mardi 16 avril 2024
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Marché de l’emploi à Monaco : « Les jeunes actifs sont très soucieux du futur »

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Entre rémunération, qualité de vie, et épanouissement professionnel, la commission d’insertion des jeunes diplômés (CID) et la direction du travail (DT) font le point sur ce qui séduit les jeunes actifs à Monaco. Interview.

La période de pandémie liée au Covid-19 a-t-elle eu un impact sur le rapport des jeunes (18-35 ans) au travail ?

Commission d’insertion des jeunes diplômés (CID) : Au niveau de la commission d’insertion des diplômés (CID), nous avons pu constater que la pandémie liée au Covid-19 avait eu un fort impact sur le rapport des jeunes au travail. L’une des conséquences de cette période d’incertitude a été, pour certains jeunes suivis par la CID, de retarder leur insertion professionnelle, quand cela était évidemment possible, en poursuivant leurs études — par exemple un Master à la suite d’une Licence ou d’un Bachelor — ou en préparant un diplôme complémentaire de même niveau — par exemple un deuxième Master. Pour les jeunes en recherche d’insertion professionnelle, l’accent a été mis sur la nature des missions, la qualité de vie au travail. Et surtout, sur les conditions d’intégration/formation au moment de la prise de fonction. En effet, le travail à distance n’est pas toujours propice à l’intégration de profils juniors, les managers n’étant pas souvent sur site, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter le niveau d’exigence des jeunes diplômés en matière d’intégration.

Comment a évolué le nombre de salariés de 18-35 ans dans le secteur public et privé à Monaco, entre 2018 et 2021 ?

Direction du travail (DT) : En ce qui concerne le secteur privé, les salariés de 18 à 35 ans représentaient, en moyenne, en 2018 et 2019, 32 % du nombre total de salariés. En 2020 et 2021, ce pourcentage a légèrement diminué, il est aux alentours de 30 %. C’est la part des salariés de 18-25 ans qui a le plus diminué. Les jeunes de 18-25 ans, surtout ceux qui poursuivent des études, sont habituellement inscrits au service de l’emploi, parce qu’ils recherchent un job étudiant ou un job d’été. La moindre saison touristique en 2020 et le manque d’offres d’emploi étudiant pendant la crise sanitaire expliquent la diminution de cette tranche d’âge parmi les salariés. En revanche, en 2021, le nombre de salariés de 18 à 35 ans a augmenté de manière plus prononcée (+11 %) que le nombre de salariés total (+7,5 %). Ceci marque une reprise d’activité liée au dynamisme de notre tissu économique dû à la diversification des secteurs d’activité. Certains sont en effet fortement porteurs d’emplois pour cette tranche d’âge. On peut souligner ainsi le secteur du numérique, dont le nombre de salariés a augmenté de 60 % en 10 ans.

Selon une série de sondages et d’études réalisées en 2021 auprès des 18-24 ans (1), les priorités des jeunes au travail sont l’autonomie, la quête de sens, et le culte de l’instant présent : le tissu entrepreneurial monégasque est-il en phase avec ces attentes ?

CID : Effectivement, au niveau de la CID, nous avons pu observer que pour les jeunes diplômés en quête d’insertion professionnelle, il était important de donner du sens dans leurs futures missions. Ils sont ainsi particulièrement attentifs à l’éthique de leur future entreprise et à la qualité de vie au travail. Pour ceux qui recherchent avant tout l’autonomie, l’entrepreneuriat est une réelle option et le tissu monégasque se prête particulièrement bien à ce type d’attente. Nous les incitons à se rapprocher du Welcome Office et de la Jeune chambre économique pour la construction de leur projet. De même, les jeunes entrepreneurs monégasques sont soutenus et accompagnés par le Monaco Boost. Enfin les jeunes « startuppers » peuvent être incubés chez MonacoTech.

« La crise sanitaire a impacté fortement les méthodes de travail, tant du secteur public que du secteur privé, en faisant du management par objectif une des alternatives privilégiées par tous »

La commission d’insertion des jeunes diplômés (CID)

Beaucoup de 18-35 disent préférer le management par les objectifs au management à l’horaire : l’administration monégasque peut-elle répondre à ce type de management ?

CID : Les programmes d’enseignement supérieur, en particulier ceux des écoles de commerce, font la part belle aux projets (projets d’équipe, projets tutorés…), en mettant l’accent sur l’autonomie, la flexibilité et l’agilité, l’adaptabilité, ou bien encore sur le leadership. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes diplômés soient en recherche d’un management par objectif, ou d’un management collaboratif. La crise sanitaire a impacté fortement les méthodes de travail, tant du secteur public que du secteur privé, en faisant du management par objectif une des alternatives privilégiées par tous.

Globalement, Monaco est-il attractif pour les 18-35 ans ?

CID : La réponse est simple : c’est oui. Globalement, Monaco est attractif pour les jeunes diplômés qui y trouvent une première insertion professionnelle très souvent en accord avec leur parcours d’études, et avec également une rémunération attractive. N’oublions pas qu’au-delà des 18-35 ans, Monaco est un vrai bassin d’emplois, tant pour les résidents que pour les habitants des communes françaises voisines.

