jeudi 25 avril 2024
AccueilDossierGuy Antognelli : « Comme au XIXème siècle, on cherchera le sens du...

Guy Antognelli : « Comme au XIXème siècle, on cherchera le sens du voyage »

Publié le

Quel sera le tourisme demain à Monaco ? C’est à cette question que réfléchissent aujourd’hui les services de l’État, alors que le secteur est touché de plein fouet par la crise du Covid-19.

Le directeur du tourisme et des congrès en principauté, Guy Antognelli, livre quelques pistes à Monaco Hebdo.

Propos recueillis par Raphaël Brun et Nicolas Gehin

Entre 2019 et 2020, comment a évolué le chiffre d’affaires du tourisme en principauté ?

L’été 2020 a été satisfaisant, même si les taux d’occupation dans les hôtels n’ont rien de comparable avec les étés précédents. Les résultats ont dépassé ce que l’on espérait après le confinement : 42 % d’occupation pour les hôtels en juillet 2020 rapporté aux 79 % de 2019, et en août 2020 un résultat proche de 52 % contre 82 % en 2019. Les fêtes de fin d’année ont également été importantes en 2020, notamment pour les restaurants et les hôtels, dont certains ont pu ponctuellement dépasser les 70-80 % de taux d’occupation. Tout comme l’année entière, le mois de décembre a cependant été marqué par l’absence d’un tourisme d’affaires en début de mois. Mais certains hôtels ont quand même pu afficher un résultat financier proche de 2019, ce qui montre bien que le tourisme de loisirs a été présent. Le total annuel fait état de 58 % de chambres vendues en moins, pour une baisse du prix moyen de 10 %.

Quelle est la clé de répartition du chiffre d’affaires du tourisme à Monaco, secteur par secteur ?

Si par secteur vous entendez segments de clientèle, le tourisme d’affaires est absent depuis le premier confinement. Seuls quelques événements, comme EVER et les assises de la sécurité informatique, ont pu se tenir, ce qui démontre tout de même les capacités d’organisation de l’événementiel en principauté. Si la question porte plus spécifiquement sur les catégories d’hôtel, celles-ci sont presque identiquement affectées en volume.

Touché par la pandémie de Covid-19, comment a évolué le « mix » de clientèle qui vient consommer à Monaco ?

Sans surprise le “mix” géographique a évolué en faveur des clientèles européennes, je devrais même dire, essentiellement en faveur des clientèles qui peuvent rejoindre la principauté en véhicule terrestre. C’est pourquoi depuis le déconfinement, nous accueillons essentiellement des Français, des Suisses, des Allemands, des Italiens, des Néerlandais, et des Belges. Il faut noter que tant que les frontières étaient ouvertes, la clientèle britannique — bien que dans une moindre mesure — était présente à Monaco. Les clientèles russe, nord-américaine, moyen-orientale et asiatique ont, bien évidemment, fait défaut.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le tourisme de masse n’étant plus là, Monaco doit-il davantage miser sur un tourisme très haut de gamme ?

Monaco n’a jamais « misé » sur le tourisme de masse ; la typologie des hôtels de Monaco et la qualité de la restauration offerte le démontrent. Il est évident que la notoriété de la principauté attire un nombre important de visiteurs faisant vivre des catégories de commerces qui, pour certaines, sont tributaires d’un volume de passage significatif. Effectivement, il faut sans doute repenser certaines offres qui permettraient de pallier cette dépendance.

Le segment du luxe et de l’ultra-luxe a-t-il démontré sa résilience face à la crise sanitaire ?

C’est évident. C’est vrai à l’échelle mondiale, c’est également vrai en principauté. Mais l’ultra-luxe ne fait pas vivre toutes les catégories d’entreprises liées au tourisme. Et s’il a montré sa résilience, il est tout de même affecté, et ne sort pas indemne de la crise. Il faut bien faire le « distinguo » entre une crise financière affectant les capacités de certains de nos clients, et la crise actuelle qui, en limitant les déplacements, touche presque équitablement l’ensemble des clientèles.

