jeudi 18 avril 2024
AccueilDossierJean-Louis Grinda : « C’est une question de principe »

Jean-Louis Grinda : « C’est une question de principe »

Publié le

Du côté d’Union Monégasque et de Jean-Louis Grinda, on estime qu’il est urgent de tenir la promesse faite en 2009, en livrant 30 appartements pour les enfants du pays d’ici la fin de cette mandature, en 2023.

Fin janvier 2021, vous avez reçu au Conseil national les représentants de l’association des enfants du pays : quelle a été la teneur de vos échanges et quelles décisions ou engagements ont été pris ?

Des promesses ont été faites sur le logement en secteur protégé, mais aucun engagement précis n’a été pris. La majorité Priorité Monaco (Primo !) a été élue sur l’assurance donnée à chaque foyer monégasque de disposer d’un logement domanial d’ici 2023. Il leur est difficile de changer de cheval en pleine législature. En revanche, tous les élus du Conseil national se sont entendus pour dire que le projet de loi présenté par le gouvernement n’était pas satisfaisant.

Quel est l’objectif de la proposition de loi concernant les enfants du pays écrite à l’automne 2017, devenue aujourd’hui projet de loi ?

L’objet de la proposition de loi présentée par Jean-Charles Allavena, et adoptée au Conseil national en octobre 2017, était de définir précisément le statut d’enfant du pays. A contrario, le projet de loi du gouvernement en donne une simple définition symbolique, mais ne reprend même pas le terme « enfant du pays » dans ses deux articles.

Comment ce texte définit-il ce qu’est un enfant du pays ?

Dans son article premier, ce projet de loi indique : « La principauté de Monaco reconnaît la contribution à son développement, à sa prospérité économique ainsi qu’à son rayonnement dans le monde, des hommes et des femmes de nationalité non monégasque présent sur le territoire national, parfois depuis plusieurs générations, y étant nés et éduqués, ou y en ayant construit leur vie familiale, sociale et professionnelle. » Le gouvernement s’est clairement posé dans une logique de symboles, et non dans une volonté de poser des bases juridiques claires pour définir le statut « d’enfant du pays ».

« La majorité Primo ! a été élue sur l’assurance donnée à chaque foyer monégasque de disposer d’un logement domanial d’ici 2023. Il leur est difficile de changer de cheval en pleine législature »

Jean-Louis Grinda, Président d’Union monégasque

La Constitution monégasque interdit la création d’une nouvelle catégorie de citoyens à Monaco ?

À mon sens, notre Constitution de 1962 ne l’interdit pas. Dans l’exposé des motifs du projet de loi, le gouvernement ne cite d’ailleurs pas un article de la Constitution pour justifier son refus de créer un statut juridique aux enfants du pays, mais simplement une déclaration faite au Conseil de l’Europe en 2007, où il refusait « d’édicter un statut général pour certains étrangers ». Le gouvernement poursuit en indiquant qu’il « n’entend pas définir juridiquement les « enfants du pays » dès lors qu’une telle définition conduirait à la reconnaissance d’un statut propre à une catégorie d’étrangers, ce qu’en l’état la Constitution de 1962 ne permet pas. » Or, le terme « étranger » n’est présent dans la Constitution qu’à l’article 32, qui stipule : « L’étranger jouit dans la principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux. » Je ne vois pas dans cet article constitutionnel de fondement juridique pour interdire la création d’un statut juridique pour les enfants du pays. Je citerais l’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas »… 

Quelle définition précise souhaiteriez-vous pour définir ce qu’est un enfant du pays ?

Je reprendrai la définition formulée dans la proposition de loi de 2017 que j’ai votée avec les élus Union Monégasque (UM) : « Est “enfant du pays” toute personne qui, étant née à Monaco, y réside sans discontinuité depuis sa naissance, alors que l’un de ses auteurs au moins est également né en principauté et y a également résidé sans discontinuité, au moins jusqu’à la naissance de la personne intéressée. » La proposition de loi précisait que ce statut ne pouvait pas être acquis par un conjoint d’enfant du pays, sauf si ce conjoint remplit lui-même ces critères.

Jusqu’où est-il possible d’aller dans les droits et les devoirs attribués aux enfants du pays et pourquoi ?

Pour les devoirs, ils doivent être les mêmes que pour les Monégasques. Pour les droits, les réticences du gouvernement à donner un statut juridique pour les enfants du pays me poussent à la prudence pour les évoquer à l’avance. Néanmoins, il existe déjà pour les résidents nés à Monaco des avantages en matière de logements, d’allocations sociales et d’accès à l’emploi. Pour les Français qui sont nés et ayant toujours vécu à Monaco, c’est une de leurs institutions, le Conseil d’État, qui leur a octroyé en 2014 une dérogation fiscale modifiant la convention franco-monégasque de 1963…

Souhaitez-vous que les enfants du pays puissent bénéficier d’appartements sociaux à loyers préférentiels à Monaco ?

