vendredi 19 avril 2024
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Albert II : 5 ans de règne

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Albert II
© Photo Christophe Giraudeau

A la disparition du prince Rainier, Monaco est en deuil. Le prince héréditaire devient prince souverain. Albert, Alexandre, Louis, Pierre Grimaldi prend les rênes de la Principauté. Paradoxalement, Albert II a beau avoir grandi en Principauté et fréquenté les bancs des écoles monégasques, il reste un mystère. En 2005, tout le monde s’interroge : quel homme d’Etat sera-t-il ? Et surtout, au-delà du style, différent de Rainier III, qu’est-ce qui va changer ? Aujourd’hui, Monaco Hebdo fait le bilan de ces 5 années de règne.

2 avril 2005. Tous les regards sont braqués sur le palais. Pour son premier discours en tant que chef d’Etat, le jour de son avènement, le Prince Albert fait mouche. L’éthique au cœur de l’action, l’utopie en filigrane, des idéaux de justice et d’humanisme primant sur la “Realpolitik”. Chacun veut y croire. Chacun ose y croire. Pour la population monégasque, c’est acquis : Monaco entre résolument dans une ère moderne et sans tabou.

L’An I tambour battant

La première année de règne est menée tambour battant. Le prince Albert rajeunit son cabinet, s’entourant d’une équipe de quadras chapeautée par Jean-Luc Allavena et féminisée par la présence de Christiane Stahl à la communication. Les déplacements officiels s’enchaînent?: Vatican, Italie, Angleterre. A Paris surtout, il signe avec Jacques Chirac, alors à l’Elysée, les accords de coopération avec la France. Des accords primordiaux pour Monaco puisque le Prince peut désormais nommer un ministre d’Etat monégasque. Ce qui nourrit, jusqu’à aujourd’hui, pas mal d’ambitions dans le cercle palatin et gouvernemental…
Sur le plan économique, les projets sont lancés. Audit de la place financière par le cabinet Bain&Compagny, appel d’offres pour l’extension en mer du Portier, création d’un groupe d’intelligence économique qui mise sur la Chine comme tête de pont… Albert II fixe ses priorités. Au plan social, on croit même à la régénérescence du dialogue social?: le prince rencontre les partenaires sociaux?; mieux, il se rend à la soirée hommage au syndicaliste communiste Charles Soccal. Une première pour un chef d’Etat monégasque. Après la disparition de Denis Ravera, conseiller pour les affaires sociales, il faudra attendre 2010 pour rouvrir véritablement les discussions entre les partenaires sociaux.

Politique : Albert II donne le « la »

Après un an de règne, c’est sur le plan institutionnel que le Prince Albert donne le la. Pour sa première visite au Conseil national, le discours est sans équivoque?: «?J’entends quelquefois, ici ou là, évoquer, parfois implicitement, l’éventualité d’un changement de régime politique ou constitutionnel. Il ne saurait en être question?», déclare Albert II devant les élus. Le conseil de l’Europe, dont la matrice de référence reste le régime parlementaire, devra donc intégrer le fait que « Monaco demeure un Etat à nul autre pareil. » Sur le plan de la politique intérieure, c’est aussi clair : la haute assemblée doit s’en tenir au fameux consensus, pourtant décrié par certains parlementaires. Avant de quitter l’hémicycle, le Prince Albert glissera deux autres messages à l’intention des observateurs : « le respect dû à la religion d’Etat » mai aussi à l’indépendance des juges.
Cette période sera surtout l’occasion de voir un changement notable dans la lecture des institutions. Pendant un an, on assiste à l’émergence d’un exécutif bicéphale. Avec une montée en puissance du cabinet princier, dirigé par Jean-Luc Allavena face à un gouvernement, chapeauté par l’ancien préfet de Paris Jean-Paul Proust qui n’a pas l’intention de lâcher du leste quant à ses prérogatives. Avec le départ d’Allavena, remplacé par Georges Lisimachio, c’en sera fini de ces rapports de forces avec un cabinet amoindri. Rapports de force qui auront provoqué, au passage, un remaniement ministériel suite à l’affaire de la CAR.

