vraiment du esport. Si on ne fait qu’un jeu de football, ce n’est pas vraiment du esport car les jeux de football ne sont pas les jeux les plus impressionnants ou les plus populaires dans le monde du esport. Le esport est devenu un outil stratégique pour l’AS Monaco. Il doit nous permettre de toucher de nouveaux publics, de se rapprocher des jeunes générations, de nous aider dans le développement international et de créer de nouvelles sources de revenus. On le traite comme un projet à part entière. Finalement, c’est comme si on avait une section d’un autre sport, qui poursuit tous ces objectifs. Et pour cela, on se positionne sur des jeux qui sont plus importants dans le monde du esport.

Derrière ce projet, il y a donc aussi la volonté de s’exporter ?

Tout à fait. Globalement, il y a une volonté de l’AS Monaco de se développer à l’international. Et dans cette stratégie, le esport joue un rôle important puisque l’idée c’est de toucher, via les jeux, des publics qu’on ne toucherait pas forcément, notamment en Asie et en Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, nos joueurs de esport participent à des tournois au Japon, au Danemark, au Brésil, à Las Vegas, à Barcelone… Il y a donc un vrai développement international grâce au esport.

Avec le esport, l’ASM va donc chercher des marchés qu’elle ne peut pas atteindre avec le football ?

Pas forcément qu’on ne peut pas atteindre. Mais ça peut être complémentaire, ou ça peut venir renforcer. Par exemple, en Amérique du Sud, on sait qu’on a déjà une très bonne image grâce à tous les joueurs qu’on a eus mais le esport vient la renforcer. Notre joueur de Pro Evolution Soccer (PES), Usmakabyle, qui est triple champion du monde a rencontré Ronaldinho il y a quelque temps. Pour nous, c’est une super visibilité. On a eu Ronaldinho qui tenait un maillot de l’AS Monaco, ce qui n’est pas forcément quelque chose qu’on aurait pu faire sans le esport. Donc ça vient surtout renforcer. Ensuite, il y a des territoires sur lesquels on sait qu’on est fort comme la Russie notamment, où on pense qu’avec certains jeux qu’on va lancer dans les mois qui viennent, on peut encore se renforcer.

Comment choisissez-vous les jeux sur lesquels vous souhaitez vous engager ?

Le choix est rationnel et stratégique, c’est-à-dire qu’on va sur des jeux où on pense qu’on peut être performant dans un cadre budgétaire qui nous convient. D’où les jeux de combat comme Dragon Ball ou Smash Bros. Par exemple, on a choisi Rocket League car ce jeu ressemble au football mais aussi parce qu’il a été racheté par Epic Games. On pense que ce jeu va avoir un très fort développement dans les années à venir donc on veut être présent assez tôt pour rester dans la meilleure division. On regarde les jeux sur lesquels on peut être performant sans mettre un investissement démesuré.

En termes d’image, choisir des jeux de combat peut paraître étonnant pour un club sportif ?

Non, parce qu’il n’y a pas de lien. Il n’y a jamais eu de personnes qui ont regardé un jeu vidéo de combat et qui se sont battues après. Ça n’existe pas. Le esport, c’est le seul sport où il n’y a jamais eu d’affrontements en tribunes. Contrairement à tous les autres sports. Ce n’est pas du tout parce qu’on joue à des jeux vidéo de combat que ça déclenche de la violence. Les gens font bien la distinction. Et en plus, on est dans des jeux de combat plutôt « soft ». On n’est pas dans du Mortal Kombat qui est beaucoup plus violent.

Allez-vous vous lancer sur de nouveaux titres lors des mois à venir, comme Counter Strike ou Call of Duty ?

Tout à fait. C’est dans la discussion puisqu’il y a la volonté de se lancer sur des jeux encore plus gros. Les 4 jeux les plus joués au monde qui sont Fortnite, Dota, League of Legends et Counter Strike. Tous ces jeux sont légèrement violents donc ça fait partie de notre réflexion. On ne s’interdit pas du tout d’y aller puisque toutes sortes d’études prouvent qu’il n’y a pas d’impact à jouer à ce type de jeux.

© Photo Monaco Hebdo.

