vendredi 19 avril 2024
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Coronavirus : l’hydroxychloroquine, remède miracle ?

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Le professeur Didier Raoult en est convaincu : il a trouvé “le” remède le plus efficace pour traiter les patients infectés par le Covid-19.

Pourtant, les résultats de son étude sur l’hydroxychloroquine continuent de diviser politiques et scientifiques en pleine épidémie de coronavirus.

À l’origine, la chloroquine est un anti-paludique qui a largement été utilisé dans les armées en prévention. L’hydroxychloroquine, elle, est un dérivé de la chloroquine. Cette molécule est utilisée dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, du lupus, ou encore en prévention des lucites. Si les deux molécules sont proches, et souvent confondues dans les médias, leur activité est un peu différente, notamment en terme de pénétration dans l’organisme. Dans le cadre des recherches pour traiter les malades du Covid-19, c’est bien l’hydroxychloroquine qui est testée, et non la chloroquine.

L’hydroxychloroquine déjà testée sur d’autres virus

L’hydroxychloroquine a, dans le passé, été testée in vitro sur un certain nombre de virus, dont le Zika. À ce stade, il ne s’agit pas d’observations menées sur des patients, mais d’essais biologiques en laboratoire. Son activité in vitro avait été jugée suffisamment intéressante pour faire l’objet de tests in vivo. Mais ces essais menés sur un organisme vivant n’avaient pas confirmé son efficacité. Constatant l’activité de la molécule sur certains virus in vitro, le professeur Didier Raoult et ses équipes de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection ont donc décidé de la tester pour le Covid-19 en thérapeutique, associée ou non à de l’azithromycine. Cet antibiotique intra-cellulaire aurait également montré son efficacité, in vitro, sur des virus. L’infectiologue a expliqué sa démarche dans les colonnes du Parisien le 22 mars dernier : « J’ai fait une étude scientifique sur la chloroquine et les virus il y a treize ans qui a été publiée. Depuis, quatre autres études d’autres auteurs ont montré que le coronavirus était sensible à la chloroquine. Tout cela n’est pas une nouveauté […] On a décidé dans nos expérimentations d’ajouter un traitement d’azithromycine pour éviter les surinfections bactériennes. Les résultats se sont révélés spectaculaires sur les patients atteints du Covid-19 lorsqu’on a ajouté l’azithromycine à l’hydroxychloroquine ». Si de nombreux médias annoncent une étude portant sur 24 patients, celle-ci a en réalité été menée sur 26 patients. Et même plus précisément sur 20. Car six patients ont été sortis en cours d’étude : trois ont été transférés en réanimation, deux ont arrêté le traitement ou ont quitté l’hôpital, et un est décédé. Selon les résultats présentés par le professeur Didier Raoult, 75 % des patients traités ont vu leur charge virale diminuer après 6 jours de traitement. Sont-ils pour autant guéris ? Interrogé par nos confrères de La Provence, le professeur Raoult s’est montré catégorique : « Ils sont guéris du virus », a-t-il répondu avant toutefois de préciser, « mais si vous avez des lésions pulmonaires, elles ne disparaîtront pas en trois jours. Nous ne savons pas pour le moment non plus si, une fois guéri, vous pouvez retomber malade, cela n’a pas été décrit par les Chinois qui ont deux mois d’avance sur nous ».

Comment agit l’hydroxychloroquine ?

La molécule empêcherait l’entrée du virus dans les cellules : « Pour entrer, il faut que le virus s’associe à un récepteur et en fait, l’hydroxychloroquine peut bloquer au niveau de ces récepteurs et empêcher l’entrée », explique un membre de l’équipe du professeur Raoult à l’IHU. L’hydroxychloroquine agirait également sur le pH d’un compartiment indispensable au virus : « Pour entrer, le virus doit aussi être dans un endosome, c’est-à-dire un petit compartiment, qui lui permet de rentrer et qui est acide. Et la chloroquine joue aussi sur le pH de ce petit compartiment. En modulant le pH, cela empêche finalement la pénétration du virus ». Enfin, elle pourrait agir au niveau de la réplication du virus mais cette action n’a pas encore été formellement démontrée. La posologie (1) utilisée au cours de l’étude est la suivante : 200 milligrammes d’hydroxychloroquine, trois fois par jour (soit 600 milligrammes par jour), pendant dix jours. Associés à 500 milligrammes d’azithromycine le premier jour et 250 milligrammes les quatre jours suivants. L’azithromycine ne peut être prescrite que pendant cinq jours, nous a-t-on indiqué. L’hydroxychloroquine est administrée sous forme de comprimés de 100 milligrammes.

