mardi 16 avril 2024
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Armes à feu : projet à blanc

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Revolver
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Le projet de loi sur les armes et munitions, déposé en 2005 par le gouvernement au conseil national et renforçant la législation existante en la matière, demeure dans l’impasse pour un défaut de procédure. Il va, en outre, devoir être amendé sur plusieurs points.

«L’arme seule ne peut être dangereuse, la main qui la tient peut l’être ». Cette maxime de Christian Zabaldano, président de la Fédération monégasque de tir et de la Carabine de Monaco, définit la prudence qui s’impose dans le domaine des armes. Ne tire pas qui veut en principauté. La détention comme la pratique d’une arme à feu y sont strictement encadrées. Selon les chiffres donnés par la Sûreté publique, 101 personnes, hors services de l’Etat, disposent actuellement d’une autorisation de détention d’armes à Monaco. Cinq catégories, de A à E, permettent de classer les armes (lire par ailleurs). Les armes de catégorie A, qui regroupe les armes à feu de défense, sont soumises à une autorisation de trois ans renouvelables et uniquement pour l’entraînement sportif. Les personnels de sociétés de sécurité et de gardiennage, agréés par le ministre d’Etat, sont autorisés à porter une arme durant un an et soumis à un contrôle d’aptitude au port d’armes. Toujours d’après la Sûreté publique, 31 convoyeurs de fonds disposent de cette autorisation.
La législation actuelle sur la fabrication, la détention et le commerce des armes en principauté remonte à 1971. Depuis 2005, un projet de loi, le n° 808, a été déposé au conseil national par le gouvernement pour la renforcer. « Ce projet de loi est nécessaire car notre législation est en retard dans ce domaine. Il fallait adapter la loi aux problématiques du contexte international (terrorisme, intégrisme…). Il fallait que Monaco prenne les devants », explique Fabrice Notari, rapporteur du texte. Alors que le projet était presque tombé dans l’indifférence générale, il a connu un rebondissement en décembre 2011, lorsque les conseillers nationaux ont refusé de le voter. Il figure dans l’impasse en raison d’un manquement à la procédure de la part du gouvernement. « Si nous n’avons pas voté le projet de loi, c’est qu’il n’était pas en phase avec la modification de la loi constitutionnelle de 2002. L’article 14 dispose que le prince signe et ratifie les traités et accords internationaux. Le ministre d’Etat a la charge de les communiquer au conseil national avant leur ratification. Si une convention amène à modifier la législation monégasque, il faut nécessairement une loi d’autorisation de ratification. Un protocole contre la fabrication et le trafic illicite d’armes à feu a été signé en 2002 mais le gouvernement n’a pas proposé au conseil national une loi autorisant sa ratification alors que celle-ci était nécessaire au regard des dispositions de l’article 14 chiffre 2 de la Constitution. Cela traîne depuis plusieurs années », poursuit Fabrice Notari. Conséquence?: le projet a été renvoyé en commission législation.