Réforme de l’administration

A la tête du gouvernement, Jean-Paul Proust lance alors la réforme de l’administration. Vaste chantier attendu par bon nombre de fonctionnaires, d’usagers et de privés, agacés par les incohérences du “mammouth monégasque”. Mais en dehors de la programmation de 1?000 logements domaniaux en 5 ans, ce sont surtout deux gros chantiers, l’extension du Portier et l’hôpital qui font l’objet de toutes les attentions. Hélas pour eux, la crise économique et financière les stoppe en plein vol. Ces deux projets, chiffrés l’un à environ 8?milliards d’euros et l’autre à 700?millions, sont abandonnés et revus à la baisse. L’extension en mer, «?mesurée?», se fera à Fontvieille en 2?019?; l’hôpital, lui, se construira probablement à l’horizon 2018-2020, sur un autre site que le CHPG. Cela reste encore à voir.

Flottement

Seule certitude : Albert II n’est pas le « coupeur de têtes » que la presse internationale avait présenté en début de règne. « Le ménage n’a pas été complètement fait », soupire un proche du gouvernement. Une raison semble évidente : il était sans doute difficile pour le prince de donner l’impression de remettre en cause ce qui avait été entrepris par son père par le passé. Ou de contrer des proches, que ce soit au palais, au gouvernement ou à la SBM, qui ne sont guère favorables au changement. Sur le plan politique, l’action gouvernementale a souffert d’un certain immobilisme, dû à la période de flottement de fin de mandat de Jean-Paul Proust. Mais 2010 devrait permettre de donner une nouvelle impulsion à son gouvernement. Jusqu’à présent, les remaniements successifs ressemblaient davantage à un jeu de chaises musicales qu’à un choix tranché. Or, symboliquement, Michel Roger est le premier ministre d’Etat choisi par Albert II. Un Ministre dont la mission, fixée par une feuille de route, sera de moderniser le pays et relancer la croissance économique. Reste désormais à connaître quel sera la teneur du remaniement ministériel qu’annonçait Michel Roger dans le dernier numéro de Monaco Hebdo.

Avenement Albert II
© Photo Monaco Hebdo

De l’avènement   aux fiançailles

Difficile de résumer 5 années de règne… Monaco Hebdo a pris le parti de revenir sur dix dates marquantes. Chronologie.

I had a dream

12 juillet 2005 : à l’issue de la période de deuil officiel, l’avènement du Prince Albert II est célébré dans une ambiance familiale et festive avec le peuple monégasque. Son discours marque les esprits. Dope les espoirs. Citant dans la foulée Socrate, Théodore Roosevelt, Martin Luther King et Black Elk, chef amerindien, Albert II évoque l’éthique comme règle de conduite : « J’entends que l’éthique soit toujours en toile de fond du comportement des autorités monégasques. L’éthique ne se divise pas. Argent et vertu doivent se conjuguer en permanence ».
On retrouve dans ses mots l’attachement à la préservation de la planète chère à son aïeul Albert Ier et qui marquera le début de règne : « Cette volonté collective de préserver l’environnement devra être un des apports de notre pays à la communauté internationale. Il faut que Monaco soit un pays modèle respectueux de la nature. » Ce 12?juillet 2005 symbolise une communion avec Monégasques et résidents : à la nuit tombée, le Port Hercule se transforme en discothèque où beaucoup se déchaînent jusqu’à l’aube.
Le 19?novembre suivant, c’est l’officialisation internationale. Le Prince Albert choisit le jour de la fête nationale comme date d’intronisation en présence de têtes couronnées venues de toute l’Europe.

