Chaque année, le sujet revient sur la table. Le fonds de réserve constitutionnel permet au budget de l’Etat d’afficher un excédent.

Un résultat jugé factice par la majorité Priorité Monaco (Primo !) et par Jean-Louis Grinda, en charge de la commission pour le suivi de ce fonds. Les élus estiment qu’il faut transformer ce fonds, notamment au profit d’une future caisse de retraite pour les fonctionnaires. Explications.

Chaque année, c’est une marotte des débats lors des séances budgétaires. La gestion du fonds de réserve constitutionnel (FRC) et son utilisation pour combler les déficits. Depuis 2018, l’élu Union Monégasque (UM) Jean-Louis Grinda est devenu le dépositaire de cette question récurrente. En tant que président de la commission pour le suivi du FRC et la modernisation des comptes publics, l’élu d’opposition n’a de cesse de rappeler, lors des séances budgétaires, que le budget n’est pas excédentaire. Malgré la communication gouvernementale, Jean-Louis Grinda estime que si le gouvernement pioche dans ce FRC pour afficher un budget à l’équilibre, cela constitue un tour de passe-passe. « Qu’on le veuille ou non, le résultat excédentaire de 4,8 millions d’euros est un leurre. Notre déficit est, au mieux, de 140 millions d’euros. Mais le gouvernement choisit de ne pas l’afficher pour rester « attractif ». Pour ma part, je préfèrerais toujours la vérité, qui rime avec fierté. » Jean Castellini, conseiller-ministre à l’économie et aux finances, l’avait admis le 10 octobre 2019, lors de la séance liée au budget rectificatif. L’affichage excédentaire donne une image positive, mais elle n’est pas réelle. « Je ne pense pas que ce soit opportun, je ne pense pas que ce soit un message que l’on voudrait ou que l’on devrait envoyer aujourd’hui, notamment parce que l’économie de la principauté va bien. Et nous n’avons aucune raison structurelle, que ce soit au niveau des recettes, que ce soit au niveau des ambitions, d’afficher des chiffres négatifs qui seraient trompeurs et qui pourraient justement nous engager dans une spirale vicieuse, ou un cercle vicieux plutôt qu’un cercle vertueux, de donner l’impression aux résidents, aux investisseurs potentiels, au moment notamment où d’importants programmes privés sont en cours et en jeu. »

Un FRC à plus de 5 milliards

Dans les 140 millions d’euros de déficit avancés, Jean-Louis Grinda tient compte des 100 millions d’euros d’actions de la Société des bains de mer (SBM) transférés par l’Etat au FRC. Qui va, à terme, contenir la totalité des actions de la SBM, comme le précise le rapport du projet de loi portant fixation du budget primitif : « Le transfert progressif au FRC des actions de la SBM qui restaient comptabilisées au budget de l’Etat génère des produits financiers exceptionnels (100 millions d’euros). Ce transfert, initié au budget rectificatif 2019, est poursuivi afin de regrouper, à terme, au sein du FRC l’ensemble des actions de la SBM, compte tenu de l’amélioration des résultats et de l’achèvement des travaux immobiliers d’envergure de la SBM qui va ouvrir une nouvelle étape en matière de perspectives pour cette entreprise ». Créé par la Constitution de 1962, le FRC constitue une réserve en cas de mauvaise météo économique. Selon l’Institut monégasque de la statistique et études économiques (IMSEE), il se composait en 2018 d’une réserve d’or de 206 millions d’euros, de 2,3 milliards de liquidités disponibles, dont une partie est placée sur les marchés financiers, et de 2,7 milliards, majoritairement de biens immobiliers. Le fonds est en perpétuelle progression depuis plusieurs années. Soit, en tout, un FRC contenant plus de 5 milliards d’euros. Mais la partie disponible que sont les liquidités ont baissé l’an passé, et cette année également, semble-t-il.