Carte monégasque
Le projet de loi prévoit notamment la création d’une carte d’armes à feu monégasque. Il s’agit d’une sorte de livret qui permettrait de recenser l’ensemble des détenteurs d’armes à feu à Monaco. « La carte d’armes à feu monégasque revêt un aspect pratique. Quand un européen voyage avec son arme à travers l’Europe, il possède un livret valide partout dans l’Union Européenne et des pays membres de l’espace Schengen. A Monaco, il y a un flou total. On ne sait pas vraiment qui est propriétaire », indique le rapporteur du projet de loi. Pour les chasseurs monégasques, là aussi, c’est le flou. Leurs armes, entrant dans la catégorie B, ne sont soumises ni à autorisation ni à déclaration. « Certains chasseurs monégasques parviennent à contourner le problème en France via les sociétés de chasse. Mais ce n’est pas logique qu’ils en arrivent là. Nous devons avoir notre législation en la matière », affirme Fabrice Notari. La reconnaissance européenne de cette carte n’est cependant pas assurée, ce qui a doublement motivé le refus du Conseil national de voter le projet. « Avoir une carte monégasque d’armes à feu, c’est très bien mais quelle valeur peut-elle avoir à l’extérieur de la Principauté?? Elle doit être reconnue par la communauté européenne. Si le projet avait été voté en l’état, cette carte n’aurait été valable qu’à Monaco. Le gouvernement a tenté de nous dire « votez le projet et on fera les démarches après » mais nous n’avions aucune garantie », tance l’élu. « Si aujourd’hui, un Monégasque passe du côté de Vintimille, que la police « volante » ouvre son coffre et y trouve une arme, il se met en fâcheuse posture », ajoute-t-il.
Fabienne Pasetti, qui a représenté la Principauté en tir sportif à six reprises aux Jeux Olympiques, a connu cette situation lors de ses déplacements pour les compétitions. « Le passage à la douane est compliqué. Ce n’est pas un souci mais c’est long. On a attendu parfois plusieurs heures pour pouvoir embarquer alors qu’on ne transportait pas de gros calibres. Il m’est arrivé de rater un avion à cause des contrôles. On se déplace beaucoup pour les compétitions. Souvent, on nous envoie les invitations avec un formulaire à remplir en amont », explique l’ex-athlète devenue entraîneur. Si chaque pays possède sa propre réglementation sur les armes, Fabrice Notari a évoqué, dans son rapport sur le projet de loi, une solution pour la carte monégasque soit reconnue à travers l’Europe. L’élu a relevé que les détenteurs d’armes au Liechtenstein pouvaient circuler librement avec leurs canons en Europe après avoir sollicité l’aide de la Suisse. « Pour acquérir une reconnaissance européenne de notre carte d’armes à feu, il faut voir si la France peut nous aider. Nous avons des relations privilégiées avec la France. On peut imaginer un système similaire à un protocole d’accord, comme pour l’euro ou l’accord Schengen (appliqué en Principauté bien que Monaco ne soit pas membre). Ça sera sans doute la partie la moins aisée à obtenir », concède Fabrice Notari.

Fabienne Pasetti
Fabienne Pasetti a représenté la Principauté en tir sportif à six reprises aux Jeux Olympiques. © Photo Monaco Hebdo.

Amendements en vue
Outre la carte monégasque d’armes à feu, d’autres points du texte déposé en 2005 par le gouvernement doivent être revus. Fabrice Notari indique qu’il sera « très certainement amendé ». « Si les choses avancent assez rapidement, le projet de loi pourrait être voté au printemps ou à l’automne. Mais c’est le gouvernement qui a les cartes en main, nous ne pouvons voter ce texte sans projet de loi d’autorisation de ratification », dit l’élu. La référence à la classification des armes doit être retravaillée. « Il faut revoir les catégories d’armes qui ont été définies parce qu’elles ne correspondent pas à celles contenues dans le livret européen. Si un Monégasque se rend dans un pays étranger avec sa carte d’armes monégasque, les douanes dudit pays ne comprendront pas grand chose. Il leur faudra par exemple traduire les catégories monégasques par les catégories équivalentes. C’est déjà un frein. Il est donc nécessaire d’avoir une harmonisation à ce niveau-là », explique Fabrice Notari.
Il semble également que le texte, tel que rédigé en 2005, entraîne la restriction du commerce de certaines armes. Un élément qui peut être gênant pour l’armurerie Saint-Hubert, seule enseigne spécialisée entre Nice et Menton. « C’est un autre défaut du texte. Ça peut poser problème pour l’armurerie, ou les collectionneurs, que nous avons en principauté. Certaines armes ne peuvent pas être vendues à un acheteur ou à un collectionneur résidant hors de Monaco », admet le conseiller national. De son côté, Francis Bonafède, propriétaire de l’armurerie Saint-Hubert, « attend » la nouvelle législation. « Actuellement, à Monaco, les cartouches sont en vente libre contrairement à la France où il faut montrer son permis de chasse. Les fusils à pompe à canon court sont en revanche interdits à la vente », dit-il. Le projet suscite aussi des attentes mêlées d’inquiétude chez Christian Zabaldano. « J’espère qu’il ne va pas être voté sans nous consulter. Nous demandons un rendez-vous depuis un an au conseil national pour évoquer le projet de loi et n’avons pas encore été reçus. Il ne faudrait pas que des dispositions que nous ne pourrions pas appliquer au sein de notre club soient prises », affirme le président de la Carabine de Monaco et de la Fédération monégasque de tir. Avant que la législation sur les armes et munitions ne soit modifiée, les parties concernées en Principauté devront s’armer… d’un peu de patience.