Guy Antognelli, directeur du tourisme et des congrès en principauté © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Les résultats ont dépassé ce que l’on espérait après le confinement : 42 % d’occupation pour les hôtels en juillet 2020 rapporté aux 79 % de 2019, et en août 2020 un résultat proche de 52 % contre 82 % en 2019 »

En principauté, le tourisme de luxe permet-il seulement de limiter la casse en temps de crise, ou peut-il s’inscrire dans un tourisme durable et suffisant en termes de chiffre d’affaires annuel ?

Il faudrait préalablement s’entendre sur ce que l’on considère comme tourisme de luxe. Je préfère parler de qualité de l’offre, du large choix à disposition de nos clients. Aujourd’hui, en effet, cela a permis de « limiter la casse », mais la clientèle luxe et ultra-luxe de Monaco est essentiellement extra-européenne ; les restrictions de circulation l’ont donc également affectée. Ce qui fait la force et la résilience de la principauté, c’est son “mix” : “mix” géographique, et “mix” de segment entre tourisme de loisirs et tourisme d’affaires, qui représente plus de 28 % des chambres vendues en 2019. Cela est vrai pour l’ultra-luxe, mais à Monaco la qualité n’est pas réservée au grand luxe. Monaco n’est pas une destination hors de prix, et les visiteurs qui y sont déjà venus s’en font les meilleurs ambassadeurs.

Les boutiques de souvenirs du Rocher souffrent énormément depuis le début de la crise sanitaire : est-ce le signe qu’il faut changer d’activité pour ces boutiques ?

C’est indéniablement le quartier de Monaco qui a le plus souffert de la baisse de fréquentation, car l’ensemble de l’offre repose sur les visiteurs. La répartition locaux/visiteurs parmi la clientèle est plus différente ici que dans d’autres quartiers de la principauté. Plus que de changer d’activité, je pense qu’il faut s’interroger sur l’offre et sur le modèle économique sur lequel reposent les résultats de ces boutiques. Une offre plus diversifiée, qui conduira le visiteur à répartir ses achats différemment, sera sans aucun doute bénéfique à tous, et également plus attractive pour des consommateurs récurrents. Je veux souligner ici l’attention toute particulière, conformément à la volonté de notre souverain, portée par le gouvernement et le Conseil national aux acteurs économiques du Rocher. Il faut souligner les efforts d’ores et déjà entrepris, avec des résultats encourageants, de certains d’entre eux à se « réinventer ».

Le secteur du Rocher pourrait-il devenir une deuxième « place du Casino » avec de nouvelles boutiques de luxe, complémentaires de celles déjà installées en principauté ?

Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Le Rocher est et restera un quartier historique et populaire, et la place du casino est unique. Cependant, il faudra continuer de repenser l’offre, qu’elle soit de restauration, de souvenirs, de produits locaux, d’artisanat, ou de galeries d’art. Pour être pertinente et durable, une offre doit avoir du sens dans son ensemble. Mais le problème cette année n’est pas spécifiquement celui du Rocher. Toutes les destinations et tous les commerces sont impactés, certains plus fortement que d’autres. Je vous rejoins cependant sur le fait qu’il faut sans doute œuvrer pour y voir prospérer une offre qui s’adresse autant aux résidents qu’aux visiteurs.

Les croisières et le tourisme de masse souffrent aussi à cause de la pandémie de Covid-19 : alors que ces bateaux sont accusés de pollution, Monaco peut-il se passer de cette clientèle, dont l’impact annuel était estimé en octobre 2019 par le Conseil national à « 20 millions d’euros, soit environ 100 euros par croisiériste » ?

Je répondrai simplement : à court terme, on ne peut se passer d’aucune clientèle importante. L’image que l’on a des croisiéristes suivant un guide derrière un parapluie orange ou un panneau étoilé, est erronée à Monaco. Si vous rencontrez ces groupes, ce sont des excursions issues de bateaux en escale à Villefranche-sur-Mer, Nice, Cannes, Antibes, voire Gênes. Les enquêtes que nous avons conduites dans le passé nous montrent que Monaco accueille des unités de taille plus petites, et que les passagers de celles-ci visitent généralement la ville par leurs propres moyens. Ils ne sont donc pas directement identifiables comme des croisiéristes. Nous continuerons donc à les accueillir bien volontiers. Cependant, la question environnementale se pose. Et le gouvernement a déjà réglementé l’accès des navires à la principauté en fonction de ces critères.

