jeudi 25 avril 2024
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Enfants du pays : « Les élus disposent d’une marge de manœuvre assez étroite »

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Les élus Horizon Monaco, Béatrice Fresko-Rolfo et Jacques Rit parlent d’une seule voix, et estiment que la ligne de crête est mince en ce qui concerne le dossier sensible des enfants du pays.

Le projet de loi n° 993, qui fixe la reconnaissance des enfants du pays, place le Conseil national face à une question politique délicate sur laquelle il va devoir prendre position ?

Dans le cadre d’une première phase de consultations, la commission de législation a reçu, le 25 janvier 2021, l’association des enfants du pays. La teneur des échanges qui ont eu lieu à cette occasion revêt un caractère confidentiel, comme le stipulent les articles 46 et 47 de notre règlement intérieur. Et la commission n’ayant, à cette date, pas encore entamé l’étude de ce projet de loi, l’heure n’était pas aux prises de décisions. La proposition de loi n° 231 du Conseil national a en effet précédé ce texte. L’approche retenue par cette proposition était uniquement de donner une définition des enfants du pays. Et elle n’abordait pas la question des prérogatives susceptibles d’être accordées à la nouvelle catégorie de résidents ainsi créée.

Que pensez-vous du projet de loi du gouvernement ?

Le projet de loi du gouvernement ne reflète pas l’esprit de la proposition. Il pose dans son exposé des motifs un principe, qui est celui de l’incompatibilité de la Constitution monégasque avec la création d’une catégorie de non-nationaux disposant de droits particuliers. Principe qui interdit donc de fixer dans la loi une définition des enfants du pays. Par ailleurs, ce texte fixe un objectif : celui d’éviter la disparition progressive de ces enfants du pays en leur facilitant l’accès au secteur d’habitation protégé. Il est en effet communément admis que la croissance vertigineuse des coûts de la location dans le secteur privé représente la cause essentielle de cet exode.

Que dit ce texte ?

Par son article 2, ce projet consacre le principe qui permet à des lois ou ordonnances souveraines de fixer des critères particuliers pour accorder aux « personnes mentionnées à l’article premier », à titre individuel, des droits ou avantages en matière de logement, d’emploi ou d’aide sociale. Nous reprenons volontairement les termes employés par le gouvernement dans la rédaction de ce deuxième article du projet de loi, car la périphrase « personnes mentionnées à l’article premier » montre clairement le souhait d’éviter l’inscription dans la loi de l’appellation enfants du pays, et, par là même, celle de toute définition concernant ce qui représenterait une catégorie particulière de résidents étrangers. Il s’agit bien d’une volonté de rester dans une notion très générale, adaptable ultérieurement au cas particulier de chaque texte législatif ou réglementaire, susceptible de concerner cette fraction de la population.

Il faut impérativement modifier la Constitution pour lancer la création d’une nouvelle catégorie de citoyens à Monaco ?

La Constitution monégasque, en son article 32, dispose que « l’étranger jouit dans la principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas réservés aux Monégasques », et reconnaît ainsi deux catégories de résidents : les Monégasques et les étrangers. La création d’une nouvelle catégorie de résidents au sein de la population de non-nationaux ne serait ainsi possible que par le biais d’une modification du texte constitutionnel. Au premier abord, nous ne voyons pas d’autre possibilité de contourner cette difficulté. Mais les juristes du Conseil national apporteront à la commission leur avis sur ce point. Si la loi qui aura été en définitive votée retient le principe de faire des enfants du pays un cas particulier de divers textes législatifs, une définition précise de ces derniers constituerait, outre le problème constitutionnel déjà évoqué, un obstacle permanent à son application. En effet, ce principe n’est envisageable qu’en adaptant chaque fois cette définition au texte de loi concerné, ce qui permet de régler le volume de bénéficiaires potentiels en fonction de l’évaluation de l’incidence budgétaire engendrée par l’application dudit texte. Et il est clair que dans les domaines concernés, c’est-à-dire le logement, le social et l’emploi, les conséquences sur les dépenses publiques peuvent être très importantes, et éventuellement déraisonnables en termes d’équilibre du budget de l’État.

Il y a déjà eu des précédents ?

La législation actuelle a déjà depuis longtemps eu recours à cette pratique, qui consiste à fixer dans une loi des critères particuliers pour accorder à des personnes des droits ou des avantages à titre individuel. La loi n° 1235 du 28 décembre 2 000, qui intègre des résidents non-nationaux répondant à certains critères dans le groupe des personnes protégées, en est un exemple.

Quelles limites voyez-vous dans les mesures à prendre en faveur des enfants du pays ?

Dans le cadre de l’indispensable réflexion au sujet des mesures de protection qu’il est important de prendre en faveur des enfants du pays, nous sommes nécessairement confrontés à certaines limites intangibles. L’une est de ne pas interférer avec les principes fondamentaux assurant la protection de nos nationaux. L’autre est constituée par l’exiguïté extrême de notre territoire et sa quasi-inextensibilité. Ces deux limites prennent tout leur sens dans le domaine de l’accès au logement. Et il est important de rappeler que, si l’accès à des logements dont les loyers restent raisonnables, constitue la condition majeure de la préservation, pour la principauté, de sa population d’enfants du pays, le problème du logement des nationaux a été, et reste encore, une des principales préoccupations du Conseil national et du gouvernement. Le plan national pour le logement des Monégasques, décidé le 11 mars 2019 par le prince souverain, montre l’actualité de cette préoccupation. Rappelons également que les conditions de la réussite de ce plan sur le long terme sont sous-tendues par une réflexion sur certains paramètres de l’évolution démographique de la population de nationaux.

