Un projet de loi est actuellement à l’étude pour consolider la « tokenisation » d’actifs à Monaco. Il s’agit d’une innovation qui permettrait, entre autres, d’investir sur des marchés jusqu’alors difficiles d’accès pour les particuliers, grâce à la technologie blockchain. Monaco Hebdo vous explique comment.
La cryptomonnaie, c’est du concret. Si l’on n’y comprend pas toujours tout, c’est que ce mot englobe en fait deux choses pourtant bien différentes. Il y a, d’un côté, de la monnaie numérique publique, comme le yuan numérique ou bientôt le dollar et l’euro numérique, qui a davantage un rôle symbolique et politique [à ce sujet, lire notre article Pourquoi les crypto monnaies ne concurrenceront pas l’euro à Monaco, dans ce dossier — NDLR]. Et puis, il y a la numérisation d’actifs, qu’on appelle dans le jargon la « tokenisation » d’actifs. Derrière cet anglicisme se cache en fait une véritable révolution dans la manière d’investir de l’argent, notamment pour les particuliers. Imaginez, en effet, pouvoir détenir les droits d’un morceau d’immeuble, ou un morceau d’œuvre d’art. Ce sera possible en numérisant ces actifs, pour les diviser en petits « morceaux » et les céder à différents propriétaires, partout dans le monde ou presque. Là où il est généralement difficile pour un particulier de se positionner sur un bâtiment de plusieurs millions d’euros, la tokenisation d’actifs permettra de diviser cet immeuble en jetons numériques (« tokens » en anglais), qui auront chacun une valeur financière. Cent euros le jeton, par exemple. En achetant l’un de ces jetons, on achètera ainsi une partie du bien immobilier, dont on récupérera ensuite une partie de loyer chaque mois, ou une partie de plus-value sur la vente, dont les bénéfices seront répartis proportionnellement avec les autres propriétaires de « morceaux » de l’immeuble. Une fois ces jetons émis, il sera également possible de les revendre, selon leur potentiel de gains. Voilà l’idée.
« Le gouvernement ne peut pas se contenter de la loi sur les offres de jetons pour traiter de la blockchain à Monaco, on ne peut pas limiter son champ d’action à ce seul point »
Franck Julien. Président de la commission pour le développement du numérique au Conseil national
Impatience des acteurs économiques
Pour être jugée fiable et sécurisée, la création de ces jetons repose sur la technologie blockchain sur laquelle se développent des cryptomonnaies comme notamment l’Ethereum. Décrit le plus simplement possible par le mathématicien et informaticien Jean-Paul Delahaye, une blockchain, ou chaîne de blocs, est « un grand livre de compte, ouvert et accessible à tous, en écriture et en lecture, et qui est partagé sur un grand nombre d’ordinateurs dans le monde ». Dit autrement encore, c’est un registre virtuel protégé par une puissance de calcul informatique. Et, à Monaco, le développement de cette technologie blockchain est attendu de pied ferme par plusieurs acteurs économiques qui se positionnent déjà sur le marché. C’est ce que nous confirme Jean-Philippe Claret, président de l’association World of blockchain Monaco, également entrepreneur en principauté. Pour la création de jetons, dits « tokens », Monaco a, par exemple, déjà signé un accord avec la société luxembourgeoise Tokeny : « Il est primordial qu’un cadre réglementaire soit défini à Monaco, car les entreprises ne peuvent pas risquer de perdre leur autorisation d’exercer. Personne ne prendra le moindre risque si la tokenisation n’est pas encore légale, ni même tout à fait validée. Pas mal de projets sont en préparation et en discussion, mais en attente d’un cadre réglementaire. »

« Il est primordial qu’un cadre réglementaire soit défini à Monaco, car les sociétés ne peuvent pas risquer de perdre leur autorisation d’exercer »
Jean-Philippe Claret. Président de l’association World of blockchain Monaco
Un cadre légal renforcé d’ici la fin 2021