L’histoire d’un crime
Le 21 septembre 2001, en principauté, une femme assassinait son amant de trois coups de carabine 22 long rifle, sous l’emprise de l’alcool (0,5 g. par litre de sang). Deux balles avaient traversé le cœur de la victime endormie sur le canapé de l’appartement de sa maîtresse. La troisième avait perforé le poumon gauche. L’homme envisageait de cesser toute relation avec sa maîtresse. Cette dernière avait fait acquisition de l’arme à Nice deux semaines auparavant et exerçait un chantage auprès de son amant. Elle n’avait avoué son crime que trois jours plus tard alors qu’elle était admise au CHPG après une tentative de suicide. L’affaire avait été jugée en mars 2004. L’homicide volontaire avec préméditation avait été retenu. Le parquet avait requis 22 ans de réclusion criminelle à l’encontre de la prévenue. Elle avait été condamnée à 18 années de réclusion criminelle et devait s’acquitter de 269?500 euros de dommages et intérêts, tous préjudices confondus.
Les infractions à la législation sur les armes
2006/2007?: 15 condamnations 1 peine d’amende, 6 peines d’emprisonnement avec sursis et 8 peines d’emprisonnement ferme
2007/2008?: 12 condamnations 6 peines d’amende, 6 peines d’emprisonnement ferme
2008/2009?: 11 condamnations 4 peines d’amende, 4 peines d’emprisonnement avec sursis et 3 peines d’emprisonnement ferme
2009/2010?: 2 condamnations 2 peines d’amende
2010/2011 : 9 condamnations 5 peines d’amende, 3 peines d’emprisonnement avec sursis et 1 peine d’emprisonnement ferme
Les armes de guerre non déclarées
Le 18 avril 2011, une résidente de Fontvieille découvrait, dans sa cave, une grenade appartenant à son père, militaire de carrière. Désireuse de se débarrasser de l’arme auprès de la Sûreté publique, elle s’était rendue en bus au poste de police du Larvotto. La brigade de déminage de l’Unité spéciale d’intervention de la voie publique avait neutralisé la grenade. Cet épisode posait la question des personnes à Monaco ayant découvert ou reçu en héritage des armes de guerre. Si celles-ci ne sont pas déclarées, elles peuvent faire l’objet de poursuites pénales. Plusieurs armes et munitions de catégorie A avaient été retrouvées au domicile d’un retraité monégasque. L’homme avait évoqué « des souvenirs de famille », faisant référence à un fusil de la première guerre mondiale ayant appartenu à son grand-père et un autre utilisé par son oncle durant la seconde guerre mondiale. En octobre, il avait écopé d’une peine d’emprisonnement avec sursis. « Il faudrait peut-être leur dire qu’elles ne seront pas poursuivies en justice ou qu’elles seront amnistiées si elles déclarent leurs armes. Il est évident qu’on n’a pas le droit d’avoir des armes de guerre non déclarées chez soi. Il faut les faire neutraliser chez l’armurier de sorte qu’elles ne représentent plus un danger. Il faut éviter de se retrouver avec de véritables arsenaux cachés », estime Fabrice Notari.
Les catégories d’armes
A?: Armes à feu de défense (pistolets)
B?: Armes de chasse (fusils et carabines)
C?: Armes blanches (baïonnettes, matraques, poignards, bombes lacrymogènes)
D?: Armes de tir, de foire ou de salon
E?: Armes historiques et de collection

stand de tir Rainier-III
Stand de tir Rainier III © Photo Monaco Hebdo.

