vendredi 29 mars 2024
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Laurent Toubiana : « Nous sommes gouvernés par la peur »

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En septembre 2020, plusieurs dizaines de chercheurs, de médecins et d’universitaires ont co-signé et publié une tribune dans Le Parisien, qui dénonce la « communication anxiogène » du gouvernement français face au Covid-19.

Les explications de l’un des signataires, Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), directeur de l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé (Irsan).

Pourquoi avoir co-signé une tribune publiée dans Le Parisien en septembre 2020, qui dénonce des discours « anxiogènes » autour de l’épidémie de Covid-19 ?

C’est un fait. Nous sommes gouvernés par la peur. Depuis le début de cette crise, l’ensemble des indicateurs ont un effet éminemment anxiogène sur l’ensemble de la population. Ces chiffres maintiennent les gens dans une forme de tétanisation et de panique. On nous dit que face à ce danger notre seul moyen de lutte, ce sont les gestes barrières. C’est-à-dire éviter tout contact. Car le masque, les gestes barrières et le confinement sont des évitements de contact. Aujourd’hui, la peur pousse la population à adopter ces gestes barrières, et si ça ne suffit pas, l’Etat semble prêt à passer à des solutions plus coercitives. L’ensemble de cette mécanique repose sur le postulat de la dangerosité de cette épidémie, et sur la quasi-certitude qu’une deuxième vague risque d’arriver.

Quelle est l’origine de ce texte, intitulé « nous ne voulons plus être gouvernés par la peur » ?

On ne veut plus que les gens soient soumis à une sorte de chape d’anxiété. Il me semble que les gouvernants, eux-mêmes, sont gouvernés par la peur. Le gouvernement français montre une forme de panique depuis le début de cette crise sanitaire, même si je pense qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir pour tenter de juguler ce phénomène sanitaire. Mais je pense aussi que nos gouvernants ne comprennent pas très bien ce qu’il se passe, et qu’ils sont mal conseillés.

Mais il existe des chiffres qui montrent que l’épidémie de Covid-19 se poursuit, avec un nombre de cas qui augmente ?

Il est faux de dire que l’incidence de la positivité des tests est en augmentation exponentielle. Elle régresse partout en France. Les indices qui permettent de donner une couleur aux départements ne sont plus accessibles depuis le 18 septembre 2020. On fabrique un indicateur auquel la population ne peut plus accéder. Il faut donc se rabattre sur des données de base pour recalculer, et vérifier si ces indicateurs sont exacts. Ce que j’observe, c’est qu’ils ne sont pas exacts. Ils sont tous en recul.

Pourtant, beaucoup évoquent une possibilité de deuxième vague de Covid-19 encore plus violente que la première ?

Il y a une très forte probabilité pour qu’il n’y ait pas de deuxième vague. Parmi les épidémies les plus connues, le Sars, le Mers, le H1N1 ou le Zika n’ont pas provoqué de deuxième vague. Donc l’histoire de la deuxième vague est une construction théorique.

Mais les gouvernements monégasque et français continuent pourtant de parler d’une « deuxième vague » ?

Comme dans toute épidémie, avec le Covid-19, il y a ce que l’on appelle des cas sporadiques. Ces cas sporadiques, c’est la traîne de l’épidémie qui se poursuit. A l’heure actuelle, nous sommes dans cette traîne épidémique, car il existe encore des poches de la population qui n’ont pas été exposées au virus. Mais il n’existe pas de réservoir suffisant important pour générer une nouvelle explosion des contaminations.

Vraiment ?

Tous les gens qui devaient développer une forme grave l’ont déjà fait, car presque toute la population a été exposée à ce virus. Et une immense partie de cette population a résisté à ce virus. Toutes les personnes de moins de 65 ans, ce qui représente environ 80 % de la population, n’ont pas fait de formes symptomatiques de la maladie. Et ils font obstacle à la diffusion de l’épidémie, car soit ils ont eu le Covid-19 de façon mineure, soit ils ont combattu ce virus avant même qu’il ne puisse pénétrer le mécanisme cellulaire de reproduction virale.

