jeudi 25 avril 2024
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Entre décharge, usagers en balade et protection renforcée, les conducteurs
de bus poursuivent leur mission

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Les conducteurs de bus font partie des professions qui poursuivent le travail, malgré le risque de contamination.

En tant que concession de service public, la Compagnie des autobus de Monaco continue d’assurer sa mission. Non sans difficultés, communes à beaucoup, et dans un climat quelque peu tendu.

Ils ont été jugés essentiels à la vie de la principauté. Les bus de la Compagnie des autobus de Monaco (CAM) continuent de circuler, bien qu’en service minimum. Après observation de la diminution de l’affluence par les services de la direction suite à la fermeture des écoles le 13 mars 2020, le choix a été fait d’appliquer le service du dimanche à toute la semaine. « On a mesuré au jour le jour la fréquentation dans les autobus sur toutes les lignes. Pour voir quelle était la fréquentation moyenne. Évidemment, les gens se déplaçant de moins en moins, la fréquentation a chuté considérablement. Donc, on a pu passer sur un service plus léger, le service du dimanche. Il fallait un service facilement identifiable pour les clients », détaille Roland de Rechniewski, directeur d’exploitation de la CAM. Leur suppression totale n’a pas été envisagée, ce qui a fait consensus, la plupart des chauffeurs étaient convaincus de la nécessité de continuer à assurer un service public. Ce qu’explique Ridah Bouhlel, conducteur de bus et délégué syndical du syndicat du personnel de la compagnie des autobus de Monaco (CAM). « Il  y a certaines personnes qui en ont vraiment besoin pour se déplacer, pour aller au médecin. Ça aurait été lâche de dire : « On reste chez nous, et ils se débrouillent ». On est un service public, donc il faut qu’il y ait un service minimum. Ne serait-ce que pour se rendre à l’hôpital, pour le personnel soignant ou d’autres personnes de la principauté qui sont obligées de se déplacer. Il était nécessaire d’avoir un service minimum, mais peut-être mieux adapté. En fait, on a juste appliqué le service du dimanche, ni plus, ni moins. Le service du dimanche est un service réduit où il y a moins de bus ».

Baisse évidente de l’affluence, mais des « balades journalières »

Un service minimum qui pourrait être amélioré selon le conducteur et délégué syndical. « Le service du dimanche, certains bus vont presque jusqu’à 21 heures. Mais ça ne sert à rien en période de confinement. On a proposé un bus qui fait du 8 heures – 20 heures ». Quoi qu’il en soit, la fréquentation a baissé drastiquement, comme le note le directeur de la CAM. « On diminue par deux l’offre de transports. On finit moins tard aussi. Et on a diminué par dix la fréquentation. Dans une journée normale vous avez grosso modo 25 000 passagers. Là, on est tombé à 2 200, 2 500 grand maximum ». Néanmoins, Ridah Bouhlel estime que certains usagers continuent à prendre le bus, sans réelle motivation autre que la balade. « A Monaco, il n’y a pas réellement d’obligations, les gens peuvent sortir assez simplement, il n’y a pas de document à fournir, pas d’attestation lorsqu’on sort. Du coup, effectivement, il y a des moments où il y a de l’affluence dans les bus. Alors, dans le courant de la journée, cela reste assez calme mais il y a certains créneaux horaires… Nous avons pas mal de personnes âgées qui ne sont pas conscientes du truc. Il y a des personnes qui se baladent en bus. Je n’hésite pas à leur dire, il y a beaucoup de proximité, on les connaît depuis longtemps. On essaie de leur faire comprendre. » Ce que confirme Stéphane Higelin, responsable des ventes et de l’accueil en boutique, actuellement en télétravail et délégué du personnel. « Ça fait dix jours qu’on est toujours aux alentours de 2 000 [passagers par jour – N.D.L.R.]. Donc ça veut bien dire que les gens continuent à prendre le bus pour des déplacements de confort. Notamment les petits vieux qui vont trois fois par jour à Carrefour, ce n’est peut-être pas nécessaire… » Une affluence, difficile à maîtriser, notamment à certains moments de la journée. « Un collègue, hier, a dû arrêter le bus parce qu’il y avait trop de monde dans le bus », regrette Ridah Bouhlel. Le directeur de la CAM assure faire au mieux, pour limiter au maximum la circulation de bus bondés. « On surveille, nous avons des contrôleurs qui font des pointages tous les jours, pour regarder ce qui se passe un peu. C’est souvent au moment où les gens sortent du centre commercial, il y a des effets de pointe. On a le cas d’une conductrice qui nous a prévenu, on a fait descendre les gens. Et on a mis un bus supplémentaire pour pouvoir emmener les gens à destination. Ça demande un petit peu de temps, mais on le fait. Ça n’est arrivé qu’une fois, à ma connaissance. En tout cas, on essaie de s’adapter. Ce qu’on remarque en tout état de cause, c’est qu’il y a une promenade journalière qui se fait pour certaines personnes. Peut-être qu’on pourrait diminuer considérablement les sorties. Ou utiliser un supermarché à côté de son domicile. Souvent, pour certains, c’est l’occasion de traverser tout Monaco pour aller faire les courses à Fontvieille (rires). C’est un conseil qu’on pourrait donner aux usagers, de préférer un commerce de proximité. »