Guy Antognelli, directeur du tourisme et des congrès en principauté © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Nous raisonnons en cercle concentrique à partir de Monaco, avec des marchés qui pourront venir s’ajouter, en fonction de la reprise du trafic aérien et autoroutier. […] En fonction des ouvertures de frontières et des réglementations en vigueur, nous irons chercher de l’Angleterre, de l’Ukraine, de la Russie… »

Monaco a l’image d’une destination « chère » : si les prix sont élevés, la qualité doit-elle l’être aussi, et de façon systématique ?

Le niveau d’attente d’un visiteur en principauté est très élevé, pas en fonction du prix payé, mais en fonction de la réputation de la destination. Bien évidemment, la qualité doit être au rendez-vous partout, de la sandwicherie au restaurant étoilé. C’est par ce fil directeur que nous continuerons à convaincre nos clients et à les fidéliser. En principauté, nous avons la chance d’avoir de grands professionnels, pour qui cette qualité est essentielle. Qualité du produit, mais aussi du service, car l’accueil est essentiel. Cette stratégie est déjà en place depuis de nombreuses années et le plan accueil du gouvernement n’est pas nouveau ; ces efforts ne doivent pas être relâchés. Tous ces acteurs ont prouvé que, malgré la crise sanitaire, malgré l’ampleur des mesures nécessaires mises en place, il était possible d’accueillir nos visiteurs dans de bonnes conditions.

Alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 et ses conséquences s’annoncent durables, quel serait le bon “mix” de clientèle pour Monaco ?

Ce qui fait la particularité de Monaco, c’est un mélange d’origine, extra et intra-européen, ainsi qu’une offre large qui permet à tous nos visiteurs de profiter d’une expérience inoubliable. Nous ne devons pas nous adresser à un segment en particulier, mais à l’ensemble des visiteurs potentiels qui souhaitent profiter de la qualité des établissements monégasques, le prix n’étant qu’une conséquence de cette qualité. Nous nous adresserons donc à tous ceux qui valorisent, comme nous, l’ensemble des expériences disponibles à Monaco.

Comment le tourisme, qu’il soit de luxe ou non, peut-il être compatible avec l’écologie et l’urgence climatique ?

D’après les chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le secteur représente un nouvel emploi sur dix dans le monde, 10 % du PIB mondial, mais 5 % des émissions de gaz à effet de serre. Donc, évidemment, oui le tourisme doit agir pour devenir encore plus durable. Et oui, il est compatible avec la protection de l’environnement. Les acteurs touristiques monégasques s’engagent dans cette démarche depuis de nombreuses années. La grande majorité des chambres des hôtels de Monaco sont labellisées, et nous avons la chance de proposer une destination où l’essentiel des déplacements peuvent se faire à pied, en vélo électrique, ou en transport en commun. Par ailleurs, la direction du tourisme travaille actuellement à la rédaction d’un livre blanc du tourisme responsable, qui fondera un élément structurant de l’ensemble de nos stratégies pour les années à venir.

Actuellement, le secteur du tourisme est quasiment à l’arrêt : comment appréhendez-vous cette situation ?

Nous n’arrêtons pas de décaler nos plans de promotions. Nos campagnes sont prêtes et nous attendons désormais le bon moment pour les lancer. Aujourd’hui, il y a des changements de comportements qui ne sont pas induits, mais augmentés par la crise. Les clients réservent de plus en plus tard, que ce soit directement auprès de l’hôtel ou en ligne, avec une flexibilité complète.

Quelles sont vos priorités ?

Le tourisme d’affaires crée un fonds de portefeuille, mais aujourd’hui, on ne le voit plus. C’est la raison pour laquelle le premier travail que nous avons mis en place avec le Grimaldi Forum et les hôtels dès le début de la crise, c’était de rester près de ces clients. Avant d’aller essayer de convaincre de nouveaux clients pour lesquels nous allons nous battre avec d’autres destinations, il fallait être aux côtés de ces clients pour qu’ils n’aient pas l’idée de voir si leur événement fonctionne ailleurs. Il faut garder au minimum ce fonds, car c’est lui qui nous aidera à redémarrer.

Désormais, quelle est la place du numérique ?