Primo ! et UM en accord sur le FRC

Dès lors, les finances dites « vertueuses » sont à nuancer, voire à remettre en cause. Seulement, cette année, Jean-Louis Grinda n’est plus seul à pointer du doigt cet arrangement budgétaire. Il y a désormais consensus au sein de l’assemblée sur ce sujet. Déjà, en octobre 2019 à l’occasion du vote du budget rectificatif 2019, l’élue Horizon Monaco (HM) Béatrice Fresko-Rolfo et l’élu Primo ! Balthazar Seydoux avaient dénoncé le recours abusif et anticonstitutionnel au FRC. Ce dernier s’était même abstenu de voter le budget rectificatif, entre autres, pour cette raison. Dans sa première prise de parole pour le budget primitif 2020, mardi 10 décembre, le président du Conseil national, Stéphane Valeri a souscrit à ce propos : « Le fonds de réserve constitutionnel ne doit servir ni de « budget bis », ni de facilité de caisse, mais bien de constituer le bas de laine de l’Etat à préserver et à enrichir ». Jean-Louis Grinda veut aller plus loin, en redonnant au FRC son utilité originelle, mais aussi le transformer en une sorte de banque publique d’investissement. « Concernant le FRC, je demande qu’il redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une réserve pour les temps difficiles, permettant toutefois, exceptionnellement, de réaliser des opérations de grande ampleur hors budget de l’Etat. Au cours du temps, une pratique dévoyée, dont la responsabilité du Conseil national ne peut être exclue, en a fait un « budget bis », puis aujourd’hui, une simple facilité de caisse. Ceci n’est plus acceptable. Je demande que, dorénavant, toute opération de politique publique soit financée par le budget et exclusivement par celui-ci, lequel pourra emprunter à un taux raisonnable au FRC, qui verra ainsi son rôle renforcé puisque ces prêts produiront des intérêts », a-t-il exposé. Dans son allocution, le ministre d’Etat, Serge Telle, a répondu partiellement à cette revendication. Il a évoqué les travaux entrepris « début 2018 à une réforme budgétaire et comptable, dont la méthode et les enjeux ont fait l’objet d’une présentation à la commission pour le suivi du FRC et la modernisation des comptes publics ». Néanmoins, il s’agit surtout d’une refonte pour rendre plus lisibles les documents présentés.

Balthazar Seydoux, président de la commission des finances et de l’économie nationale du Conseil national

Le FRC pour les retraites de fonctionnaires monégasques ?

Hormis, le caractère épargnant du FRC, les élus de la majorité Primo ! reprennent à leur compte une autre proposition de Jean-Louis Grinda : celle d’inclure dans le FRC une caisse de retraite pour les fonctionnaires. Déjà évoqué l’an passé lors du budget primitif 2019 par Balthazar Seydoux, président de la commission des finances et de l’économie nationale du Conseil national, celui-ci l’a de nouveau mentionné dans le rapport lu en guise de propos introductif aux débats. Selon lui, créer cette caisse permettrait de pérenniser les retraites des fonctionnaires monégasques. Aujourd’hui, ces retraites sont en grande partie financées par le budget de l’Etat, à hauteur de 80 millions d’euros, en compensation des cotisations des actifs. « Votre rapporteur souhaite également aborder le sujet de la préservation du régime de retraite des fonctionnaires, qui est une question majeure pour l’ensemble des élus du Conseil national. Notre assemblée a déjà exprimé auprès du gouvernement sa volonté forte que soit créée, par la loi, la caisse de retraite des fonctionnaires. Seule celle-ci permettrait de sécuriser l’avenir de ces retraites, sans remise en cause des acquis sociaux. Cette caisse serait financée à l’origine par une partie du FRC, en commençant par les sommes déjà isolées dans ce but, au sein de ce dernier. A terme, l’objectif serait de dégager le rendement nécessaire pour financer et garantir l’avenir des retraites de nos compatriotes fonctionnaires. […] La solution intermédiaire proposée par le gouvernement, qui consiste à isoler des sommes au sein du FRC, ne répond pas à l’objectif de pérennité du système des retraites, que seule la création d’une caisse autonome permettra de garantir. En effet, si notre pays devait connaître des déficits budgétaires, le gouvernement pourrait utiliser ces sommes cantonnées au sein du FRC, afin de financer ces déficits, et non pas payer ces retraites. »

Un premier pas pour les fonctionnaires

Balthazar Seydoux fait ici référence aux ordonnances souveraines du 29 novembre 2019. Celles-ci prévoient en effet la création au sein du FRC d’un canton réservé au financement des retraites des fonctionnaires. Ce dont s’est réjoui le ministre d’Etat dans sa déclaration liminaire. : « La création d’un canton spécifique dans le FRC, dont la gestion est confiée à la commission de placement des fonds, au sein de laquelle le Conseil national est représenté, constitue en effet une avancée significative. Pour la première fois, des sommes sont spécifiquement dédiées au financement de ces retraites. […] Le gouvernement ne ferme pas pour autant la porte à d’autres solutions plus complexes et plus longues à mettre en œuvre, telles que la création d’une caisse autonome de retraite des fonctionnaires. Mais cette solution ne peut être envisagée que si elle repose à terme sur un régime trouvant un équilibre entre cotisations et liquidations des pensions, ce qui n’est pas le cas actuellement. » Pour la première fois, le gouvernement a cessé de jouer l’autruche sur cette question persistante. Néanmoins, d’autres réformes devront sans doute être envisagées pour solidifier le système.

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