Tribunes ouvertes

Le 15 septembre 2005, le Prince Albert est à la tribune du 60ème sommet des Nations unies à New York. Lors de cette première intervention en tant que chef d’Etat, il se déclare conscient des responsabilités à l’égard des pays les moins favorisés. « Nous vivons dans un monde d’interdépendance, où aucun pays ne peut prospérer sans les autres et où aucun Etat ne peut assurer seul sa protection. Sur la carte de ce monde, les directions que nous devons suivre sont désormais claires. Elles ont pour nom : développement, sécurité, promotion des droits de l’homme. » Il annonce clairement au monde son positionnement en faveur de l’environnement : «Favoriser le développement ne signifie pas sacrifier l’environnement ! Conscients des responsabilités qui nous incombent à l’égard des pays les moins favorisés, n’aggravons pas pour autant les déséquilibres de la planète. Pensons aux générations qui nous suivent.»
Retour à la tribune onusienne en septembre 2009, au début de la crise financière. Lors de la 64ème assemblée générale, le chef d’Etat évoque la sortie de la liste grise des paradis fiscaux de la Principauté de Monaco : «Mon gouvernement s’emploie depuis plusieurs mois à remplir les obligations qu’il a souscrites de se conformer aux normes exigées par l’OCDE en vue d’améliorer la transparence et l’échange de renseignements bancaires et fiscaux». Albert II donne sa vision pour rebondir face à la crise mondiale : «Nous devons tous ensemble reconstruire les bases solides d’un capitalisme à visage humain au bénéfice de la croissance et du développement social. Les circonstances nous donnent l’opportunité de créer une “économie verte” qui associe création d’emplois et transfert de nouvelles technologies permettant une relance durable.»

La fin du protectorat

8 novembre 2005 : la première visite officielle du Prince Albert est réservée à la France. Le président français, Jacques Chirac, le reçoit à l’Elysée. Les deux hommes signent deux conventions clés qui dépoussièrent les relations franco-monégasques. Grâce à ces textes, la Principauté quitte son statut de quasi-protectorat français. Le Prince peut désormais nommer un ministre d’Etat monégasque. Les Monégasques peuvent en effet désormais accéder à des fonctions jusque-là dévolues exclusivement à de hauts fonctionnaires français (directeur des services judiciaires ou conseiller pour l’intérieur par exemple). «Nous avons signé plusieurs conventions sur l’entraide judiciaire et administrative qui étaient en discussion de longue date, avait alors déclaré le Prince. Enfin, au-delà de l’amitié historique qui unit nos deux pays, j’ai obtenu l’assurance du président Chirac que la France est prête à accompagner nos efforts de modernisation.?»
Le 25 avril 2009, le président Sarkozy se rend pour la première fois en visite officielle à Monaco, quelques mois seulement après sa prise de fonctions. Lors de cette entrevue, le président français pose les bases de son projet d’Union pour la Méditerranée et propose à la Principauté de s’y associer.

Un Prince, deux pôles

Le 16 avril 2006, en Arctique, le Prince atteint le pôle nord après 4 jours de marche. Au-delà d’un hommage à son trisaïeul Albert Ier dans les traces duquel il marche au Spitzberg, il a mesuré combien la banquise était fragilisée. Ce raid a servi aussi de support à une campagne destinée à sensibiliser l’opinion mondiale aux enjeux planétaires que représentent, à court terme, les risques liés au réchauffement climatique et aux dangers des pollutions d’origine industrielle. Le 5 janvier 2009, le Prince a débuté un second périple polaire, en Antarctique cette fois, en compagnie de l’aventurier-explorateur sud-africain Mike Horn. Initiée à l’invitation de la communauté scientifique internationale, cette traversée d’Ouest en Est de 17 jours a été ponctuée par de nombreuses visites de bases polaires. Une mission répondant à trois objectifs : alerter les citoyens et leurs gouvernements sur les dangers du réchauffement climatique, promouvoir la recherche scientifique dans ces régions polaires en soutenant les équipes de chercheurs et rappeler que «l’antarctique est une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science» (article 2 du protocole additionnel de Madrid au Traité sur l’Antarctique du 14 janvier 1998).
Le Prince Albert est le premier monarque à s’être rendu aux deux pôles.

Fondation “green”

En juin 2006, le Prince crée la Fondation Prince Albert II de Monaco dédiée à la protection de l’environnement. Elle encourage une gestion durable et équitable des ressources naturelles et place l’Homme au cœur des projets. «Il s’agit d’un défi planétaire commun qui demande des actions urgentes et concrètes, en réponse à trois grands enjeux environnementaux?: le changement climatique, la biodiversité et l’eau.» Cette Fondation, qui soutient la mise en œuvre de solutions innovantes et éthiques, est soutenue financièrement par des dons privés, une dotation et une subvention du gouvernement monégasque. Le montant des ressources cumulées depuis 2006 s’élève à 40 millions d’euros.