Mais, une fois contaminé une première fois par le Covid-19, l’immunité n’est pas démontrée : comment affirmer que cela ne contribue pas à relancer une deuxième vague ?

Je vous ferai remarquer que c’est surtout le contraire qui n’est pas démontré, c’est-à-dire que l’on puisse être malade plusieurs fois par le même virus. Si l’immunité collective n’avait pas fonctionné, nous aurions dû connaître une deuxième vague dès le déconfinement. Or, cette deuxième vague n’est pas arrivée, ni tout de suite, ni plus tard, et cela indépendamment des mesures qui ont été prises et qui n’ont surtout pas été respectées. Si cette deuxième vague promise n’arrive pas, c’est justement car l’immunité collective joue son rôle à plein, et que nous avons déjà atteint le seuil d’immunité qui stoppe tout nouvel embrasement.

Pourtant, le virus circule encore ?

Comme dans toutes les épidémies, le virus continue de circuler. On appelle ça une circulation endémique ou sporadique. Mais le virus a de plus en plus de mal à circuler, car tout le monde n’est plus susceptible de développer cette maladie ou de la transmettre.

Mais il y a des cas positifs parmi les tests de dépistage PCR ?

Pour le moment, il y a environ 4 % de tests positifs (1). Et dans ces 4 %, 95 % ne font pas de forme symptomatique de la maladie. On a donc réalisé plus de 10 millions de tests à ce jour. Un test revient à 80 euros l’unité, et on en fait un million d’euros par semaine. On a donc dépensé 80 millions pour nous dire que 99 % des gens sont soit négatifs, soit très peu symptomatiques.

Mais il y a quand même des clusters qui sont détectés presque chaque semaine ?

Une fois ces clusters identifiés, on n’en entend plus parler. On ne sait rien du devenir des clusters. Pourtant, tous les gens autour d’un cas positif sont identifiés, et il devrait y avoir des malades. Seule l’information très anxiogène filtre à travers ces clusters. Rien ne démontre qu’un danger imminent est là. D’ailleurs, si un danger avait dû venir, il serait arrivé tout de suite après le déconfinement.

Pourquoi ?

Le déconfinement est une démonstration que la deuxième vague n’arrivera pas. Personne ne nous explique pourquoi à partir du 11 mai 2020 il n’y a pas eu la catastrophe annoncée, alors que certains épidémiologistes avaient envisagé près de 650 000 morts.

Pourtant, les indicateurs montrent qu’il y a une hausse du nombre de personnes contaminées par le Covid-19 ?

Pendant toute une période, on a vu le directeur général de la santé, le professeur Jérôme Salomon, arriver à son pupitre et nous donner des indicateurs qui étaient l’hospitalisation et la mortalité. En revanche, il ne donnait pas les taux d’incidence, et il ne donnait que des chiffres cumulés, qui ne faisaient qu’augmenter. Ensuite, nous avons eu droit aux cas positifs qui augmentaient exponentiellement. Comme à l’heure actuelle ces cas baissent, on nous donne un autre indicateur qui est le taux de positivité. Donc on change en permanence les indicateurs. Et bien sûr, on choisit celui qui indique quelque chose qui augmente. Nous sommes face à une épidémie de chiffres. Il y a une telle profusion de chiffres, que je suis obligé de tout vérifier par la suite.

Mais il y a le nombre de morts, qui est un indicateur fiable ?

Le nombre de décès à l’heure actuelle [cette interview a été réalisée le 1er octobre 2020 – N.D.L.R.] est de 63 pour la journée d’hier sur toute la France, dont 5 décès sur Paris. Mais on ne connaît pas l’âge des victimes, ni leurs facteurs de comorbidité. Ce sont des gens à qui on a fait un test qui a révélé des traces de virus. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont morts du Covid-19. Ils peuvent être morts d’autre chose. Et à Paris, on parle de 5 personnes sur 3 millions d’habitants.

Le Covid-19 a tué plus d’un million de personnes dans le monde ?

