vendredi 29 mars 2024
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Covid long – Valérie Bernard : « Il n’y a pas d’explications, il y a seulement des pistes de réflexions »

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Face aux cas de Covid long, le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) s’organise. Valérie Bernard, cheffe du service de médecine physique et de réadaptation du CHPG, explique à Monaco Hebdo son combat sur le terrain, alors que les scientifiques essaient toujours de comprendre l’origine de ce syndrome.

Un peu plus d’un an après le début de la pandémie de Covid-19, combien de cas de Covid long avez-vous pris en charge dans votre service au CHPG ?

Le service de médecine physique et de réadaptation pratique une médecine globale, ce n’est pas une médecine d’organes. Nous soignons les conséquences fonctionnelles provoquées chez des patients par des maladies ou des problèmes de santé. Depuis le début de cette épidémie de Covid-19, en mars 2020, nous avons affiné nos prises en charge au fil du temps. Ainsi, mi-avril 2020, nous avons rédigé un protocole interne de prise en charge pour nos patients sortant d’hospitalisation, les cas de post-Covid, les phases post-aiguës ou les phases chroniques de cette maladie. Certains patients peuvent faire de la rééducation chez eux, à partir d’exercices appris pendant leur hospitalisation. D’autres ont besoin d’être accompagnés par un kinésithérapeute en ville. Enfin, d’autres ont besoin d’un plateau technique plus fourni et d’une équipe plus expérimentée et multidisciplinaire. Dans ce cadre-là, nous avons accueilli 25 patients liés à des cas de Covid long. Très peu ont été pris en charge pendant la première phase. C’est surtout maintenant que ces cas se présentent.

Pourquoi ?

C’est sans doute lié au fait que nous avons aujourd’hui davantage de patients Covid et que l’effet « nombre » pèse. Il y a aussi une attention portée aujourd’hui sur cette chronicité, qui était beaucoup moins forte en mars 2020. Et puis, avec les variants du Covid, l’expression de cette maladie n’est désormais plus tout à fait la même.

Quels sont les principaux symptômes qui persistent le plus souvent ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Haute autorité de santé (HAS) française ont identifié un peu plus d’une cinquantaine de symptômes persistants, qui peuvent exister de manière isolée ou être associés, et qui altèrent la qualité de vie. Mais on peut schématiquement les rassembler en quatre groupes.

« Une personne en réanimation, et qui est sédatée, perd chaque jour 10 % de puissance musculaire. Ce qui est vertigineux. Surtout si on considère que ce qui est perdu en un jour, nécessite trois jours pour être regagné »

Quel est le premier groupe ?

Il y a d’abord les signes de déconditionnement cardiorespiratoire : ça se traduit par une toux persistante, un essoufflement persistant, et la diminution de la capacité d’endurance. Sachant que le premier effort d’endurance, c’est la marche ou monter des escaliers, par exemple. Certains patients décrivent aussi une sensation d’oppression thoracique.

Avec quelles conséquences ?

Un cercle vicieux se met en place. Fonctionnellement, c’est parce que des activités sont difficiles à réaliser, qu’elles ne sont pas pratiquées. Or, moins elles sont pratiquées, et plus elles sont difficiles à être réalisées. C’est l’inverse du cercle vertueux d’un entraînement, qui fait que plus on s’entraîne, et plus il est facile de pratiquer. Et plus il est facile de pratiquer, plus on pratique une activité.

Quel est le second groupe ?

Le second groupe concerne le déconditionnement musculaire général. Il s’agit d’une fonte musculaire après un séjour en service de réanimation, après une éventuelle sédation, ou un alitement. Une personne en réanimation, et qui est sédatée, perd chaque jour 10 % de puissance musculaire. Ce qui est vertigineux. Surtout si on considère que ce qui est perdu en un jour, nécessite trois jours pour être regagné. Il existe aussi des neuromyopathies acquises en réanimation. Cela ressemble aux formes génétiques, sauf qu’ici elles n’ont pas de caractère génétique.

Et le troisième groupe ?

C’est une désorganisation neurologique des mouvements du quotidien, de la gestuelle complexe à la motricité fine. Certains patients perdent cette organisation, qui est en grande partie automatisée et liée à nos apprentissages depuis la petite enfance. Le sens de l’équilibre, la marche et la motricité fine vont être « oubliés » ou désorganisés.

