jeudi 28 mars 2024
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Abus de faiblesse : « Presque toutes les décisions de justice concernent des personnes âgées de plus de 70 ans »

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Du point de vue juridique, comment reconnaître et défendre les victimes d’abus de faiblesse ? Me Géraldine Gazo, avocat associé au sein du cabinet CMS Pasquier Ciulla Marquet Pastor Svara & Gazo, a répondu aux questions de Monaco Hebdo, avec l’aide de son collaborateur, Sacha Nantas. 

Qui peut être victime d’un abus de faiblesse ?

Toute personne en état de faiblesse peut être victime d’un abus de faiblesse. L’article 335 du code pénal, qui incrimine le délit d’abus de faiblesse en droit monégasque, précise qu’il s’agit d’une personne « dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur ».

Existe-t-il un profil type de victime ?

Les juges se livrent à une appréciation in concreto [appréciation qui fait état de la situation au moment des faits – NDLR] de la vulnérabilité de la personne au moment des faits subis, de sorte qu’il est difficile de dresser un profil type de la personne vulnérable. Ainsi, la jurisprudence monégasque considère qu’est vulnérable, « une personne âgée […], fatigable, et ayant une mauvaise mémoire » (1), mais qu’un état dépressif et l’âge d’une personne ne sont pas nécessairement la démonstration d’un état de faiblesse (2). De façon générale, il est admis que la vulnérabilité procède de l’âge (mineurs et personnes âgées) et/ou de la situation de santé (maladie, infirmité, déficience physique ou psychique).

La vulnérabilité est aussi matérielle ?

En ce qui concerne l’état de dépendance, celui-ci peut consister en une dépendance matérielle, c’est-à-dire une personne présentant un handicap et nécessitant l’assistance d’un tiers pour se déplacer ou conduire, ou un état de sujétion, c’est-à-dire une personne sous l’emprise psychologique d’une autre. Il faut toutefois distinguer faiblesse et incapacité juridique. Une personne peut être en état de faiblesse, sans être en état d’incapacité.

« J’ai connu des procédures dans lesquelles des hommes âgés fortunés étaient abusés par leurs épouses ou compagnes, souvent plus jeunes »

Quels sont les cas d’abus de faiblesse les plus courants ?

Dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai connu des procédures dans lesquelles des hommes âgés fortunés étaient abusés par leurs épouses, ou compagnes, souvent plus jeunes. J’ai aussi vu des cas dans lesquels une personne âgée et isolée est abusée par son personnel de maison, ou par des professionnels exploitant frauduleusement la connaissance du patrimoine financier de la victime. Le premier cas, le plus courant, relève du domaine de la manipulation affective quotidienne.

Les victimes sont-elles souvent âgées ?

Il est intéressant d’observer que presque toutes les décisions de justice rendues à ce jour concernent des personnes âgées de plus de 70 ans. À ce critère de l’âge, s’ajoute généralement l’existence d’une maladie ou de troubles psychiques présents chez la victime. Dans la plupart des cas, les auteurs d’abus de faiblesse recherchent la satisfaction d’un intérêt matériel. Ceci les conduit à s’attaquer en priorité à des victimes disposant d’un patrimoine conséquent et facilement détournable, en raison des liens qu’ils entretiennent avec la victime. Il va sans dire que la cupidité demeure le mobile principal de l’abus de faiblesse, et l’auteur se comporte souvent comme un escroc se livrant à des manœuvres pour parvenir à ses fins.

© Photo DR

« Certains abus peuvent donner lieu à des détournements de fonds considérables, en fonction des situations des victimes. L’abusé perdant le contact avec son patrimoine de façon plus ou moins importante, le préjudice peut s’étendre sur des années, et pour des sommes importantes »

Quels sont les recours possibles ?

L’abus de faiblesse constituant un délit, le traitement judiciaire de ce dernier relève principalement de la voie pénale. Notons que ce signalement peut aussi prendre la forme d’une dénonciation émanant d’un tiers ayant eu connaissance de faits d’abus de faiblesse. En ce cas le procureur général est saisi par toutes personnes ayant connaissance de ce délit. Ainsi, les banquiers de la victime doivent s’y résoudre parfois, ou des membres de la famille de l’abusé, ou encore de simples témoins des faits délictueux.

Quelle est la voie la plus courante envisagée ?

La voie de la dénonciation est la plus usitée en matière d’abus de faiblesse, la victime n’ayant, bien souvent, pas conscience d’être abusée, compte tenu de son état de santé ou de l’emprise dans laquelle elle se trouve. De temps en temps, l’abusé se rend compte de sa situation, mais n’ose pas la dénoncer, et parfois ne sait pas à qui s’adresser. Il faut aussi prendre en compte la fierté de celui qui est abusé, et qui peut avoir des difficultés à l’admettre. Outre l’enquête pénale détaillée sur l’entourage de la victime, le signalement déclenche une enquête sociale et financière.

Peut-on agir en justice si la victime est décédée ?