On dit depuis longtemps que les agences de voyages disparaissent parce que les gens réservent via Internet. D’ailleurs, tous les grands tour-opérateurs physiques ont aujourd’hui leur site. Ils sont devenus des acteurs du web. On parle de “cross-canal” [stratégie de distribution qui met à profit plusieurs canaux – NDLR]. Une enquête d’Expedia, menée en Angleterre et au Canada, montre que les gens visitent, en moyenne, 140 sites Internet avant de réserver leur voyage. Il faut donc être présent sur ces sites. C’est de la notoriété, mais, sur ce plan, Monaco est assez bien aidé par son rayonnement.

Quelle est votre stratégie ?

Pour le tourisme d’affaires, être près de nos clients fidèles est essentiel. Parce que les grands évènements, hors Grand prix, représentent 10 % des chambres vendues dans la destination à l’année. Il faut donc bien s’occuper de ces acteurs. Il faut s’assurer qu’ils vont rester, sachant que, de toute façon, les formats seront plus petits. Ils s’attendent tous à perdre, au minimum, entre 30 et 40 % de leur participation. Une fois qu’on les a gardés, cela nous permet de dire « on fait », et on espère que ça fera un effet boule de neige pour nous permettre d’aller rechercher de nouveaux clients.

Guy Antognelli, directeur du tourisme et des congrès en principauté © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Je ne crois pas à un “monde d’après” ou à une “nouvelle normalité”. Le Covid a accéléré des mutations déjà en cours, et nous confronte à des modifications de comportement inévitables, notamment dans le domaine du tourisme d’affaires. Aux professionnels de se les approprier et d’y apporter les réponses attendues »

Concrètement, que faites-vous pour y parvenir ?

Nous avons sorti une campagne sur le tourisme d’affaires en décembre 2020, car nous étions dans un process de réinvention de l’évènementiel, du congrès. Nous avons vu que le télétravail fonctionnait, mais nous avons aussi vu que l’événement digital, ou hybride, était complexe. La satisfaction du participant n’est pas du tout la même en numérique qu’en présentiel. C’est un bon signe, car cela signifie que nous avons besoin de ce type d’événements.

Quelle est votre stratégie pour le tourisme de loisirs ?

Nous sommes toujours près de nos partenaires tour-opérateurs, qui envoient régulièrement des clients en principauté. Et nous allons essayer d’aller toucher des clients comme nous l’avons fait pendant l’été 2020, avec des campagnes ciblées, soit à la télé, soit sur des panneaux numériques dans la rue ou les centres commerciaux. Dès que les lignes aériennes vont repartir, on fera des opérations de communication. Nous avions, par exemple, une campagne prévue avec United dans le “in-flight” [publicité dans les avions – NDLR], sur tous les vols United du monde, pour dire « United vole vers Monaco ». Tous ces dispositifs vont être repris au fur et à mesure des ouvertures.

Comment procédez-vous, alors que l’incertitude demeure sur la reprise d’activité ?

Nous raisonnons en cercle concentrique à partir de Monaco, avec des marchés qui pourront venir s’ajouter, en fonction de la reprise du trafic aérien et autoroutier. Il s’agira donc, a priori, des mêmes clientèles qu’en 2020. Et, en fonction des ouvertures de frontières et des réglementations en vigueur, nous irons chercher de l’Angleterre, de l’Ukraine, de la Russie… Nous nous sommes améliorés sur la collecte de données, pour comprendre comment ces clients venaient à Monaco. L’idée aujourd’hui, c’est de trouver comment articuler ces éléments de communication, de marketing qui permettent d’aller toucher au mieux la cible de la principauté. Il faut qu’on cible beaucoup mieux nos clientèles et ça passe bien évidemment par nos partenaires tour-opérateurs.

Votre communication était axée autour du label Monaco Safe pendant l’été 2020 : allez-vous continuer cette année ?

C’est essentiel, mais pas de la même façon. L’été dernier, c’était nouveau pour tout le monde. Nous avons donc été didactiques. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’il faut mettre ces mesures en place. Les gens ont besoin d’être rassurés mais ils ont aussi besoin de dire « si on voyage, c’est pour en profiter ». Donc ce n’est pas pour être martelé dans le message de mesures de protection car, de toute façon, tout le monde a désormais compris qu’elles seront en place.

Y a-t-il une réflexion sur l’avenir du tourisme à Monaco ?