« Pas de cowboy au stand de tir?! »

Les locaux du stand de tir Rainier-III à Fontvieille accueillent 400 à 500 personnes par mois. Pour parer à tout incident, l’endroit est extrêmement sécurisé.

Immeuble Le Triton, huitième étage. C’est au stand de tir Rainier-III, dans le quartier de Fontvieille, que les possesseurs d’armes à feu viennent « pointer » pour s’entraîner. Ce pointage obligatoire figure dans la loi monégasque. Ils doivent être inscrits à la Carabine de Monaco. Le club délivre ensuite, par le biais d’une commission, une attestation de trois ans, renouvelable. Celle-ci témoigne de l’assiduité des détenteurs d’armes. « Ils doivent venir au moins quatre fois par an », précise Christian Zabaldano, président de la Carabine de Monaco et de la Fédération monégasque de tir. 400 à 500 personnes par mois fréquentent le stand de tir qui s’étend sur 4?600 m2. Sur les différents pas de tir se croisent les personnels de la Sûreté publique, de sociétés de sécurité privée, les Carabiniers du prince, les membres de la Carabine de Monaco mais aussi ceux de la Première compagnie d’arc, le club de tir à l’arc de la Principauté. « Nous mettons des créneaux horaires à disposition des membres de la Sûreté publique. Il en va de même avec les sociétés de sécurité privée à la seule condition que leur moniteur soit diplômé d’Etat. Beaucoup de tireurs de la région PACA viennent s’exercer ici car ils ne trouvent pas près de chez eux des installations aussi bien équipées que les nôtres », explique Christian Zabaldano.

Le stand en permanence relié à la Sûreté
L’endroit, réparti sur trois niveaux (intérieur et extérieur), est hautement sécurisé. La vidéo-surveillance est accrue et les pièces sensibles, comme l’armurerie, sont reliées à la Sûreté publique par une alarme. Les lieux sont également soumis à de strictes procédures de sécurité. « On ne joue pas avec les armes. Celui qui ne respecte pas les règles prend la porte », tranche le président de la Carabine de Monaco. Autrement dit, personne ne doit se croire en terrain conquis. « Un tireur qui arrive, même s’il dit avoir vingt ans de pratique derrière lui, pour nous, c’est un débutant. On voit lui apprendre les mesures de sécurité. Nous faisons bien car certains ne les connaissent pas », précise-t-il. Les règles sont simples?: lorsqu’un tireur quitte l’armurerie, il doit avoir l’index sur le pontet de l’arme et non sur la détente. Le barillet doit être ouvert et le canon dirigé vers le haut. Dans le club-house, les armes ne sont pas tolérées. Enfin, l’arme doit toujours être dirigée vers les cibles. Le port de lunettes de tir et de bouchons pour les oreilles est aussi vivement recommandé.
Outre les tireurs avertis, les novices sont acceptés à partir de 14 ans avec autorisation parentale. « Une personne qui n’a jamais tiré, on va lui prêter les armes et elle sera accompagnée par un moniteur de tir. On commence par du tir à air comprimé. Ensuite, c’est à l’appréciation des instructeurs. On peut très bien passer du plomb au 22 en trois semaines comme en quelques années. Cependant, il ne faut pas croire qu’on peut venir ici et tirer au Magnum 55 comme la Sûreté publique », prévient Christian Zabaldano. « On ne fait pas du dégainé. Les cow-boys ne sont pas les bienvenus. Le tir requiert une grande concentration », renchérit-il. En 2012, la Carabine de Monaco fête son centenaire. Pour le célébrer, son président a un objectif?: trouver un nouveau représentant monégasque en tir sportif pour les Jeux Olympiques, qui succédera à Fabienne Pasetti. La Monégasque détient le record de participations aux JO (6 éditions).