En cas de décès du plaignant lors de l’enquête, ou avant que la procédure judiciaire ne soit définitive, les héritiers pourront, sous certaines conditions, solliciter des dommages et intérêts au nom de la succession, voire du défunt lui-même. Dans certains cas, l’abus de faiblesse peut avoir de telles conséquences patrimoniales, en raison de l’importance des fonds détournés qu’il peut avoir pour suite un litige successoral impliquant l’auteur du délit qu’il soit ou non désigné en tant qu’héritier. Reste l’action préventive consistant à placer la personne vulnérable sous tutelle, ou curatelle. Autrement dit, sous protection judiciaire, lorsque celle-ci n’est plus en état d’exprimer librement son consentement, et qu’il existe un risque de gestion patrimoniale important, ou bien de prévoir le risque en faisant signer par la personne cible un mandat de protection future.

« L’abus de faiblesse est puni de six mois à trois ans d’emprisonnement et d’une peine d’amende comprise entre 9 000 euros et 18 000 euros »

Quelles sont les failles qu’utilisent généralement les auteurs d’abus ?

Les auteurs d’abus exploitent habilement diverses situations, comme en matière d’escroquerie. Ainsi, il existe une multiplicité de ressorts psychologiques que les auteurs d’abus de faiblesse utilisent. Cela peut passer par l’exploitation savante des liens affectifs, familiaux ou professionnels établis avec la victime au fil d’une relation. Cela peut aussi passer par des pressions quotidiennes pour obtenir des gratifications, ou de prétendus besoins d’aide financière pour l’auteur de l’abus et/ou de sa famille qui, souvent, en profite largement. Enfin, cela peut aussi passer par des mensonges ou des tromperies, avec la nécessité d’acquisitions indispensables ou de besoins essentiels à satisfaire. Dans tous les cas, l’auteur de l’infraction a connaissance de la situation de faiblesse de sa victime, et il cherche à en tirer avantage, au préjudice de celle-ci.

À quels types de préjudices sont confrontées les victimes d’abus ?

Le premier est évidemment le préjudice moral, qui procède de l’emprise psychologique et des souffrances endurées par la victime du fait de l’exploitation de la situation de faiblesse dans laquelle celle-ci était placée. Vient ensuite le préjudice patrimonial. En effet, certains abus peuvent donner lieu à des détournements de fonds considérables, en fonction des situations des victimes. L’abusé perdant le contact avec son patrimoine de façon plus ou moins importante, le préjudice peut s’étendre sur des années, et pour des sommes importantes.

Comment faire reconnaître l’abus de faiblesse, juridiquement parlant ?

Comme son nom l’indique, l’abus de faiblesse consiste à exploiter la faiblesse d’une personne à son détriment. Il incombe donc à la victime, ou au tiers qui veut dénoncer un abus, de rapporter la preuve de la vulnérabilité, ou de la situation de dépendance dans laquelle se trouve la victime.

« Il existe une multiplicité de ressorts psychologiques que les auteurs d’abus de faiblesse utilisent. Cela peut passer par l’exploitation savante des liens affectifs, familiaux ou professionnels établis avec la victime au fil d’une relation. Cela peut aussi passer par des pressions quotidiennes pour obtenir des gratifications, ou de prétendus besoins d’aide financière »

Qui d’autre que la victime peut dénoncer un abus de faiblesse ?

Pour mémoire, l’article 64 du code de procédure pénal permet à toute personne ayant acquis la connaissance d’un crime ou d’un délit de le dénoncer. Par ailleurs, certains acteurs économiques sont tenus à une obligation de vigilance particulière en matière d’abus de faiblesse. Les établissements bancaires doivent notamment s’assurer, en cas d’opérations atypiques pouvant résulter d’un abus de faiblesse, que celles-ci ont été régulièrement consenties par leurs clients.

Quels types de preuves faut-il présenter ?

En matière pénale, la preuve est libre, de sorte que la culpabilité de l’auteur peut être démontrée par tous moyens. Il y aura lieu de produire en priorité des certificats médicaux et des témoignages de personnes en contact direct avec la victime, attestant de la situation de dépendance ou de vulnérabilité dans laquelle celle-ci était placée au moment des faits. Lors de l’enquête ou de l’instruction, le procureur général, ou le juge d’instruction, d’eux-mêmes ou à l’initiative des parties, pourront ordonner toutes investigations utiles à la manifestation de la vérité. Avec, notamment, la réalisation d’enquêtes et d’expertises médicales et psychologiques, afin de corroborer les faits dénoncés dans la plainte.

Quelles sanctions encourt l’auteur d’un abus de faiblesse ?

L’abus de faiblesse est puni de six mois à trois ans d’emprisonnement et d’une peine d’amende comprise entre 9 000 euros et 18 000 euros (3), outre des dommages et intérêts relatifs au remboursement de sommes détournées intégralement avec intérêts au taux légal. En complément, le coupable d’abus de faiblesse peut être refoulé du territoire monégasque sur décision du ministre d’État. Et donc se voir retirer sa carte de résident et l’interdiction d’exercer une activité professionnelle en principauté.

1) Selon la décision rendue par la cour de révision, le 9 avril 2015.

2) Selon la décision du tribunal correctionnel du 28 février 2017, n° 2010/000117.

3) Conformément aux articles 36 et 335 du code pénal.

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