Une réflexion est en cours. Une étude est menée à ce sujet.

Le tourisme de masse fait-il partie de cette réflexion ?

Nous n’avons jamais cherché à développer le tourisme de masse à Monaco. Mais Monaco, ce n’est pas non plus Santorin, où de nombreux bateaux débarquent. À Monaco, nous avons au maximum trois bateaux de 500 passagers en escale, et cela arrive rarement. Nous ne sommes donc pas sur du tourisme de masse. C’est la notoriété qui attire cette clientèle, et qui fait vivre une partie des commerces. Mais aujourd’hui, je pense que certains commerces vont se réinventer, parce que ce qui a manqué à Monaco Ville par rapport à d’autres quartiers, c’est la consommation locale. Ça ne s’adresse pas, ou très peu, à des locaux.

Que faire pour attirer les locaux sur le Rocher ?

Il y a sans doute une réinvention à trouver, faire un “mix” [un mélange — NDLR] de commerces pour avoir plus de locaux le week-end, par exemple. Il faut trouver cette articulation de l’offre, et ne pas avoir des commerces monotypes. Nous avons déjà eu le problème sur le boulevard des Moulins, et c’est en train de s’arranger, avec des boutiques de vêtements, de déco… Je pense qu’on va aller vers ça.

Quel rôle doit jouer l’État dans cette réinvention ?

La puissance publique peut être incitative, mais elle ne peut pas être complètement directive. Ça ne fait aucun sens. La personne qui a la bonne idée, fera toujours mieux qu’un gouvernement qui lui imposera de faire quelque chose. Nous avons quelques commerces qui sont allés sur de l’artisanat local, sur des produits provençaux, et ils s’en sortent un peu avec les locaux.

Les commerçants de Monaco Ville sont-ils prêts à se réinventer [lire notre article dans ce dossier — NDLR] ?

Ils en auront besoin. Aujourd’hui, certains commerçants de Monaco Ville réfléchissent. Qu’est-ce que je peux faire ou changer dans mon offre ? Qu’est-ce que je peux changer dans ma boutique, dans sa conception ? Le gouvernement peut œuvrer en disant : « Qu’est-ce qui peut rendre Monaco Ville plus attractif ? ». Il y a toute une réflexion qui ne dépend pas du tout du tourisme, mais de la diversité et de la qualité de l’offre, sans se disputer la même part de clientèle, et qui peuvent être une solution. Si on est tous mono-produit, on se distingue forcément par le prix. Et si on se distingue par le prix, cela implique de faire du volume, et, du coup, la moindre variation en volume devient compliquée. À Monaco, le phénomène est amplifié par le fait que les loyers sont importants. Il faut donc trouver un modèle qui ne soit pas conduit uniquement par le prix et le volume. Et ça, la qualité et une offre différenciée peuvent y répondre.

Mais le tourisme « de masse » va aussi finir par revenir ?

Choisir, c’est renoncer. En marketing, on dit qu’il faut segmenter une offre, et cibler une clientèle. Du moment que vous segmentez et ciblez, vous renoncez à une autre. Si, par exemple, vous ne faites que du pin’s, vous renoncez à toutes les autres clientèles. Il y a un risque à bouger, et il y a un risque à ne pas bouger.

Peut-on modifier l’offre et rester malgré tout attractif pour ce tourisme grand public ?

Oui, car ce n’est pas cette offre qui attire le tourisme de masse. Elle en profite. Ce n’est pas la boutique de souvenirs qui fait venir le touriste sur le Rocher, mais le palais et le musée océanographique. Donc, une fois que le tourisme reviendra, Monaco restera aussi attractif qu’avant, sinon plus. Je suis persuadé qu’il y a de la place pour proposer d’autres produits à ce volume de touristes.

Les commerçants disposent-ils des moyens nécessaires pour se réinventer ?

C’est effectivement la question : les commerçants ont-ils les liquidités pour se transformer ? Une partie du plan blanc du gouvernement peut leur permettre d’avoir des aides pour rénover les boutiques, faire des travaux… Ensuite, certains ont gagné beaucoup d’argent sur les années précédentes. Être entrepreneur c’est prévoir, c’est se réinventer. L’idée, c’est de ne pas en laisser sur le bord de la route, et les aides du gouvernement sont là pour ne pas ce que ce soit le cas. Mais il faut s’adapter à une demande qui aurait changé.