« On conçoit le problème politique que constituerait, à l’heure actuelle, et pour longtemps encore, la construction par l’État d’un immeuble destiné au logement des enfants du pays »

Prévu comme un projet immobilier « test » pour le logement des enfants du pays, la Villa Ida a finalement été attribuée aux Monégasques : comment faire face à leur déception ?

Le projet immobilier initial de la Villa Ida, prévu au départ pour le logement d’enfants du pays, est un bon exemple du dilemme qui existe dans l’esprit de la plupart d’entre nous : le souhait de voir les enfants du pays, auxquels nous sommes tous intimement liés par nos familles et notre cercle d’amis, bénéficier de possibilités de logement leur permettant de rester en principauté est partagé et sincère. Mais, nous tenons à le redire, la question du logement des Monégasques est encore terriblement actuelle. Et il est certain que cette question, qui possède un caractère endémique par les effets conjugués de l’exiguïté territoriale et de l’évolution démographique, est loin d’appartenir au passé. On conçoit ainsi le problème politique que constituerait, à l’heure actuelle, et pour longtemps encore, la construction par l’État d’un immeuble destiné au logement des enfants du pays.

Comment trouver un équilibre dans ce dossier sensible ?

Dans cette recherche d’équilibre particulièrement délicate, le projet de loi n° 1006, issu de la proposition de loi n° 239 du Conseil national, pourrait représenter une alternative, car il a pour objectif la sauvegarde de la capacité d’accueil d’un secteur protégé progressivement reconstruit à neuf, dont l’existence et la disponibilité est fondamentale pour le maintien des enfants du pays sur ce territoire qu’ils considèrent légitimement comme leur patrie. Reste à s’assurer de la faisabilité des projets tant en termes de bilan promoteur qu’en droit urbanistique, et à conjuguer les effets d’un tel texte législatif avec les impératifs économiques de la principauté, qui, il faut aussi l’admettre, sont fondamentaux pour assurer à ce pays une prospérité pérenne. C’est là une condition fondamentale de la réalisation des grands projets structurants. Et le plan national pour le logement des Monégasques est, peut-être, le plus important d’entre eux.

La démographie des Monégasques et des enfants du pays suit des courbes inverses ?

Ces quelques dernières décennies, la pénurie de logements domaniaux a créé une compétition pour l’accès aux logements du secteur protégé, avec des chances forcément inégales, entre Monégasques et enfants du pays faisant essentiellement partie de la communauté française. Entre 1985 et aujourd’hui, le nombre de Monégasques a augmenté de 70 %, soit 4 000 nationaux de plus. Dans le même temps, la population de Français a diminué de 40 %, ce qui représente environ 6 000 personnes. Ces chiffres expliquent clairement la nature politique de la réflexion qu’impose cette situation, dont l’accès au logement reste le cœur du problème.

Monaco est-il prêt à assumer un scénario qui conduirait à une disparition totale des enfants du pays, à moyen ou long terme ?

Un scénario qui conduirait à une disparition progressive des enfants du pays de leur propre pays serait, humainement et culturellement, une catastrophe. Et nous pensons qu’il est indispensable de l’éviter. Mais en adoptant des dispositions législatives propres à stabiliser le nombre d’enfants du pays, pour la plupart issus de la population de Français résidant à Monaco, il faut être attentif à ce que ces dispositions ne favorisent pas à l’excès, dans le futur, l’expansion démographique de cette fraction de la population. Faute de quoi, les finances de l’État ne pourraient plus, à terme, assurer la continuité du processus. C’est là un juste réglage que le projet de loi n° 1006 pourrait contribuer à obtenir, par une stabilisation du secteur protégé, mis progressivement à la disposition, jusqu’à sa totalité, de cette population des enfants du pays.

Certains estiment qu’il n’est pas raisonnable d’accorder plus de droits aux enfants du pays, notamment pour des raisons d’ordre économique : comment éviter la démagogie et l’hypocrisie sur ce sujet très sensible ?

Nous estimons que tout projet plus ambitieux serait du domaine de la démagogie, dans la mesure où, par ailleurs, la croissance démographique de la population des Monégasques risque bien de devenir, dans un avenir lointain, pour l’État, en termes de capacité à proposer du logement, et malgré toutes les mesures prises, une équation bien difficile à résoudre.

« En adoptant des dispositions législatives propres à stabiliser le nombre d’enfants du pays, pour la plupart issus de la population de Français résidant à Monaco, il faut être attentif à ce que ces dispositions ne favorisent pas à l’excès, dans le futur, l’expansion démographique de cette fraction de la population »

Dans quel sens faudrait-il amender ce projet de loi ?

Pour amender ce projet de loi, afin de lui donner un effet plus concret, et créer un véritable « devoir d’État » à l’égard des enfants du pays, nous voyons que les élus disposent d’une marge de manœuvre assez étroite. Au minimum, il serait important de fixer dans la loi les grands principes que l’article 2 évoque, en hiérarchisant les critères d’accès dans les deux secteurs du logement et de l’emploi. C’est probablement là la seule manière de rendre un tel texte efficace. Mais, dans le domaine du logement, l’effet de cette future loi ne sera vraiment palpable que si le secteur protégé est sauvegardé.

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