Rencontre avec la chancelière

Le 27 février 2008, en pleine fronde contre les paradis fiscaux, le Prince Albert est reçu par la chancelière allemande, Angela Merkel, dans le cadre d’une visite officielle à Berlin. L’occasion pour Monaco de prendre position : «J’ai rappelé l’action déterminée que je conduis depuis plusieurs années pour faire de Monaco une place financière saine et conforme aux standards internationaux, explique Albert II à l’issue de leur rencontre. De son côté, Angela Merkel a exprimé son souhait de voir s’effectuer de nouvelles avancées aux niveaux européen et international afin de lutter plus efficacement contre le blanchiment, la fraude et la corruption.» Un renforcement des liens techniques entre les services monégasques (SICFIN) et les services allemands (BKA) est acquis à l’issue de cette visite.
Après les visites au Vatican, en Italie et en France, ce déplacement officiel est l’un des plus importants sur le plan diplomatique.

Au cœur de l’UPM

Le 13?juillet 2008, le Prince Albert fait partie des chefs d’État et de gouvernement invités à Paris pour le lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM). Autrement appelé processus de Barcelone, l’ambition affichée de cette structure qui regroupe 43 pays (les 27 Etats membres de l’Union européenne et 16 autres Etats méditerranéens) dont la Principauté est membre fondateur, est de tisser entre les peuples de Méditerranée des relations étroites autour de projets concrets pour un espace partagé de paix, de sécurité et de prospérité?; l’environnement unique de ce bassin doit également être préservé. Les axes de travail de l’UPM s’orientent vers les transports, la dépollution de la mer, la protection civile et les énergies renouvelables.
Avec des difficultés de crédit à ses débuts, l’UPM va fonctionner avec le fonds d’investissement Inframed nouvellement créé et doté dans un premier temps de 385 millions d’euros ; il permettra de lever des capitaux privés pour financer des projets dans l’ensemble des 43 Etats membres de l’UPM.

Grande Boucle

4 juillet 2009 : premier départ du Tour de France depuis la Principauté, à l’initiative du Prince Albert. Une bonne opération de communication pour l’image de la Principauté quand on sait que l’étape du 5 juillet 2009 Monaco/Brignoles a été suivie par 370 millions de téléspectateurs. Sans compter que le Tour de France, c’est 4 500 organisateurs, 2 500 véhicules, une caravane de 170 voitures, 198 coureurs, 650 journalistes. 6 millions d’euros avaient été débloqués pour le départ du tour de France à Monaco. Un budget qui aura servi notamment à la location de matériel dont l’installation de 10 km de barrières. 2,3 millions d’euros ont par ailleurs été versés à l’organisateur du tour, ASO.

Extension : Fontvieille maintenant

Le 9 décembre 2008, le Prince Albert informe qu’il arrête la consultation en cours sur le projet d’extension en mer. En pleine crise financière et économique, ce projet qui devait faire gagner 15 hectares à la Principauté, estimé entre 5 et 10?milliards d’euros, est stoppé à cause de son coût, des travaux pharaoniques qu’il engendrait et de son impact écologique. «Dans les conditions actuelles, il ne serait pas responsable de lancer un projet de cette envergure», expose le Prince Albert, au cours d’un entretien avec l’AFP. Albert II souligne que «toutes les garanties nécessaires -autant financières qu’environnementales- n’étaient pas actuellement réunies pour prendre une décision “responsable”».
19?novembre 2009, le prince Albert annonce, dans les colonnes de Monaco-Matin, son souhait de relancer un projet d’extension de Monaco vers la mer. Il indique avoir «demandé à son gouvernement d’engager dès 2010 des études sur l’hypothèse d’une extension mesurée, en continuité de Fontvieille, qui pourrait être dans un premier temps d’au moins cinq hectares.» Le Prince estime que le nouvel espace conquis sur la mer devrait permettre de réaliser environ 300 000 m2, «avec une grande mixité de logements haut de gamme, logements domaniaux et espaces économiques». Après deux ans d’études, Albert II devrait prendre une décision en 2013 pour une extension «mesurée» construite en 2019.

Fiançailles, une future “first lady“ à Monaco

23 juin 2010, l’annonce des fiançailles du Prince Albert II avec Charlene Wittstock, sa compagne depuis 4 ans, réjouit les Monégasques et fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le gotha mondain. Avec des fiançailles célébrées dans la plus stricte intimité, avant des noces princières, Monaco renoue avec son histoire glamour.
Prochaine date qui fera, sans nul doute, partie des moments-clés de la vie d’Albert II : son mariage, prévu l’été prochain.