« Le esport est devenu un outil stratégique pour l’AS Monaco. Il doit nous permettre de toucher de nouveaux publics, de se rapprocher des jeunes générations, de nous aider dans le développement international et de créer de nouvelles sources de revenus »

Quels sont les enjeux pour l’ASM ?

Il y a vraiment cette idée de toucher des nouveaux publics. C’est toucher l’adolescent de 16 ans en Corée du Sud, sachant que la Ligue 1 (L1) est très peu regardée en Corée. Le esport nous donne une chance de le toucher par un autre moyen. Le deuxième enjeu est financier puisqu’aujourd’hui on génère des revenus grâce au esport. On a des partenaires qui nous suivent depuis deux ans à savoir Playzer et Nicecactus. Konami, l’éditeur du jeu PES, aussi. On a donc trois partenaires qui nous suivent et qui nous permettent de générer des revenus. Enfin, il y a aussi le cash prize [gain d’argent provenant des compétitions – N.D.L.R.] qu’on commence à gagner. Par exemple, grâce à PES, on a généré cette année un montant assez significatif en “cash prize” [prix — N.D.L.R.].

Il y a d’autres sources de revenus ?

Il y a aussi une partie opportunités commerciales. Par exemple, aujourd’hui, on parle à des sponsors au sens large pour le club AS Monaco. Ils s’intéressent à nous parce qu’on a cette partie esport. Ils prennent l’équipe de football, l’équipe esport et de cette manière, ils touchent des publics différents. On est donc aussi en soutien de l’équipe commerciale globale AS Monaco.

Recherchez-vous des sponsors pour développer encore plus le secteur ?

Tout à fait. On va chercher des sponsors endémiques, c’est-à-dire des marques qui sont dans l’univers du jeu vidéo comme Logitech, Asus… et aussi des sponsors non endémiques. On est en discussion avec plusieurs d’entre eux pour être sur le esport. On sent une grosse traction commerciale.

Les marques s’intéressent de plus en plus au esport ?

Oui. Toutes les marques veulent y aller. Par exemple, Renault est devenu le sponsor de Vitality [équipe esport française – N.D.L.R.]. Souvent, on constate que l’on est pour eux un bon investissement. Aujourd’hui, si je suis directeur marketing de Danone et que je veux me lancer dans le esport, l’AS Monaco esports est une bonne solution car ça a un côté rassurant. C’est-à-dire qu’ils peuvent se lancer dans le esport avec une marque prestigieuse. L’ASM esports a déjà un avantage par rapport à d’autres équipes esport peu ou pas connues.

Que gagnent-elles à investir dans le esport ?

Pour elles, c’est un moyen de toucher les jeunes, de toucher la nouvelle génération. Ce qu’on appelle aujourd’hui la génération Z, qui s’intéresse peut-être un peu moins au football. Ils s’intéressent énormément au esport et c’est un moyen pour les sponsors de les toucher. Quand notre joueur de Fortnite se balade dans la rue devant le stade à Monaco, tous les jeunes le reconnaissent.

Combien le esport rapporte-t-il au club ?

Je ne peux pas donner le chiffre exact, mais ce que je peux dire, c’est que ça s’équilibre avec les dépenses. Notre idée est d’avoir un modèle vertueux. Aujourd’hui, les grosses équipes de esport comme Vitality gagnent beaucoup d’argent mais elles en perdent aussi parce qu’elles misent sur le long terme. Nous, nous n’avons pas cette stratégie. La stratégie, c’est de générer autant de revenus que de dépenses. Ce qui est le cas actuellement.

Quels investissements ont été engagés par le club pour le esport ?

Je ne peux pas donner de chiffres mais on s’est vraiment staffé. Avant, jusqu’à juin 2019, c’était une personne à mi-temps. Aujourd’hui, c’est cinq personnes à plein temps. Il y a donc eu une vraie accélération.

Selon plusieurs experts, le esport serait une bulle spéculative prête à exploser : qu’en pensez-vous ?