Monaco Airsoft Developpement
© Photo Monaco Airsoft Developpement.

Airsoft?: ceci n’est pas une arme

L’airsoft, activité cousine du paintball, s’exerce avec des répliques d’armes plus vraies que nature. Sa pratique et l’achat de matériel demeurent strictement encadrés à Monaco.

«Trop stylés?! », « super beaux?! ». La scène se joue au sous-sol du magasin Joué Club au sein de l’espace dédié à l’airsoft. Un groupe d’adolescents s’extasie sur des répliques d’armes (fusils et pistolets) proposées à la vente. Les billes ont remplacé les balles et la fidèle reproduction des modèles laisse pantois. Les jeunes se retirent, ils devront attendre leur majorité pour acquérir une réplique. A Monaco, on ne transige pas avec la règle. L’airsoft a ses fans en principauté. Ils forment la Monaco Airsoft Developpement, une association qui compte une cinquantaine d’adhérents de Monaco et des alentours. Thierry Pronzato, responsable de l’espace airsoft à Monaco, est également le vice-président de l’association. « L’airsoft est une pratique qui est apparue au Japon il y a trente ans. A la fin de la seconde guerre mondiale, une loi interdisant la fabrication d’armes et de munitions a été votée au Japon. Les Japonais ont commencé à fabriquer des répliques ne tirant que des billes », explique-t-il. Le concept a été importé en Europe, via l’Italie, il y a quinze ans. La MAD organise une partie tous les quinze jours sur des terrains situés dans l’arrière-pays ou en Italie. Les scénarios peuvent être élaborés en quelques minutes comme en quelques heures selon le type de partie souhaité et le nombre de participants. L’airsoft n’est pas une pratique réservée aux hommes. Un joueur sur dix est une femme. « C’est une pratique saine. Il n’y a aucune forme de violence. Ce sont des valeurs de camaraderie comme le fair-play et la solidarité qui dominent. On fait de l’airsoft, pas la guerre. Les cas isolés qui se prennent au sérieux ne font pas long feu », précise Thierry Pronzato. Les protections au visage sont indispensables même si une bille d’airsoft a « deux fois moins de puissance » qu’une bille de paintball.

Une clientèle de joueurs et de professionnels
Chaque jour, il se vend un à deux fusils d’airsoft à Joué Club. La ressemblance avec de vraies armes étant troublante, leur vente reste très encadrée. « Les législations sont différentes selon les pays. En Angleterre, le pistolet doit être de couleur fluo au minimum à 50 %. Il faut faire une déclaration en Espagne. Au Portugal, il faut qu’un numéro de série soit gravé. Et en Italie, le bout du canon doit être peint en rouge. Mais cela n’empêche pas les faits divers », développe Thierry Pronzato. Plusieurs braquages de commerces en France ont été commis avec des armes factices. Cependant, la peine encourue est la même pour un braquage avec une réplique qu’un braquage avec un vrai pistolet. « Pourtant les répliques sont parfois plus chères que des kalachnikov en vente sur le marché noir », souligne le responsable de l’espace airsoft. Il faut débourser entre 150 et plus de 500 euros pour une réplique. La clientèle se compose de 80 % de joueurs, 10 % de collectionneurs et 10 % de professionnels qui se servent d’armes airsoft pour s’entraîner (policiers, militaires). Les ados sont, eux, cantonnés à leur fascination. Pas question de céder pour Thierry Pronzato?: « S’ils veulent des renseignements, je leur en donne. 95 % des garçons sont attirés par les armes. Ils bavent devant ces répliques parce qu’ils jouent aux jeux comme Call of Duty. Ils s’imaginent que les noms des armes sont les mêmes dans le jeu que dans la réalité. Ce n’est pas le cas. Je leur précise bien qu’ils doivent attendre 18 ans pour en acquérir une et pour nous rejoindre. »

Jeux video
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La guerre, numéro un des jeux vidéos

Monaco n’est pas épargné par le phénomène Call of Duty, la franchise de jeux vidéos la plus vendue de tous les temps.