Intronisation Albert II
© Photo Christophe Giraudeau

Un prince “de son temps”

Réussites, déceptions, attentes ou temps forts du règne… Monégasques, résidents et personnalités locales, livrent leurs sentiments sur les 5 années de pouvoir d’Albert II.

Changement d’époque. Chan- gement de style. Cinq années passées aux commandes du pouvoir pour Albert II. Après cinq décennies de règne pour le Prince Rainier III. Dans la population, lorsqu’il s’agit de comparer les deux chefs d’Etat, la première analyse est quasi unanime. La «?réserve?» et la «?distance?» du Prince bâtisseur s’opposent à la «?simplicité?» et la «?chaleur?» d’Albert II. De nombreux résidents et Monégasques considèrent l’actuel Prince comme plus «?accessible?». «?Moins intimidant et moins taciturne?». «?C’est un prince sportif avec un esprit d’équipe. C’est une nouvelle génération au pouvoir?», résume Richard Projetti, le directeur de Monte-Carlo Story qui a toujours suivi de très près le règne des Grimaldi. «?C’est un prince de son temps, moderne. Un prince de la communication?», souligne même Jeannie Vatrican, une Monégasque de 79 ans. Dans l’ancienne génération, l’ère Rainier III a inexorablement ses nostalgiques. Ceux pour qui la «?figure patriarcale?» et «?l’héritage laissé par les 50 ans de règne restent indélébiles?», souligne Joséphine Bogliolo, 84 ans, qui se targue d’avoir connu les trois princes depuis Louis?II. D’autres encore estiment que c’est «?un règne de la continuité. Un fils qui perpétue ce que son père a bâti. Rainier III a été prince à l’âge de 26 ans. Il a été très tôt confronté au pouvoir. Le Prince Albert, lui, a repris les rênes à 47 ans. Il y a un creux de 20 ans entre les deux prises de pouvoir?», rappelle Jean Gaétan, 69 ans retraité résident à Monaco depuis 50 ans.
La jeune génération, elle, parle plus volontiers d’une principauté «?redynamisée?». «?On a le sentiment que ça bouge plus. Que ça vit. Cette démarche par exemple d’organiser des gros concerts en plein air qui attirent les foules ne semblait pas envisageable auparavant?», souligne encore Sophie, 23 ans, étudiante monégasque. Quand d’autres le trouvent encore trop discret dans la manière de communiquer. «?Le prince 2.0, ce n’est pas encore ça. Sans tomber dans le sarkozysme, j’aimerais qu’il soit plus tourné vers les nouvelles technologies?», rajoute Pierre, 27 ans, analyste financier. Toutes générations confondues s’accordent toutefois sur un point?: Albert?II a façonné l’image d’un pays «?plus ouvert sur le monde.?»

Rayonnement de Monaco

Une Principauté moins repliée sur elle-même. La politique extérieure menée par le chef d’Etat a largement contribué à cette image. Avec un regain de crédibilité et de visibilité sur la scène internationale. «?Au niveau de la politique extérieure, le bilan me semble satisfaisant avec notamment l’ouverture de plusieurs consulats à l’étranger et les récents accords fiscaux signés. Même la politique écologique avec le combat du thon rouge a réussi à mettre Monaco sur le devant de la scène?», rajoute Pierre. Pour d’autres, Albert?II a contribué «?à faire rayonner Monaco dans le monde ne serait-ce qu’avec le nombre de consuls et d’ambassadeurs qui a beaucoup augmenté et cette volonté de changer l’image d’opérette qui colle à Monaco?», rajoute Jeannie Vatrican. Un prince très affairé donc dans les dossiers internationaux. Parfois un peu trop. «?On souhaiterait le voir un peu plus à Monaco et moins aux 4 coins du monde?», souligne encore une commerçante du Rocher. Parmi les temps forts du règne, l’annonce des fiançailles puis des noces à l’été 2011 avec Mademoiselle Charlène Wittstock revient en priorité dans les esprits.