« On considère qu’environ 15 % des malades du Covid développent une forme prolongée. » Valérie Bernard. Chef du service de médecine physique et de réadaptation du CHPG. © Photo CHPG

« Un cas de Covid long peut concerner une personne jeune, sportive, en bonne santé, sans aucune comorbidité. Certains peuvent aussi développer un Covid long sans avoir été hospitalisés, simplement suivis à leur domicile pour une forme légère de la maladie »

Quel est le quatrième et dernier groupe ?

Le dernier groupe de symptômes rassemble les difficultés neurocognitives. Ce sont des troubles de la mémoire, des difficultés de concentration, avec ce fameux « flou » post-Covid. C’est une sorte d’état de confusion cérébrale que les patients en phase chronique de la maladie décrivent. Il peut y avoir une fragilisation psychique, avec une perte de confiance, une perte de dynamisme fonctionnel, qui peut aller de l’appréhension à la phobie. Cela peut être une phobie de l’effort, une phobie du mouvement, ou même une phobie de la respiration. Il peut également y avoir des retentissements psychiques avec de l’anxiété ou des symptômes dépressifs.

S’agit-il d’une continuité de symptômes du Covid-19 ou de séquelles, avec des dommages auxquels il est difficile de remédier ?

La séquelle implique des dommages définitifs. Aujourd’hui, nous n’avons pas suffisamment de recul pour se prononcer. L’OMS estime que les formes légères ou modérées de la maladie récupèrent leurs capacités en deux ou trois semaines. Si la forme de la maladie est plus marquée, la récupération nécessite entre cinq et six semaines. Au-delà de six semaines, on entre dans une maladie qui est davantage chronique. Certains ressentent une continuité des symptômes, puis ils vont mieux au bout de quelques mois. D’autres n’ont plus de signes avant de « rechuter » quelques semaines plus tard, avec de l’essoufflement, des céphalées, une fatigue, des difficultés musculaires qui reviennent… À ce jour, nous n’avons aucune explication nous permettant de comprendre ces symptômes prolongés.

Les séquelles définitives, pour certains cas de Covid long, pourront donc être évitées ?

Tout est fait pour éviter des séquelles définitives provoquées par le Covid-19. Mais aujourd’hui, d’un point de vue strictement scientifique, la réponse à cette question est « nous ne savons pas ».

« Nous avons accueilli 25 patients liés à des cas de Covid long. Très peu ont été pris en charge pendant la première phase. C’est surtout maintenant que ces cas se présentent »

Tout le monde peut vraiment être malade et développer un cas de Covid long ?

Un cas de Covid long peut concerner une personne jeune, sportive, en bonne santé, sans aucune comorbidité. Certains peuvent aussi développer un Covid long sans avoir été hospitalisés, simplement suivis à leur domicile pour une forme légère de la maladie. Globalement, on considère qu’environ 15 % des malades du Covid développent une forme prolongée.

Comment évolue la rééducation des patients victimes de Covid long que vous suivez ?

Les évolutions sont très variables. En cinq ou six séances, avec des exercices pratiqués quotidiennement à domicile, certains patients obtiennent de bons résultats. Mais on a des patients que l’on va garder pendant plusieurs mois. Par exemple, pendant la première vague de Covid-19, en avril 2020, nous avons accueilli un patient pendant presque six mois. Pourtant, il s’agissait d’un homme jeune en bonne santé, sportif, sans antécédent, et avec une activité professionnelle dans le bâtiment, donc très physique.

Malgré tout, un profil type commence-t-il à se dégager pour ces cas de Covid long ?

Pour le moment [cette interview a été réalisée le 11 mars 2021 — NDLR], à Monaco, nous n’avons pas été confrontés à des Covid longs chez les enfants ou les très jeunes adultes. En règle générale, ils développent des formes bénignes de cette maladie. En revanche, on sait que des formes prolongées du Covid peuvent toucher les adultes jeunes. Mais, à ce jour, aucun profil type évident ne se dégage. Potentiellement, tous les adultes peuvent développer un Covid long.

À Marseille, une étude des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM) lie les symptômes persistants des cas de Covid longs à des baisses d’activité du cerveau : c’est une piste intéressante ?

Je n’ai pas pris connaissance de cette étude. Il y a aussi une étude anglaise, publiée mi-février 2021, qui montre que l’on retrouve dans les capillaires cérébraux des patients Covid, des cellules qui ne sont pas censées se retrouver à cet endroit-là, puisqu’il s’agit de cellules de la moelle osseuse. Il n’y a pas d’explications physiopathologiques aujourd’hui. Il y a seulement des pistes de réflexions et de recherche.

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