© Photo DR

Pas de gants, mais un isolement du chauffeur

Selon Stéphane Higelin, il en va finalement « de la responsabilité individuelle » des usagers, de monter, ou non, dans des bus trop remplis. Pour les conducteurs, c’est autre chose. La sécurité sanitaire des employés mobilisés sur le terrain, a, comme dans toute entreprise ou service public concerné, allumé quelques tensions. « Lorsque le Covid-19 a fait son apparition, on a commencé à s’inquiéter. Le 25 février 2020, l’avancée du Covid-19 était assez préoccupante. A la CAM, il n’y avait rien de mis en place à cette date. De manière spontanée, des salariés ont voulu porter des gants afin de réduire la propagation du virus par le biais de la manipulation de monnaie. La direction par l’intermédiaire du service contrôle a fait retirer les gants à ses salariés. Les contrôleurs sont venus dans les bus. Lorsque ces salariés ont expliqué la raison, le contrôleur leur a dit que ce n’était pas d’actualité à la compagnie des autobus de Monaco et que les gants n’étaient pas protocolaires », raconte Ridah Bouhlel. Une mesure que justifie Roland de Rechniewski, par souci de maîtrise du véhicule : « Le métier de conducteur, c’est avant tout la conduite et la maîtrise d’un véhicule. Nous avons interdit — enfin dit — aux chauffeurs de ne pas utiliser des gants plastiques vinyles. Car, quand vous manipulez votre volant, ils se plient et se déchirent très facilement. La deuxième chose, c’est que vous n’avez pas une préhension du volant suffisante et conforme à la conduite sécuritaire. Donc nous, on n’a jamais interdit de mettre des gants. On a seulement dit que les gants plastiques ne sont pas conformes à la conduite sécuritaire. Aujourd’hui, le problème est tranché. Depuis le 16 mars 2020, il n’y a plus de vente à bord, donc il n’y a plus aucun échange de monnaie ». En effet, les titres de transport doivent aujourd’hui être achetés aux distributeurs automatiques, ou sur Internet. « On est en train de chercher des gants en cuir, spécifiques à la conduite, pour équiper tout le monde », informe le délégué du personnel. En sus, la direction de la CAM a, à partir du 15 mars 2020, isolé le chauffeur des passagers, notamment en fermant la porte avant pour l’entrée et la sortie, ainsi qu’en installant une bâche plastique en film alimentaire, scotchée derrière le siège du conducteur. « On cherchait à mettre une solution d’isolement encore plus grande, mais, légalement, on est tenu de maintenir toutes les issues de secours en cas d’accident, en cas de début d’incendie, etc. On a dû trouver une solution qui soit protectrice, mais qui puisse être franchie en cas de besoin. On a estimé que le film alimentaire était très facile à déchirer, donc on a fait des bâches avec ça, tenues par un scotch papier. » Le plexiglas, demandé à plusieurs reprises par les conducteurs, est également à l’étude, pour permettre, même après le déconfinement, une meilleure sécurité des chauffeurs, à l’instar des caissiers et des caissières de supermarchés.