Temps forts du règne

Tous font part de leur soulagement face à cet engagement qu’ils considèrent généralement comme «?tardif?». «?On n’y croyait plus. Toute la population attendait ce mariage, ça va redynamiser la Principauté?», rajoute Joséphine Bogliolo. Et les résidents ne tarissent pas d’éloges sur la future première dame. «?Une femme qui a de la tenue, de la retenue et de la grâce?», résume Jeannie Vatrican. «?Je suis content qu’il ait choisi une étrangère non francophone, pour la diversité?», rajoute de son côté Pierre. «?J’apprécie le fait qu’elle ne soit pas une princesse de sang. Qu’elle vienne d’un autre milieu. Ça ne peut être qu’enrichissant pour la Principauté. Cette union lui amènera de la stabilité. Il sera bien assisté par Charlène?», précise de son côté Jean-Gaëtan. Les combats écologiques d’Albert?II ont également marqué les esprits de la population. Notamment son périple en Antarctique. Nombreux sont ceux qui ont trouvé «?la démarche courageuse et engagée?». Un engagement écologique que certains aimeraient voir appliquer sur le territoire monégasque. «?Toutes les actions écologiques à l’international sont une bonne chose. Mais il n’y en a pas suffisamment dans nos frontières. C’est paradoxal. Le tri sélectif c’est bien, mais il faudrait multiplier les actions dans le pays, comme le bus gratuit par exemple?», souligne une commerçante du Rocher. Autre point positif du règne souvent revenu dans les témoignages recueillis sur le terrain?: l’engagement humanitaire du Prince. En priorité, sa politique d’aide en Afrique, à Madagascar ou encore en Haïti en faveur des sinistrés.

Les attentes

Si certains considèrent qu’il est encore trop tôt pour faire un bilan de règne, dans la population, les attentes sont réelles. «?Qu’il continue de pérenniser le sentiment de sécurité que l’on a à Monaco?», explique Chantal Billebaud, une commerçante de 50 ans. Quand d’autres attendent en priorité des actions en faveur de l’emploi des jeunes et des mesures pour le logement des enfants du pays. Sur les projets d’avenir, nombreux sont ceux qui ont trouvé «?sage?» l’abandon de l’extension en mer. Bien que le projet de la Tour odéon qui le remplace soulève quelques inquiétudes dans la population. «?L’histoire de Monaco n’est pas différente de l’évolution de l’économie mondiale. On a eu un prince bâtisseur quand il fallait. Maintenant il nous faut un prince qui défende une politique de croissance durable avec un vrai projet. Le béton, la banque et le luxe, c’est la force de Monaco, mais pas 100?% de son avenir. Je souhaiterais qu’il s’oriente vers le high tech et les services. J’attends de voir?», conclut Pierre. Et sans surprise, après l’annonce d’un mariage à l’horizon 2011, nombreux sont ceux qui attendent «?un héritier au trône…?»

“Une libération de la parole”

Alors que le Prince Albert dirige la Principauté depuis 5 ans, Monaco Hebdo a décidé de donner la parole aux groupes politiques du Conseil national. La présidente de l’Union pour la Principauté (UP), Anne Poyard-Vatrican, analyse ces 5 premières années de règne.

Monaco Hebdo?: Comment s’est déroulée la transition entre le Prince Rainier et le Prince Albert??
Anne Poyard-Vatrican?: En douceur, en toute logique. Le point de départ a été le discours d’avènement du 12?juillet 2005. Nous avons pu noter l’ambition de faire de Monaco un pays modèle, s’appuyant sur ses traditions et résolument tourné vers l’avenir. Avec la recherche de nouveaux axes de développement s’inscrivant dans une démarche durable et respectueuse de notre environnement. Ce discours, empreint d’humanité et de modernisme, est porteur de beaucoup d’espoir et représente une vraie vision d’avenir pour le pays.

M.H.?: Votre regard sur les 5 ans écoulés depuis l’avènement du Prince Albert en juillet?2005??
A.P.-V.?: Nous avons la chance d’avoir un souverain en phase avec  son temps et ouvert sur le monde. Son engagement environnemental prend chaque jour une dimension et une résonance plus grandes. A la fois légitime et s’appuyant sur l’histoire et son aïeul, le Prince Albert 1er, il a su en faire son combat et s’engage aux yeux du monde. Exemple?: la réunion, en février?2008 à Monaco, du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui a rassemblé tous les ministres de l’environnement des Etats membres de l’ONU en Principauté autour du thème «?globalisation et environnement, mobilisation économique face aux changements climatiques.?»