Pour toutes les activités de manière générale, il y a des personnes qui tirent la sonnette d’alarme. Cela ne veut pas dire que tout va exploser. Je pense que le marché va plutôt se consolider avec quelques équipes très fortes. Mais nous ne voyons pas du tout ça comme une bulle spéculative puisqu’on voit de vrais revenus. Aujourd’hui, l’activité esport de l’AS Monaco génère des revenus, elle ne coûte pas d’argent. On pense donc qu’il y a un moyen vertueux de le faire. Des équipes comme Vitality perdent de l’argent parce qu’elles ont un vrai business plan et elles savent que le marché va exploser. De vrais chiffres sur les médias, les transferts le prouvent. Parler de « bulle spéculative », c’est un peu fort. Nous, on n’est pas du tout dans ce cadre-là. On n’a pas dit : « on met X et on verra ». On a dit : « on met X et on doit rentrer X en revenus ». Et ça va évoluer au cours du temps.

Qu’est-ce qui coûte le plus cher dans une équipe esportive ?

Le coût des voyages est élevé. Nos joueurs jouent partout dans le monde. On investit aussi pas mal sur la création de contenus. Ensuite, il y a les salaires des joueurs et des influenceurs. C’est très important dans le esport. Le contenu est quasiment aussi important que la performance. C’est bien de gagner un tournoi mais ce qui est important, c’est la vidéo qui va montrer aux gens comment on a gagné ce tournoi. Pour cela, on a embauché des influenceurs. On a pas mal de coûts de production donc pas mal de contenus. Mais les voyages sont un gros poste de dépenses.

Il y a un vrai marché des transferts dans le esport comme dans le football. Comment recrutez-vous vos futurs joueurs ?

Dans l’encadrement, on a un head coach, c’est-à-dire un directeur sportif, qui regarde toute la journée, comme on le fait dans le football, les performances des joueurs sur les jeux sur lesquels on veut se lancer. Et on essaie de faire les bons choix. On a eu quelques très belles réussites. Je pense à Wawa qui a joué la finale mondiale de Dragon Ball Z. Quand on est allé le chercher, personne ne le connaissait. Il y a un vrai travail comme dans le football. On essaie de trouver les futurs très grands joueurs de demain.

© Photo Monaco Hebdo.

« Par rapport à une structure esport qui se lancerait, nous on a déjà tout un écosystème juridique, financier, légal sur lequel on peut s’appuyer »

Avez-vous des joueurs monégasques ?

On a des joueurs français comme Wawa qui habite à Nice. Notre champion PES habite à Paris. On a aussi créé une association AS Monaco esports, dont le but est plutôt d’être associatif, de faire jouer les gens aux jeux vidéo. On a une vraie volonté d’identifier les meilleurs joueurs de Monaco et en France.

L’arrivée massive d’argent dans le esport est en partie responsable de dérives (dopage, tricherie…) : quel regard portez-vous sur ces dérives ?

On n’a jamais eu ce genre de problèmes. Au même titre que pour le football, on a une charte éthique que l’on fait signer aux joueurs quand ils arrivent. Une des choses qui nous distingue je pense, c’est qu’on fournit aussi aux joueurs un encadrement qui leur permet d’être dans les bonnes conditions. Comme on a déjà des ressources pour les pros et pour l’academy, on capitalise sur ces ressources. On leur donne accès à une psychologue, à un nutritionniste. On s’assure qu’ils sont en très bonne santé mentale et physique. C’est hyper important pour nous. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains joueurs sont attirés par notre projet.

Existe-t-il des synergies entre l’ASM foot et l’ASM esports ?

Tout à fait. Il y a déjà toutes les ressources de l’ASM foot qui nous permettent d’être performants sur le esport. Par exemple, pour les contrats, on s’appuie sur le service juridique de l’AS Monaco. Pour les sponsors, c’est le service commercial. Par rapport à une structure esport qui se lancerait, nous on a déjà tout un écosystème juridique, financier, légal sur lequel on peut s’appuyer. Il y a tout l’encadrement sportif, psychologue, nutritionniste, préparateur physique… Et même en termes de visibilité, on a fait des opérations. On a par exemple organisé une rencontre entre l’un de nos joueurs de football, Islam Slimani, et notre joueur PES, Usmakabyle. On essaie de créer des liens très forts entre les deux.