Une décharge contre un masque non homologué

Concernant l’épineuse question des masques, point de crispation mondial, la CAM n’y a pas échappé. Dépourvue de masques homologués à fournir à ses salariés, la direction a distribué des masques en tissu lavables à partir du dimanche 29 mars. Ces masques provenaient d’entreprises monégasques, fabriqués exceptionnellement par les sociétés Banana Moon, entreprise de prêt-à-porter et MC Clic, une entreprise de drones. Problème : ces masques ne correspondent pas aux normes sanitaires en vigueur et ne sont donc pas homologués, quand bien même ils protègent malgré tout. Dès lors, ils ont été remis par la direction aux salariés en échange d’une décharge de responsabilité en cas « d’incident de quelque nature que ce soit suite à leur utilisation qu’elle ne m’impose pas », comme il est stipulé sur le papier. Les salariés avaient donc le choix d’accepter ou refuser le masque ; si tant est que le choix existe. Une précaution jugée outrancière par Ridah Bouhlel, en tant que délégué syndical. « Par définition, l’employeur est quand même responsable de ses salariés. Lui faire signer une décharge… ça paraissait surréaliste. » Un avis que ne partage pas Stéphane Higelin, en tant que délégué du personnel. « Ceux qui en ont voulu les ont pris, certains ont refusé. Sinon ils ont tous des masques. Ce sont des masques tissu lavables à 60°, ils en ont deux chacun. Comme ils travaillent un jour sur trois. Ils sont valables quatre heures. Au bout de quatre heures, ils changent les masques. Ça leur laisse trois jours pour les nettoyer. C’est la Direction des affaires sociales et sanitaires [DASS — N.D.L.R.] qui nous les a fournis et le directeur avec son imprimante 3D en fabrique aussi. » Stéphane Higelin, tout comme Roland de Rechniewski, ne voit pas la décharge comme un défaussement de l’employeur de ses responsabilités, mais plus comme une information transmise au salarié. « C’est une décharge qui explique que ce ne sont pas des FFP2. C’est juste ça. Pour qu’ils soient bien au courant qu’ils ne sont pas FFP2. Je ne vois pas pourquoi l’employeur serait responsable. Vu le confinement qu’on a installé, je ne vois pas comment ils pourraient être contaminés à bord du bus. Ce n’est juste pas possible. Je ne comprendrais pas », affirme le délégué du personnel. Ce à quoi corrobore le directeur : « Je ne voudrais pas donner l’impression d’une situation un peu polémique, dans une période où je crois qu’il faut surtout se serrer les coudes. Ce qui est vrai, c’est que lorsque vous remettez un outil de protection, les gens s’attendent à ce qu’il y ait une norme derrière. Si vous n’êtes pas en mesure de donner cette norme, c’est important que les personnes comprennent qu’on leur donne ce masque et qu’ils peuvent le mettre, ou ne pas le mettre. Surtout, ils en sont conscients et s’ils le font, c’est de leur propre gré. L’attestation, la fameuse décharge dont vous parlez, elle ne veut dire que ça ».

Quid de la responsabilité en cas de contamination ?

Pourtant, sur le papier figure bien le mot « décharge » en en-tête. De plus, deux questions se posent. La première concerne la valeur juridique d’un tel document. En cas de contamination d’un des salariés, et d’action en justice, la décharge évite-t-elle à l’employeur un procès ? Rien n’est moins sûr, même si, ce n’est pas tant la valeur juridique du document que pointe Ridah Bouhlel, mais surtout « la façon qui est dérangeante, quand bien même ce ne serait pas juridiquement valable. Faire signer une décharge, je ne trouve pas ça correct ». En revanche, l’employeur doit, contrairement à ce qu’affirme le délégué du personnel, assurer la responsabilité de la sécurité de ses salariés. Le problème est que les masques ont fait défaut à l’ensemble des salariés de Monaco et de France depuis le début de l’épidémie de Covid-19, due à une mauvaise gestion des stocks. Dès lors, les masques en tissu se sont révélés être une solution de secours. « Si nous pouvons avoir des masques homologués plus protecteurs, bien évidemment que nous ferons le nécessaire pour les obtenir. La question est de savoir quelles sont les priorités ?, interroge le directeur, en référence à la priorisation de l’approvisionnement en masques pour les salariés de la principauté selon les secteurs d’activités. Ce sont les services de l’État qui les définissent, et on leur fait confiance ». La seconde question concerne la qualification du Covid-19, en cas de contamination des travailleurs. Maladie professionnelle, accident du travail ? Une justification difficile à obtenir, comme le note Stéphane Higelin : « A mon sens, il va falloir prouver, je pense, que ça a été attrapé au travail. S’ils y arrivent tant mieux, j’ai envie de dire ». A ce jour aucun cas officiellement testé positif n’est à déplorer parmi les employés de la CAM. Un salarié est cependant toujours en arrêt maladie à ce jour, présentant la plupart des symptômes du coronavirus, alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro, le 14 avril 2020. « On n’a pas enregistré d’absence supplémentaire par rapport à d’habitude. On a une personne qui avait des symptômes plutôt grippaux, de ce qu’on a su. Il est arrêté depuis quinze jours. Sa santé va bien. Mais on ne peut pas dire que ce soit ça », tempère Roland de Rechniewski. « Nous sommes au quotidien, en permanence à côté de nos salariés pour essayer de ressentir leurs difficultés et également leurs suggestions. C’est la raison pour laquelle on a créé une cellule de crise au sein de laquelle un délégué du personnel siège ». Cette cellule de crise réunit, les chefs de services opérationnels, les membres de la direction et un représentant du personnel, Stéphane Higelin. Aucun chauffeur de bus, donc.