© Photo IHU

La prise d’hydroxychloroquine n’est pas sans risque. Des cas graves de troubles cardiaques ont en effet été signalés chez certains patients

Un traitement loin d’être anodin

Le professeur Raoult a évoqué et minimisé les effets secondaires de l’hydroxychloroquine dans les colonnes de La Provence : « Ce qu’on dit sur les effets secondaires est tout simplement délirant. Ce sont des gens qui n’ont pas ouvert un livre de médecine depuis des années. Plus d’un milliard de gens en ont bouffé, les personnes qui souffrent de lupus en prennent pendant des décennies… Je connais très bien ces médicaments, j’ai traité 4 000 personnes à l’hydroxychloroquine depuis 20 ans ». Dans une interview accordée à nos confrères du Parisien, l’infectiologue a en revanche nuancé ses propos rappelant que, « en tout état de cause, un médicament ne doit pas être pris à la légère et toujours prescrit par un médecin généraliste ». Car la prise d’hydroxychloroquine n’est pas sans risque. Des cas graves de troubles cardiaques ont en effet été signalés chez certains patients. L’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine a d’ailleurs alerté, ce lundi 30 mars, sur les dangers de l’automédication. Dans un communiqué, l’ARS indique que la prise de ce médicament doit faire l’objet d’une « surveillance » et d’une « prescription » médicales adaptées « pour éviter la survenue d’événements indésirables graves mais aussi des hospitalisations en réanimation ». Pour rappel, ce médicament est contre-indiqué aux personnes cardiaques et aux personnes qui ont des problèmes rénaux. Du côté de l’équipe du professeur Raoult, on indique que l’hydroxychloroquine « n’est pas un médicament pour les gens en réanimation » mais plutôt « pour traiter ceux qui font un coronavirus simple, surtout du fait qu’il élimine rapidement la charge virale ». Cette molécule serait donc particulièrement efficace à un stade précoce de la maladie. D’où la nécessité de mener en parallèle une politique de dépistage massif : « Si on dit, la politique, c’est de ne pas identifier les gens, ils restent chez eux, ils attendent et quand ils sont vraiment pas bien, en gros phase pré-réa, on les diagnostique, dans ce cas-là l’hydroxychloroquine n’a pas forcément d’impact », précise une source proche de Didier Raoult. À l’IHU, d’ailleurs, la stratégie de dépistage est très claire : on dépiste, on diagnostique, on traite. Les équipes du professeur Raoult dépistent systématiquement et traitent tous ceux qui veulent l’être. Cette stratégie de dépistage va à contre-courant de ce qui se fait au niveau national. « Ce qui peut énerver d’autres personnes à Paris », reconnaît-on dans l’entourage du professeur Raoult. Mais qu’importe, « ce n’est pas parce que l’on n’habite pas à l’intérieur du périphérique parisien qu’on ne fait pas de science », leur répond l’infectiologue. Interrogé sur le fait d’être en permanence à rebours des recommandations nationales, le principal intéressé a répondu sans détour dans La Provence : « Je me fous de ce que pensent les autres. Je ne suis pas un outsider, je suis celui qui est le plus en avance […] Dans mon monde, je suis une star mondiale, je ne suis pas du tout à contre-courant. Je fais de la science, pas de la politique ».

D’autres études en cours

Didier Raoult a publié, vendredi 27 mars, les résultats d’une deuxième étude portant sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine associée à un antibiotique (azithromycine). Ce nouvel essai mené sur 80 patients confirment « l’efficacité de notre protocole » et « la pertinence de l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine », indique l’infectiologue marseillais dans un tweet. Selon l’équipe de l’IHU, 78 patients sur 80 ont connu « une amélioration clinique » de leur état de santé et ont pu quitter les soins intensifs au bout de cinq jours. Concernant les deux autres patients, un d’entre eux, âgé de 86 ans, est décédé et un autre, de 74 ans, est toujours dans un état grave. L’hydroxychloroquine s’est aussi invitée dans l’essai clinique européen Discovery (voir par ailleurs). Cette étude qui teste également trois autres options thérapeutiques contre le Covid-19 devrait regrouper plus de 3 000 patients, dont 800 patients français. Interrogé par nos confrères du Parisien, Didier Raoult avoue ne rien attendre de ces essais : « Avec mon équipe, nous estimons avoir trouvé un traitement. Et sur le plan de l’éthique médicale, j’estime ne pas avoir le droit en tant que médecin de ne pas utiliser le seul traitement qui ait jusqu’ici fait ses preuves. Je suis convaincu qu’à la fin tout le monde utilisera ce traitement. C’est juste une question de temps », a-t-il déclaré à ce sujet.

« Sentiment anti-Raoult »

En France, les autorités sanitaires restent prudentes et attendent les résultats d’autres études avant de généraliser le recours à l’hydroxychloroquine. Aujourd’hui, le traitement est uniquement utilisé à l’hôpital pour les formes graves de Covid-19. Du côté de l’IHU, on estime que « si quelqu’un d’autre l’avait présenté, ça aurait été fait plus vite ». Les proches du professeur Raoult n’hésitent pas à évoquer un « sentiment anti-Raoult » et dénoncent « une espèce de guéguerre entre infectiologues ». Dans les colonnes du Parisien, le professeur Raoult préfère revendiquer sa liberté de prescrire : « C’est ma liberté de prescription en tant que médecin. On n’a pas à obéir aux injonctions de l’État pour traiter les malades. Les recommandations de la Haute Autorité de santé sont une indication, mais ça ne vous oblige pas ». Avant de répondre sans détour à ses détracteurs : « À ceux qui disent qu’il faut trente études multicentriques et mille patients inclus, je réponds que si l’on devait appliquer les règles des méthodologistes actuels, il faudrait refaire une étude sur l’intérêt du parachute. Prendre 100 personnes, la moitié avec des parachutes et l’autre sans et compter les morts à la fin pour voir ce qui est plus efficace. Quand vous avez un traitement qui marche contre zéro autre traitement disponible, c’est ce traitement qui devrait devenir la référence ».

1) Cette posologie est indiquée à titre informatif. Elle ne remplace pas l’avis et les conseils d’un médecin.

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