samedi 20 avril 2024
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Écran noir sur une année blanche, le cinéma monégasque à la peine

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Le cinéma de Monaco est en deuil, après une année éprouvante. Thierry Tréhet, son directeur, est décédé le 6 janvier 2021.

Quelques jours plus tôt, loin d’imaginer un tel drame, nous nous étions entretenus avec son fils, Arthur, pour dresser un bilan de l’activité du cinéma en période de Covid-19.

Nous parlions d’un rêve, celui de son père, sans oser imaginer qu’un drame allait survenir quelques jours après notre rencontre, le 30 décembre 2020. Arthur Tréhet, fils de Thierry Tréhet, disparu subitement le mercredi 6 janvier 2021 (1), nous racontait combien le projet d’un futur cinéma multiplexe comptait aux yeux de sa famille. Le directeur du cinéma n’était pas de la rencontre, il était alors souffrant. Rien de bien méchant pensait-on. C’est donc son fils, sa relève, 20 ans tout rond, qui s’était déplacé au cinéma des Beaux-Arts pour nous compter les projets à concrétiser, des étoiles dans les yeux lorsqu’il se projetait sur ses dossiers. Et, bien sûr, le futur multiplexe, grand projet de cinéma à six salles, était le plus symbolique de sa liste. Un symbole d’avenir, haut en couleur, pour mieux oublier peut-être cette sale année 2020 qu’ils venaient de traverser lui et son père.

Salles ouvertes, mais sans films récents

Ils avaient une bonne et une mauvaise nouvelle à nous annoncer. La bonne, c’est que leur cinéma était toujours autorisé à ouvrir. Contrairement à la France en effet, où les salles de cinéma se voient forcées de fermer, tout comme les théâtres, Monaco allait pouvoir les préserver. La mauvaise, en revanche, c’est que les dernières sorties n’allaient pas pouvoir être projetées dans les salles obscures. Le gouvernement princier a beau avoir autorisé son cinéma à ouvrir ses portes malgré la hausse du nombre de contaminations au Covid-19, celui-ci reste cependant dépendant des distributeurs de films de l’autre côté de la frontière : « C’est logique et je les comprends, ils ne vont pas se court-circuiter en nous transmettant les derniers films, alors que les cinémas français ne peuvent pas les projeter », nous expliquait alors Arthur Tréhet. Difficile, dans ce contexte, d’inciter le public à se déplacer : « C’est dur de faire venir les gens pour des films déjà sortis. Nous ne pouvons publier que les films projetés une à deux semaines d’exploitation avant le deuxième confinement français. Un cinéma, ce n’est pas comme un restaurant, on ne peut pas faire découvrir autre chose qu’un nouveau film. À part communiquer sur les réseaux sociaux et organiser des concours, on ne peut pas faire grand-chose. » Tout cela s’ajoutant à la peur du Covid-19, la fréquentation a diminué comme peau de chagrin : « On réunit 70 personnes au maximum sur une journée. C’est assez médiocre. Habituellement, nous faisions habituellement 250 personnes, et jusqu’à 600 le week-end avant le Covid. La plupart de nos clients ne viennent pas. On se maintient surtout avec les résidents et les Monégasques. » Si bien que le cinéma a dû fermer plusieurs semaines, dès le mois de novembre 2020, faute de fréquentation suffisante, avant de rouvrir à la mi-décembre 2020. Pour tenir, Thierry Tréhet a même dû injecter 100 000 euros de son propre argent pour garder la tête hors de l’eau, et ce, malgré la subvention accordée par le gouvernement princier. Le prix à payer, peut-être, pour préserver les emplois : « Nous sommes très attachés à nos employés, qui sont souvent là de longue date. Nous les payons 34 heures par semaine. Le reste est passé au chômage partiel. »

Voir grand pour rebondir

Pour rebondir, Thierry Tréhet voyait donc grand pour l’avenir du cinéma, promis, selon lui, à devenir celui de son fils : « Un jour, lors d’un voyage en Thaïlande, nous avons découvert un cinéma incroyable, très luxueux. On n’avait jamais vu ça de notre vie. Mon père voulait importer le même concept à Monaco. C’était son rêve », se souvient Arthur Tréhet. Ce cinéma, c’est le multiplex Icon Cineconic de Bangkok, réputé comme l’un des plus luxueux d’Asie du Sud-Est. Un bijou confectionné par la firme Major Cineplex où se côtoient bar à cocktail, services de restauration, fauteuils XXL et réalité augmentée. Pour espérer la même chose à Monaco, il faudra compter sur le projet de développement de centre commercial à Fontvieille, où un projet de multiplex de six salles est justement à l’étude. Projet toujours d’actualité selon la direction des affaires culturelles, malgré la disparition de Thierry Tréhet, qui s’était positionné dans le dossier. Mais on ignore aujourd’hui qui en tirera les manettes : « Nous sommes en bons rapports avec le groupe Socri Reim, qui s’occupe du projet, et nous sommes confiants pour la suite », confiait alors Arthur Tréhet lors de notre entretien. D’ici là, dans un futur plus proche, ce sera au cinéma plein air, le Monaco Open Air Cinema, de se relancer pendant l’été 2021 : « On a pu le faire l’été dernier, en projetant des plus vieux films comme Scarface(1983) et Retour vers le futur(1985), et nous avons eu de bons retours du public. » Vu le contexte sanitaire, l’un des principaux défis d’Arthur Tréhet sera donc de recréer le même engouement auprès du grand-public : « Le cinéma restera toujours une expérience à part. Netflix ne tuera pas le cinéma, tout comme les services de livraisons de repas n’ont pas remplacé les restaurants. Un cinéma, c’est beau, c’est entretenu, et on y est bien reçu. » Comme une part de rêve à préserver.

1) Thierry Tréhet, le directeur du cinéma de Monaco, est décédé mercredi 6 janvier 2021, à l’âge de 61 ans des suites d’un malaise cardiaque. La bénédiction a eu lieu ce mardi 12 janvier en la chapelle du cimetière de Monaco. Figure incontournable du 7ème art en principauté, il était à la tête du cinéma depuis 1975.