Aujourd’hui, une réflexion est menée à ce sujet ?

La directrice du Welcome Office, Laurence Garino, travaille sur « comment redynamiser le Rocher ? ». Il y a une réflexion globale. Nous, nous sommes en train de travailler sur un « positionnement destination », c’est-à-dire sur ce que cela veut dire être Monaco pour un visiteur aujourd’hui. Cela va nous permettre d’être encore plus pertinent en matière de marketing.

Une montée en gamme est-elle envisagée ?

On a la chance d’avoir à Monaco un “mix” d’offres, qui couvre un peu tous les segments. De l’ultra-luxe, avec la suite Rainier III, au McDonald’s. On peut tout trouver et s’adresser à toute la clientèle. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir dire : « A Monaco, vous trouverez de la qualité, quels que soient vos moyens ». Il faut qu’on s’adresse à une clientèle qui valorise l’expérience Monaco, comme on la valorise nous-mêmes. On sait que des choses coûtent un certain prix, car il y a des produits à l’intérieur, il y a du service, et une main d’œuvre qui justifient ce prix. Dans l’imaginaire des gens, Monaco c’est le luxe. Moi, je préfère dire que c’est la qualité et le choix. Parce qu’on a le choix de consommer ce que l’on veut. On n’est pas obligé d’aller à l’hôtel de Paris.

Une montée en gamme est-elle compatible avec un tourisme plus grand public, qui fait aussi vivre les commerçants du pays ?

C’est compatible, pour deux raisons. Les clients qui venaient et qui ne dépensaient rien, de toute façon, ce n’est pas eux qui nous faisaient vivre. Ce ne sont pas ces rentrées de TVA qui faisaient vivre le pays. Le commerçant qui va se réinventer, ce n’est pas grave s’il vendait avant à 100 clients, et que maintenant, il vend à 70 clients. Si, au final, il a le même bénéfice ou un meilleur bénéfice, il sera sans doute content, car il travaillera dans de meilleures conditions. Donc, il ne sera pas perdant. Encore faut-il qu’il se soit réinventé, entre temps. Mais, en termes de destination, on doit, nous, aller vers cette qualité. Nous devons avoir cette exigence, car nous sommes Monaco.

Le chiffre d’affaires du tourisme à Monaco peut-il augmenter encore, ou est-ce qu’un plafond de verre a été atteint ?

Je pense que le plafond de verre, si jamais il en existe un, est aujourd’hui bien loin au-dessus de nous, et nous allons devoir œuvrer plusieurs années avant de retrouver un niveau de pré-Covid. Après la crise des “subprimes” en 2008, il nous a fallu trois ans pour retrouver le niveau de 2007. Le choc actuel est trois fois plus important dans les hôtels de Monaco, et un retour au niveau antérieur pour l’ensemble de l’économie touristique n’est pas prévu avant 2025 ou 2027 au niveau mondial. Nous devons œuvrer pour raccourcir ce délai au maximum pour Monaco.

À quoi ressemblera le tourisme post-Covid à Monaco ?

Je pense que l’ensemble des visiteurs souhaitera vivre une expérience. De nouveau, comme au XIXème siècle, on cherchera le sens du voyage, et non pas uniquement un déplacement géographique. Nos visiteurs seront guidés par leurs passions : gastronomie, bien-être, découvertes culturelles, événements sportifs internationaux, Monaco offre depuis fort longtemps un panel d’activités inédit dans un espace aussi concentré. Les visiteurs du monde entier souhaiteront des séjours plus longs, plus riches, et pour les séjours courts une redécouverte des destinations de proximité semble une évidence. Les clientèles européennes, qui auparavant partaient très loin pour de courtes durées, devraient renforcer leur présence. Et, chose non négligeable, nos visiteurs long-courriers devraient accroître leur durée de séjour. Mais je ne crois pas à un « monde d’après » ou à une « nouvelle normalité ». Le Covid a accéléré des mutations déjà en cours, et nous confronte à des modifications de comportement inévitables, notamment dans le domaine du tourisme d’affaires. Aux professionnels de se les approprier et d’y apporter les réponses attendues.

Pour lire la suite de notre dossier sur la crise du tourisme à Monaco, cliquez ici