Jamais, à l’écran, une guerre mondiale n’aura paru aussi réaliste. Exception faite des images d’archives tirées de 14-18 et de 39-45. Certes, les aficionados de la franchise de jeux vidéos Call of Duty n’en ont pas connu les affres mais le conflit virtuel fait recette. Il suffit de se pencher sur les chiffres de vente de Call of Duty Modern Warfare 3, développé par Activision. Le jeu, huitième opus de la série et interdit aux moins de 18 ans, est sorti le 8 novembre 2011. Le jour même, 9,3 millions d’exemplaires, toutes plateformes confondues, ont été vendus à travers le monde. Ce record a fait de Call of Duty Modern Warfare 3 le jeu le plus vendu le jour de sa commercialisation dans l’histoire du jeu vidéo. En février 2012, le petit dernier des Call of Duty truste toujours la première place des ventes, sur Playstation 3 et Xbox 360, à la FNAC de Monaco. Ce jeu est prisé car il dispose d’un mode de jeu en réseau attractif. Une centaine de joueurs seraient très actifs en Principauté. Parmi eux, on retrouve Jack*, Monégasque de 30 ans. « Je joue depuis cinq ou six ans à la série des Call of Duty sur Playstation 2 et 3. L’ambiance virtuelle de la guerre me plaît. Avant, je jouais à des jeux similaires comme Medal of Honor », confie-t-il. Le trentenaire joue une à deux heures par jour et fait partie des 80?000 meilleurs joueurs au monde du jeu. « J’ai une bande de collègues avec qui je joue. On forme une équipe. Quand on ne joue pas, on en parle au boulot. On a toujours un peu Call of Duty à l’esprit. Par exemple, quand l’un d’entre nous voit un avion dans le ciel, il peut penser que c’est un drone », raconte-t-il. Jack indique avoir pratiqué « un peu le paintball » mais l’achat d’une vraie arme n’est « pas dans ses intentions, ni une priorité ». D’autres joueurs comme Max*, résident en Principauté à peine majeur, vont même jusqu’à poster des vidéos de leurs « exploits » (killcams dans le jargon des joueurs) sur Youtube.

Jeu dangereux??
Call of Duty a aussi ses détracteurs. La violence du jeu ne laisse pas indifférent. « Ce genre de jeux vidéo est très dangereux », estime Christian Zabaldano, le président de la Fédération monégasque de tir. « Un tireur de compétition ne tire jamais sur une cible en mouvement. Ce sont des cibles statiques et jamais de forme humaine. Dans ces jeux, la vision qu’on peut se faire du tir est faussée. La puissance de l’arme est décuplée. Il y a des jeunes de 14 ans, qui au moment de leur initiation, nous parlent de ces jeux vidéo. Ils n’arrivent pas à toucher la cible et disent « C’est dur?! ». « Le tir est un sport à part entière », poursuit Fabienne Pasetti, qui représenta Monaco dans la discipline aux JO. Le jeu vidéo peut-il représenter un réel danger pour ceux qui y jouent?? De l’avis d’un psychiatre et addictologue, « tout dépend du contact social que les individus gardent à l’extérieur du jeu ». « Si le jeu prend le pas sur l’apprentissage, la famille et les copains, c’est dangereux. On risque de basculer dans un autre monde, surtout à l’adolescence. Cela peut rendre les individus désadaptés socialement et plus fragiles. Il faut donc maintenir un ancrage avec la réalité. Si on a une vie sociale, familiale et amicale stable, il y a moins de risques de tomber dans une dépendance », ajoute le spécialiste. Le « meilleur » tireur du monde de cette guerre virtuelle a été arrêté en Australie fin janvier pour avoir développé et géré un business frauduleux aux yeux des Etats-Unis?: Megaupload, la fameuse ex-plateforme de téléchargement de vidéos.
* Prénoms modifiés.