M.H.?: Comment s’est positionné le Prince en tant que chef d’Etat en termes de politique intérieure et internationale??
A.P.-V.?: Nos institutions donnent la possibilité au chef de l’Etat de pouvoir agir sur le long terme, avec tout le recul nécessaire. Voilà pourquoi il faut lire les actions du Prince dans la durée. A l’international, asseoir un positionnement et une image, c’est un travail de très longue haleine qui demande beaucoup de présence et d’investissement personnel de sa part. Dans un monde plutôt orienté sur le court terme et sur les résultats immédiats, cette approche est parfois plus difficile à appréhender. Et il peut arriver que les habitants de la Principauté soient décontenancés. Car ils voudraient leur Prince plus à leurs côtés. C’est un sentiment très ambivalent, entre la fierté qu’il soit présent et connu partout, et l’amertume de ne pas pouvoir le voir être tout le temps à Monaco.

M.H.?: Quel mode de gouvernance a adopté le Prince Albert??
A.P.-V.?: Albert II est un homme d’écoute. Ce qui est rare dans un monde qui, à force de vouloir communiquer, en oublie d’écouter. Dans la concertation, il se penche avec beaucoup d’humanité et un vrai sens du dialogue sur les différents sujets. Il souhaite que tout le monde se sente bien sans conflit. Mais la tâche est difficile. Et s’il n’hésite pas, dans certains cas, à déléguer avec des intentions nobles et altruistes, elles sont parfois travesties par celles, beaucoup moins nobles, de personnes qui gravitent autour du pouvoir et qui profitent de sa générosité.

M.H.?: En quoi ce mode de gouvernance se différencie de celui du Prince Rainier??
A.P.-V.?: Difficile de répondre dans la mesure où l’UP n’existe que depuis 2001 et qu’à l’époque l’état de santé du Prince Rainier III était déjà altéré. Mais il agissait avec plus de dirigisme, et parfois même, de rudesse. Jusqu’à ses «?fameuses colères?» qui faisaient le tour de la Principauté. C’était aussi une autre génération, avec un mode de fonctionnement et des mentalités différentes. Il a surtout régné avec une justesse de vue à long terme. Ce qui lui a permis de transmettre une Principauté riche et prospère, connue dans le monde entier.

M.H.?: A l’inverse, il y a des points communs entre ces deux modes de gouvernance??
A.P.-V.?: Le Prince Rainier avait à cœur que Monaco ne soit pas isolé sur la scène internationale. D’ailleurs, c’est sous son règne qu’a été décidé le processus d’adhésion au Conseil de l’Europe. Le règne de l’actuel souverain se situe dans la droite ligne de cette politique. Mais il l’amplifie et la développe sur tous les terrains, pour le plus grand bénéfice de la Principauté. Et bien sûr, l’autre grand point commun, c’est la préoccupation du bien être de leurs sujets. Ce qui passe par la stabilité politique et la prospérité économique.

M.H.?: D’un point de vue législatif, depuis 2005, quelles différences avez-vous remarqué dans l’adoption des textes??
A.?P.-V.?: La révision constitutionnelle de 2002 a commencé à s’appliquer à partir de 2003. Et la nouvelle majorité Union pour Monaco (UPM) a utilisé les nouvelles prérogatives du Conseil national pour porter les sujets clés qu’elle avait défendus pendant toute la campagne électorale. Ce nouvel équilibre institutionnel a permis de réaliser des avancées législatives importantes avec le droit d’amendement et le droit de proposition renforcé. Mais aussi d’impulser de nouvelles orientations en matière de politiques publiques, dans le sens voulu par la majorité, et donc les monégasques. Car les pouvoirs législatif et budgétaire sont exercés conjointement par le Prince et par le Conseil National.