Il existe déjà un régime de « personnes protégées » dans une loi de décembre 2000, relative aux conditions de location dans le secteur protégé. Il reprend justement à peu près les critères édictés pour les enfants du pays dans la proposition de loi de 2017. Ce régime va même au-delà avec un critère supplémentaire pour les personnes habitant à Monaco sans interruption depuis quarante ans. Mais, au-delà des logements en secteur protégé, je souhaite la construction d’un immeuble de logements neufs dédié aux enfants du pays.

Prévu comme un projet immobilier « test » pour le logement des enfants du pays, la Villa Ida a finalement été attribuée aux Monégasques : comment faire face à leur déception ?

En effet, lancé en 2009, le projet de 30 logements de la Villa Ida prévu pour les enfants du pays a fait long feu jusqu’en 2015, pour finalement être réorienté vers les Monégasques qui étaient en attente d’un logement domanial. Je l’ai déjà dit publiquement au Conseil national : il est nécessaire de dire clairement aujourd’hui ce qui est réalisable, et de ne pas créer à nouveau de faux espoirs chez les enfants du pays.

Alors que la question du logement des Monégasques n’est pas réglée, serait-il politiquement tenable de proposer d’ici la fin de la mandature, en 2023, la création d’un immeuble neuf destiné au logement des enfants du pays ?

C’est une question de principe. Il faut tenir notre promesse faite aux enfants du pays en 2009 avec la Villa Ida. Il faut que nous soyons les élus du Conseil national qui leur obtiennent pendant cette législature la mise à disposition de 30 appartements neufs.

« Quel que soit l’avenir du secteur protégé, il me semble inéluctable que, lorsque des logements y seront libérés, ils seront également réattribués à des Monégasques délogés d’immeubles domaniaux en fin de vie. Donc, ce n’est pas une solution viable »

Jean-Louis Grinda, Président d’Union monégasque

La livraison de logements neufs pour les Monégasques permettra de libérer des appartements dans le secteur protégé pour les enfants du pays : mais ce secteur étant vétuste, combien de temps pourra-t-il continuer à exister et comment éviter sa disparition ?

Quel que soit l’avenir du secteur protégé, il me semble inéluctable que, lorsque des logements y seront libérés, ils seront également réattribués à des Monégasques délogés d’immeubles domaniaux en fin de vie. Donc, ce n’est pas une solution viable.

Monaco est-il prêt à assumer un scénario qui conduirait à une disparition totale des enfants du pays, à moyen ou long terme ?

Oui, lorsqu’on lit le projet de loi du gouvernement. Ce n’est pas avec une reconnaissance symbolique sans statut juridique que les enfants du pays vont pouvoir rester en principauté.

Les finances de l’État peuvent-elles assumer la reconnaissance officielle des enfants du pays à Monaco, ce qui induirait des dépenses nouvelles à leur égard ?

Tout dépend des droits qui leur seraient octroyés. J’ai déjà répondu qu’il était prématuré pour en parler. Donner un statut juridique aux enfants du pays n’engendre pas, de facto, de dépenses nouvelles.

Estimez-vous légitime de créer en 2021 une nouvelle catégorie de citoyens à Monaco, où 139 nationalités se côtoient ?

J’estime légitime de reconnaître juridiquement des résidents qui sont nés à Monaco qui y ont toujours vécu ainsi qu’au moins leur père ou leur mère. Nous parlons beaucoup des Français qui sont dans cette situation, mais il y a aussi des Italiens, peut-être même des Britanniques ou d’autres nationalités.

Finalement, quels amendements souhaiteriez-vous apporter à ce texte ?

Je souhaiterais que ce projet de loi ne se limite pas à une déclaration de principe sur un statut symbolique donné aux enfants de pays, d’ailleurs sans même les nommer comme tels. La définition du statut édictée par la proposition de loi de 2017 doit être reprise et avalisée.

Certains estiment qu’il n’est pas raisonnable d’accorder plus de droits aux enfants du pays, notamment pour des raisons d’ordre économique : comment éviter la démagogie et l’hypocrisie sur ce sujet très sensible ?

La démagogie et l’hypocrisie sont déjà à l’œuvre lorsque certains Monégasques déclarent la main sur le cœur et la larme à l’œil que les enfants du pays sont « leurs frères », mais ne font rien pour leur permettre de rester à Monaco. J’ai déjà dit publiquement et dans vos colonnes sans avoir été démenti : « Rien n’a été fait, rien n’est fait et rien ne sera fait pour les enfants du pays ». J’espère juste m’être trompé pour le futur.

Pour revenir au début de notre dossier sur le statut et les droits des enfants du pays à Monaco, cliquez ici.