Chaque année, en France, il y a plus de 600 000 morts. En gros, 1 % de la population française meurt tous les ans. Un peu plus de 32 000 morts en France du Covid-19, ça reste faible par rapport à ces 600 000 morts. Si on rapporte un million de morts du Covid-19 dans le monde, par rapport aux 7,8 milliards de terriens, cela reste très faible.

Comment situer la mortalité du Covid-19 par rapport à d’autres virus ?

Le Covid-19 est nettement moins mortel que le Sars ou que le Mers, par exemple. A titre d’exemple, si on regarde les décès cumulés sur 7 jours pour une ville comme Orléans, on a eu 10 morts pour 114 000 habitants, au pire moment de l’épidémie, aux alentours du 1er avril 2020. Ensuite, le nombre de morts a rapidement baissé à moins de un par jour. Cette période a duré du 1er mars 2020 au 1er mai 2020. Et face à cela, on a arrêté toute la France.

Faut-il craindre une surmortalité pendant cet hiver 2020-2021 ?

Je ne pense pas. Depuis deux ans, il y a eu moins de grippes, ce qui a débouché sur une sous-mortalité (2). Le Covid-19 est arrivé et il a fait office de grippe et il a « vidé » le compartiment des personnes les plus fragiles, qui étaient donc susceptibles de mourir. Ce compartiment avait été « vidé » en janvier 2017 avec environ 15 000 morts. Donc il est probable que pendant cet hiver 2020-2021 il y ait moins de morts.

Mais le taux de positivité était de 7,6 % le 2 octobre 2020, et il augmente ?

Ce taux de positivité est extrêmement faible. Bien sûr, il augmente, mais très faiblement. D’un jour à l’autre, les fluctuations sont importantes. Quand les chiffres sont faibles, leur intervalle de confiance est immense : quelle confiance peut-on donner à un chiffre si faible ? De plus, cette positivité ne signifie pas que les gens sont malades, loin de là. Cela ne signifie pas non plus qu’ils sont transmetteurs du virus. Cela signifie seulement que l’on a trouvé une trace d’acide nucléique dans le nez des gens, sans que l’on soit sûr qu’il émane du Covid-19 lui-même.

Le Covid-19 a aussi tué des gens jeunes et en bonne santé, ou laissé des séquelles : que répondez-vous à cela ?

Oui, il est très possible qu’une charge pathogène produise des formes sévères, même à des personnes qui n’ont pas, a priori, les facteurs de risque connus. Nous sommes des êtres vivants se ressemblant beaucoup, et, en même temps, nous sommes tous différents. Une immense majorité répond de manière « standard », et quelques-uns, pour des raisons qu’il faudrait étudier en détail, répondent différemment. L’une des premières questions que je me pose devant de tels cas est la « significativité », en termes statistiques, d’une telle information, c’est-à-dire quantitativement. Ensuite, il faut aborder la question sur un plan qualitatif, et tenter de comprendre les facteurs qui ont produit ces évènements, alors qu’ils sont limités en nombre.

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« A l’heure actuelle, nous sommes dans cette traîne épidémique, car il existe encore des poches de la population qui n’ont pas été exposées au virus. Mais il n’existe pas de réservoir suffisant important pour générer une nouvelle explosion des contaminations »

Néanmoins, les gouvernements français et monégasque continuent de prendre des mesures pour limiter au maximum les contaminations ?

Ces mesures sont totalement disproportionnées et totalement inefficaces. Une minorité de la population doit être protégée : les personnes à risque. En effet, le reste de la population, et notamment ceux qui, pour une immense majorité, fréquentent les salles de sport, qui sont jeunes et en pleine forme, ne développent majoritairement pas une forme grave de la maladie.

Mais alors, que pensez-vous des gestes barrières et du port du masque ?

Il faut continuer les gestes barrières et le port du masque là où c’est nécessaire. Je rappelle qu’il y a 96 % de cas négatifs. Donc, dans la rue, il y a 96 personnes sur 100 qui ne sont pas malades. Du coup, pourquoi faire porter à 100 % des gens un masque ? Surtout, en milieu ouvert, dans la rue. On porte un masque dans un milieu confiné, lorsque la suspension des aérosols peut poser problème. A l’extérieur, la probabilité d’être contaminé est infime.