M.H.?: D’autres différences??
A.P.-V.?: Sur les projets clés de ces dernières années, certains ont donné lieu à des groupes de travail mixtes, qui ont tous permis d’aboutir à des lois satisfaisantes. Exemple?: la loi habitation capitalisation, la loi sur la magistrature, la SARL, l’interruption médicale de grossesse (IMG), la loi sur l’éducation… De plus, la majorité a pu développer ses actions pour le logement des monégasques, de mise en place de l’égalité homme/femme ou de communication, avec l’arrivée de la télé dans l’hémicycle. Bref, on a un Conseil national résolument positionné comme un partenaire institutionnel, loin de la chambre d’enregistrement de jadis.

M.H.?: Concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis 2005 au Conseil national et que l’on doit au Prince Albert??
A.P.-V.?: Plusieurs choses. D’abord, la libération de la parole. En 2002, les Monégasques se cachaient pour remplir un questionnaire sur les grands sujets qui touchent la Principauté. En 2008, l’UP a eu du mal à faire face, car tout le monde voulait être sûr de pouvoir répondre à la nouvelle édition du questionnaire. Le mot même de Parlement, considéré parfois comme un «?gros mot?» dans le passé, est rentré dans le langage et symbolise le lieu de paroles et de débats. Ensuite, des sujets tabous sont tombés au fil du temps. Comme de parler du fonds de réserve constitutionnel, qui est «?notre bas de laine.?» Aujourd’hui, il semble naturel que les élus s’en préoccupent, comme un ménage se préoccuperait de la santé de son épargne.

M.H.?: D’autres changements??
A.P.-V.?: Oui. Car les sujets de société progressent. Comme la transmission de la nationalité, l’avenir de la jeunesse, l’IMG, le divorce et les violences au sein du foyer. Mais aussi l’égalité homme/femme, avec la nomination d’une femme conseiller de gouvernement par le Prince. Ce qui est le reflet d’une société qui a élu une femme comme présidente du premier parti politique de la Principauté. Ce qui était impensable il y a encore 5 ans. Enfin, une ouverture vers un Monaco qui prend en main son destin. Avec la nomination par le Prince de Stéphane Valeri, qui était alors président du Conseil national et donc élu par les Monégasques, au poste de conseiller de gouvernement aux affaires sociales.

“Une évolution notable”

Le président de Rassemblement & enjeux (R&E), Laurent Nouvion, estime que Rainier?III et Albert II gouvernent différemment. Le tout, dans la continuité.

Monaco Hebdo?: Votre regard sur les 5 ans écoulés depuis l’avènement du Prince Albert en juillet?2005??
Laurent Nouvion?: Ces 5 dernières années de règne ont démontré la continuité de l’institution princière et la solidité du modèle institutionnel dont nous avons hérité. Le Prince, dont la stature internationale est reconnue, a démontré ses qualités d’humaniste et d’attention envers les causes qui lui sont chères.

M.H.?: Comment s’est positionné le Prince en tant que chef d’Etat en termes de politique intérieure et internationale??
L.N.?: En politique intérieure, ces 5 dernières années ont été marquées par un certain nombre d’ajustements qui prendront tout leur sens dans les années à venir. On peut citer le discours du souverain le 12?juillet 2005, son engagement pour les causes environnementales, le report de l’extension en mer, la fin du monitoring du Conseil de l’Europe, la poursuite des grands chantier d’équipement, la décision de surseoir en ce qui concerne le projet initialement décidé de l’hôpital et les conséquences directes et indirectes sur un certain nombre de projet. Sans oublier, bien sûr, les fiançailles du Prince.

M.H.?: En quoi le mode de gouvernance d’Albert II se différencie de celui du Prince Rainier??
L.N.?: Il y a une évolution notable dans la façon de gouverner entre le Prince souverain et le Prince Rainier III. Notamment en ce qui concerne le principe de délégation et un certain nombre d’arbitrages.

M.H.?: Concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis 2005 au Conseil national et que l’on doit au Prince Albert??
L.N.?: Sur le plan législatif, on constate une recherche de consensus à tout prix, souhaité de part et d’autre par le gouvernement et la majorité du Conseil national. Ce qui n’est d’ailleurs pas une fin en soi. Car, comme le disait Margaret Thatcher?: «?Le consensus est un processus d’abandon de toutes ses croyances, de tous ses principes, de toutes ses valeurs et de toute politique. C’est une chose à laquelle personne ne croit et à laquelle personne ne s’oppose.?»