Les choses avancent ainsi petit à petit en matière de réglementation. Une première loi a déjà été adoptée à Monaco le 16 juin 2020 par le Conseil national. Il s’agit de la loi n° 1491 relative aux STO, désignant les « Security Token Offerings », soit les offres de jetons. Elle permet à certaines entreprises de lever des fonds en jetons, en s’appuyant sur la technologie blockchain. Le but étant, selon le gouvernement princier, et son organe Extended Monaco, d’attirer de nouvelles entreprises numériques à Monaco, « des sociétés qui souhaitent lever entre 5 et 30 millions d’euros, et créer entre 5 et 10 postes. » Avant cela encore, une première pierre a été mise à l’édifice avec la proposition de loi n°237 sur la blockchain, votée en 2017 par les élus de la précédente mandature. Mais ce n’est pas encore suffisant pour consolider l’utilisation des crypto actifs. C’est du moins ce que pense Franck Julien, le président de la commission pour le développement du numérique au Conseil national : « Le gouvernement ne peut pas se contenter de la loi sur les offres de jetons pour traiter de la blockchain à Monaco. On ne peut pas limiter son champ d’action à ce seul point. Il faut également se pencher sur la question de la tokenisation des titres de sociétés non cotées, des titres de dettes, des parts et actions d’organismes de fonds d’investissement. Et surtout, offrir un cadre légal aux acteurs qui souhaiteraient développer ce pan de l’activité économique à Monaco. » En effet, passée cette première loi sur la tokenisation d’actifs, une deuxième devrait donc suivre d’ici la fin de l’année 2021, pour permettre de passer définitivement aux choses sérieuses, en réglementant les plateformes d’échange. Il s’agit de la loi sur les prestataires de service sur les actifs numériques dits « PSAN », qui est actuellement en attente, car le projet du gouvernement doit encore revenir aux mains du Conseil national avant d’être gravée dans le marbre.
Sécuriser les opérations
Une fois voté, ce cadre légal pourrait enfin débloquer l’utilisation des blockchains et des cryptomonnaies à Monaco. La première étape consistera à créer une plateforme d’échange, selon Jean-Philippe Claret, de World of Blockchain : « Aujourd’hui, grâce à la loi STO, il est légal de créer des jetons. Mais il manque une plateforme d’échange à Monaco pour passer de l’action virtuelle à la revente, comme une action de société classique, explique-t-il. Mais avant de l’ouvrir au monde entier, nous suggérons de ne la réserver qu’à des établissements financiers monégasques dans un premier temps. » L’idée étant de sécuriser au maximum les opérations, en connaissant le profil des clients à Monaco au préalable : « En réservant d’abord la plateforme au milieu professionnel, bancaire et aux fonds d’investissement monégasques, on limite les risques de blanchiment, par exemple, car chaque accès est assuré par quelqu’un que les établissements de Monaco connaissent, ajoute Jean-Philippe Claret. Ce monde est encore mal maîtrisé et mal connu, donc nous préconisons d’abord la prudence. Mais, le moment venu, le ministère des finances prendra sûrement la décision de s’ouvrir à de plus nombreux acteurs. » Se posera également la question de la conservation des clés numériques, ou comment conserver ses jetons numériques en toute sécurité. Le sujet est justement abordé dans l’un des volets du projet de loi des prestataires de services sur les activités numériques (PSAN). Le cloud souverain pourrait ainsi être utilisé pour conserver une partie de la clé privée numérique de cryptomonnaie, alors que les autres parties pourraient être stockées à la fois chez un opérateur comme Monaco Telecom, et une banque de Monaco : « On ne peut pas conserver des montants importants sur son ordinateur personnel. Il existe suffisamment d’outils technologiques aujourd’hui pour éviter de garder sa clé numérique chez soi », ajoute le président de World of Blockchain. Les regards sont donc rivés vers cette fin d’année 2021 pour savoir ce que cette loi PSAN permettra de faire, tant en termes d’échanges, que de sécurisation.