Quel bilan tirez-vous de l’ASM esports aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, on est très satisfait des résultats. L’accélération qu’on a effectuée depuis environ six mois porte ses fruits en termes de visibilité et de retours sur investissements sur les sponsors.

Quels sont vos projets ?

On veut continuer à renforcer la structure. On veut se lancer sur un gros jeu dans les mois à venir. Quand je dis gros jeu, c’est un top 5 dans le monde. Un jeu du type Dota, Counter Strike… On continue à progresser dans les jeux. Il y a une volonté de performances aussi. Il y a enfin des projets d’infrastructure et d’encadrement. On aimerait bien ouvrir une gaming house ou un gaming center [centre d’entraînement pour équipe esport – N.D.L.R.], idéalement à Monaco. Nous avons pas mal de projets à ce niveau qui devraient se concrétiser dans les mois qui viennent.

Votre équipe s’entraîne et joue ses matches à Nice, et non à Monaco : pourquoi ?

C’est temporaire. On travaille sur un projet de “gaming center” ou de “gaming house” à Monaco. C’est un très beau projet ambitieux, qui prend un peu de temps. On espère qu’il se concrétisera d’ici la fin de l’année. En attendant, on avait besoin d’une maison où ils pouvaient faire leur “boot camp” [camp d’entraînement – N.D.L.R.]. Une des conditions était la vitesse de connexion. Il nous fallait absolument une fibre et ce n’est pas très facile à trouver dans le coin. C’est la raison pour laquelle on a pris une maison à Nice qui avait une super connexion Internet. Une milliseconde de décalage change tout à ce niveau-là. Cela ne devrait plus être le cas quand on aura une “gaming house”.

À Monaco, la connexion n’est pas adaptée à ce genre de pratique ?

Ça dépend où. Un des endroits sympas aurait été de les mettre à La Turbie comme on a notre centre d’entraînement. Mais à La Turbie, il n’y a pas la fibre. On a regardé un peu partout autour. Nice représentait une valeur sûre en termes de connexion. À Monaco, on a déjà choisi un lieu dans lequel on veut aller, qui sera notre “gaming center” d’ici la fin de l’année. Comme on avait ce projet en cours, on n’a pas lancé d’autres recherches sur un autre lieu à Monaco. Mais clairement, on aurait bien aimé. On a une volonté de s’ancrer dans Monaco.

Le esport aux Jeux olympiques (JO), vous y croyez ?

Oui, personnellement, j’y crois. Dans le monde, deux milliards de personnes jouent aux jeux vidéo. Donc il est évident qu’à la fin, les gens qui sont les meilleurs de cette discipline se retrouvent et c’est extrêmement compétitif. Pour moi, le esport aux JO, ce ne serait pas très surprenant. Le esport, c’est comme un sport. Ça nécessite de la concentration, de la préparation mentale, physique. C’est assez spectaculaire, et il y a un haut niveau de compétitivité.

Pourtant, beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi le esport serait une discipline olympique ?

Oui. Je n’ai rien contre le tir à l’arc mais je n’ai pas l’impression que pour faire du tir à l’arc, il faille être beaucoup plus affûté physiquement que pour le esport. Il y a beaucoup plus de gens qui jouent aux jeux vidéo dans le monde que de personnes qui font du tir à l’arc. Donc finalement, pour moi, ce ne serait pas étonnant que le esport soit aux JO et soit mis en avant.

Une compétition esport au stade Louis II, c’est possible ?

Oui. C’est quelque chose qui peut être envisagé. On a commencé à y réfléchir. Il est peut-être encore un peu tôt. On a eu un premier événement à Monaco en janvier dernier qui était une viewing party à La Rascasse. On a invité des gens à venir voir une compétition de League of Legends. On a fait venir nos joueurs, nos influenceurs. On a fait gagner des maillots de l’AS Monaco esports. C’était une première étape. Et à terme, on aimerait peut-être un jour organiser une compétition au stade Louis II. Je ne sais pas quelle est l’échéance car il est un peu tôt, mais c’est quelque chose qui nous intéresse beaucoup.

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