L’arme pour symbole

Les armes tiennent une place déterminante dans l’Histoire de la Principauté.

Deux moines brandissant chacun une épée. Les armoiries de la famille Grimaldi rappellent un souvenir, celui du mythe fondateur de la Principauté en 1297. François Grimaldi, déguisé en moine franciscain, demande l’asile en la forteresse de Monaco et s’en empare avec les Guelfes, partisans du pape. « Monaco était une forteresse frontière génoise à la fin du XIIème siècle. Les frontières n’étaient jamais très nettes à cette époque mais Monaco constituait la frontière occidentale de la Commune de Gênes. Il y avait donc une garnison et un arsenal », explique Thomas Fouilleron, conservateur des archives du palais princier et auteur du manuel Histoire de Monaco. Des textes remontant à l’an 1252 font état de « balistes et d’arbalètes » déposées au Château-Neuf*. La tradition des armes s’est ensuite perpétuée dans la dynastie des Grimaldi. « Les Grimaldi étaient, à l’époque médiévale, des condotierre, des hommes d’armes au service des grandes puissances européennes. Rainier Ier a été amiral de France sous Philippe IV Le Bel?; Charles Ier a mené des galères lors de la guerre de Cent Ans pour venir en aide à Philippe VI de Valois face aux Anglais. Ces métiers d’armes étaient nobles par définition », développe Thomas Fouilleron. Au XVIème siècle, les armes servent les querelles internes. Les assassinats politiques de trois seigneurs de Monaco sont recensés en principauté (Jean II en 1505, Lucien en 1523 et Augustin en 1532). Le 14 septembre 1641, la France reconnaît « formellement » l’indépendance de Monaco, via le traité de Péronne. La France devient la grande puissance protectrice de Monaco. « Les princes de Monaco ont toujours été au service du roi de France depuis l’alliance nouvelle avec la France conclue par le traité de Péronne en 1641 », poursuit le conservateur des archives du palais princier. Louis Ier, par exemple, participe aux guerres menées par Louis XIV.

Monaco « pacifiste »
Cependant, au fil du temps, la fibre des armes s’est dissipée. Monaco a affiché sa neutralité dans de nombreux conflits comme les deux guerres mondiales. « Monaco est pacifiste par définition. C’est une force morale en quelque sorte. La logique de la guerre pour Monaco aurait entraîné sa disparition. Pour assurer une renommée mondiale à la Principauté, les princes ont dû trouver des projets qui n’entrent pas dans des considérations géopolitiques et militaires. Ils se sont beaucoup investis dans des pratiques culturelles. Albert Ier, par exemple, a fait de Monaco un lieu renommé mondialement pour les sciences. Chaque prince a tenté de trouver un domaine qui assure le rayonnement de Monaco », souligne Thomas Fouilleron. Le prince Albert Ier demeure un exemple de cette volonté de paix internationale de la Principauté. « Albert Ier, le prince savant, était un pacifiste convaincu, bien qu’il se soit engagé aux côtés de la France dans le conflit franco-allemand de 1870. Il a tenté d’éviter la Première Guerre mondiale en essayant de rapprocher l’Allemagne et la France », indique le conservateur des archives du palais princier. Albert Ier rêvait ainsi d’une paix européenne. Il écrivait cet espoir dans ses Réflexions sur seize années de visite à Kiel en juillet 1914?: « La raison évoluera en leur montrant (aux hommes, N.D.L.R.) que la guerre tranche les questions sans les résoudre et que derrière son passage on trouve la confusion des douleurs, des hontes et des remords ».

* Source Histoire de Monaco, Thomas Fouilleron, 2010.