Vous militez pour faire en sorte que les gens soient responsables, mais est-ce vraiment réaliste quand on voit certains comportements ?

Si les gens constataient réellement dans leur vie quotidienne l’hécatombe annoncée depuis 7 mois, je peux vous assurer qu’ils n’auraient pas besoin d’injonction pour suivre spontanément les mesures visant à se protéger individuellement et par voie de conséquence, collectivement. Mais les populations ne peuvent constater qu’une chose : l’invraisemblable décalage entre la catastrophe annoncée et la réalité de leurs observations à tous les niveaux, individuel et collectif. C’est pourquoi nous constatons ces comportements soi-disant « irresponsables ». La réalité est parfaitement intégrée par nos concitoyens, qui doutent de plus en plus de la politique d’effroi diffusée à longueur de temps par les autorités sanitaires. Cette autorité qui instrumentalise la science à contre-courant, et qui produit un effet de défiance généralisée sur l’ensemble de l’information autour de cette épidémie.

Dans la tribune que vous avez co-signée, vous réclamez aussi la liberté de prescrire pour les médecins généralistes : certains y ont vu une défense de l’hydroxychloroquine ?

Je suis épidémiologiste, je reste donc dans mon domaine de compétence qui n’est pas celle de la prescription. Je ne défends pas telle ou telle thérapeutique, ce n’est pas mon domaine. Prescrire en vue de soulager un patient qui souffre est intrinsèque au devoir du médecin depuis que la médecine existe, me semble-t-il. Remettre en question ce principe (au nom de quel autre principe au fait ?), ne me semble pas aller dans le bon sens.

Une partie de la population semble ne plus comprendre les incohérences de certaines mesures sanitaires, avec à Nice, par exemple, les salles de sport qui ferment et les écoles de danse qui restent ouvertes ?

Il y a un décalage entre ce que voient les gens qui, pour la plupart, ne constatent pas la présence de malades autour d’eux, et les mesures disproportionnées imposées par les gouvernements. Tout cela induit une défiance totale vis-à-vis des autorités, et pousse malheureusement les gens à chercher des explications dans les poubelles de la réflexion, et notamment du côté de toutes les thèses complotistes. Au vu de l’incertitude qui pèse un peu partout, la question du « pourquoi tout ça » trouve des réponses irrationnelles. Nous sommes dans un monde irrationnel. Ce que je cherche à faire avec mes collègues, c’est d’objectiver tout ce que l’on voit et d’essayer de redescendre vers davantage de rationalité. Mais c’est extrêmement difficile, car, depuis 7 mois, nous sommes soumis à un flot incessant d’informations contradictoires, toutes anxiogènes qui amplifie l’incertitude, et donc la peur.

Mais quel serait l’intérêt des gouvernements à prendre des mesures de restriction qui pénalisent très durement l’économie ?

Vous me demandez « pourquoi ». Je suis épidémiologiste, donc je peux répondre à la question du « comment » ça se passe. En revanche, je ne sais pas « pourquoi » les gouvernements agissent ainsi, c’est en dehors de mes compétences.

Vous avez signé et publié deux tribunes : vous avez le sentiment d’être entendu ?

J’ai eu la naïveté de croire que nous avions une influence. J’ai essayé de rationaliser les choses et d’expliquer aux gens. Mais cela n’a pas un grand effet, notamment sur les médias nationaux français. Je vais donc continuer à expliquer les choses.

Pour lire la suite de notre dossier sur les gouvernements face au Covid-19 cliquez ici

1) Le 1er octobre 2020, selon Santé publique France, sur 10,9 millions de tests réalisés, 457 989 étaient positifs (4,2 %) et 10,5 millions étaient négatifs. Dans les Alpes-Maritimes, sur 229 443 tests, 10 320 tests ont été positifs.

2) En France, l’épidémie de grippe 2017-2018 a fait 13 000 morts, contre 14 400 décès en 2016-2017 selon les chiffres publiés par Santé publique France. L’épidémie de grippe 2018-2019 a provoqué 8 100 morts.

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