La principauté en fait-elle assez pour attirer les 18-35 ans ?

CID : La CID travaille quotidiennement auprès des étudiants et jeunes diplômés de la principauté afin de les accompagner dans leur première insertion professionnelle à Monaco. L’un de ses rôles est de faire en sorte que ces jeunes talents locaux rejoignent le tissu économique de la principauté, après avoir fait de belles études en France, ou à l’étranger.

« Les aspects sociaux et environnementaux des missions proposées aux jeunes, et l’équilibre vie privée-vie professionnelle sont très importants pour cette tranche d’âge »

La direction du travail (DT)

Comment la principauté peut-elle améliorer son attractivité auprès des 18-35 ans ?

CID : En ce qui concerne les jeunes diplômés, la CID les accompagne dans la construction de leur projet professionnel à Monaco dès le début de leurs études, s’ils le souhaitent. Elle les informe également, en particulier via le réseau social LinkedIn, des belles opportunités d’embauches qui se présentent à Monaco. Il est important de remarquer que pour les jeunes diplômés, travailler à Monaco est un vrai choix de vie. Et que, bien souvent, ils n’envisagent pas de travailler ailleurs.

78 % des 18-24 ans interrogés par la société d’études Yougov pour le site Monster en septembre 2021 n’accepteraient pas un emploi qui n’a « pas de sens » pour eux : à ce jour, Monaco dispose-t-il de suffisamment de postes qui répondent aux problèmes sociétaux ?

CID : Effectivement, l’un des critères importants pour nos jeunes diplômés, c’est de trouver un emploi qui fait sens, en accord avec leurs convictions, leurs valeurs, ou leur éthique. Pour le moment, la CID n’a pas observé de difficultés particulières pour ces juniors pour trouver un emploi correspondant à leurs attentes.

Les 18-35 ans sont aussi très soucieux de l’impact social ou environnemental des missions, ainsi que de l’équilibre vie privée-vie professionnelle : les emplois publics et privés de la principauté répondent-ils à cela ?

DT : Les aspects sociaux et environnementaux des missions proposées aux jeunes, et l’équilibre vie privée-vie professionnelle sont très importants pour cette tranche d’âge.

CID : Les jeunes actifs sont très soucieux du futur en général. La crise sanitaire a eu un impact très lourd sur leur vision de l’avenir. Aussi, ils s’engagent davantage que leurs aînés en matière d’environnement, en particulier. Ils auront donc tendance à choisir une entreprise qui soutiendra et promouvra cet engagement en faveur de l’environnement. Tant le secteur public que le secteur privé tendent à répondre à ces enjeux : pacte national pour la transition énergétique… De même, les jeunes professionnels seront à la recherche d’une vraie séparation entre leur vie privée et leur univers professionnel : cela est devenu une réelle nécessité, avec le développement du travail à distance qui peut impacter fortement ce fragile équilibre vie privée-vie professionnelle.

Le télétravail va dans ce sens ?

DT : La crise sanitaire a fait émerger, et a favorisé, le développement du télétravail. Il constitue un facteur socio-environnemental important pour les jeunes, répondant ainsi à leurs attentes. En effet, on constate une augmentation de 80 % du nombre des entreprises qui ont validé la possibilité de recourir au télétravail. Ce mode de travail permet une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, ainsi qu’une meilleure autonomie dans la réalisation de leurs activités, ce qui entraîne une plus grande motivation au travail. Il permet aussi de réduire le nombre de trajets, et il engendre une baisse de la pollution liée aux transports. On s’aperçoit donc que le télétravail devient une véritable organisation de travail. C’est aussi un nouveau mode de vie souhaité par les salariés, quels que soient leur lieu de domicile, notamment chez les plus jeunes, pour qui c’est désormais une des conditions pour accepter un emploi. Par ailleurs, on constate également que de nombreux employeurs sensibilisés par les actions de la mission pour la transition énergétique affichent des comportements plus vertueux en matière d’environnement. Ce qui influence positivement les jeunes demandeurs d’emploi dans le choix de leur futur employeur.

Selon une enquête réalisée en France auprès de 8 000 jeunes de 18 à 24 ans, le salaire n’est la première attente que pour 25 % d’entre eux : quelles conclusions doivent en tirer les employeurs, et notamment l’État ?

CID : Le salaire net n’est plus la première attente des jeunes actifs, en particulier chez les jeunes diplômés. Les employeurs ont intégré cette donnée, en essayant d’être attractifs par le biais des conditions de travail (flexibilité horaire, télétravail possible…), primes, mutuelles, gardes d’enfants, activités “corporate” renforçant le sentiment d’appartenir à une équipe… Pour autant, il serait faux d’imaginer que les jeunes diplômés acceptent une offre d’emploi dont le salaire ne correspondrait pas à leur investissement pendant leurs études. Ils sont juste prêts à accepter une offre légèrement plus faible, si les conditions proposées par le futur employeur leur paraissent plus attractives.