Des salaires maintenus le premier mois

Enfin, concernant les salaires, ils ont été maintenus à 100 % le premier mois. Du moins le salaire de base. « La seule chose qu’ils n’ont pas, et c’est normal, ce sont les primes liées à la conduite les jours où ils ne travaillent pas. Ça représente très peu. Sinon, la prime d’intéressement ne sera pas impactée, l’avancement ne va pas être impacté, rien ne sera impacté », affirme le délégué du personnel. Ce mois-ci, la direction a donc versé les 20 % restants pour les salariés en situation de chômage partiel à 80 %. « Sur le mois de mars 2020, nous avons mis en place une procédure qui permet de garantir le salaire de base à 100 %. En complétant. Il y a une part de salaire et une part de chômage ». Et pour les mois suivants ? « Cela fait partie des choses qui vont être discutées. On essaiera de faire en ce sens pour que ce soit le plus facile et le plus supportable pour le personnel », admet le directeur. Pourtant, ce délégué du personnel a affirmé que la CAM s’est engagée à verser les 20 % restants chaque mois. A voir au mois d’avril 2020 si la parole est tenue. Car qui dit service minimum, dit horaires de travail amoindris pour la plupart des employés. « Au niveau de la quantité de travail, nos salariés, compte tenu de la charge qui a été mise en place, sont présents sur leur lieu de travail pour ce qui est des conducteurs de l’ordre de 2 jours par semaine, à peu près. Alors qu’habituellement, ils en ont 6. » De son côté, Ridah Bouhlel s’inquiète du maintien du salaire à long terme. « On n’a rien d’écrit. Des délégués du personnel ont fait passer l’information selon laquelle notre salaire serait maintenu. Mais nous n’avons pas eu de document officiel de l’employeur. Il y a quand même une prime de conduite qui ne sera pas payée pendant qu’on est en chômage technique. Mais il ne nous a pas écrit chômage technique, il a écrit absence exceptionnelle ». Il confirme avoir reçu l’intégralité de son salaire de base, hors primes de conduite les jours non travaillés. Figurant parmi les salariés de la principauté mobilisés dans cette période de risque sanitaire, auront-ils droit eux aussi à la prime exceptionnelle de 1 000 euros promis par le ministre d’État à tous les fonctionnaires et agents de l’État ? « A ce jour, le dispositif de la prime exceptionnelle n’est pas complètement arrêté », a déclaré la conseillère-ministre de tutelle de la CAM, Marie-Pierre Gramaglia. « On est une concession de service public. Donc on est salarié du privé, mais on fait un service public », souligne le délégué syndical. Ils ne font pas partie, à cette heure-ci, du public désigné pour recevoir la prime, mais leur mission de service public pourrait les y adjoindre. « La plupart estime que ce qu’on a fait, c’était bien, c’était suffisant. Il y a même des personnes, dont le conjoint travaille à l’hôpital, qui sont venues nous voir et nous ont dit : « Même à l’hôpital, ils ne sont pas aussi bien protégés ». Ça veut dire qu’on n’a pas forcément fait du mauvais travail », juge Stéphane Higelin. « Chaque jour qui passe nous apporte son lot d’informations et de nouveautés, au niveau de la disponibilité de certains moyens de protection », conclut le directeur. En attendant, les conducteurs continuent de travailler, avec quelques incertitudes à régler.

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