« La génération Z, les jeunes de 18 à 25 ans, n’envisage plus d’occuper un emploi sur le long terme, et de faire carrière dans la même entreprise tout au long de sa vie professionnelle. La stabilité de l’emploi et le salaire y afférant ne sont plus des préoccupations majeures, comme cela pouvait être le cas pour les générations passées »

La direction du travail (DT)

Souvent supérieure à Monaco, la rémunération n’est donc plus un argument suffisant pour séduire les 18-35 ans : jugez-vous cela inquiétant ?

CID : La rémunération à Monaco est très souvent supérieure, à diplôme et emploi équivalents, à ce que l’on peut observer en France. Cet argument est toujours pris en compte par les jeunes diplômés surtout si une évolution de carrière est possible. Les difficultés de recrutement sont plus en lien avec la pénurie de certains profils, ce qui est également observé dans le pays voisin. La rareté de ces profils (numérique, comptabilité, bâtiment…) aura comme conséquence d’augmenter mécaniquement les salaires d’entrée pour les juniors, par rapport à d’autres secteurs plus représentés. Le fait que la rémunération soit parfois mise au même niveau, par exemple, que la distance par rapport à son lieu de résidence, traduit cette recherche de qualité de vie mentionnée précédemment. Cela n’est pas inquiétant en soi, car c’est en lien avec les évolutions sociétales actuelles.

DT : Le rapport qu’ont les personnes à leur travail est cours de changement, et ce, de façon plus marquée chez les jeunes. La génération Z, les jeunes de 18 à 25 ans, n’envisage plus d’occuper un emploi sur le long terme, et de faire carrière dans la même entreprise tout au long de sa vie professionnelle. La stabilité de l’emploi et le salaire y afférent ne sont plus des préoccupations majeures, comme cela pouvait être le cas pour les générations passées. Cela fait écho à la quête de sens qu’ils recherchent dans leur travail. Si la rémunération supérieure à ce qui peut être proposé dans la région voisine demeure un atout pour les entreprises monégasques, elle ne peut plus, à elle seule, suffire pour attirer les jeunes talents. Les entreprises doivent adapter leurs offres d’emploi concernant tant les missions proposées, que la qualité de vie au travail. Elles doivent évoluer, pour s’adapter aux besoins des futures générations. Elles devront mettre en œuvre des projets qui vont au-delà des simples aspects financiers, pour inclure les volets sociaux et environnementaux.

63 % des jeunes se disent prêts à accepter un poste plus précaire pour un emploi porteur de sens, pendant que 40 % des étudiants des grandes écoles françaises sont prêts à démissionner si leur entreprise manque d’engagement : les entreprises publiques et privées de la principauté comblent ces attentes ?

CID : La mission de la CID est d’accompagner les jeunes diplômés vers une insertion professionnelle réussie, c’est-à-dire à la fois pérenne, mais aussi en accord avec leur projet professionnel. À la connaissance de la CID, aucun des jeunes diplômés qu’elle a pu suivre n’a démissionné par manque d’engagement de son entreprise. Ceci étant, trouver un emploi porteur de sens est important. Et les jeunes diplômés ne se précipitent pas pour accepter la première offre d’emploi. Ils préfèrent souvent attendre d’avoir l’opportunité qui leur correspondra. Ainsi, la durée du contrat d’embauche n’est pas toujours prise en compte, si la mission proposée les enthousiasme : ils considèreront cette dernière comme une expérience professionnelle supplémentaire qu’ils n’hésiteront pas à valoriser dans leur CV. On peut donc estimer que, globalement, les entreprises publiques et privées de la principauté répondent aux attentes de nos jeunes talents ; dans le secteur privé, cela s’explique aussi par le caractère transversal des missions confiées au junior, ainsi que le sentiment d’appartenir à une équipe : 75 % des employeurs de Monaco ont moins de 5 salariés, ce qui favorise énormément le management par objectifs ou collaboratif, et surtout très horizontal, comme dans le modèle des start-ups.

Les entreprises publiques ou privées de la principauté sont-elles suffisamment conscientes de ces changements autour du sens de la « valeur travail », et modifient-elles suffisamment leurs pratiques pour attirer les jeunes ?

CID : Les entreprises partenaires de la CID qui recrutent régulièrement des profils juniors diplômés sont sensibilisées à ces changements. Elles ont fait du recrutement de juniors un vrai moteur pour le changement de leurs pratiques managériales. Cela envoie ainsi un signal fort de dynamisme et de modernisme, très attractif pour les jeunes diplômés.

Pour lire la suite de notre dossier sur les nouveaux rapports des jeunes au travail, cliquez ici.

1) Sources : Baromètre Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi, BCG, la Conférence des grandes écoles, Ipsos, 2021 / Institut Montaigne / Les jeunes et l’entreprise, fondation Jean Jaurès, 2021 / Dares / Les jeunes et le premier emploi, Monster et Yougov, 2021 / Baromètre de la perception du chômage, Elabe, 2021 / AT-Pro.